Observer l’Univers qui l’entoure, depuis le plus petit grain de sable jusqu’à l’étoile lointaine, a, de tout temps, passionné l’Homme. Une manière certaine de se situer, d’expliquer sa présence, d’anticiper son avenir peut-être. Mais l’observation n’est que le début : homo sapiens, grâce à son cerveau capable d’abstraction, a presque aussitôt cherché à le comprendre, cet Univers, à le décrypter, à l’interpréter. Pour cela, il devait identifier les grandes lois physiques et mathématiques qui expliquent son agencement. Durant des siècles, s’affranchissant peu à peu des obscurantismes et des préjugés, les scientifiques ont bâti des théories, accumulé des expériences, édifié des modèles, amassé patiemment certitudes et probabilités. Après Newton, c’est Albert Einstein qui, le premier, réussit à expliquer de façon convaincante l’une des quatre grandes forces de notre environnement, la gravitation, dans sa théorie de la relativité générale (voir sujet : théorie de la relativité générale). Les trois autres forces fondamentales (interaction faible, interaction forte et électromagnétisme : voir sujet : les constituants de la matière) furent unifiées par la mécanique quantique (voir sujet : mécanique quantique) quelques années plus tard. Tout est donc parfait ? Hélas non car ces deux théories, la relativité einsteinienne et la physique des quantas, sont complètement incompatibles... Or, si l’on veut vraiment connaître les mécanismes régissant l’Univers dont nous faisons partie, il est indispensable d’avoir une explication physique globale : il est en effet peu probable que l’Univers réponde à des lois différentes selon l’endroit ou les niveaux d’où on l’observe. Vers la fin du siècle dernier, un certain nombre de théories unificatrices ont vu le jour et la plus prometteuse d’entre elles semble être la théorie des cordes.
Genèse de la théorie des cordes
Vers 1950, il n’était toujours pas possible de comprendre vraiment la physique des particules plus petites que l’atome, particules que l’on appelle des hadrons (il s’agit en fait de particules élémentaires comme les quarks constituant protons et neutrons eux-mêmes formant le noyau des atomes, les gluons responsables de l’interaction forte entre les quarks, etc.). Tout ce petit monde fort complexe est bien régi par la mécanique quantique mais sans que l’on ait d’explication véritable sur leurs interactions. Il faudra attendre 1973 et l’arrivée d’une nouvelle théorie, la chromodynamique quantique, pour y voir un peu plus clair mais de façon encore partielle.
C’est environ 10 ans plus tard que l’on entend réellement parler de la théorie des cordes qui se propose – puisque les particules restent en grande partie mystérieuses – de les penser autrement : dans cette théorie, les entités basiques de la physique, ces fameuses particules subatomiques, ne sont plus considérées comme des objets ponctuels mais comme des cordes infinitésimales formant des boucles qui vibreraient en possédant une tension, tout comme un élastique dont la tension s’accroit au fur et à mesure qu’on l’étire. Rappelons-nous que chaque particule subatomique est identifiée par son spin, c'est-à-dire une caractéristique particulière qui lui est propre (comme, également, la charge électrique ou la masse) représentant ici l’énergie cinétique de la particule tournant sur elle-même autour d’un axe. La théorie des cordes prétend que ce sont ces vibrations à des fréquences diverses qui expliquent les variations de spins observées et donc les différentes particules. Du coup, les divers types de cordes et leurs vibrations multiples seraient à l’origine de toutes les particules élémentaires de notre univers. Bien entendu, la théorie s’appuie sur de savantes équations mathématiques (notamment la théorie des surfaces de Riemann) que je serais bien en peine ici d'expliquer… Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’une remise en cause complète, et de notre perception, et de notre compréhension de la physique subatomique.
Une théorie séduisante mais pas encore démontrée
Les spécialistes de la question le disent et on les croit : pour permettre l’unification des deux grandes physiques, la théorie des cordes doit satisfaire à trois conditions principales :
1. toutes les particules subatomiques sans exception doivent entrer dans le cadre de la théorie ;
2. la théorie doit parfaitement décrire la gravitation
3. ce qui entraîne le fait qu’il doit s’agir d’une théorie géométrique, seul moyen de prendre en compte cette gravitation.
Que disent les équations de la théorie des cordes ? Que les trois conditions qu’on vient de voir lui sont tout à fait accessibles… à la condition qu’on considère un espace-temps à au moins dix dimensions ! Ce qui pose problème puisque dans notre univers (en tout cas pour sa partie visible) il n’existe que quatre dimensions ! L’ennui est que lorsqu’on revient à quatre dimensions, l’unicité de la théorie si intéressante disparaît… La cohérence mathématique de la théorie exige donc plus de dimensions qu’il ne semble y en avoir dans notre monde : ses partisans nous affirment que, en réalité, ces dimensions supplémentaires existent bel et bien mais qu’elles sont enroulées au niveau microscopique, un niveau des millions de fois inférieur à celui de l’atome. Cette affirmation doit être évidemment prouvée avant de valider la théorie : le retour (mathématique) à un espace-temps à quatre dimensions est donc le grand défi que s’efforcent de vaincre les chercheurs actuels de la théorie des cordes.
Une théorie unificatrice et ses conséquences
Une chose est en tout cas certaine : la théorie des cordes (qui est en fait l’amalgame de plusieurs théories prenant en compte des cordes de natures différentes) semble être l’entreprise conceptuelle actuellement la plus à même d’associer la gravitation à la mécanique quantique et il est donc normal que cette aventure – extraordinairement théorique – passionne non seulement les chercheurs de physique fondamentale mais également les mathématiciens… et les astronomes.
