La mondialisation – en tout cas dans le monde développé – est en marche, dit-on, et rien ne semble en mesure de l'arrêter. Il est vrai que, à toutes les époques, les observateurs confrontés au système politique dominant ont souvent eu cette impression d'inéluctabilité, probablement faute de posséder suffisamment de recul. Dans le domaine des sciences la question ne s'est jamais réellement posée puisque, de tout temps, les esprits concernés ont toujours assez facilement reconnu les réelles avancées scientifiques.
Ce qui, aujourd'hui, est nouveau, c'est la haute technicité et la rapidité de la mise en œuvre de leurs applications (société médiatique oblige), la recherche immédiate de bénéfices commerciaux (domination actuelle du modèle marchand anglo-saxon) et la toujours possible délocalisation des recherches sous des cieux plus tolérants. D'où, en médecine, la survenue de problèmes éthiques qui sont parfois de véritables casse-têtes pour les autorités dites morales... Les travaux sur les cellules-souches sont un exemple de ces dilemmes, peut-être le plus emblématique. Je me propose donc de revenir sur leur nature et les espoirs (ou craintes) suscités dans ce domaine.
cellules-souches
Les cellules-souches sont présentes chez tous les êtres vivants (on pense à la salamandre capable de régénérer une de ses pattes si nécessaire), les mammifères comme les autres. On les trouve surtout au stade embryonnaire de l'individu et aussi, mais dans une moindre mesure, chez l'adulte dont les tissus possèdent, en effet, presque toujours des cellules-souches, celles-ci étant seulement capables de régénérer le tissu composant l'organe auquel elles appartiennent. En résumé, plus on est près des premières divisions cellulaires après la fécondation, plus les cellules-souches présentes ont la faculté d'engendrer des cellules potentiellement multi-spécialisées.
* les cellules-souches totipotentes : elles sont capables de donner un individu complet (totipotent = tous les pouvoirs) et sont issues des premières divisions de l'œuf (en fait, jusqu'au stade de la morula, c'est à dire un embryon débutant comprenant environ de 2 à 8 cellules). Lorsqu'on décide de provoquer le clonage d'un individu entier, c'est évidemment à ce stade qu'il faut le faire.
* les cellules-souches pluripotentes : présentes chez l'embryon un peu plus âgé (vers 40 à 50 cellules), elles ne peuvent plus donner un individu entier mais sont encore capables d'engendrer chacun des tissus de l'organisme.
* les cellules-souches multipotentes : celles-ci sont présentes bien sûr chez l'embryon mais aussi chez l'adulte. Leurs capacités sont un peu plus limitées puisqu'elles peuvent produire différentes cellules spécialisées mais de nature voisine : on parle alors de cellules déterminées. C'est le cas, par exemple, des cellules-souches du système hématopoïétique de l'homme qui peuvent donner naissance à toutes les cellules du système sanguin (y compris les globules blancs les plus spécialisés) mais sont incapables de former, par exemple, des cellules osseuses ou pancréatiques.
* les cellules-souches unipotentes : ces dernières ne peuvent donner qu'un type cellulaire et un seul, tout en gardant comme les autres la possibilité de s'autorenouveler. Elles sont présentes dans la plupart des organes mais pas tous : par exemple, le cœur n'en possède pas et est donc incapable de se réparer si besoin.
On voit donc qu'il existe différentes sortes de cellules-souches, plus ou moins opérantes, plus ou moins recherchées et donc plus ou moins faciles à trouver. Précisons également que d'autres cellules sont capables de se différencier et de donner naissance à des lignées cellulaires particulières mais elles ont perdu la faculté de se reproduire à l'infini : en pareil cas, on ne parlera pas de cellules-souches mais de cellules progénitrices (on en trouve un peu partout dans l'organisme d'un être vivant) beaucoup moins intéressantes.
Intérêt des cellules-souches
Les cellules-souches, et ce d'autant qu'elles se situent plus tôt dans la vie de l'individu, sont une extraordinaire richesse potentielle puisque, à partir d'elles, on est en droit d'espérer la réparation de n'importe quel tissu déficient ou abimé, voire plus peut-être. On comprend la frénésie qui s'est emparée d'une partie des spécialistes de la question (et des politiques mais sans doute pour d'autres raisons). Qui n'a jamais rêvé de voir, à l'instar de la salamandre citée plus haut, repousser un membre accidentellement disparu ? Est-ce possible ? Et, au fait, que peut-on espérer de ces cellules « miracles » ? La liste est longue et certainement pas exhaustive.
