Les lois de l’évolution sont souvent difficiles à comprendre, même pour ceux qui les abordent sans préjugés. Il est tout d’abord difficile pour le cerveau humain de concevoir l’extraordinaire pouvoir du temps, les centaines de millions d’années qui se sont écoulées depuis l’apparition sur notre planète des premiers organismes d’où proviennent aujourd’hui tous les êtres vivants (voir :distances et durées des âges géologiques). Il y a ensuite la complexité de certains comportements animaux dont on a peine à croire qu’ils n’ont pas été d’emblée prévus comme finalisés (nous avons souvent eu l’occasion de l’évoquer dans ce blog) (voir par exemple : comportements animaux et évolution).
À l’aide de quelques exemples, je souhaiterais souligner l’incroyable faculté d’adaptation des insectes, ces petits compagnons de notre vie sur Terre, souvent négligés par l’homme, du moins lorsqu’il n’est pas directement concerné par leur présence plus ou moins agressive.
UNE ADAPTATION INTELLIGENTE
Une physiologie très spéciale
Les insectes, avancent certains scientifiques, dominent la Terre et c’est probablement vrai si l’on considère par exemple l’omniprésence des fourmis à la surface du globe Ils ont su s’adapter aux changements de leurs conditions de vie et, bien sûr, ils n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Nous avons eu l’occasion d’écrire un article sur les insectes géants du carbonifère (voir : les insectes géants du carbonifère) qui, de nos jours paraîtraient totalement monstrueux. La diminution de la taille de ces animaux fut ici la conséquence d’un changement important dans l’atmosphère terrestre : la baisse du taux d’oxygène dans l’air ambiant. Les insectes ont donc dû s’adapter pour continuer à exister et, partant, développer des talents cachés. En voici quelques exemples :
* la petitesse extrême pour devenir (presque) invisibles et échapper aux prédateurs. C’est le cas d’une guêpe parasite minuscule (mymaridae) puisque
sa taille est inférieure à 2 mm, les mâles étant encore plus petits, mesurant au maximum 1,5 mm, soit le diamètre de deux cheveux. Ils vivent aux dépens d’insectes plus gros (cochenilles, punaises, etc.) qu’ils infestent pour pondre leurs œufs qui finiront par tuer leur hôte après s’en être nourri (un classique dans le mondes des insectes et assimilés).
* la déformabilité : les blattes (6000 espèces différentes) sont les championnes des introductions difficiles. Elles possèdent en effet un exosquelette qui leur permet de s’aplatir et de franchir de minuscules interstices avant, une fois sortis, de filer à la vitesse de l’éclair (cinquante fois la longueur de leurs corps par seconde ce qui, ramené à l’échelle humaine, avoisine les 800 km/h…).
* La vitesse : de nombreux insectes cherchent à échapper à un prédateur souvent bien plus gros qu’eux en développant des rapidités de déplacement qui, proportionnellement à leur taille, paraissent extraordinaires : le taon est un diptère (c'est-à-dire un insecte ne possédant qu’une seule paire d’ailes) qui peut atteindre l’incroyable vitesse en vol de 150 km/h ce qui en fait un des insectes les plus rapides. Par comparaison, une abeille peut néanmoins voler entre de 9 à 50 km/h.
Au sol, le criquet pèlerin (Shistocerca gregaria) est un champion inégalé puisqu’il peut atteindre les 35 km/h tandis que pour le vol on soulignera les prestations d’un papillon, la noctuelle du maïs (Helicoverpa zea) qui peut quant à elle atteindre 25 km/h.
* la puissance : c’est par exemple le cas du plus gros coléoptère connu, le scarabée Titanus giganteus (Les coléoptères sont des insectes dotés d'élytres, c'est-à-dire d’ailes antérieures durcies protégeant les ailes véritables). Titanus qui vit dans la forêt amazonienne, notamment en Guyane, peut atteindre près de 17 cm et ses mandibules sont assez puissantes pour casser en deux un crayon.
* un allongement de la durée de vie : c’est le cas de la cigale (insecte hémiptère) qui passe l’essentiel de sa vie sous forme larvaire dans la Terre. Magicicada septendecim vit dans l’est des États-Unis et est appelée la cigale dix-sept ans parce que c’est exactement le temps qu’elle passe enfouie dans le sol avant de sortir, de s’accoupler puis mourir. Le but ? Dix-sept ans n’est pas le fruit du hasard, du moins à l’origine : c’est un nombre qui n’est le multiple d’aucun nombre entier et, dès lors, il est rarissime que l’année de sortie des cigales coïncide avec un pic d’abondance de ses prédateurs. Sélection naturelle à l’évidence…
* le saut en hauteur et on pense ici bien entendu aux puces et c’est effectivement la puce du chien (ctenocephalides canis) qui détient le record puisque, mesurant seulement 2 mm, elle est capable de sauter 25 cm soit 125 fois sa taille : elle se réceptionne sur ses pattes qui lui servent d’amortisseurs ce qui fait qu’elle ne se signale à son hôte que lors de sa piqure
Une morphologie adaptée
D’autres insectes survivent à leurs prédateurs grâce à leur morphologie hautement spécialisée (obtenue évidemment par des millions de générations confrontées à la sélection naturelle). Ils peuvent alors adopter des moyens de défense (ou de dissuasion) très élaborés, le plus souvent par mimétisme müllérien dont on rappelle qu’il s’agit ici pour la potentielle victime de « copier » des attributs d’espèces toxiques afin de dissuader un éventuel agresseur (voir aussi : le mimétisme, une stratégie d'adaptation). En voici quelques exemples :
* les cicadelles sont des insectes hyménoptères dont il existe de nombreuses variétés : l’une d’entre elles, la cicadelle bocydium globulare qui vit en Amazonie ressemble à une sorte de petit hélicoptère avec des appendices en forme de boules sortant de son thorax (photo en en-tête) ; les entomologistes se sont longtemps demandé quel pouvait être l’avantage évolutif d’une telle apparence avant de se rendre compte que cela la faisait ressembler à un champignon parasite et toxique, une façon efficace de décourager les prédateurs.
* la nymphe du criquet présente une couleur qui est un avertissement de toxicité pour d’éventuels prédateurs. Le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) dont on connaît les ravages qu’il commet en Afrique change de couleur pour mieux se dissimuler en phase grégaire alors que le criquet égyptien (Anacridium aegyptium) voit ses couleurs et ses motifs se modifier afin de paraître plus effrayant.
* d’autres insectes comme la punaise bijoux (Chrysocoris stollii) affiche des couleurs vives et changeantes afin de dissuader un quelconque prédateur de l’attaquer, lui signalant ainsi qu’elle est toxique et désagréable à manger. Bien d’autres insectes utilisent des artifices identiques comme les membracides, petits insectes suceurs de sève qui possèdent des excroissances sur la partie dorsale antérieure du thorax (épines, cornes, ailettes, etc.) variant suivant les espèces et pouvant les faire ressembler à des fourmis en position d’attaque, une dissuasion souvent opérante.
Un comportement spécialisé
Outre leur morphologie, les insectes ont su découvrir des comportements adaptés que nous trouverions certainement abominables dans nos sociétés mais qui leur permettent de survivre dans le petit monde terrifiant qui est le leur.
* le cannibalisme : tout le monde connaît le cannibalisme de la mante religieuse, cannibalisme sexuel au demeurant puisqu’il survient lors de l’accouplement : la femelle dévore le mâle en commençant par la tête puis en grignotant un ganglion nerveux qui « stimule » l’activité sexuelle de ce qui reste de son compagnon. En se laissant dévorer, le mâle se sacrifie en fait pour son espèce en améliorant sa descendance… Bien d’autres espèces d’insectes ont recours au cannibalisme : fourmis, guêpes, scarabées, mouches, etc. ne cherchant ainsi qu’à répondre à une compétition autour des différentes ressources du milieu. Mais plutôt que d’abandonner un cadavre, pourquoi ne pas profiter de ses qualités nutritives, du coup faciles d’accès ? D’un point de vue humain, cela peut paraître cruel mais il n’y a pas de cruauté dans la nature, seulement une lutte pour survivre et s’assurer la meilleures descendance possible. La nature est simplement indifférente.
* l’ingestion des enfants : voilà une pratique difficile à appréhender pour l’esprit et pourtant, dans le monde des insectes, elle peut se comprendre. Un coléoptère nécrophage, nicroforus, est doté d’un odorat performant qui peut déceler la mort dès qu’elle survient ; il creuse sous le cadavre d’un oiseau ou d’un petit mammifère comme une souris afin de le dissimuler car la concurrence est rude avec les fourmis et autres diptères nécrophages. La femelle nicroforus estime alors la taille du cadavre et pond des œufs en conséquence. Toutefois, il lui arrive de se tromper ou que les conditions du milieu aient changé : afin de réguler sa descendance en fonction des ressources disponibles, elle n’hésitera pas à dévorer les larves surnuméraires… Ce n’est pas le seul insecte à avoir recours à ce type de comportement. Rien, jamais, ne doit se perdre.
* l’autolyse : dans un précédent article (voir : insectes sociaux et comportements altruistes), nous avions abordé le « suicide » de certains individus appartenant à une société d’insectes (fourmis, termites, abeilles, etc.) et nous avions conclu que ces sacrifices apparents n’étaient jamais vraiment altruistes dans la mesure où le bénéfice pour l’individu est presque toujours la transmission de ses gènes (les fourmis par exemple sont toutes stériles et génétiquement proches les unes des autres). Il n’en reste pas moins que, dans ces communautés bien soudées, des individus perdent « volontairement » leurs vies au profit de l’ensemble du groupe.
* le harcèlement sexuel : ne jamais laisser la possibilité à un autre mâle de vous supplanter : c’est la règle d’or pour transmettre ses gènes. Les insectes ont « inventé » de nombreuses parades pour l’éviter : présence de crochets pour empêcher la femelle de se débarrasser du mâle durant la copulation (punaises d’eau), pose de bouchons dans le canal génital de la femelle après l’acte, organes reproducteurs en forme d’écouvillon pour éliminer toute trace d’une éventuelle autre semence, blocage de la tête de la femelle pour contrôler l’endroit où elle va pondre (libellule), etc.
