La théorie de l’Evolution explique la transformation des espèces au fil des âges mais, en réalité, c’est bien plus qu’une simple théorie tant les preuves abondent en son sens. De ce fait, on devrait plutôt dire les lois de l’Evolution (c’est également le même problème pour la théorie de la relativité générale d’Einstein).
C’est Darwin, on le sait tous, qui fut le pionnier de cette nouvelle approche. Homme du XIXème siècle, il ne pouvait évidemment connaître ni la génétique, ni la biologie moléculaire, etc., toutes disciplines qui contribuèrent par la suite à approfondir son hypothèse. C’est la raison pour laquelle l’Evolution fut « revisitée » par les modernes pour aboutir à la théorie synthétique de l’Evolution, encore en vigueur aujourd’hui.
En 1972, deux éminents chercheurs, Gould et Eldredge, bousculèrent le monde jusque là très tranquille de l’Evolution en proposant une approche complémentaire - la théorie des équilibres ponctués – qui fit alors grand bruit. Aujourd’hui que le calme est revenu, il n’est pas inutile de rappeler les grandes lignes théoriques et historiques de ce débat qui permit d’asseoir définitivement l’approche scientifique de la transformation des espèces face à l’obscurantisme d’un créationnisme irrationnel et puéril mais toujours renaissant de ses cendres.
La théorie synthétique de l’Evolution
Comme l’a très bien expliqué Darwin, la transformation des espèces se déroule sur un temps très long, proche des temps géologiques, c'est-à-dire portant sur des centaines de milliers, voire des millions d’années. L’apparition de différences entre
individus, différences se maintenant chez leurs descendants, explique cette évolution ; les individus les mieux adaptés dans leur milieu (surtout si celui-ci se transforme rapidement) sont les plus aptes à survivre et donc à se reproduire : c’est la sélection naturelle (voir sujet : les mécanismes de l’Evolution). Rappelons que ces transformations se font surtout par mutations mais pas seulement puisque d’autres mécanismes génétiques, quoique moins fréquents, sont également à l’œuvre (échange de matériel génétique, épimutations, etc.). Il paraît également justifié de mentionner qu’il ne faut jamais considérer ces transformations d’un point de vue généalogique mais phylogénétique : les espèces ne descendent pas les unes des autres mais se transforment en parallèle. Par exemple, deux populations d’une même espèce longtemps séparées l’une de l’autre finissent par « diverger », c'est-à-dire que leurs représentants sont devenus incapables de se reproduire entre eux, formant alors des espèces distinctes mais coexistant encore dans un environnement voisin (c’est le phénomène de dérive génétique). En pareil cas, on pourra affirmer que ces
deux espèces ont un « ancêtre commun » (l’espèce de départ) et, par exemple, c’est bien le cas de l’Homme qui ne descend pas du singe (comme l’ont un peu stupidement déclaré certains antidarwiniens) mais possède un lointain ancêtre commun avec lui.
Quoi qu’il en soit c’est par l’intermédiaire des gènes que ces transformations opèrent mais Darwin ne pouvait que le supposer puisque la génétique était à son époque encore inconnue. C’est la raison pour laquelle, dès les années 1930-40, de nombreux scientifiques cherchèrent à compléter la théorie de Darwin avec des acquisitions plus récentes : la génétique évidemment mais aussi la biologie, l’embryologie, la paléontologie, la génétique des populations, la systématique, etc. Du fait, on s’intéressa non plus seulement aux individus mais à des groupes entiers et c’est la fréquence des mutations dans une population qui devint le critère principal. La grande majorité de ces mutations - rappelons-le - sont déclarées neutres (elles n’ont aucune incidence sur les individus), quelques unes sont létales ou très défavorables (et leurs porteurs n’ont pas de descendants), quelques unes enfin apportent un avantage sélectif et se transmettent aux générations suivantes. Lorsque la fréquence de ces mutations devient élevée, on peut assister à la modification de l’espèce.
