Les observations de notre Univers à partir de notre petite planète ont une limite : celle de nos instruments. Il est, par exemple, rigoureusement impossible d’observer (du moins avec nos outils actuels) au-delà de l’horizon indépassable de 380 000 ans après le Big bang, date d’apparition de la lumière.
Néanmoins, les progrès dans l’observation des confins de l’Univers ont été foudroyants ces quelques dernières années, notamment grâce au télescope spatial Hubble, à présent d’ailleurs presque exclusivement consacré à l’études des horizons lointains : nous l’avons déjà évoqué en 2010 (voir : les premières galaxies) et il s’agissait alors de ce que l’on appelait le Hubble Deep Field. Depuis, les observations se sont encore affinées, notamment grâce à des artifices techniques que nous évoquerons, et on parle à présent du « Hubble Frontier Fields » : les « espaces profonds » étudiés il y a cinq ans sont devenus les « espaces frontières » !
Le télescope Hubble est toujours là !
Lorsqu’il fut lancé au début des années 1990, Hubble fut une considérable avancée : bien que l’engin soit équipé d’un relatif
petit miroir (2,40 m tout de même), sa position dans un espace dénué de la moindre turbulence, permit d’obtenir des images que les plus impétueux des astronomes n’auraient jamais imaginé contempler. Les découvertes s’enchaînèrent et, oui, on peut dire qu’il y a eu un avant et un après Hubble (voir le sujet : le télescope spatial Hubble).
Les années passèrent et, peu à peu, l’avance technologique considérable que représentait le télescope spatial fut rattrapée par les télescopes construits sur Terre. Les contraintes de la technologie spatiale obligeant à n’emporter dans l’espace que des instruments de taille modeste, il est, de ce fait, impossible de rivaliser avec les télescopes terriens géants qui sont de véritables laboratoires qu’on peut même parfois relier entre eux.
Et voilà que le seul vrai avantage qui restait à Hubble , l’observation dans un milieu sans turbulences, a été anéanti il y a quelques années par l’informatique embarquée sur ses rivaux à Terre, capable de corriger les turbulences de l’air en temps réel… En conséquence, les scientifiques ont orienté l’activité de Hubble sur des travaux où il reste encore le plus performant : l’observation des confins de l’Univers visible d’où l’aventure du Hubble Frontier Fields.
L’observation des champs célestes profonds
Dans l’espace, bien qu’aucune turbulence ne vienne troubler l’observation et que le noir profond du cosmos soit ici un élément majeur, il n’en reste pas moins qu’il est difficile de capter l’image d’astres si lointains et dont la lumière est si faible que l’observateur ne reçoit que quelques rares photons. Chaque photographe amateur le sait : lorsque la lumière est vraiment faible, un moyen d’obtenir quand même une bonne image est d’augmenter le temps de pose. Et c’est bien ce que les scientifiques ont demandé à Hubble : des temps de pose si longs qu’il peuvent atteindre jusqu’à… six semaines ! Seul Hubble est capable d’une telle prouesse accompagnée d’un vrai résultat. Mais ce n’est pas tout.
Le programme Hubble Frontier Fields consiste donc en l’observation à long temps de pose de six amas de galaxies lointains. Toutefois, les scientifiques de le NASA ont eu recours à un autre artifice bien spécial pour augmenter la précision des images : l’utilisation d’une loupe gravitationnelle naturelle.
Une lentille (ou loupe) gravitationnelle est un phénomène naturel parfaitement prévu par la théorie de la relativité générale. L’idée en est la suivante : lorsqu’une masse très
importante se trouve concentrée en un endroit précis de l’espace, elle déforme celui-ci en le courbant. Tout objet
est susceptible d’obtenir ce résultat, le Soleil par exemple, mais pour que cela soit suffisamment perceptible, il faut bien sûr un objet massif. Suivant l’importance de l’objet, presque toujours un amas de galaxies, la courbure de l’espace sera plus ou moins importante et la lentille gravitationnelle efficace; il faut donc choisir des masses énormes (plusieurs millions de milliards de masses solaires), seules à même de permettre un grossissement de 10 voire 50 fois des images. Dans le cas du Hubble Frontier Fields, il ne s’agit, bien sûr, que d’étudier un minuscule endroit très particulier de l’Univers, celui où se trouve une lentille gravitationnelle, mais cela permet au miroir de Hubble de voir son diamètre multiplié virtuellement jusqu’à 20 fois !
