La paléontologie est, on le sait, l’étude du passé de notre planète, un passé qui remonte à environ 4,5 milliards d’années. Elle s’appuie évidemment sur l’étude des fossiles et c’est ce que l’on appelle alors la paléontologie systématique, c'est-à-dire la recherche par études comparatives des liens de parenté existant entre les espèces vivantes et disparues. Il existe aussi une autre approche paléontologique, dite fondamentale, qui s’intéresse quant à elle à l’évolution générale au cours des temps géologiques. Quoi qu’il en soit, la paléontologie est une science – j’allais dire une démarche scientifique – essentielle car connaître son passé est primordial puisque permettant de se situer dans le cours du temps, de se repérer dans l’histoire de la planète à laquelle nous appartenons.
Le temps, néanmoins, s’écoule de manière inexorable et il paraît intéressant de se demander ce que nos lointains descendants, mettons dans 100 000 ans, comprendront de ce qui est notre présent qu’ils étudieront à l’aide de leur paléontologie de ce temps-là. Or il est important de bien saisir que nous ne leur léguerons pas seulement un monde statique, plus ou moins interprétable, mais également nombre de modifications de notre milieu et de dangers potentiels : notre époque moderne est en effet différente des précédentes car l’Homme d’aujourd’hui est le premier être vivant à avoir sensiblement et durablement transformé son habitat.
Nul ne peut vraiment prévoir ce que sera l’avenir à moyen et long terme. Qu’adviendra-t-il des civilisations actuelles ? Jusqu’à quel point celles-ci vont-elles vraiment se transformer ? Subsisteront-elles seulement ? Quel héritage laisserons-nous ?
On parle beaucoup du réchauffement de la planète, de l’épuisement des énergies fossiles, de la conquête de l’espace, etc. mais, sans aller aussi loin, pour évoquer les problèmes qui se poseront à la paléontologie des temps futurs, prenons un exemple, celui de la gestion du stockage de nos déchets nucléaires et donc de l’information qui va avec.
le problème de l’énergie nucléaire
Comme le prouve, en ces temps de réchauffement climatique, le nombre de plus en plus important de centrales en construction de par le monde, la fission nucléaire est, qu’on le veuille ou non, une des principales sources d’énergie de l’avenir (même après le raz-de-marée japonais). Il ne s’agit donc pas dans ce propos de légitimer ou non cette démarche mais d’aborder le problème difficile du stockage des déchets radioactifs qui seront à l’avenir de plus en plus abondants. La difficulté principale du problème est la demi-vie de ces substances frisant parfois le million d’années… La mémoire même entretenue par les institutions est comparativement brève, très brève : environ 500 ans selon les études les plus récentes. Dès lors, comment prévenir les générations à venir de l’endroit de ces lieux de stockage puisque l’on sait combien cette mémoire, fut-elle collective, est terriblement oublieuse ?
De très nombreux scientifiques planchent sur cette question qui est emblématique de notre volonté (?) de transmettre de la façon la plus élégante possible nos problèmes d’aujourd’hui aux générations à venir. Depuis 1999, les Américains ont, par exemple, développé un projet de ce genre, le WIPP.
l’exemple du WIPP
WIPP veut dire Waste Isolation Pilot Plant, c'est-à-dire un programme d’enfouissement des déchets toxiques qui s’accumulent depuis la fabrication de la première bombe atomique en 1942. C’est dans une ancienne mine de sel de l’état américain du Nouveau-Mexique, vers 800 mètres de profondeur, dans des strates remontant au Permien, qu’on a décidé de stocker tout un fatras d’objets hétéroclites fortement contaminés comme les machines, les combinaisons de techniciens, les outils, les fûts et récipients, les combustibles irradiés, etc. provenant de cette époque (le projet Manhattan) et de celles qui suivirent. Les radiations émises par ces objets sont évidemment mortelles pour ceux qui les côtoient d’un peu trop près… et le resteront durant des dizaines de milliers d’années. D’où l’idée d’entreposer ces matières dangereuses dans un site loin de toute vie humaine, une entreprise qui, selon les spécialistes, pourrait durer jusqu’en 2040, date où l’on procédera au rebouchage définitif du site qui sera alors protégé du monde extérieur par sa matrice de sel.