Quelques décennies plus tard (1960), grâce à la compréhension de le nature des chromosomes et des gènes, la biologie moléculaire vint compléter le néodarwinisme (autre appellation de la théorie synthétique) en donnant les bases expérimentales qui manquaient.
On peut résumer l’affaire de la façon suivante : les espèces vivantes se transforment au fil du temps à la suite de mutations survenant chez certains individus de façon aléatoire et c’est la sélection naturelle qui tempère quelque peu cette grande loterie du hasard en permettant l’adaptation de l’espèce à un milieu et à un temps particuliers. Aucun finalisme n’entre ici en jeu puisque seul le déterminisme adaptatif canalise cette évolution.
Pour les néodarwiniens d’alors, les transformations ne pouvaient se produire que progressivement, sur des durées de temps immenses et on avança alors le terme de gradualisme pour bien souligner cette progressivité.
Les équilibres ponctués
En relisant avec attention l’ouvrage principal de Darwin (l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, 1859), on se rend compte que le grand scientifique s’était interrogé sur un fait qui lui paraissait curieux : si l’on pense à une transformation graduelle, comment se fait-il que les fossiles jusqu’alors retrouvés (et la même remarque prévaut encoreaujourd’hui) ne concernent presque toujours que des espèces déjà formalisées et très peu d’espèces dites « intermédiaires » chez lesquelles on pourrait reconnaître une partie seulement des caractères définitifs de l’espèce considérée. La réponse, pour lui évidente, est simplement que ces fossiles n’ont pas encore été trouvés… Il le dit de la façon suivante : « …/… que l'accumulation de dépôts riches en espèces fossiles diverses, et assez épais pour résister aux dégradations ultérieures, n'étant guère possible que pendant des périodes d'affaissement du sol, d'énormes espaces de temps ont dû s'écouler dans l'intervalle de plusieurs périodes successives ; qu'il y a probablement eu plus d'extinctions pendant les périodes d'affaissement et plus de variations pendant celles de soulèvement, en faisant remarquer que ces dernières périodes étant moins favorables à la conservation des fossiles, le nombre des formes conservées a dû être moins considérable…/… ». Il ne resterait donc plus qu’à trouver ces fameux « chaînons manquants »…
En 1972, deux paléontologues, Stephen J. Gould et Niles Eldredge, publièrent un article qui prit tout le petit monde néodarwinien à contrepied : selon les deux chercheurs, ces fameux fossiles intermédiaires ne pouvaient pas être retrouvés pour la bonne raison qu’ils n’existent pas ! La raison en est que, pour eux, le gradualisme n’est qu’une supposition et que les transformations apparaissent en fait d’un coup, très rapidement, sur quelques milliers d’années (un temps infime à l’échelle géologique) ; survient ensuite pour les espèces une longue période d’équilibre, dite de stase, au cours de laquelle il ne se passe rien. Gould explique ainsi pourquoi on peut trouver des espèces n’ayant pas changé durant des millions d’années. Il avance que, loin d’une transformation progressive, une espèce peut disparaître rapidement car remplacée par l’espèce mutante qui recolonise la niche écologique jusque là occupée par celle dont elle est issue ; parfois, il peut même arriver, ajoute-t-il, que les deux espèces continuent d’exister l’une à côté de l’autre.