* l’esclavage : c’est notamment chez les fourmis que l’on trouve cette aptitude à capturer des ouvrières d’autres fourmilières pour les ramener vivantes afin qu’elles deviennent une main-d’œuvre exploitable. Bien qu’elles émettent des phéromones différentes, ces prisonnières sont parfaitement intégrées au groupe et – détail surprenant – elles ne se rebellent pratiquement jamais
* la provocation délibérée : les pompiles sont des guêpes solitaires (donc des hyménoptères) dont la particularité est la chasse des araignées. Il en existe de nombreuses espèces (au moins 150 espèces rien que pour la France) comme la guêpe noire, un chasseur d’araignées hors du commun. La plus célèbre est toutefois la pompile chasseuse de mygales qui arpente les forêts tropicales. La mygale est une araignée qui ne tisse pas de toile mais chasse à l’affût puis, si besoin, à la poursuite. La guêpe pompile le sait et elle va se poster devant le terrier de la mygale et chercher à la faire sortir en frappant le sol avec ses pattes ou en voletant bruyamment. Le combat qui s’en suit est souvent à l’avantage de la guêpe (dans 2/3 des cas environ) qui paralyse l’araignée qui reste évidemment vivante. Bien que plus petite, la pompile est incroyablement forte et est capable de tracter le corps de la mygale parfois sur de longues distances jusqu’à son propre terrier (qu’elle retrouve toujours car elle a une mémoire photographique). Elle pourra alors pondre un œuf sur sa proie afin de nourrir la larve qui en émergera avec de la chair longtemps fraîche.
L’ÉVOLUTION EST TOUJOURS EN COURS
Les millions d’espèces d’insectes, comme on vient de le voir, se sont adaptées au fil du temps afin de survivre mais il s’agit d’un combat permanent : face aux prédateurs qui inventent sans cesse de nouvelles armes d’attaques, ceux qui ne savent pas – ou ne peuvent pas – s’adapter sont appelés à disparaître…
Le cas désespérant de certaines lucioles
Les insectes ne sont bien sûr pas les seuls à avoir organisé des conduites extraordinaires pour piéger les autres mais elles relèvent toujours des mêmes mécanismes évolutifs. L’araignée ogre (Araneus ventricosus) n’est évidemment pas un insecte puisqu’elle fait partie des arachnides mais elle sait attraper certains insectes, ses proies.
En Chine, les lucioles Abscondita terminalis émettent de nombreux signaux lumineux de la mi-mai à la mi-juin afin de trouver des partenaires. Jusque là, rien d’extraordinaire. Les mâles envoient de rapides séries d’éclairs tandis que les femelles se signalent par des émissions isolées qui permettent aux mâles de les repérer et de les rejoindre : c’est alors qu’un piège mortel peut se mettre en place. L’araignée ogre précédemment évoquée capture un des mâles mais elle ne le tue surtout pas : les scientifiques ont pu mettre en évidence que l’araignée capture uniquement des mâles qu’elle enroule dans un cocon de soie avant de les mordre sans les tuer. Les lucioles mâles ainsi mordues continuent alors à émettre des signaux lumineux mais à une fréquence bien inférieure qui se rapproche de celle des femelles : le piège peut alors se refermer sur d’autres mâles.
Combien a-t-il fallu de millions d’années pour que cette technique de chasse s’implante durablement dans l’ADN du petit prédateur, combien de hasards, de retours en arrière, d’expériences ratées ? Et combien de temps faudra-t-il aux lucioles pour trouver la parade ?
Les araignées myrmécomorphes
Les fourmis sont incroyablement nombreuses et, d’une certaine manière, on peut dire qu’elles dominent le monde. Certaines araignées dites myrmécomorphes sont capables d’imiter une fourmi. Bien sûr, contrairement à l’insecte visé, elles ont huit pattes mais aucune importance, ces araignées dont le corps ressemble par ailleurs étonnamment à celui d’une fourmi, vont brandir leur première paire de pattes à la façon d’une paire d’antennes, certaines allant même jusqu’à secréter des phéromones qui peuvent (un temps) tromper les insectes. Le but de la manœuvre est de fondre par surprise sur une fourmi isolée sans éveiller les soupçons de ses autres congénères. La manœuvre est toujours risquée car les fourmis sont, elles-aussi de redoutables prédatrices. En réalité, le plus souvent, l’araignée myrmécomorphe se sert de son déguisement surtout pour échapper à ses propres prédateurs car de nombreux animaux trouvent les fourmis désagréables ou dangereuses à manger…
Ces deux exemples nous prouvent que les luttes proies/prédateurs sont permanentes dans la nature et concernent toute la chaîne du vivant… sauf que la présence de plus en plus prégnante de l’homme risque de rebattre les cartes.
L’AVENIR EST INCERTAIN
Comme on vient de le voir, l’Évolution, par le biais de la sélection naturelle, permet aux insectes d’élaborer de nombreuses stratégies pour subsister et se reproduire. Toutefois, comme pour toute forme de vie sur Terre, en cas de modification significative de l’écosystème qu’ils occupent, il leur faudra s’adapter et c’est là que le bât blesse car, si par le passé, des modifications parfois substantielles ont eu lieu, chaque fois, ils ont disposé d’un certain temps pour s’adapter (du moins les espèces qui ont pu survivre). Toutefois, depuis quelques siècles, l’homme modifie l’environnement de tous à une rapidité délétère…
Lors de son voyage avec le Beagle qui allait déterminer ses réflexions sur l’évolution du vivant, Charles Darwin raconte l’anecdote suivante : le Beagle ayant fait escale au Brésil dans ce qui allait devenir la baie de Rio de Janeiro, il lui fut impossible de dormir la première nuit. En effet, bien que le bateau soit amarré à plusieurs encablures du rivage, un bruit permanent dominait tous les autres, une sorte de bourdonnement paroxystique dû à l’activité nocturne de millions d’insectes. Darwin revivrait aujourd’hui dans les mêmes conditions qu’il observerait une formidable différence car la présence de l’homme a gommé cette vie trépidante…
Les insectes représentent 85% de la biodiversité animale et, selon l’estimation des scientifiques, il en existe 1,3 millions d’espèces décrites existant actuellement sur Terre avec plus de 10 000 nouvelles espèces découvertes chaque année (surtout dans les canopées des forêts tropicales, amazoniennes notamment). Pourtant, ces chiffres ne représentent que les insectes dûment identifiés puisqu’une extrapolation fondée sur des études récentes évalue le nombre total d’espèces d’insectes à environ 70 millions (dix milliards de milliards de ces animaux seraient vivants en même temps à un instant T…).
L’action de l’homme sur la nature et son influence sur le dérèglement climatique ont pour conséquence principale que 90% des espèces d’insectes n’ayant pas encore été cataloguées auront disparu avant leur identification. Preuve s’il en était besoin que, en dépit de leur extrême faculté d’adaptation, le changement de leur environnement, contrairement à ceux des temps passés, va trop vite. La sélection naturelle ( ?) sera ici aussi impitoyable.
Il y a 65 millions d’années, une météorite de 10 km de diamètre s’abattait dans la presqu’île du Yucatan, au Mexique, entraînant une catastrophe telle qu’elle mit fin à la domination des dinosaures qui durait depuis 140 millions d’années (1). La conséquence principale de cette disparition fut l’avènement du règne des mammifères jusque là muselés par les grands sauriens. En effet, si leur apparition est concomitante de celle des dinosaures, au Trias supérieur, il y a environ 230 millions d’années, les mammifères furent depuis le début obligés de vivre dans l’ombre de ces grands prédateurs. Ils réussirent quand même à survivre mais en restant peu diversifiés et surtout de petite taille (forcément inférieure à celle d’un chat). Les dinosaures disparus, au bout de quelques millions d’années (un temps très court en termes géologiques), il existait déjà des mammifères de la taille d’un ours. Aujourd’hui, ils sont de toutes sortes, sur tous les continents et l’un d’entre eux, homo sapiens, a pris la place que l’on sait. On peut donc légitimement se poser une question : que se serait-il passé si l’astéroïde n’avait fait qu’effleurer notre planète ? Les dinosaures auraient-ils quand même fini par disparaître ? Et l’apparition de l’Homme aurait-elle pu avoir lieu ? Cela veut-il dire que le hasard entre, au moins partiellement, en compte dans la transformation et l’évolution des espèces ? Et qu’entend-on réellement par ce terme ambigu, de hasard ?
(1) Certains scientifiques avancent que le déclin des dinosaures aurait commencé quelques millions d’années avant l’impact de la météorite, provoqué par des phénomènes volcaniques (trapps du Deccan) et/ou par l’apparition des plantes à fleurs, une nourriture inappropriée pour les grands sauriens. Ces affirmations restent du domaine de l’hypothétique et, quoi qu’il en soit, la chute de la météorite aura de toute façon porté le « coup de grâce ».
Le hasard est-il pluriel ?
La théorie de l’Évolution actuelle est en fait confrontée à trois sens différents du mot hasard : la chance, l’aléatoire et la contingence. Or, ces différentes notions sont souvent confondues les unes avec les autres. Il convient donc de préciser ce qu’elles recouvrent vraiment.
* le hasard en tant que finalité : c’est le sens le plus fréquent qui veut que quelque chose se produise de façon inattendue par rapport à un but, que celui-ci soit conscient ou non. Prenons un exemple. Je suis en train de farfouiller dans mon bureau à la recherche d’une feuille de papier vierge pour écrire une lettre et voilà que je mets la main sur la facture que je recherche depuis plusieurs jours… Prétendre que j’ai découvert ma facture par hasard signifie que je viens de mettre la main sur cet objet très recherché par moi en poursuivant en fait un but totalement différent. C’est le sens du hasard le plus commun qui est le plus souvent décrit par les termes « chance » et « malchance ».
* le hasard recouvrant des événements « aléatoires » : ici, nous pouvons prévoir qu’un événement peut se produire selon certaines conditions mais nous
sommes incapables de savoir si ces conditions sont réunies ou non pour le cas particulier qui nous intéresse. C’est par exemple le cas de la pièce de monnaie qu’on lance en l’air sans pouvoir deviner si elle tombera sur pile ou sur face. Si l’on voulait le savoir à l’avance, il faudrait connaître toutes les conditions du lancer, le poids et la forme exacte de la pièce, la force du jet, la résistance de l’air, etc. ce qui est évidemment impossible : l’événement relève donc de l’aléatoire et pour réduire ici le hasard, seules les lois de la probabilité peuvent nous aider.
* le hasard en tant que contingence : stricto sensu et selon la définition du dictionnaire, la contingence est ce qui peut éventuellement arriver ou non. D’un point de vue plus scientifique, on appelle contingents des événements qui ne sont pas déductibles (donc prévisibles) à l’intérieur d’une théorie (parce que nous ne connaissons pas les conditions initiales du problème ou que les calculs se révèlent trop complexes, voire que la théorie n’existe tout simplement pas). C’est cette notion du hasard – contingent - qui est le centre d’âpres débats en science de l’Évolution. Son contraire est la nécessité, terme qui signifie qu’un événement donné en entraîne forcément un autre (qui devient donc prédictible).
Lorsqu’ils débattent entre eux de la théorie de l’Évolution, les scientifiques introduisent ces notions de hasard à plusieurs niveaux tels que la dérive génétique (sur laquelle nous reviendrons), les mutations, les écosystèmes, etc. L’un des débats le plus fructueux sur cette question concerne l’identification des animaux observés dans les schistes de Burgess, sujet que nous avons déjà évoqué ici à plusieurs reprises.