En théorie, il paraît parfaitement envisageable de mettre en culture des cellules pluripotentes (les plus prometteuses) et obtenir une source quasi-illimitée de tissus cellulaires. Du coup, la thérapie cellulaire devient possible dans un grand nombre d'affections qui se caractérisent précisément par l'altération de telle ou telle lignée cellulaire : on pense, bien sûr, à la maladie d'Alzheimer, à la maladie de Parkinson, aux maladies de la moelle osseuse mais aussi, pourquoi pas, à toutes celles qui bénéficieraient d'une réinjection de cellules « normales » comme les maladies cardiovasculaires, le diabète (cellules pancréatiques), la polyarthrite rhumatoïde, les atteintes cérébrales diverses, etc. etc. Ailleurs, on évoquera évidemment tous les types de brûlures, les nécroses par ischémie, les destructions post-radiothérapiques, les déficits enzymatiques... La liste est longue... et la mariée peut-être trop belle !
L'intérêt de ces cellules ne s'arrête pourtant pas là : nous venons d'évoquer quelques unes des applications thérapeutiques venant spontanément à l'esprit mais les cellules-souches présentent également un intérêt majeur dans le domaine de la recherche fondamentale. On pourrait citer – entre autres – les avancées majeures qu'elles permettent d'entrevoir dans la sphère des anomalies génétiques où elles permettraient d'étudier les processus de développement cellulaire et, par voie de conséquence, leurs anomalies : je pense ici d'abord à la trisomie 21, si fréquente, mais il existe, comme on s'en doute, bien d'autres sujets d'études génétiques. Les recherches sur le cancer, par la proximité de leurs caractéristiques (vitesse de reproduction, expression des gènes, etc.) avec les cellules néoplasiques pourraient également bénéficier de réelles pistes d'étude. On peut également citer la recherche sur le développement des premiers stades de l'embryogénèse ou, ailleurs, l'étude grandement facilitée des nouveaux médicaments puisque que l'on disposerait en pareil cas d'un matériel sûr et pratiquement illimité.
Alors, ces cellules-souches sont-elles vraiment cette panacée tant recherchée ? Ce n'est hélas pas certain pour au moins deux types de raisons.
limitations potentielles à l'utilisation des cellules-souches
La première des incertitudes concernant l'intérêt véritable des cellules-souches, et donc de leur utilisation à grande échelle, est d'ordre strictement médical. J'évoquais plus haut les similitudes existant entre ces cellules primordiales et les cellules cancéreuses : divisions rapides et illimitées, expression de certains gènes « réprimés » chez les cellules normales, activité biochimique cellulaire intense. Certaines études ont montré que les cellules-souches sont très certainement à l'origine des cancers : ce sont, en effet, les seules à vivre assez longtemps pour pouvoir muter (ces mutations survenant au terme d'un certain nombre d'années d'évolution) alors que les cellules « normales » de l'organisme ne survivent que quelques semaines, un temps trop court.
La seconde limitation à l'utilisation des cellules-souches est d'ordre éthique et c'est d'ailleurs celle qui suscite le plus d'interrogations et de débats dans la communauté scientifique (et ailleurs !).
Problèmes éthiques
* le premier groupe de problèmes éthiques concerne l'obtention des cellules-souches
* deuxième type de problèmes : des cellules-souches, en définitive, pour quoi faire ?
On a déjà évoqué la création (ou recréation) de tissus endommagés ainsi que la mise en culture de lignées cellulaires destinées à compenser les déficits de certaines maladies dégénératives. Hors l'obtention des dites cellules (voir paragraphe précédent), il n'existe guère d'opposition à ces thérapies. De la même manière, le développement du génie tissulaire (qui consiste à implanter des néofibres sur certains organes comme le cœur et ses vaisseaux) ne soulève pas de problèmes éthiques particuliers.
Les tentatives de thérapie génique sont plus discutées : corriger des organes anormaux par présence d'un gène muté est déjà plus contesté mais le vrai problème concerne les maladies génétiques transmises à l'œuf par ses parents. Dans ce dernier cas, pour éviter la maladie, on a recours à un clonage (transfert de noyaux cellulaires sur l'ovocyte de la mère) qui conduit au développement d'un embryon indemne de la maladie. Certaines personnes pensent ici qu'il s'agit d'une porte ouverte vers l'eugénisme, c'est à dire la sélection d'individus sur des critères particuliers à telle culture ou tel régime politique. Les autres, au contraire, expliquent qu'une telle technique serait forcément très encadrée pour empêcher les dérapages et que nombre de drames humains, atrocement douloureux pour les individus et fort coûteux pour la communauté, seraient alors évités. Le débat fait rage.