Précisons qu’il s’agit là d’une opération exemplaire mais que toutes les puissances nucléaires du globe sont confrontées aux mêmes incertitudes. Car il existe une difficulté et de taille : comment prévenir les habitants du futur ?
prévenir le futur
En comptant large, notre civilisation n’a pas encore atteint les dix mille ans. Pourtant que reste-t-il comme témoignages des premiers temps de notre époque actuelle ? Stonehenge dont on se perd encore en conjectures sur l’exacte signification ? Les pyramides d’Egypte si longtemps incomprises ? La grande muraille de Chine ? Quoi d’autre ? Imaginons à présent ce qui restera de nous dans 10 000 ans, dans 100 000 ans… Certains rétorqueront que notre monde a pris son essor avec la révolution industrielle et que rien ne pouvant plus l’arrêter, la transmission de la connaissance sera facile. Personnellement, j’en doute fortement. D’abord, il n’est pas dit que notre civilisation ne s’éteindra pas d’elle-même assez prochainement au cours d’une guerre apocalyptique voire d’une pandémie initiée par la folie des hommes. Et quand bien même ? Sait-on les guerres, les révolutions, les destructions, les cataclysmes plus ou moins provoqués qui risquent de se produire à plus ou moins court terme ? Or rappelons-nous, nous parlons là d’événements susceptibles de se produire dans les siècles à venir (je suis optimiste) alors que nous cherchons à prévenir des dangers physiques s’étendant sur des centaines de milliers d’années. Problème.
la réponse du WIPP
Comment protéger le site ? La première option étudiée par les scientifiques américains fut… de ne rien faire du tout. Ils suggérèrent d’abandonner le lieu en l’état, la Nature se chargeant de faire oublier le projet qui, dès lors, demeurerait hors de portée des curiosités de surface puisque devenu invisible. Invisible vraiment ? Peut-être pas pour les scientifiques de l’avenir dont les outils vraisemblablement performants risqueraient de trouver une quelconque anomalie les poussant à explorer… sans aucune mise en garde. Exit cette première option.
En définitive, on décida au contraire de tout faire pour que les visiteurs du futur comprennent que s’élève à cet endroit un édifice humain. Il fut donc décidé d’entreprendre la construction d’un vaste tumulus artificiel incrusté d’aimants et de 128 réflecteurs radars, le tout destiné à créer une anomalie magnétique facilement discernable. S’y ajoutent (ou s’y ajouteront) d’immenses piliers en granit (près d’une cinquantaine) de plusieurs dizaines de tonnes sur lesquels seront gravés des pictogrammes facilement compréhensibles comme, par exemple, des visages humains apeurés ou visiblement malades, tandis que des disques d’argile et d’aluminium seront enfouis au hasard dans toute la surface du site, disques reprenant les mêmes avertissements. On ajoutera sur chaque pilier des messages dans les six langues officielles des Nations-Unies (anglais, français, russe, espagnol, arabe et chinois) qui reprendront avec plus de détails les mêmes explications. Mais ce n’est pas tout : trois salles semblables mentionneront les risques de mort (deux enfouies, une à ciel ouvert) de façon à être à l’abri des ravages du temps et des éventuels profanateurs. Bref, on a vu les choses en grand. Cela suffira-t-il ? Durant quelques siècles, probablement, mais après ?
d’autres solutions ?
Quelle pourrait être une solution susceptible de durer pendant des millénaires ? Les idées sont nombreuses mais encore faut-il qu’elles soient réalisables. Le WIPP a donc organisé une sorte de bourse aux idées sur la question et les réponses furent multiples, certaines d’entre elles assez originales. C’est ainsi qu’on a proposé – entre autres – de construire à la surface du lieu de stockage une sorte de volcan artificiel en activité constante ou une forêt de geysers. Ailleurs, on a suggéré la construction d’une gigantesque éolienne de pierre produisant un son désagréable susceptible de décourager et d’éloigner d’éventuels promeneurs ou bien encore une grande surface de pavés noirs rendant la chaleur insupportable en plein désert. Avant de choisir la solution évoquée plus haut, l’idée qui avait le vent en poupe était la plantation sur le site de yuccas génétiquement modifiés, arborant un bleu vif, de façon à suggérer des risques de mutation. Comme on peut le voir, les idées ne manquèrent pas mais elles se heurtent toujours au même problème : comment informer de la façon la plus précise possible de manière pérenne ? Comment faire comprendre qu’il y a danger à creuser sans que les habitants du futur ne pensent, au contraire, que tout ceci ne cherche qu’à dissimuler un fabuleux trésor ?