La bataille de Burgess
Il y a plus de 100 ans, furent mis au jour à Burgess en Colombie britannique par un paléontologue célèbre à l’époque, Charles Doolitle Walcott, plus de 80 000 fossiles vieux de 505 millions d’années et ne ressemblant pour la plupart à rien de ce que l’on connaissait jusqu’alors. Surtout - probablement à la suite d’un ensevelissement brutal - ces fossiles conservaient des appendices et des parties molles qui, habituellement, ne sont jamais présents. Or ce sont ces espèces à
corps mou qui font toute la différence avec un banal gisement du Cambrien (période la plus ancienne du paléozoïque anciennement appelé ère primaire) et nous donnent réellement un aperçu de la vie à cette époque, le Cambrien moyen. Selon les préjugés de son temps, Walcott chercha à faire entrer les animaux qu’il étudia dans les groupes principaux (phylums) alors connus car, selon lui, il s’agissait forcément de formes archaïques ayant par la suite donné les groupes d’animaux actuels (dans un contexte scientifique encore empreint d’une certaine religiosité, il n’aurait pas été concevable d’avancer que « le Créateur » avait fait naître des êtres abandonnés ensuite sans descendance). Ce n’est que bien plus tard, en réexaminant les fossiles, que les scientifiques se firent la réflexion que beaucoup d’entre eux (notamment les arthropodes qui représentent près de la moitié des espèces présentes) paraissent inclassables dans les embranchements actuels et ne correspondent à rien de connu, qu’ils appartiennent en somme à des phylums n’ayant apparemment pas donné de descendants..
Il n’en fallait pas plus pour que Stephen J. Gould, le célèbre paléontologue mort en 2002, s’empare du sujet dans un de ses livres les plus fameux (« la vie est belle », 1989). Son explication est la suivante : dans les schistes de Burgess, parmi les animaux présents et appartenant à différents embranchements dont certains
inconnus, aucun ne paraissait posséder par rapport aux autres d’avantages particuliers. Plus encore, Gould remarqua que certains des animaux n’ayant pas survécu par la suite présentaient des caractères adaptatifs très astucieux. Sa conclusion : puisque tous vivaient à armes égales, si certains ont survécu et pas d’autres, c’est que cela ne pouvait être que dû au hasard. En résumé, pour Gould, c’est la contingence (c'est-à-dire tous les événements imprévisibles survenant dans la Nature et impossibles à identifier) qui prime tout : ce qui se passe d’une certaine manière aurait tout aussi bien pu se passer autrement. Et, par voie de conséquence, cela sous-entend que l’espèce humaine est un accident biologique. Il explique ainsi que si l’on devait faire repartir l’histoire évolutive depuis le début, à la manière d’un film qu’on rembobinerait, compte-tenu des différents événements aléatoires rencontrés tout du long, elle serait certainement très différente et l’Homme n’aurait probablement aucune chance de réapparaître.
Toutefois, un de ceux qui réétudia cette faune de Burgess fut Conway-Morris. Il partagea cette analyse jusqu’à ce que d’autres gisements analogues à Burgess
soient découverts, notamment en Chine. Ce paléontologue changea alors complètement d’avis en expliquant que, finalement, on peut retrouver des similitudes entre les différents phylums et que la plupart des animaux de Burgess sont effectivement membres de groupes existant aujourd’hui. Ses contradicteurs lui reprochèrent alors une position idéologique le poussant à défendre une vision essentiellement chrétienne de l’évolution (ce qui était de notoriété publique). D’où une discussion acharnée avec Gould.
Aujourd’hui encore, la question ne semble pas définitivement tranchée mais, s’il est vrai qu’un certain nombre des animaux de Burgess a pu être réétudié et rattaché à des groupes existant encore de nos jours, il reste nombre de spécimens dont on serait bien en peine de trouver une quelconque descendance. Alors, quelle place donnée ici à la contingence, au hasard ?
La dérive génétique
La « dérive génétique » c’est l’évolution d’une espèce (ou au moins d’une population) sous l’effet d’événements aléatoires, et ceci indépendamment de la sélection naturelle, des mutations ou de déplacements géographiques. Théorisée par Motoo Kimura en 1968, cette approche s’appuie sur les variations potentielles observées durant la méiose c’est-à-dire, dans la reproduction
sexuée, lors de la transmission de certains caractères des parents. En pareil cas, on le sait, chaque parent ne transmet que la moitié de ses allèles. Rappelons qu’un allèle est une version variable d’un même gène : il y en a généralement deux pour un gène (parfois beaucoup plus, jusqu’à une dizaine). Du coup, certaines variantes d’un gène (certains allèles) ne seront jamais transmis à la descendance d’un adulte et, par conséquent, certains allèles verront leur fréquence augmenter ou diminuer dans la génération suivante. Évidemment si la population était de taille infinie, tous les allèles finiraient par être transmis mais ce n’est évidemment pas le cas. On peut même avancer que la non-transmission de certains allèles (la « variance ») est d’autant plus importante que la population considérée est de petite taille. Questions : 1. cette « disparition » de certains facteurs génétiques est-elle assimilable à une diminution de la diversité génétique et 2. Quel est le rôle du hasard dans ce phénomène ?
Prenons le cas d’un « goulot d’étranglement », c’est-à-dire un événement qui va séparer des groupes d’individus : une inondation cataclysmique emporte le pont de terre qui reliait une presqu’île au continent. De ce fait, une partie d’une population de lézards se retrouve isolée sur la nouvelle île et cette population réduite va voir un certain nombre d’allèles non transmis lors de la reproduction. Il s’agit donc d’une diminution de la diversité génétique et on comprend facilement que plus la population concernée est petite, plus la dérive génétique est importante. Cette « dérive » génétique, c’est au bout du compte la différence croissante qui va s’instaurer entre la diversité génétique de la population isolée par rapport à la
population d’origine, dans cet exemple les lézards restés sur le continent. Les changements qu’on va alors voir survenir dans la population résiduelle, celle de la nouvelle île, ne sont évidemment pas une adaptation et, en ce sens, ils ne relèvent pas d’une sélection naturelle classique. Si la survie de cette espèce de lézards dans l’île est possible (suffisamment de ressources pour permettre le maintien d’une population efficace), peu à peu, par le biais de l’absence de certains allèles ou de mutations, cette population va évoluer pour son propre compte : dans le cas où elle serait remise en contact avec la population d’origine restée sur le continent, il est très possible qu’il ne puisse plus y avoir d’accouplements productifs entre les deux groupes devenus des espèces différentes. Cette dérive génétique due à un isolement géographique aura alors conduit à ce qu’on appelle une spéciation (apparition d’une nouvelle espèce).
En arriver à un tel résultat est certainement dû au hasard (l’événement cataclysmique originel) associé secondairement à la sélection naturelle qui va privilégier les individus les mieux adaptés dans une population différente de celle du début, précisément en raison de la dérive génétique survenue. Hasard et sélection naturelle agissent donc en même temps sur les populations et sont à l’origine des changements de la diversité génétique : on parle alors d’évolution biologique.
Les mutations
Nous venons d’évoquer les mutations génétiques en tant que facteurs de transformation d’une population spécifique d’individus mais comment surviennent ces mutations ? Sont-elles également le fait du hasard ?
Rappelons très schématiquement ce qu’est l’ADN, support de l’hérédité et son rôle. Il est composé de quatre bases nucléiques : A (adénine), C (cytosine), G (guanine), et T (thymine) et c’est l’ordre dans lequel se retrouvent ces bases (il y en a des milliards) sur le brin d’ADN qui porte l’information génétique. Lorsqu’il se produit un « erreur » de transmission (une des bases – voire un groupe - est remplacée par une autre) l’information est modifiée. Trois situations sont alors possibles : dans l’immense majorité des cas, la modification est sans conséquence
et on parle de mutation neutre. Si la modification est défavorable, c’est-à-dire qu’elle met en danger son porteur, celui-ci sera éliminé avant que d’arriver à maturité pour se reproduire : on parle alors de mutation délétère qui ne peut se transmettre. Enfin, troisième possibilité, la mutation apporte un avantage sélectif à son porteur : théoriquement, ce dernier sera avantagé par rapport aux autres individus et, mieux protégé de son environnement, il se reproduira plus fréquemment ce qui permettra, peu à peu, à la mutation d’atteindre l’ensemble de la population.
Ce qu’il faut également bien comprendre, c’est qu’une mutation n’apparaît physiquement pas chaque fois qu’un changement de l’environnement d’un individu se modifie de façon sensible. Par exemple, la mutation de la régulation de la lactase qui permet chez l’adulte humain de digérer le lait de vache n’est pas spontanément apparue avec l’élevage de ces animaux parce qu’on en avait besoin. Elle était présente avant l’élevage avec la même fréquence mais c’est avec l’élevage des vaches qu’elle est devenue avantageuse pour ses porteurs et qu’elle s’est petit à petit répandue…
Que peut on conclure sur le rôle du hasard dans les mutations génétiques ? Eh bien que le hasard, ici, veut dire que les mutations apparaissent sans qu’il y ait de relation directe avec leurs effets sur l’organisme. Quand une base nucléique en remplace une autre, la survenue de cette mutation est indépendante de l’effet qu’elle peut avoir sur le sujet ou, dit autrement, la mutation apparaît par hasard et, puisqu’il y en a beaucoup, au fil des générations, certaines d’entre elles peuvent se révéler favorables dans un environnement donné.
Le hasard et la sélection naturelle dirigent l’évolution
Pour survivre et prospérer, une population d’êtres vivants doit s’adapter à son milieu. Tant que cet environnement est stable, que ses modifications au fil du temps restent mineures, la population est bien adaptée et subit elle-même peu de modifications. Toutefois, on le sait bien, cette caractéristique de stabilité n’a qu’un temps car, tôt ou tard, des changements se manifestent : modifications du climat et donc des ressources, catastrophes naturelles, maladies, apparition ou transformations de prédateurs, etc. Dès lors, la sélection naturelle décrite par Darwin il y a déjà de nombreuses années entre en jeu (elle a toujours existé mais, compte-tenu de la stabilité de l’environnement, elle avait peu à intervenir). En sélectionnant les individus les plus aptes, elle transforme progressivement l’espèce concernée : des mutations jusqu'alors latentes apportent des réponses au changement (pour peu évidemment qu’un certain laps de temps le permette car si ce n’est pas la cas, l’extinction de la population est inévitable). Or comme nous l’avons vu, ces mutations sont apparues au hasard de l’altération d’une partie du code génétique. La sélection naturelle, mécanisme principal de l’Évolution, se comporte en réalité comme une immense machine de tri du vivant.
Il existe d’autres mécanismes de transformation des espèces : la dérive génétique est un autre moyen d’aboutir à la transformation d’une population mais, ici, l’évolution d’une espèce est causée par des événements complètement aléatoires, des événements dont la prévision est impossible (et ses effets, comme on l’a vu, sont d’autant plus importants que la population considérée est de petite taille).