Toutefois, un élément sur lequel s'accordent toutes les parties (pour le moment en tout cas) est l'interdiction nécessaire de tout clonage reproductif (reproduction d'un individu exactement identique à lui-même) : l'ONU a d'ailleurs délibéré dans ce sens.
la situation actuelle
Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est pas claire. Il existe en réalité quatre types de positions adoptés par les différents pays :
* ceux qui autorisent les recherches sur l'embryon (et donc les cellules-souches) et le clonage thérapeutique (on a déjà dit que le clonage reproductif est, en théorie, interdit partout) ; il s'agit principalement des USA, du Canada, d'Israël, de la Chine et, en Europe, du Royaume-Uni, de la Belgique et de la Suède. Le Japon, tout en n'interdisant pas explicitement le clonage thérapeutique, le déconseille fortement.
* ceux qui interdisent tout : en Europe, c'est le cas de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Autriche, de la Pologne et de la Norvège. C'est également le cas de pratiquement tous les états d'Amérique du sud à l'exception du Brésil.
* ceux qui, tout en interdisant le clonage thérapeutique, autorisent des recherches fortement encadrées : on trouve dans cette catégorie, l'Australie, le Brésil (interdiction du clonage mais autorisation des études sur les embryons congelés depuis au moins trois ans). En Europe, certains pays autorisent les recherches sur les cellules-souches embryonnaires : le Danemark, la Grèce, la Finlande, l'Estonie, la Lettonie, la Slovénie et la Suisse. Les Pays-Bas ont choisi d'instaurer un moratoire de 5 ans à l'issue duquel les recherches seront autorisées si les avancées médicales sont démontrées (mais ont déjà indiqué que par « être humain », il faut entendre un être « humain qui est né »...). L'Espagne et le Portugal cherchent à faire évoluer rapidement leur législation dans un contexte difficile, pour des raisons religieuses notamment. Quant à la France, elle a autorisé un dispositif dérogatoire de cinq ans. Pour notre pays, un rapport a été transmis au Premier Ministre de l'époque, Dominique de Villepin. Réalisé sous l'autorité du député du Val-de-Marne, le Professeur Fagniez, il conclue à la nécessité de réviser tous les cinq ans la loi relative à la bioéthique (www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/rapport/rapportfagniez.pdf).
* ceux qui hésitent et sont encore en recherche de leur législation.
au total
Il semble encore difficile de se faire une idée de l'intérêt des cellules-souches en médecine. Il est possible que les espoirs placés en elles soient exagérés comme paraissent le souligner quelques publications récentes. Ce n'est donc probablement pas la panacée évoquée plus avant dans le sujet. A l'inverse, il s'agit certainement d'une voie d'avenir pour un certain nombre d'affections face auxquelles nous sommes actuellement désarmés.
Le cas du clonage thérapeutique à des fins de thérapie génétique est certainement, d'un point de vue éthique, le plus délicat mais on sent déjà les différentes législations sur le point d'évoluer vers une plus grande souplesse. Il est vrai que les intérêts économiques sont gigantesques et que nos décideurs politiques doivent se dire qu'il serait irréaliste de laisser le champ libre au voisin puisqu'on sait que, au bout du compte, les véritables avancées scientifiques finissent toujours par imposer leur propre éthique.
Et qui pourrait affirmer avec certitude que, dans l'atmosphère tamisée d'un laboratoire discret situé dans un pays à la législation aléatoire, on n'est pas déjà en train de réaliser ce que tous veulent interdire ? Alors, on se dit qu'il est peut-être préférable d'encadrer ce que l'on ne peut pas éviter.
Images
1. fœtus humain de quatre mois (source : www.retrouversonnord.be)
2. cellules souches embryonnaires de souris (sources : www.techno-science.net)
3. Théodore Friedmann, le père de la thérapie génique (sources : www.dopinginfo.ch)
4. bientôt des "chimères" animal-homme ? C'est autorisé en Grande-Bretagne depuis le 17 mai 2007. (sources : institut-de-cognitique.blogspot.com/)
Addendum : cellules souches artificielles
En novembre 2007, des biologistes japonais sont parvenus à créer des cellules souches artificielles à partir de la peau humaine et donc sans utiliser d'embryon... L'origine de ces cellules est par conséquent "éthiquement" correcte. De plus, ces cellules baptisées iPS sont assez faciles à obtenir. Il reste à s'assurer qu'elles ont le même potentiel que les cellules souches "naturelles" mais elles font déjà l'objet de nombreux travaux en thérapie génique et dans l'évaluation des médicaments. Parfaites alors puisque ne touchant pas l'embryon ? Pas tout à fait car elles peuvent également concerner les cellules germinales et, du coup, la reproduction asexuée se profile à l'horizon. Gros problème éthique à venir !
(d'après Science & Vie, 1099, avril 2009)
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(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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Mise à jour : 7 juillet 2009