Bien entendu, les images obtenues devront être retravaillées car leur aspect primitif est celui d’objets fortement déformés voire multipliés par la loupe, un peu comme la vision d’une pièce d’habitation qu’on regarderait à travers le fond d’une bouteille. Il n’empêche : l’amplification de la lumière par la loupe permet d’apercevoir des objets autrement totalement hors de portée du télescope. Cette « mission » Hubble Frontier Fields est prévue pour durer trois ans et ce sont les premières images étonnantes de ces espaces lointains qui sont actuellement diffusés par la NASA. Ajoutons qu’il est prévu de coupler Hubble à d’autres télescopes spatiaux tels Chandra (rayons X) et Spitzer (infrarouge) pour cerner mieux encore l’évolution de ces galaxies et notamment le rôle des trous noirs dans le phénomène.
D’extraordinaires images des confins de l’Univers
Les scientifiques ont notamment choisi un groupe de plusieurs centaines de galaxies appelé Abell 2744 situé à environ 3,5 milliards d’années lumière de nous. La courbure de l’espace et du trajet de la lumière par cet ensemble agit, on vient de le voir, comme une espèce de lentille grossissante pour tout ce qui se trouve au-delà et c’est ainsi que Hubble a pu photographier près de 3000 galaxies situées jusqu’à 13,2 milliards d’années-lumière (dont l’image nous parvient donc comme elle l’était il y a 13,2 milliards d’années). L’Univers ayant, selon les plus récentes observation du satellite Planck, un âge de 13,8 milliards d’années, cela signifie que Hubble a pris des photos de galaxies telles qu’elles existaient seulement 600 millions d’années après le Big bang. En d’autres termes, Hubble a pu photographier certaines galaxies si anciennes qu’elle furent probablement les première à s’être créées.
Les photos prises par Hubble de ces débuts sont tout à fait conformes à ce qu’en attendaient les astronomes ; à cette époque, l’Univers sortait à peine de la soupe brûlante du Big bang et on n’est donc pas étonné d’observer de petites galaxies, ultracompactes et donc très brillantes. Les étoiles qui les composent font partie des premières générations et leur halo bleuté y est dominant. Certaines d’entre elles sont probablement encore des étoiles primordiales.
À titre d’illustration, citons la toute jeune galaxie Abell 2744 Y1 qui, bien que 30 fois plus petite que la Voie lactée, produit 10 fois plus d’étoiles qu’elle. Il est vrai que cette galaxie est vue comme elle se présentait il y a 13,2 milliards d’années et que son image actuelle doit être bien différente…
L’étude n’en est qu’à ses débuts
Le projet Hubble Frontier Fields n’en est qu’à son début puisqu’il va se poursuivre plusieurs années encore. Pour le moment, comme on l’a déjà dit, Hubble s’est essentiellement occupé de l’un des six amas à étudier, à savoir Abell 2744, mais les autres sont prévus dans les mois à venir et ils apporteront certainement des surprises car, outre l’étude de la structure de l’Univers à ses débuts et l’aspect des premières galaxies, d’autres observations sont prévues comme, par exemple, l’étude de la répartition de la matière noire dont la NASA vient de communiquer les premières photos.
Cette étude concerne en l’occurrence un autre amas de galaxies sobrement intitulé MACSJ0416.1-2403.
Il s’agit du deuxième amas dont l’étude est prévue dans le projet et, lui aussi, est gigantesque puisqu’il « pèse » 160 000 milliards de fois plus que le Soleil. Ici également, c’est le principe de lentille gravitationnelle qui a permis de tracer la carte de la matière noire de cet ensemble… D’après les spécialistes, c’est la première fois que l’on obtient des mesures aussi précises sur ce sujet (voir photo ci-jointe).