On peut donc affirmer que l’évolution des espèces est sous la dépendance du hasard. C’est le hasard qui assure la richesse du vivant en engendrant une multitude de différentes variations avant que le milieu ne fasse le tri par le biais de la sélection naturelle. Dérive génétique et sélection naturelle sont donc les moteurs de la diversité des espèces vivantes en permettant évidemment leur adaptation au changement mais également en assurant la stabilité des espèces bien adaptées. Ces deux différents mécanismes dirigent l’Évolution et c’est le hasard qui les régit.
Voici quelques courts articles parus sur le site Facebook du blog
LUEUR D'ESPOIR POUR LE CORAIL
On sait que les différentes barrières coralliennes sont menacées d'extinction rapide, notamment en raison du réchauffement climatique pense-t-on. En fait, c'est plus compliqué que ça.
Dans les Caraïbes, par exemple, depuis 50 ans, la moitié du corail a été détruite. Des scientifiques ont donc compilé pas moins de 35 000 études menées depuis 1969 dans 34 pays différents sur les récifs coralliens caribéens. Surprise : les principaux responsables du massacre sont la surpêche et la pollution côtière...
En fait, en 1983, une épidémie a décimé là-bas l'oursin-diadème qui se nourrit des algues proliférant sur les récifs et étouffant le corail. Du coup, ne restent plus comme prédateurs de ces algues que les poissons-perroquets... victimes de la surpêche. Partout où celle-ci est mieux combattue, les récifs coralliens sont en meilleure santé et résistent d'autant plus aux cyclones qu'ils sont riches en poissons-perroquets !
Ce n'est pas tout : on a pu également mettre en évidence que partout où les requins étaient trop chassés, ils libéraient des niches propices au développement de petits poissons carnivores qui attaquent les poissons herbivores comme nos poissons-perroquets... Qui aurait pu penser que les grands squales protègent indirectement le corail de ces mers chaudes ?
Ceci nous rappelle une notion fondamentale : tous les êtres vivants font partie d'une chaîne alimentaire et lorsque l'un des maillons de la chaîne est atteint, c'est tout le reste des vivants qui souffre ! On en trouvera plusieurs illustrations dans le sujet du blog : "superprédateurs et chaîne alimentaire"
L'ENNEMI N'EST PAS TOUJOURS CELUI QUE L'ON CROIT...
Tenez, prenez le cas de cette assez jolie plante que l'on appelle le Kudzu et qui est réputée pour permettre l'arrêt de certaines addictions comme celles à l'alcool ou à la nicotine. Je ne sais pas si ses exploits en la matière sont réels ou supposés mais ce dont je suis sûr, c'est que le kudzu est l'une des pires "pestes" végétales existantes.
Originaire du Japon, le kudzu a été introduit aux USA pour stabiliser certains sols et faire un peu d'ombre sous la forme de tonnelles improvisées. Malheur ! Ce que l'on ne savait pas (?), c'est que cette plante a une croissance tellement rapide (jusqu'à 30 cm par jour) qu'elle envahit tout en très peu de temps et la voilà qui recouvre rapidement tous les végétaux (notamment les arbres) qu'elle étouffe, les réverbères, les panneaux indicateurs ou publicitaires et même les murs et les toits des maisons ! Aux États-Unis où l'on n'arrive pas à s'en débarrasser, elle a envahi des milliers de km² de forêts et de champs et la lutte contre cet ennemi si prolifique est un combat de tous les instants : un moment de relâchement et tout est à recommencer !
Mais ce n'est pas tout : voilà que les scientifiques l'accusent de participer au réchauffement climatique : le kudzu réduit le volume de carbone stocké dans les sols des endroits envahis par lui, notamment en détruisant les végétaux qui, eux stockent ce gaz à effet de serre. Un vrai poison que nul herbicide ne sait enrayer.
Méfiance donc pour tous ceux qui, à des fins thérapeutiques, souhaiteraient se lancer dans des "cultures sauvages" de cette plante aux vertus... contrastées !!!
photo : forêt pétrifiée par le kudzu (sources :tenfreshfruits.com)
UNE ARAIGNÉE HÉROÏQUE !
Elle s'appelle stegodyphus-lineatus et est une petite araignée velue d'environ un cm et demi. Elle habite l'Europe, l'Asie et le nord de l'Afrique et est connue pour faire partie des araignées cannibales...
Oui mais cannibale comment ? Parce qu'on connait bien ces araignées femelles qui, lors de l'accouplement, dévorent le mâle qui ne s'est pas enfui assez vite mais, ici, l'histoire est différente. En effet, Stegodyphus a un destin tout à fait spécial (du moins la femelle de cette espèce). Dès que la fécondation a eu lieu et que commence l'incubation, les tissus abdominaux de la mère araignée ramollissent progressivement. Une sorte de préparation à la naissance des enfants.
Lorsque que celle-ci a lieu, la mère araignée commence par régurgiter toutes les bonnes réserves qu'elle avait faites pour ses petits. Mais, très vite, cela ne suffit pas pour ses 80 rejetons. Alors, elle se sacrifie et, suicidaire, s'offre à l’appétit féroce de ses petits en se liquéfiant littéralement. Bientôt, il ne reste plus que son squelette desséché... et 80 petites araignées en pleine forme qui partent découvrir l'Univers !
Au fil des millions d'années, c'est ce scénario génétiquement inscrit que la sélection naturelle a gardé pour ces étranges animaux car, au bout du compte, dans la Nature, l'individu ne compte pas : seule la survie de l'espèce a de l'importance;
photo : une stegodyphus et ses petits (sources : www.lemonde.fr)
LE PLUS VIEUX MEURTRE DU MONDE
430 000 ans, tel est l'âge du plus vieux meurtre (connu) pour l'espèce humaine. En réalité, pas l'espèce humaine actuelle mais chez un précurseur, homo heidelbergensis, probable ancêtre de l'homme de Néandertal, notre lointain cousin.
C'est en Espagne, dans la grotte d'Atapuerca, déjà citée dans ce journal du blog, qu'a été faite cette découverte, récemment publiée dans la presse scientifique. On a donc retrouvé le squelette d'un hominidé ayant vécu il y a fort longtemps, portant une profonde fracture au dessus de l’œil gauche. Une plaie mortelle causée par un "objet contondant" ayant frappé la victime à deux reprises, les protagonistes se trouvant face à face. La répétition du geste avec le même instrument (on en est certain grâce à une reconstitution virtuelle) traduit à l'évidence l'intention de tuer. Pourquoi ? On ne le saura jamais mais il s'agit très certainement d'un "différend domestique" puisque l'endroit n'est pas un théâtre de combats.
En ce siècle de violences ultra-médiatisées, on s'étonne de l'agressivité dont font preuve tant d'individus : comme on peut le constater dans l'exemple que je viens de rapporter, tout ça remonte à loin et, j'en fais le pronostic, n'est hélas pas près de s'arrêter !
photo (source : www.plosone.org/)
UN IMITATEUR DOUÉ
C'est dur de survivre seul dans la jungle lorsque les parents sont partis chercher de la nourriture et qu'ils ne reviennent que durant quelques instants, une fois par heure environ. et d'autant que la nidification est plutôt longue, plus de 20 jours. Comment tromper les prédateurs ?
La sélection naturelle a permis à l'oisillon de l'aulia cendré d'adopter une attitude étonnante. Alors que les plumages de ses parents sont d'un gris banal, son apparence à lui est éclatante, comme en témoigne la photo. Sera-t-il dès lors plus en vue et donc susceptible d'attirer les prédateurs ? En réalité non car son duvet imite à la perfection... une chenille toxique des environs. L'oisillon en a la taille (environ 15 cm), l'apparence mais aussi le comportement puisque, en l'absence de ses parents, il ne fait aucun bruit et se met à onduler de la tête pour simuler le déplacement de la chenille : dès lors, les éventuels prédateurs préfèrent se détourner !
On appelle ce phénomène du mimétisme batésien (imiter l'apparence d'un animal toxique) et c'est très rare chez les oiseaux. En aura-t-il fallu des millions de générations de ce petit passereau dans la forêt tropicale pour qu'une mutation de ce genre apparaisse et s'implante enfin au détriment des autres nids décimés...
Dans les reportages animaliers de la télé, on nous montre parfois (mais c'est difficile à regarder), le meurtre des petits de la lionne lorsque le mâle qui la féconda a été évincé par un plus fort. Ce dernier fait alors semblant de jouer avec les lionceaux puis devient brutal tandis que les petits s'étonnent et, soudain, le grand mâle leur brise la nuque sans que la mère intervienne... Cela mettra fin à la lactation de celle-ci et la rendra à nouveau féconde pour le nouveau venu... dont le seul but (inconscient) est de diffuser son propre ADN. Il ne s'agit là que d'un exemple parmi bien d'autres.
Un chercheur du CNRS de Montpellier a publié il y a quelques mois dans la prestigieuse revue "Science" les résultats de 30 ans d'étude des infanticides chez les mammifères. Surprise : sur 260 espèces étudiées, dans plus de la moitié d'entre elles, les mâles tuent les petits s'ils n'en sont pas les pères ! Cela concerne, bien sûr, les lions comme on vient de le voir mais aussi les singes, les hippopotames, les ours, les léopards, les zèbres, les chiens de prairie, les lièvres, les marmottes, etc.
Chez les singes (babouins, gorilles, chimpanzés, etc.), tous ont recours à cette politique du vide génétique. Chez les babouins du Botswana dont les dominants peuvent changer au fil de quelques jours, c'est parfois un véritable massacre : 80% des bébés d'un même groupe peuvent ainsi être trucidés ! Il existe toutefois une exception : les bonobos ne pratiquent pas l'infanticide et ce sont, curieusement, nos plus proches parents.
Toutefois, le pacifisme de nos cousins bonobos n'a eu aucune influence sur l'espèce humaine : l'Homme est en effet le SEUL MAMMIFÈRE à tuer même sa propre descendance ! Rien de très glorieux, on est bien obligé de le reconnaître...
photo : un lion et le petit d'un autre (sources :www.sciencesetavenir.fr)
OISEAU FAUSSAIRE
Les lois de l'Évolution sont innombrables et parfois difficiles à saisir. Tenez, dans le désert du Kalahari, au Botswana (Afrique de l'est), vit un drôle de petit personnage : le drongo (voir photo). Le drongo est un petit oiseau du type passereau qui dispose d'une très large palette vocale (répertoire individuel variant de 9 à 32 cris différents) et il sait s'en servir. En effet, le drongo est un simulateur.
