La disparition des grands sauriens date de – 65 millions d’années et elle s’est faite rapidement, en quelques milliers d’années, ce qui est très court comparé à leur règne qui s’étale sur plus de 150 millions d’années. On a expliqué dans des sujets précédents combien il était probable que cette disparition a été hâtée par la chute d’une météorite géante sur des populations déjà en déclin (voir sujets : la disparition des dinosaures et l'empire des dinosaures). Quoi qu’il en soit, une niche écologique majeure s’est trouvée libérée pour des successeurs potentiels qui vivaient jusque là dans l’ombre, les mammifères.
Il est néanmoins intéressant de noter qu’une compétition s’engagea assez rapidement entre deux types de mammifères : les placentaires et les marsupiaux, l’Evolution ayant donné dans chacun de ces deux groupes des individus également armés comme on le verra ensuite (on parle alors d’évolution parallèle, c’est-à dire l’acquisition de caractéristiques semblables dans deux espèces occupant un même espace, à ne pas confondre avec une évolution convergente qui donne des attributs identiques à deux populations existant à des époques ou dans des écosystèmes différents).
Placentaires et marsupiaux
Les mammifères sont pratiquement contemporains des dinosaures. Toutefois, dès le début, la suprématie des grands sauriens se révèle indiscutable et les mammifères doivent se contenter de la portion congrue : à cette époque, ils sont représentés par de petits vertébrés à sang chaud (dont certains possèdent une fourrure) et qui, vivant principalement la nuit, se nourrissent d’insectes, de vers et parfois… d’œufs de dinosaures.
Tout change pour les mammifères à la fin du crétacé, très précisément lors de ce que l’on nomme la " limite KT ", où une extinction massive touche nombre d’espèces vivantes, au premier rang desquelles les dinosaures. On entre alors dans le cénozoïque (ancienne époque tertiaire) dont les premiers millions d’années sont le paléogène et c’est à partir de cette époque lointaine que va se développer la « radiation » des mammifères, c'est-à-dire leur conquête de tous les milieux laissé vacants par leurs gigantesques prédécesseurs. Rapidement deux sous-classes de mammifères apparaissent, les placentaires et les marsupiaux, vraisemblablement à partir d’une souche commune originaire d’Amérique du nord, et probablement en raison, à cette époque, de l’isolement des continents (voir le sujet : dérive des continents ou tectonique des plaques), ils ne rentreront véritablement en compétition que plus tardivement.
* mammifères marsupiaux
Chez les marsupiaux (du grec marsipos = sac), la femelle possède une poche ventrale dans laquelle, peu après sa naissance, se développe son petit. En effet, point important, après environ 3 semaines, l’enfant marsupial se retrouve extériorisé sous la forme d’un fœtus très primitif au point que certains scientifiques l’ont baptisé « larve marsupiale ». L’enfant devra donc procéder à son développement définitif dans la poche externe de sa mère. C’est dire que cette croissance - qui prendra plusieurs mois - laisse la femelle et son petit très vulnérables à la prédation.
Il existe encore aujourd’hui un peu moins de 300 espèces différentes de marsupiaux, notamment des kangourous (mais dont le nombre d’espèces est passé en 150 ans de 42 à moins de 15). Les kangourous sont les plus grands marsupiaux toujours vivants mais, au paléogène et jusqu’à assez récemment, existaient des espèces bien plus grandes, parfois de la taille d’un hippopotame, herbivores (comme le diptrodon ou le Nototherium) ou carnivores comme le thylacosmilus qui était une sorte de tigre à dents de sabre marsupial dont le poids pouvait dépasser les 100 kg.
* mammifères placentaires
Ils représentent l’immense majorité des mammifères et c’est de ce groupe d’animaux dont nous sommes issus. A la différence des marsupiaux que nous venons d’évoquer, les placentaires – comme leur nom l’indique – ont une gestation totalement intra-utérine : les petits sont ainsi bien plus longtemps protégés de toute agression extérieure en se développant au sein d’un sac interne à la mère, le placenta. La liaison avec celle-ci se fait au moyen du cordon ombilical et du liquide amniotique dans lequel baigne le petit : il s’agit donc là d’une protection maximale mais pas seulement car le placenta a bien d’autres rôles. Il permet en effet une nutrition complète en différents éléments (sucres, minéraux, acides aminés, etc.) mais aussi une certaine fonction respiratoire, le recyclage des déchets (fonction excrétrice) et une activité hormonale (fonction endocrine). Signalons aussi que le placenta a un rôle majeur en immunologie en assurant une barrière entre l’enfant et le monde extérieur. On comprend donc aisément que la gestation paraît mieux protégée chez les placentaires que les marsupiaux. Cela explique-t-il la plus grande réussite des placentaires dans leur colonisation de la Terre ? En effet, ils sont présents partout dans le monde, non seulement sur la terre ferme mais aussi dans les océans (cétacés) et même dans l’air (chauve-souris ou chiroptères dont on oublie souvent que c’est le deuxième « ordre » de mammifères le plus nombreux, juste derrière les rongeurs).