C’était le retour à une certaine forme de catastrophisme, la théorie qui prévalait avant le gradualisme (voir le sujet : la querelle sur l'âge de la Terre) et, bien entendu, les néodarwiniens classiques furent consternés au point qu’ils crièrent au retour d’un certain créationnisme. Il s’agissait là certainement d’un mauvais procès fait à Gould et Eldredge qui estimaient, bien au contraire, qu’ils ne faisaient que compléter – ou affiner – le darwinisme qui restait à leurs yeux la seule explication possible. Certains créationnistes, notamment religieux, s’emparèrent sans la comprendre de la nouvelle idée pour asseoir leurs propres arguments antidarwiniens ce qui ne contribua pas, on le comprend, à la sérénité du débat ! Il n’y avait pourtant pas là une idée véritablement révolutionnaire puisque, à bien le relire, on s’aperçoit que Darwin lui-même avait évoqué cette hypothèse sans s’y arrêter définitivement…
En somme, le ponctuationnisme (équilibres ponctués) n’est qu’une autre façon d’interpréter le transformisme et la
sélection naturelle gradualisme ne voit qu’une transformation progressive apparue par petites touches sur un temps très long, Gould penche plutôt pour l’apparition brutale de mutations importantes permettant d’un seul coup la transformation d’une espèce qui se met alors à concurrencer celle dont elle est issue et, le plus souvent, la supplante en quelques milliers d’années grâce à son avantage sélectif. On est toujours dans le cadre d’un darwinisme bien compris.
Le darwinisme aujourd’hui
N’en déplaise aux créationnistes, jamais la théorie de Darwin ne s’est si bien portée. L’apparition des nouvelles techniques a même renforcé ce qui n’était au début qu’une théorie (au sens d’une hypothèse scientifique). A la manière d’une autre théorie célèbre
(que j’ai déjà citée), la théorie de la relativité générale, les nouvelles approches d’observation et d’analyse sont venues la conforter progressivement. A ce titre, Gould et Eldredge ont apporté leur propre pierre à l’édifice commun, démontrant au passage qu’il est fondamental pour toute science quelle qu’elle soit de ne pas se cantonner à une position définie une fois pour toutes, de ne pas se rigidifier. La qualité première d’une discipline scientifique est en effet de savoir se remettre en cause ce que ne peuvent (ou ne savent) pas faire ceux qui défendent des idées fondées sur un apriori de départ, par définition incritiquable. Je pense évidemment aux créationnistes qui, rejetant toute observation objective, cherchent avant tout à faire entrer le monde qui est le nôtre dans le cadre d’idées préconçues définies une fois pour toutes.
En ce début de millénaire, les scientifiques s’accordent pour reconnaître la validité à la fois du gradualisme et du ponctuationnisme : certaines espèces se transforment lentement au gré du temps (géologique) mais d’autres semblent apparaître en un laps de temps très court suivi d’une longue période d’absence de changement. La grande majorité des espèces ayant un jour vécu sur Terre ont aujourd’hui disparu (99% d’entre elles avancent les spécialistes). Certaines ont été emportées, comme les dinosaures du Crétacé, par un événement cataclysmique. D’autres se sont transformées en de nouvelles espèces mieux adaptées à un milieu donné. Dans tous les cas, le hasard est à l’œuvre puisqu’il entraîne aussi bien mutations soudaines qu’extinctions massives accidentelles. Et, on le sait bien, le hasard est imprévisible.
Sources
* Wikipedia
histoire de la pensée évolutionniste : cliquer sur le lien
théorie synthétique de l'Evolution : cliquer sur le lien
* The Structure Of Evolutionary Theory (Stephen J. Gould, Belknap-Harvard, 2002). On trouvera une intéressante analyse de cet ouvrage ICI
Images
1. combat entre un allosaure et un stégosaure (sources: www.linternaute.com/science/)
2. Charles Darwin (sources : www.jason-22.eu/darwin.html)
3. dérive génétique artificielle (sources : e-sante.futura-sciences.com/)
4. chromosome (sources : www.beltina.org/health-dictionary)
5. Stephen Jay Gould (sources : www.vetopsy.fr/)
6. Niles Eldredge (sources : www.amnh.org/exhibitions/darwin)
7. strates du temps (sources : fr.wikipedia.org/wiki/Tronc)
8. slection naturelle (sources : us2.harunyahya.com)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
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2. la querelle sur l'âge de la Terre
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mise à jour : 11 mars 2023