Puisqu'il semble plus facile de s'approprier ce qui ne vous appartient pas plutôt que de faire soi-même le travail, il ruse. Parfois, c'est vrai, le drongo a effectivement repéré un prédateur qui s'approche doucement : il permet alors à l'ensemble des oiseaux, y compris lui-même, de s'enfuir. Mais, à d'autres moments, il ne s'envole pas car il sait pertinemment qu'il vient d'émettre une fausse alarme et qu'il n'y a aucun danger : il n'a plus alors qu'à aller se servir parmi les insectes et vermisseaux isolés par les victimes de sa tromperie.
Bien entendu, de tels subterfuges finiraient pas s'épuiser à force d'être utilisés. c'est là que le drongo montre toute sa force (ou sa capacité de nuisance) puisqu'il est capable d'émettre jusqu'à plus de cinquante fausses alarmes différentes, arrivant ainsi à duper plusieurs fois les mêmes victimes...
Ce que l'on ne sait pas encore, c'est si cette aptitude à simuler est innée, c'est à dire apparue il y a longtemps et transmise depuis génétiquement, ou bien apprise à chaque génération d'enfants par les parents. Inné ou acquis, le drongo s'en moque bien et sait profiter du travail des autres !
Nous allons évoquer une période ancienne, très ancienne, appelée le carbonifère, une époque appartenant au paléozoïque supérieur (autrement dit l’ère primaire) et s’étendant de – 359 à – 299 millions d’années (Ma). Notons toutefois qu’il s’agit là de chiffres difficiles à concevoir par le cerveau humain quand on sait que nous paraissent déjà immenses les environ 10 000 années de présence sur Terre de l’homme dit moderne. Inaugurée par une extinction de masse, le carbonifère dura une soixantaine de millions d’années au cours desquels la Terre se transforma profondément.
Extinction de masse du dévonien
C’est à la fin de la période de l’ère primaire précédente, le dévonien, qu’une très importante extinction de masse fit disparaître 70% des animaux marins. La Terre était alors occupée par un seul continent situé au pôle sud tandis qu’un chapelet d’îles et d’archipels s’étalait à l’équateur : tout le reste n’était qu’un immense océan. Sur le continent unique, la température était élevée avec un indice hygrométrique important : chaleur et humidité, il n’en fallait pas plus pour que s’étale sur terre une végétation
luxuriante où régnaient en maîtres les insectes, le reste de la faune étant quasi-inexistant. C’est dans l’océan que la diversité foisonnait : éponges, coraux, brachiopodes, nautiloïdes, trilobites auxquels il faut ajouter des poissons de toutes sortes. Tout ce petit monde proliférait dans des eaux chaudes et lumineuses et c’est alors que se produisit la deuxième grande extinction de masse de l’histoire de la Terre (la première remontait à l’ordovicien, 100 Ma auparavant).
L’extinction dévonienne ne fut pas brutale et s’étendit sur des dizaines de milliers d’années. Inaugurée par un réchauffement climatique, elle se traduisit par l’apparition de séismes sous-marins et d’émissions de gaz surchauffés qui entraînèrent un manque d’oxygène progressif de l'océan puis de l'atmosphère (appelé événement Kellwasser) s’ajoutant à l’empoisonnement de l’eau par des métaux lourds. L’ensemble aboutit à la destruction massive de la faune marine. Il faudra ensuite attendre environ 250 000 ans avant que les arbres produisent suffisamment d’oxygène et que les températures se stabilisent pour initier un renouveau. Mais l’extinction aura détruit les ¾ des animaux marins, eux qui représentaient à cette époque l’essentiel de la vie sur Terre.
Le carbonifère
Succédant immédiatement au dévonien et à sa terrible extinction de masse, le carbonifère doit son nom au fait que l’époque fut particulièrement riche en végétaux, leur fossilisation ayant secondairement donné naissance à la houille si indispensable à l’espèce humaine lors de l’avènement de l’’époque industrielle. Un processus d’autant plus actif que c’est à cette époque qu’apparurent les premiers arbres revêtus d’écorce dont la sédimentation consécutive, par exemple, à une inondation ou à un incendie produisait du charbon.
Le carbonifère commence par une très importante transgression marine (c’est-à-dire l’envahissement des terres par la mer) qui concerne toutes les masses continentales avec d’importants dépôts de calcaire.
Du point de vue de la tectonique des plaques, la période se traduit par de grands
changements avec la fusion des plaques américaine, européenne et gondwanienne (le Gondwana étant une partie du supercontinent précédent) pour former un nouveau supercontinent appelé Pangée (qui subsistera jusqu’au Trias, à l’ère secondaire, soit près de 60 millions d’années plus tard). Tout autour de la Pangée s’étend un océan unique nommé Panthalasa et une mer intérieure, la Paléothetys.
L’érosion qui accompagne les bouleversements géologiques et la luxuriance, voire l’opulence de la végétation colonisant le continent ont pour principale conséquence de faire considérablement baisser le taux de CO2 de l’air et, du même coup, la température globale de la planète : celle-ci s’ajuste en fonction de la latitude, les terres du pôle sud se couvrant de glace.
Ces différences de température vont avoir pour effet de permettre le développement d’arbres à feuilles caduques dans les zones tempérées tandis que les grandes forêts houillères s’étendent tout au long de l’équateur. Dans les zones tempérées, les fougères aux feuilles à sporanges (c'est-à-dire des organes plus ou moins cachés contenant les spores) se voient concurrencées par d’autres espèces de fougères dont les feuilles portent des graines mieux protégées (par un ovaire) et plus facilement accessibles, notamment par les insectes pollinisateurs : c’est le point de départ des plantes à fleurs qui coloniseront secondairement la planète.
Ces changements, certes progressifs mais durables, vont bien sûr également concerner la faune.
La faune du carbonifère
Dans la mer, la vie est particulièrement animée avec notamment une grande activité des coraux, qu’ils soient coloniaux ou solitaires. Les brachiopodes (animaux à coquilles bivalves) ont également un succès évolutif certain (il n’en reste aujourd’hui que quelques espèces relictuelles, c’est-à-dire peuplant un habitat restreint où ils sont peu concurrencés). La Paléothétys est également peuplée par des animaux présents depuis le début du paléozoïque (et qui subsistent encore aujourd’hui avec succès) : les échinodermes tels étoiles et concombres de mer, oursins, etc. Ces animaux dont l’apparition remonte à – 525 millions d’années (voire plus avant encore) se sont finalement peu transformés depuis le carbonifère où ils prospèrent : les scientifiques
évoquent environ 13 000 espèces aujourd’hui éteintes contre 7 000 encore bien présentes. De la même façon, les mollusques (moules, coques, huîtres, etc.) se développent à cette époque de manière satisfaisante. En revanche, les trilobites, ces arthropodes marins qui existent depuis le cambrien (- 540/ - 485 Ma) commencent à décliner : ils disparaitront définitivement lors de l’extinction de masse du permien (- 250 Ma). Signalons enfin la présence et le développement des requins, existant depuis le dévonien mais qui présentent alors des formes plutôt étranges à l’instar des requins-enclumes…
C’est sur terre que le carbonifère réserve quelques surprises : il grouille de vie ! On y trouve toutes sortes d’habitants, à commencer par les insectes déjà présents à la période précédente : le sol est le terrain de chasse de mille-pattes, de scorpions, de toutes sortes d’araignées qui se faufilent entre fougères géantes et premiers conifères tandis que planent au dessus de ce petit monde une foule d’insectes ailés. C’est à cet univers assez surprenant que nous allons à présent nous intéresser.
Le monde des insectes géants
Jusqu’à récemment, les scientifiques étaient d’accord pour affirmer que les insectes vivant au carbonifère étaient des géants comparés à ceux d’aujourd’hui et que leur transformation au fil des temps géologiques étaient allée vers leur rapetissement. C’est sûrement vrai pour certains d’entre eux comme on le verra par la suite. Toutefois, croire qu’il s’agit là d’une règle absolue semble illusoire à la lumière des découvertes récentes. En réalité, de très petits insectes prospéraient également à cette période et il aura fallu bien du temps pour s’en convaincre.
Il est vrai que la diversité des insectes encore aujourd’hui est telle que les experts scientifiques sont dans l’incapacité de les compter. À ce jour, on a décrit environ un million d’espèces différentes mais on estime qu’il en existerait probablement dix fois plus, une grande partie d’entre elles étant présente dans les canopées des grandes forêts tropicales, notamment amazonienne. Il est même suggéré que, une extinction de masse étant actuellement en cours en raison de la présence délétère de l’Homme, la plupart de ces espèces auront disparu avant même d’avoir été identifiées.
Mais des insectes géants existaient bien au carbonifère et ils étaient très certainement effrayants pour nos cerveaux plutôt habitués à des insectes de taille (généralement) relativement modeste. Imaginez : survolant marais, étangs et cours d’eau, ou bien cachés dans les fougères et les arbres primitifs, ces géants pourchassaient, tuaient et dévoraient tout ce qui bougeait, y compris leurs propres congénères. Citons sommairement quelques uns des plus célèbres :
Meganeura Monui est probablement l’insecte le plus emblématique du carbonifère. Il s’agit d’une libellule géante dont l’envergure pouvait dépasser les 70 cm pour un poids de 150 grammes. Disons pour fixer les esprits que cette libellule avait une carrure digne d’un goéland ou d’un faucon. Elle affichait un abdomen particulièrement allongé et possédait quatre grandes ailes renforcées par des nervures et fixées à angle droit à son thorax. Ses six pattes articulées étaient recouvertes d’épines pour accrocher ses victimes. Sa tête était dotée d’yeux énormes susceptibles d’observer autour d’elle à 360° et s’ornait également de pièces buccales destinées à mordre. Après avoir repéré une proie, les scientifiques ont calculé qu’elle pouvait fondre sur elle à la vitesse prodigieuse de 70 km/h car, contrairement aux libellules actuelles qui chassent « postées », elle attaquait en vol. Elle n’avait d’ailleurs que l’embarras du choix tant la terre était grouillante de vie : cafards, blattes, punaises, cigales, scarabées, moustiques, guêpes, termites, fourmis, petits reptiles, etc. Le bourdonnement permanent de l’atmosphère devait être assourdissant si l’on en juge par une anecdote rapportée par Darwin lui-même : il raconte que lors de son périple à bord du Beagle, il fit escale dans la baie de Rio de Janeiro, alors encore peu habitée. Le bateau mouilla à plusieurs encablures de la rive, donc loin du rivage, et pourtant le naturaliste anglais eut du mal à dormir tant un bourdonnement continu dominait tous les autres bruits naturels. Il s’agissait du bruissement de la vie nocturne des nombreux insectes, bruissement parait-il encore plus intense le jour. Et on était au XIXème siècle : on imagine aisément ce que cela devait être au carbonifère !