Compétition entre mammifères
A la fin du crétacé n’existaient probablement que 200 à 300 espèces de mammifères regroupées en un peu moins de 30 familles dont 1/3 était représenté par les placentaires, 1/3 par les marsupiaux, le dernier tiers relevant d’espèces n’ayant pas survécu. A cette époque, les donnes étaient équivalentes entre les deux grands groupes de mammifères. Survient alors la disparition des dinosaures et la radiation évolutive (on peut même parler « d’explosion évolutive ») des mammifères qu’on retrouve partout en quelques dizaines de milliers d’années. D’un point de vue très schématique, on peut dire que les placentaires ont surtout dominé les continents du nord tandis que les marsupiaux se trouvent en position de force dans l’hémisphère sud (à l’exception du continent africain où ils n’ont jamais été présents).
C’est à la fin du trias que le supercontinent occupant jusque là la Terre, la Pangée, commence à se fractionner. On peut supposer que cette dislocation a permis durant longtemps la non-communication et donc l’absence de compétition entre les deux grands groupes de mammifères. Vient alors la formation de l’isthme de Panama qui permet l’irruption des placentaires vers le sud où ils vont progressivement remplacer les marsupiaux. D’un point de vue anatomique, les marsupiaux n’étaient pas réellement désavantagés ; le tigre marsupial à dents de sabre (thylacosmilus) devait certainement être aussi redoutable que son cousin placentaire, le smilodon. Pourtant rapidement les placentaires triomphent, ne laissant en Amérique du sud que quelques rares niches écologiques aux marsupiaux. Pour expliquer ce succès, la seule explication qui vient à l’esprit est celle de la différence liée à la gestation des petits qui, comme on l’a vu, semble plus performante chez les placentaires.
L’Australie, restée isolée, est le dernier continent où dominent les marsupiaux. C’est à l’Homme que l’on doit la triste réalité du déclin des marsupiaux sur ce continent. La colonisation humaine coïncide avec l’introduction de mammifères placentaires tels certains herbivores, le chat, le lapin, etc. qui vont progressivement faire régresser les espèces autochtones endémiques. Ajoutons à cela une lutte sans discernement, pour des raisons essentiellement économiques, contre les marsupiaux : ces espèces sont aujourd’hui protégées mais il est déjà trop tard pour nombre d’entre elles (on pense notamment au chien marsupial dit loup de Tasmanie dont le dernier représentant fut exterminé en 1936).
La compétition interspécifique, fer de lance de l’Evolution
Si l’on met de côté le rôle néfaste de l’Homme en Australie dont la prédominance exclusive a rompu la stabilité de l’écosystème naturel, force est de constater que partout où les marsupiaux ont rencontré les placentaires, ce sont ces derniers qui ont pris le dessus. Certes, il s’est parfois agi de dissemblances morphologiques et comportementales : le tigre marsupial à dents de sabre par exemple, était dans l’ensemble moins rapide et moins lourd que le smilodon, son concurrent placentaire. Cela n’explique toutefois pas tout. La vraie différence entre ces différentes espèces réside dans le mode de gestation, forcément défavorable comme on la vu, aux marsupiaux. L’Evolution, on l’a souvent répété, entraine la survie du plus apte, celle de l’individu le mieux adapté à son milieu et, de ce point de vue, les marsupiaux partaient avec un handicap.
La gestation marsupiale, par exemple, oblige à une ossification plus précoce de la boîte crânienne ce qui limite forcément le développement du cerveau de l’individu. De la même façon, la croissance de l’embryon dans une poche externe empêche l’apparition d’individus de grande taille : impossible d’imaginer une baleine marsupiale ! Or, on sait que le développement de la taille d’un individu est un élément important dans la compétition interspécifique…
C’est également la raison pour laquelle on ne retrouve pas de grands primates marsupiaux (je ne dis pas que cela était impossible – il existe des marsupiaux d’assez grande taille – mais seulement bien plus improbable). On peut affirmer au bout du compte que, si les marsupiaux avaient pour une raison quelconque dominé leurs cousins placentaires, jamais l’Homme et son gros cerveau n’auraient vu le jour. L’Evolution se serait dirigée dans une autre direction et nous ne serions pas là pour en parler.
Images
1a. loup (canis lupus) (sources : fr.academic.ru)
1b. kangourou (sources : www.dinosoria.com)
2. dinosaures (sources : s2.e-monsite.com)
3. larve marsupiale (sources : www.mnhn.fr/)
4. foetus dans son placenta (sources : medicalimages.allrefer.com)
5. dislocation de la Pangée (sources : www2.ggl.ulaval.ca)
6. Thylacosmilus ou tigre marsupial à dents de sabre (sources : fr.wikipedia.org)
7. primate (gorille) (sources : pin.primate.wisc.edu)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-clés : disparition des dinosaures - mammifères placentaires - mammifères marsupiaux - évolution parallèle - évolution convergente - crétacé - limite K-T - cénozoïque - paléogène - radiation évolutive - larve marsupiale - thylacosmilus - Pangée - smilodon - loup de Tasmanie (thylacine)
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Articles connexes sur le blog :
* la disparition des dinosaures
* les mécanismes de l'évolution
* la dérive des continents ou tectonique des plaques
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Mise à jour : 8 mars 2023