la réponse des Français
L’Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs (ANDRA) et l’Agence pour l’Energie Nucléaire (de l’OCDE) se sont évidemment penchées sur le problème. Mais ici, pas de désert mais des communes françaises (ou européennes), donc une région tempérée. Les réflexions s’orientèrent plutôt vers l’intégration d’un éventuel bâtiment dans le tissu social des populations afin que celles-ci se l’approprient et en assurent l’entretien au cours des siècles. Il s’agirait d’un monument remarquable abritant, par exemple, des documents en papier imputrescible (les supports numériques actuels seront rapidement obsolètes… et donc également leurs outils de lecture), documents sur lesquels seront portés des informations, non pas trop alarmistes risquant d’éveiller la curiosité, mais réelles et sans exagération (Je suppose qu’on a ici voulu tenir compte de l’absence complète d’efficacité des messages cherchant à inspirer la terreur comme ceux que les anciens Egyptiens firent figurer à l’entrée des tombes de la vallée des Rois avec le succès que l’on sait). Une information objective, donc, mais sous quelle forme et dans quelle langue ? Car quel passant de 2013 comprend encore le latin ancien, voire même le français de François Villon ? Il s’agit donc ici, à l’évidence, d’une solution ne pouvant agir que sur les quelques siècles à venir…
existe-t-il une solution permanente ?
Rien n’est éternel en ce bas monde. Plus on s’éloigne de notre époque actuelle, plus les prévisions risquent d’être prises en défaut, parfois même sur de courtes périodes : je relisais récemment quelques livres de science-fiction des années cinquante ; on y évoquait, pour l’an 2000, la conquête du système solaire par des sociétés incroyablement civilisées dominées par la Science où des populations remarquablement informées par une éducation collective parfaite cheminaient vers le bonheur absolu ! Mais jamais – et pour cause ! – la moindre allusion à un ordinateur or, aujourd’hui, comment imaginer notre monde sans l’informatique ?
Comprendre sans trop se tromper le monde du futur me semble assez impossible. Pourtant, ce monde là, nous devons bien l’informer des scories que nous lui transmettrons. Les civilisations sont en définitive assez égoïstes. Lorsque l’industrie nucléaire aura été oubliée suite à l’épuisement des combustibles naturels (à moins que la conquête spatiale ?), comment sera alors perçu le stockage de ses déchets ? C’est une question ennuyeuse et, pourtant, ce problème, pour exemplaire qu’il soit, n’est certainement pas le seul danger que nous laisserons derrière nous et probablement pas le pire. Si, dans cent mille ans, il existe encore sur Terre une civilisation, elle sera bien différente de la nôtre. Que pouvons-nous pour elle ? Comment faire pour éviter de faire courir de graves dangers aux gens de ce temps-là ? Comment donner les moyens de nous comprendre à ces paléontologues du futur ? C’est cela l’enjeu de nos réflexions d’aujourd’hui.
Sources : Wikipedia France ; Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (http://www.andra.fr/) ; Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE (http://www.nea.fr/); WIPP (http://www.wipp.energy.gov/); Science & Vie, novembre 2008, n° 1094 ;
Images :
1. centrale nucléaire : tours de refroidissement (sources : www.mathcurve.com)
2. vue en surface du WIPP (sources : www.cemrc.org)
3. salle de stockage du WIPP (sources : www-project.slac.stanford.edu)
4. les civilisations sont-elles mortelles ? (sources : http://www.um.warszawa.pl)
5. fresque d'une tombe de la vallée des Rois à Louxor (sources : www.studentsoftheworld.info)
Mots-clés : énergie nucléaire, déchets radioactifs, Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), agence pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), Agence pour l’énergie nucléaire (AEN-OCDE)
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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Mise à jour : 25 février 2023