Rampant dans les sous-bois des forêts tropicales de la fin du carbonifère (et du début du permien, l’époque suivante), Arthropleura était un gigantesque mille-pattes. Qu’on en juge : il pouvait atteindre 2 m de long (voire un peu plus) pour une largeur de 50 cm ! Heureusement pour ses contemporains, il était herbivore, du moins si l’on s’en réfère aux traces de pollen découvertes dans son tube digestif fossilisé. Toutefois, la présence de deux pinces situées sur le devant de son corps et d’une très puissante mâchoire laisse encore planer un doute…
Megarachne, quant à elle, comme son appellation l’indique, relève plutôt de la famille des arachnides. D’ailleurs, lors de la découverte de son fossile, les scientifiques pensèrent tout simplement avoir mis au jour la plus grande araignée ayant jamais existé sur Terre. En réalité, l’animal est à présent classé comme un euryptide, c’est-à-dire plutôt un animal marin se rapprochant des scorpions de mer. C’était néanmoins un être impressionnant car d’une longueur de 35 cm avec une distance de 60 cm entre les pattes supérieures. À titre de comparaison, une des araignées actuellement parmi les plus grosses du monde est la tarentule Goliath mangeuse d’oiseaux dont la taille avoisine les 30 cm tandis qu’elle possède des crocs de 2,5 cm. On peut également citer, vivant dans les forêts tropicales d’Amérique du sud, la femelle Theraphosa (30 cm d’envergure pour un poids de 170 grammes) qui, outre ses crocs pouvant occasionner une très forte douleur chez l’Homme, est capable de lancer des poils urticants entraînant de fort douloureuses démangeaisons. Quoi qu’il en soit, au carbonifère Megarachne occupait le sommet de la prédation (seule Meganeura décrite plus haut avait une taille susceptible de rivaliser avec la sienne). Elle ressemblait effectivement à une araignée géante (d’où l’erreur des premiers observateurs) en raison de la forme de sa carapace, de son abdomen sphérique et de ses yeux circulaires de 15 mm, engoncés entre deux autres yeux, au centre de sa tête. On ne sait pas si son corps était recouvert de poils comme celui d’une mygale.
Au cours des âges géologiques, il existe peu de cas relevant d’un gigantisme aussi absolu. Nous avons déjà évoqué la course au gigantisme représentée par l’apparition d’une classe spéciale de dinosaures, les sauropodes (voir le sujet : la tentation du gigantisme) mais le contexte était bien différent. Quelles peuvent être les explications d’un tel phénomène au carbonifère ?
Pourquoi des insectes géants au carbonifère ?
L’explication longtemps avancée par les scientifiques concerne le taux d’oxygène dans l’atmosphère de cette époque. Aujourd’hui, celui-ci est voisin de 21% (et a d’ailleurs tendance à baisser imperceptiblement) contre 35 % à l’époque que nous évoquons. Ce taux élevé était la conséquence des milliers d’années précédents où, comme nous l’avons déjà dit, les arbres ont peu à peu reconstitué le stock d’O2mis à mal lors de l’extinction dévonienne. Or, araignées et insectes ont besoin de beaucoup d’oxygène pour grandir et il est vrai que, par la suite, la raréfaction des forêts et la chute concomitante du taux d’oxygène ont certainement eu raison du mille-pattes Arthropleura, voire peut-être aussi de Megarachne qui devait étouffer avec un taux d’oxygène progressivement réduit.
Il existe pourtant d’autres raisons. Ces insectes géants, on l’a vu, occupaient le haut de l’échelle de prédation puisque leur taille était un avantage décisif : nourriture abondante, taux d’oxygène maximal et aucun prédateur réel expliquent leur succès adaptatif. Jusqu’à l’apparition des vertébrés qui, venus de la mer, colonisèrent progressivement les terres. Or, les reptiles planeurs puis volants firent leur apparition et ils chassaient les mêmes proies. La concurrence devint féroce. Enfin, dernier changement et non des moindres, l’apparition des précurseurs des plantes à fleurs autour des étangs et des lacs où se développaient les libellules géantes entraînèrent un changement complet de l’écosystème. Tous ces éléments conjugués furent fatals aux derniers insectes géants…
Il est intéressant de constater que la Vie, toujours, partout, essaie de se frayer un chemin et qu’elle est opportuniste. Les insectes du carbonifère ont accru leur taille – et donc leur indice de prédation – en profitant de circonstances particulières qui ne se sont jamais reconstituées par la suite et c’est la disparition de ces facteurs favorisants qui précipita leur chute. On retrouve là le hasard mélangé à un certain déterminisme, ce que le paléontologue Stephen J. Gould résumait sous le terme de contingence. Quelques dizaines de millions d’années plus tard, après des débuts plutôt modestes, d’autres populations animales allaient également profiter de circonstances favorables et occuper l’espace alors laissé vacant : les dinosaures dont le règne s’étalera sur plus de 160 millions d’années.
Les origines de la vie sur Terre demeurent incertaines. Difficile de dire exactement où cette vie est apparue, ni quand. Notre bonne vieille Terre est âgée d’environ 4,5 milliards d’années, l’âge du système solaire, et c’est au bout d’environ 500 millions d’années qu’il semble que soient apparues les premières cellules susceptibles de donner un être vivant. On sait que les plus anciens fossiles de micro-organismes sont âgés d’environ 3,5 milliards d’années, certaines études allant même jusqu’à affirmer qu’un âge de plus de 4 milliards d’années serait plus près de la réalité. Cette époque si lointaine, ces premiers 500 millions d’années, sont appelés l’hadéen (première partie du précambrien) par les scientifiques et c’est probablement vers la fin de cette phase qu’est apparu celui qui allait devenir l’ancêtre de tous les êtres ayant vécu et vivant encore sur Terre.
Lorsqu’on observe attentivement une forêt tropicale, ou même un simple étang de nos régions tempérées, on est frappé par la diversité du vivant, par la profusion d’espèces qui, pour la plupart, partagent un écosystème sans jamais se rencontrer vraiment, cette possibilité n’étant donnée qu’aux couples prédateurs-proies. Tout ce monde grouillant de vie provient donc d’un même ancêtre et, au fil du temps (des centaines de millions d’années, si difficiles à comprendre pour nos cerveaux qui ont du mal à seulement intégrer quelques milliers d’années), la sélection naturelle, en fonction des changements de milieu, a progressivement modelé la Vie. L’immense majorité des espèces qui, à un moment ou à un autre, a peuplé notre planète, a, à présent, disparu, emportée par le hasard d’un élément contraire auquel elle n’a pas su ou pu s’adapter.
L’homme est un des animaux survivants aujourd’hui mais son apparition sous sa forme actuelle ne s’est évidemment pas faite d’un seul coup. Tout au contraire, il aura fallu bien des évolutions, bien des formes intermédiaires et bien des hasards pour en arriver à la situation présente. Je me propose de revenir sur les principales étapes qui ont permis, depuis le premier ancêtre commun, à Homo sapiens d’être ce qu’il est. Les étapes retenues sont au nombre de treize et, à chacune d’entre elles, la branche qui conduira à Sapiens s’est séparée d’autres représentants du monde vivant que nous évoquerons succinctement.
Étape 1 : l’homme est un eucaryote (- 2 milliards d’années)
Eucaryote signifie « ceux qui possèdent un véritable noyau » par opposition aux procaryotes que sont bactéries et archées, autrefois nommées archéobactéries. Ces eucaryotes (mono ou multicellulaires) ont pour caractéristiques principales de posséder un noyau contenant de l’ADN, porteur des caractéristiques génétiques. Ils peuvent se diviser (mitose) et se reproduire (pour la grande majorité au moyen d’une reproduction sexuée). À ce titre, l’homme est un eucaryote, tout comme les champignons et les plantes.
Étape 2 : l’homme est un métazoaire (- 900 millions d’années)
Le terme de métazoaire correspond aux animaux et, puisqu’il est l’un d’eux, l’homme est un organisme multicellulaire capable de se nourrir de constituants organiques préexistants (on parle alors d’hétérotrophie). Du coup, plantes et champignons sont ici exclus. Il est à noter qu’il aura fallu plus d’un milliard d’années pour voir apparaître ce type d’organismes, une période si longue qu’elle est impossible à concevoir réellement pour l’esprit humain.
Étape 3 : il est également un bilatérien (- 700 millions d’années)
Comme la plupart des animaux, l’homme présente uns symétrie bilatérale, c’est-à-dire qu’il possède un côté droit et un côté gauche. C’est à ce stade que l’ancêtre de l’homme se sépare des animaux qui ne sont pas bilatériens comme les éponges et les méduses.
Étape 4 : … un vertébré (-600 millions d’années)
100 millions d’années plus tard apparaissent les vertébrés. Ces animaux sont dotés d’un squelette osseux ou cartilagineux qui assure une certaine rigidité à leur organisme. Leur
colonne vertébrale est l’endroit où est protégé le système nerveux central. Il s’agit évidemment d’une évolution majeure, résolue différemment par d’autres bilatériens comme les arthropodes (insectes, arachnides, crustacés) qui possèdent une carapace, les mollusques affublés quant à eux d’une coquille ou bien restent dépourvus de parties dures comme les vers. Il est à noter que les arthropodes sont de loin ceux qui possèdent le plus d’espèces et d’individus dans le monde du vivant : à titre d’exemple, les insectes sont approximativement au nombre de 1019 soit 10 milliards de milliards…
Étape 5 : … un tétrapode (-350 millions d’années)
Il y a 350 millions d’années environ (une époque appelée le dévonien), une nouvelle différenciation va voir le jour avec l’apparition d’individus dotés de quatre membres par opposition aux poissons (pourtant vertébrés comme eux) dont ils se différencient. Font également partie de cette superclasse tétrapode : les reptiles, les dinosaures et les oiseaux. Ces tétrapodes ont une particularité : ils utilisent souvent une respiration pulmonaire qui est la conséquence (ou l’origine) de leur passage depuis la mer à la terre ferme, une des colonisations du vivant parmi les plus importantes de son histoire.
Étape 6 : … un amniote (- 310 millions d’années)
Quelques millions d’années encore et la sélection naturelle va permettre le choix d’un avantage sélectif très important : la protection de l’embryon, futur être vivant à naître. Jusque là, il était pondu dans l’eau, milieu évidemment à risques. Dorénavant, une nouvelle enveloppe – utérus ou coquille – va le protéger du monde extérieur bien qu’il se développe toujours en milieu aqueux.
Les amniotes sont des tétrapodes qui, grâce à cet acquis essentiel, peuvent réellement s’émanciper du milieu aquatique à la différence, par exemple, des grenouilles qui continuent à pondre dans l’eau. Différents groupes d’amniotes coexistent mais ce sont les dinosaures qui vont bénéficier d’une radiation évolutive, c’est-à-dire d’une évolution rapide et dominante à partir d’un ancêtre commun conduisant à un foisonnement d’espèces différentes sur l’ensemble du globe.