Pour les puristes, précisons que les quatre derniers amas à étudier sont respectivement : MACS J0717.5+3745 ; MACS J1149.5+2223 ; Abell S1063 et Abell 370. C’est dire qu’on peut s’attendre à de nouveaux superbes clichés de ces espaces lointains.
Le projet Hubble Frontier Fields paraît particulièrement digne d’intérêt pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il nous donne des illustrations d’objets et d’endroits qui sont à la toute extrême limite de ce que l’Homme peut observer. Ces contrées situées à plus de 13 milliards d’années-lumière de nous, n’existent certainement plus en l’état puisque l’image qu’on en voit aujourd’hui date de plus de 13 milliards d’années, une durée que l’esprit humain est par ailleurs incapable d’intégrer vraiment. C’est la raison pour laquelle ces images sont si précieuses puisqu’elles nous montrent un Univers au temps de sa toute jeunesse. Un moyen donc de peut-être pouvoir comprendre comment tout a commencé. Ajoutons que, en raison de l’expansion de l’Univers, ces espaces-frontière s’éloignent de nous à une vitesse de plus en plus grande et que, plus le temps passe, moins ils seront accessibles à l’observation. Si l’expansion de l’Univers ne s’inverse pas, dans quelques millions d’années ne seront plus visibles que les quelques galaxies de notre groupe local et les lointains observateurs de ce temps-là n’auront plus aucun moyen de comprendre la structure de l’Univers…
Une autre raison pour s’intéresser à ce projet de la NASA est de constater que l’intelligence humaine est parfois remarquable. En effet, alors que les plus puissants instruments que nous avons en notre possession ont montré leurs limites, les scientifiques arrivent encore à faire progresser leurs capacités d’observation en utilisant certains artifices naturels, comme ici la courbure de l’espace démontrée jadis par Einstein, moyen élégant de contourner certaines limites physiques.
On attend la suite avec impatience !
N.B. (avril 2023) : cet article a été rédigé il y a quelques années et, on le sait, l'évolution scientifique est parfois ultra-rapide. Sans rien enlever à ce qui a été écrit pour Hubble, il convient de préciser que le lancement fin 2021 du télescope spatial James Webb (qui officie dans l'infrarouge et peut ainsi "percer" nombre d'obstacles de poussière et de gaz) a rebattu les cartes : ses premières images sont remarquables, tout comme son étude des champs profonds qui vient compléter ce que Hubble nous avait déjà montré. On comprend ainsi que les deux instruments sont complémentaires et, comme cela est écrit plus haut, on attend donc la suite avec impatience !
Sources :
1. Wikipedia France
. Science et Vie (www.scienceetvie.com)
3. übergizmo (fr.ubergizmo.com)
4. observatoire Midi-Pyrénées (www.obs-mip.fr)
5. laboratoire d’astrophysique de Marseille (www.lam.fr/)
6. www.gurumed.org
7. Mikulski Archives For Space Telescopes (https:archive.stsci.edu/)
Images :
1. l’amas Abell 2744 du projet HubbleFrontier Fields (sources : www.nasa.gov)
2. télescope spatial Hubble (sources : hubblesite.org)
3. télescope européen E-ELT (sources : irfu.cea.fr)
4. lentille gravitationnelle (sources : Wikipedia-France)
5. l'amas Abell 2744 (sources : www.gurumed.org)
6. matière noire dans l'amas MACSJ0416.1-2403 (sources : www.lam.fr)
(pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)
Mots-clés : Hubble Deep Field (en anglais) - Hubble Frontier Fields - loupe gravitationnelle - télescope Chandra - télescope Spitzer - matière noire
Sujets apparentés sur le blog
1. le télescope spatial Hubble
6. les galaxies
7. premières photos du télescope spatial James Webb
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mise à jour : 19 mars 2023