D’ailleurs, comme le lecteur l’aura certainement remarqué, j’ai fait figurer ce sujet non pas en physique (comme la mécanique quantique, par exemple) mais dans la catégorie des sujets d’astronomie et il y a de bonnes raisons à cela : de grandes interrogations existent toujours sur des phénomènes astronomiques importants tout simplement parce qu’on ne sait pas associer mécanique quantique et relativité générale.
* C’est par exemple, le cas des trous noirs. Voilà des objets dont on connait l’existence et dont on peut même mettre en évidence la réalité (du moins de façon indirecte puisque, par sa seule présence, un trou noir modifie la partie d’univers qui l’entoure) mais qu’on ne sait pas expliquer complètement (voir sujet : trous noirs).
Pour mémoire, je rappelle qu’un trou noir est le stade évolutif terminal de très grosses étoiles : en effet, si la masse d’une étoile dépasse quarante fois celle de notre Soleil (MS), son noyau résiduel dégénéré peut dépasser les trois MS. En pareil cas, les forces de répulsion des composants atomiques dégénérés (neutrons et protons) ne peuvent plus s'opposer à la compression des forces gravitationnelles et la matière s’écrase sur elle-même sans que plus rien ne s’y oppose : on aboutit alors à la formation d’un trou noir dont la principale caractéristique est qu’aucune matière – pas même la lumière – ne peut s’en échapper. Avant l’anéantissement, on peut observer le disque d’accrétion, sorte de dernier ballet de la matière appelée à disparaître et qui dessine les abords du trou noir par l’échauffement gigantesque qu’elle subit (ce qui permet de repérer le phénomène). Puis, cette matière est absorbée par le trou noir, sans espoir de retour, et le moment où elle bascule vers l’inconnu se situe à ce que l’on nomme l’horizon du trou noir, dernière ligne encore visible avant le néant. Que devient-elle ensuite ? Ni la physique quantique, ni bien sûr la relativité ne peuvent répondre. Voilà donc un domaine où la théorie des cordes pourrait nous rendre de sérieux services…
* Un autre sujet – et non des moindres – qui passionne les astronomes, notamment ceux qui s’intéressent à la cosmologie, est le Big-Bang. Ou, pour être encore plus général, le début de notre univers. Dans le sujet dédié (voir : Big bang et origine de l’Univers), nous avions vu que, en remontant le temps jusqu’aux origines, à partir d’un certain moment appelé temps de Planck, très précisément à 10-43 seconde après le début, les quatre forces fondamentales que nous avons évoquées plus haut sont fusionnées en une force unique, la supergravité. A cet instant, très court mais si important, les lois de la physique classique ne s’appliquent plus (ou pas encore). La théorie des cordes serait elle susceptible de nous aider à comprendre comment tout a commencé ?
D’autres problèmes d’astronomie restent – si j’ose dire – en souffrance et on aimerait bien une théorie (en fait un ensemble de lois mathématiques conduisant à un modèle qu’il serait possible d’expérimenter par la suite) nous permettant de les expliquer…
La théorie des cordes a-t-elle un intérêt autre que… théorique ?
La réponse est à l’évidence oui ! S’acharner à unifier des théories physiques compliquées en une théorie encore plus complexe ne relève pas d’un simple jeu mathématique pour quelques initiés, fussent-ils géniaux. Les retombées d’une telle entreprise, si elle devait aboutir, seraient considérables. Evidemment, comme on vient de le voir, ou pourrait en apprendre énormément sur notre Univers (et donc sur nous-mêmes) mais pas seulement. Il suffit de se rappeler combien la physique quantique a été décriée à ses débuts : certains scientifiques criaient à la mystification, ne pouvant comprendre comment on pouvait tirer des lois à partir du pur hasard ; d’autres riaient à la lecture de qu’ils considéraient comme un salmigondis. D’autres encore, plus sages peut-être comme le grand Einstein lui-même, préféraient attendre dans une prudente réserve teintée de scepticisme. Et pourtant ! Sans mécanique quantique, pas de contrôle de l’électron et donc ni transistors, ni informatique. Pas non plus de supraconduction et d’imagerie médicale de type résonnance magnétique nucléaire (IRM). Sans elle, on ne saurait toujours pas contrôler la lumière pour réaliser les faisceaux laser de nos lecteurs de DVD. Même chose pour les centrales nucléaires… La mécanique quantique, si mal comprise car si imprévisible et apparemment si contraire à notre logique, a transformé notre monde.
Si l’on arrive à écrire des équations universelles de la théorie des cordes et à formaliser la théorie unificatrice, les conséquences pratiques – impossibles évidemment à imaginer aujourd’hui - en seront certainement considérables. Au-delà de la satisfaction d’avoir compris un peu plus notre univers, les transformations de notre quotidien seront telles qu’il faut souhaiter de l’intuition, beaucoup de patience et peut-être un peu de chance à ces chercheurs si particuliers.
Images
1. galaxie NGC 4945 (sources : www.eso.org)
2. constituants de l'atome (sources : abyss.uoregon.edu)
3. cordes (sources : hypersite.free.fr/)
4. univers multidimensionnel (sources : techno-science.net)
5. dessin d'un trou noir (sources ; paturage.files.wordpress.com)
6. simulation des premiers instants de l'Univers (sources : irfu.cea.fr/)
7. homecinema (sources : le-showroom.ecranlounge.com)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-clés : relativité générale - mécanique quantique - hadron - quark - gluon - chromodynamique quantique - trou noir - Big bang - supergravité - temps de Planck - théorie unificatrice de la physique - théorie des cordes (compléments)
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Articles connexes sur le blog :
* Big bang et origine de l'Univers
* théorie de le relativité générale
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Mise à jour : 8 mars 2023