Étape 7 : … un mammifère (- 100 millions d’années)
L’Homme fait partie des mammifères mais, à cette époque lointaine, ceux-ci vivent chichement : en raison de la domination sans partage des grands sauriens, ils sont
réduits à la portion congrue, sortes de petits rats insectivores essentiellement nocturnes : leur explosion radiative surviendra plus tard. Ils possèdent un certain nombre de caractéristiques qui leur seront très utiles par la suite : un système nerveux central, notamment encéphalique, relativement développé par comparaison avec les autres groupes, une température interne constante, énorme avantage lors des changements météorologiques (ensoleillement), un cœur possédant quatre cavités ce qui permet de mieux réguler l’oxygénation de l’organisme et leurs femelles ont des mamelles (d’où leur nom).
Étape 8 : … un euthérien (- 74 millions d’années)
Les mammifères se divisent eux-aussi en sous-groupes, notamment celui des mammifères thériens qui regroupe les mammifères placentaires (auquel appartient l’Homme) et les mammifères marsupiaux, par opposition aux monotrèmes comme l’ornithorynque (mammifère pondant des œufs). Est appelé euthérien le groupe des mammifères placentaires qui protègent leur descendance jusqu’au stade de juvénile tandis que les marsupiaux (ou métathériens) ont des petits qui naissent bien plus tôt (au stade de larves dont le développement reste à faire en dehors du corps de la mère ce qui est moins protecteur). Dans un sujet déjà évoqué, nous avions d’ailleurs vu que, à chaque fois que les mammifères placentaires et marsupiaux se sont affrontés pour la possession d’un territoire, ce sont les placentaires qui ont pris le dessus, éliminant leurs rivaux assez rapidement. A l’exception notable du continent australien qui ne fut jamais (du moins jusqu’à très récemment) colonisé par les placentaires.
Étape 9 : … un primate (- 30 millions d’années)
Les primates (de « premier ») forment un groupe au sein des mammifères placentaires. Il regroupe les petits singes, les lémuriens et les grands anthropoïdes dont certains donneront homo sapiens. Au début, ces primates étaient essentiellement arboricoles avant de recourir à la bipédie. Un primate est un plantigrade en ce sens qu’il marche sur la plante (toute la plante) des pieds et qu’il possède un pouce opposable. Son cerveau est développé et on cherche encore à savoir dans quelle proportion ce développement est à mettre au compte de la bipédie qui aurait libéré ses bras et notamment ses mains. Les lieux de prédilection des primates sont les régions tropicales ou subtropicales (seul l’homme moderne arrivera à coloniser tous les continents mais ce sera bien plus tard). Certains caractères leur sont propres comme le développement de la vision stéréoscopique et, pour certains, trichromatique (avec trois couleurs de base) au détriment de l’odorat qui est pourtant le système sensoriel dominant chez les mammifères.
Les primates présentent également un dimorphisme sexuel ce qui veut dire que mâles et
femelles diffèrent par la corpulence, la taille des canines voire la coloration mais le trait essentiel de ces animaux, c’est la présence d’un plus gros cerveau comparativement à celui des autres mammifères. Signalons enfin, un trait qui a son importance : le développement des primates est plus lent que celui des autres mammifères ce qui sous-entend qu’ils seront matures plus tard (handicap ?) mais avec comme compensation une durée plus longue de vie.
Étape 10 : … un hominoïde (- 20 millions d’années)
Les premiers singes africains datent d’environ 40 millions d’années contre 45 pour les plus anciens connus découverts en Chine. Il est encore difficile de comprendre dans quel sens est survenue cette migration. Ce n’est que plus tard que ces singes coloniseront les Amériques. Il y a 35 millions d’années, à la limite éocène-oligocène, une importante chute des températures se produit (environ 5 à 6° sur une durée de 500 000 ans ce qui est rapide à l’échelle de l’histoire de la Terre). Surnommée « la grande coupure » ce changement relativement brutal survient alors que la période précédente - qui avait duré plus de 25 millions d’années - avait été une des périodes les plus chaudes de l’ère géologique Ce changement climatique a forcément des conséquences sur la faune et la flore bien que celles-ci soient difficiles à retracer exactement. Le refroidissement va durer une dizaine de millions d’années avant qu’un climat plus favorable aux primates s’établisse, avec notamment l’émergence d’une nouvelle superfamille, les hominoïdes. C’est le nom qui est donné par les scientifiques à de grands singes se différenciant des autres singes par la perte de leur queue. Cette famille comprend les gibbons, les orangs-outans, les gorilles, les chimpanzés et les humains.
Étape 11 : … un hominoïdé (- 16 millions d’années)
Hominoïdés : c’est ainsi que l’on nomme le groupe précédent une fois qu’en ont été retirés les gibbons il y a 16 millions d’années ; ceux-ci diffèrent notablement des autres grands singes par leur taille plus petite, leur mode de vie arboricole pur avec usage d’un mode de locomotion par balancement d’un arbre à l’autre (brachiation) et ce, grâce à leurs très longs bras.
Étape 12 : … un hominidé (- 9 millions d’années)
Lors de cette étape, ce sont les orangs-outangs (pongidés) qui sont séparés de la lignée principale des grands singes anthropomorphes (et donc du genre homo). Ne restent que chimpanzés, bonobos, gorilles et humains (au sens large du terme = homo). Durant très longtemps, les scientifiques influencés par leur époque ont cherché à séparer les grands singes anthropomorphes et l’Homme : pour des raisons philosophiques et religieuses, il ne paraissait alors pas possible de considérer l’Homme comme un grand singe dont le cerveau était simplement un peu plus développé que celui des autres grands singes. Heureusement, ces préjugés sont aujourd’hui abandonnés.
Tous les spécialistes ne sont pas encore d’accord pour exclure les orangs-outangs du groupe des hominidés mais une chose est certaine : l’homme est bien un hominidé.
Étape 13 : … un homininé (- 7 millions d’années)
C’est la dernière grande séparation du genre humain avec des espèces réellement
différentes, en l’occurrence, ici, les gorilles. Sous-famille de la famille des hominidés, les homininés comprennent parmi les espèces survivantes les chimpanzés et les bonobos. De nombreuses espèces disparues relèvent également de cette sous-famille comme les australopithèques, les paranthropes, les ardipithèques ainsi que des fossiles encore à classer (Toumaï, Orrorin). Et, bien sûr, toutes les familles d’homo dont une seule a survécu : sapiens. Suite à la disparition de Neandertal, des hommes de Denisova et de Florès et (avant eux homo habilis, erectus, etc.), c’est curieusement les chimpanzés et les bonobos qui, quoique cousins relativement éloignés, sont nos plus proches parents.
Dans ce groupe des homininés, n’importe quel observateur peut s’apercevoir des importantes différences existant entre un chimpanzé et un homme. D’ailleurs, ce dernier pratique une bipédie exclusive et, en sus d’un langage compliqué lui permettant de bâtir des concepts abstraits, son cerveau lui a permis de disposer d’outils de plus en plus élaborés. Néanmoins, d’un point de vue purement génétique, homo sapiens partage plus de 98% de ses gènes avec le chimpanzé (et 99,4 % si l’on ne retient que les 97 gènes fonctionnels des deux espèces).
Un long cheminement
Pour en arriver à l’homme d’aujourd’hui et à sa domination sans partage sur la planète, il aura fallu du temps, beaucoup de temps. D’un organisme formé de quelques cellules agissant en synergie, on est arrivé aujourd’hui à la coexistence d’individus infiniment plus compliqués. Cette complexification s’est faite sous l’influence de la sélection naturelle, c’est-à-dire par ajustements progressifs aux variations de milieu, ces dernières étant le fruit du hasard. Certaines espèces n’ont pas pu s’adapter, soit qu’elles n’en portaient pas en elles la possibilité, soit que les transformations de leur écosystème apparurent trop vite pour qu’elles puissent réagir. Chaque fois, cette disparition, puisqu’elle laissait un vide, a été comblée par l’arrivée d’une autre forme de vie, dans une sorte de ballet sans cesse renouvelé.
Vers la fin de sa vie, Darwin qui avait durant tant d’années réfléchi à la question, était arrivé à la conclusion que l’évolution de la Vie quelle qu’en soit la forme était sur Terre la conséquence de hasards multiples : catastrophes naturelles, volcanisme, glaciations, etc. De ce fait il ne croyait pas au progrès (si en vogue à l’époque) et ne pensait pas que la complexification évoquée plus haut était synonyme d’amélioration. D’ailleurs, nombre de formes de vie du passé et aujourd’hui disparues étaient aussi complexes et élaborées que les formes vivant de nos jours (si ce n’est plus).
Dans le même ordre d’idée, si l’apparition d’homo sapiens est essentiellement due au hasard, il ne saurait être question de le considérer comme un but évolutif (comme certains
ont, peut-être par un orgueil mal placé, trop souvent tendance à le croire). L’homme moderne n’étant certainement pas un achèvement, d’autres étapes sont susceptibles d’intervenir avec l’apparition de formes de vie mieux adaptées aux changements de milieu (ceux-ci étant cette fois peut-être induits par le seul homo sapiens).
Ces modifications majeures de notre cadre de vie commun – la Terre et ses ressources épuisables – se font malheureusement à la vitesse de l’éclair, sans que les espèces peuplant notre monde n’aient probablement le temps biologique nécessaire pour s’adapter. Nous évoquions un peu plus haut les conséquences considérables de la perte de 5°C en 500 000 ans à la fin de l’éocène, il y a 35 millions d’années, et voilà que certains scientifiques évoquent l’augmentation actuelle de 3°C en … cinquante ans ! Les chiffres sont sans appel.
La sixième grande extinction de masse des formes vivantes n’a-t-elle pas déjà commencé ?
Le mot « dinosaure » a été formé à partir du grec ancien δεινός / deinόs (« terriblement grand ») et σαùρος / saûros (« lézard »). C’est dire que, dès la découverte des premiers fossiles de ces animaux, les scientifiques avaient avant tout suspecté une relation entre eux et les reptiles. D’ailleurs, ces bêtes énigmatiques pour l’époque étaient également appelés « grands sauriens », saurien désignant un reptile comme le lézard ou le caméléon. Il faut dire que les squelettes immenses, parfois reconstitués avec difficulté, « donnaient l’impression » de rappeler quelque part la classe des reptiliens. On ne possédait alors pas d’éléments décrivant l’aspect extérieur des dinosaures, s’ils portaient des écailles ou des plumes, quels étaient leurs comportements réels, etc. Aujourd’hui, notamment avec les extraordinaires fossiles récemment mis au jour en Chine, on en sait un peu plus et le problème de l’origine des grands sauriens semble plus complexe que prévu…
Les différentes lignées de dinosaures
Peu après leur apparition il y a 225 millions d’années, les
dinosaures se séparent en deux branches : les saurischiens et les ornithischiens. La différence entre ces deux groupes est d’ordre anatomique : les premiers, les saurischiens (herbivores ou carnassiers), ont un bassin de lézard (pubis orienté vers l’avant) tandis que les ornithischiens (herbivores) ont un bassin comme celui des oiseaux (pubis vers l’arrière) d’où leur autre nom d’avipelviens. Les saurischiens se divisent à leur tour en deux familles différentes, les sauropodes (herbivores)
et les théropodes (carnassiers). Or - et c’est ici que se situe un paradoxe - on est pratiquement certain aujourd’hui que les oiseaux, seuls descendants des dinosaures, se sont formés à
partir des théropodes (les dinosaures qui avaient primitivement un pubis de lézard) : nous aurons l’occasion d’y revenir.
Première piste : l’archéoptéryx, oiseau archaïque ?
Le premier fossile d’archéoptéryx a été découvert en 1876 en Allemagne (plus précisément sur le site de Blumenberg près de Eichstätt). D’emblée, il pose un problème aux scientifiques puisqu’ils s’interrogent : a-t-on affaire à un oiseau très archaïque ou encore à un dinosaure volant à plumes ? Quelques « spécimens » supplémentaires plus tard, il semble bien que nous soyons face à un animal de transition entre dinosaures et oiseaux. Ayant vécu à la fin du Jurassique, il y a environ 150 millions d’années, archéoptéryx était semble-t-il capable de voler mais s‘agissait-il d’un simple vol plané (en s’élançant par exemple d’un arbre ou d’une hauteur) ? Des études récentes (2017) semblent prouver qu’il était capable de battre des ailes
pour voler, probablement pas à la manière des oiseaux actuels mais plutôt comme les nageurs de brasse-papillon. Son anatomie lui interdisait également de décoller comme les oiseaux modernes mais, après tout, de nos jours, c’est aussi le cas de l’albatros qui arrive pourtant bien à quitter le sol après une course parfois approximative…
Archéoptéryx était couvert de plumes dont on a récemment démontré qu’elles étaient noires. Il possédait nombre de caractères le rapprochant des dinosaures théropodes comme, entre autres, des ailes pourvues de trois doigts griffus, un museau « très dinosaurien », une mâchoire avec des alvéoles renfermant des dents pointues, loin évidemment des becs cornus des oiseaux actuels.
La paléontologie chinoise, en plein essor grâce à des sites de fossiles à la conservation remarquable, a récemment apporté une réponse avec la découverte de nouveaux spécimens d’archéoptéryx et apparentés (anchiornis). Les scientifiques purent ainsi mettre en évidence chez ces individus le museau assez plat et des régions postérieures aux orbites assez étendues : absents chez les oiseaux, ces caractères morphologiques sont ceux que l’on connait chez les vélociraptors et autres microraptors et, de ce fait, notre archéoptéryx retrouve, 150 ans après sa découverte, son statut vraisemblable, non pas d’oiseau mais de dinosaure volant.
Les ancêtres des oiseaux : les maniraptoriens
Il y a quelques années, en cherchant à « systématiser » l’origine des oiseaux, les scientifiques se sont particulièrement intéressés à un groupe (clade) bien particulier de dinosaures
théropodes nommés maniraptoras (« mains préhensiles ») qui vivaient au Jurassique et au Crétacé (et qui incluait les vélociraptors). Pourquoi ? parce que ces dinosaures présentent des caractéristiques très particulières qui, comme on va le voir, les rapprochent de ce que deviendront les oiseaux.
* les maniraptoriens ont de longs bras et mains, des plumes, une queue raide et un pubis allongé pointant vers l’arrière (caractéristique des oiseaux)
* leur système respiratoire est porteur de propriétés typiquement aviaires. Pour comprendre, revenons un instant sur la manière de respirer des oiseaux. Ceux-ci ne respirent pas comme les mammifères : l’air entre de façon continue dans leurs poumons dont la structure est capillaire et non alvéolaire. Pas d’alvéoles, certes, mais des sacs aériens dont certains s’infiltrent dans les os (qui sont creux ce qui allège considérablement le vol). Au repos (et durant le sommeil), les poumons varient en amplitude mais sont bloqués durant le vol. Cette synergie poumons-sacs aériens autorise les énormes besoins en énergie demandés par le vol. De plus, le système permet également une température corporelle constante, plus élevée que chez les mammifères. Eh bien, les maniraptoriens sont les seuls dinosaures possédant un système respiratoire voisin (bréchet et sternum étant remplacés par des côtes supplémentaires dans leur abdomen).
* les plumes : les rémiges (grandes plumes des ailes des oiseaux aussi appelés pennes) ont été identifiés chez certains maniraptoriens (dont les vélociraptors, n’en déplaise à « Jurassic Park »). Or, la plupart de ces dinosaures ne volaient pas ce qui laisse supposer une fonction différente pour les plumes : camouflage probablement, sélection sexuelle, peut-
être, comme on l’a déjà noté dans ce blog pour bien des oiseaux ou, plus simplement encore, protection contre la perte de chaleur ce qui laisserait alors supposer qu’ils étaient homéothermes, qu’ils avaient le sang chaud. Du coup, la réutilisation ultérieure des plumes pour une autre fonction (le vol) est ici une exaptation, c’est-à-dire, selon Stephen J. Gould, une adaptation sélective différente de la fonction initialement prévue.
Les arguments en faveur de la transformation d’un sous-groupe de théropodes, les maniraptoriens, en oiseaux semblent donc assez solides.
Des dinosaures…
Le règne des dinosaures a pris fin, au crétacé, il y a 66 millions d’années lorsqu’un astéroïde gigantesque vint frapper la presqu’île du Yucatan, au Mexique, et supprima la presque totalité de la vie de notre planète : ces animaux auront donc exercé leur supériorité sur le reste du vivant durant plus de cent-soixante millions d’années. 160 millions d’années ! Voilà un chiffre qui n’est pas facile à visualiser lorsqu’on a déjà du mal à comprendre ce que représente sur Terre la présence de l’homme moderne, un peu plus de 5000 ans. On peut dire autrement : l’homme moderne a vécu 0,003% de la durée de la présence des dinosaures sur Terre… Ce rappel des durées immenses qui nous séparent du crétacé n’est pas anodin : il permet de concevoir comment, peu à peu, sous la pression de la sélection naturelle, d’avantages sélectifs en avantages sélectifs, certains dinosaures ont pu se perpétuer en changeant totalement de forme pour devenir le groupe abondant et diversifié des oiseaux.
…aux oiseaux (petit rappel)
Les oiseaux forment la classe des Aves. Ce sont des animaux
vertébrés, à quatre membres dont deux sont des ailes ce qui permet (pour l’immense majorité d’entre eux) le vol. En 66 millions d’années (depuis la météorite de la fin du crétacé), ils ont eu le temps d’apparaître, de s’adapter et de se diversifier puisqu’on compte près de 10 500 espèces d’oiseaux recensées (en 2016).
Ils possèdent en commun, à différents degrés variés, des plumes ou des écailles cornées (ou les deux), une mâchoire dépourvue de dents (contrairement à l’archéoptéryx) mais enveloppée d’une gaine cornée formant un bec, une queue courte et, surtout, des membres antérieurs transformés en ailes (le
plus souvent fonctionnelles mais pas toujours) ainsi que des pattes arrières qui sont seules à permettre la progression au sol ou dans l’eau. Ils sont par ailleurs homéothermes. Enfin,
caractère à ne pas oublier, ils sont tous ovipares ce qui veut dire qu’ils pondent des œufs entourés d’une fine coquille que les parents devront couver un certain temps pour assurer le développement de leur progéniture.
Une transformation aviaire sur une très longue durée
Longtemps on a cru que, dans le règne animal, les oiseaux étaient une sorte d’intermédiaire entre les reptiles et les mammifères.. On sait aujourd’hui qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse qui arrangeait notre ignorance. La phylogénétique moléculaire nous apprend que le groupe actuel le plus proche de celui des oiseaux est le groupe des crocodiliens.
La paléontologie laisse supposer, avec, on l’a dit, des arguments plutôt convaincants, que ce sont en fait des dinosaures théropodes qui ont donné naissance aux oiseaux, et plus particulièrement le groupe des maniraptoriens (voir plus haut dans le texte).
Une discipline spécialisée de la biologie évolutive appelée néontologie a étudié l’anatomie comparée des oiseaux pour en déterminer l’évolution récente et ses conclusions vont dans le même sens. De son côté, la cladistique (qui est, rappelons-le, la reconstruction des relations de parentés entre les êtres vivants au moyen de « cellules » appelées clades dans lesquels les individus retenus sont plus apparentés entre eux qu’avec n’importe quel autre groupe) a également conclu que les oiseaux sont bien issus des dinosaures théropodes.
La transformation dinosaures-oiseaux s’est faite au cours des millions d’années qui nous séparent du crétacé et, comme pour les humains, il n’y a pas de chaînon manquant (voir l’article : le mythe du chaînon manquant). Cela veut dire que, progressivement, avec parfois des retours en arrière et des
périodes de stase, de plus en plus de caractéristiques aviaires sont apparues chez des dinosaures de moins en moins « sauriens ». Une fois l’essentiel réuni, lorsque les propriétés anatomiques principales des oiseaux furent suffisamment présentes, ce fut une explosion évolutionnaire et la diversification que nous connaissons. Comme pour les humains donc, il n’y a pas un « ancêtre » commun à tous ces oiseaux mais des espèces et des individus porteurs progressivement de plus en plus de caractéristiques aviaires. Cette « aviarisation » de certains dinosaures théropodes a commencé bien avant la catastrophe du crétacé et a permis à cette branche très particulière de résister à la grande extinction qui emporta tous leurs cousins. Ce que l’on ne sait pas, en revanche, c’est la raison de cette survie lors de la catastrophe : simple bonne fortune donc hasard ou déjà adaptation à des circonstances nouvelles ? On pourrait se poser la même question pour d’autres survivants (je pense par exemple aux crocodiliens).
Les grands sauriens ont, durant des millions d’années semble-t-il, bridé l’expansion des mammifères et il aura fallu attendre la disparition des plus agressifs et volumineux d’entre eux pour que cette libération se produise. Dans le même temps, on peut également avancer que d’autres dinosaures - les oiseaux - n’ont pas empêché la diffusion radiative des mammifères tout en réussissant leur occupation d’un écosystème très important. On peut en retenir que la nature est toujours une notion d’équilibre ce que certains humains, de nos jours, semblent oublier… à leurs risques et périls.
Brève 1 : les plumes avant le vol !
Depuis la découverte de dinosaures à plumes en Chine, il est établi que les oiseaux sont issus des dinosaures théropodes. Les nombreux fossiles de ces animaux révèlent que les plumes sont apparues d’abord sous forme de duvets colorés, utiles pour préserver la chaleur du corps et s’attirer l’intérêt des femelles. La capacité de voler n’est venue qu’après, au terme d’une lente et profonde modification de la morphologie des dinosaures aviens.
Zhenyuanlong est un dinosaure à plumes découvert à Jinzhou, en Chine. C’est l’un des nombreux fossiles découverts récemment qui montrent que les dinosaures théropodes ont longuement évolué avant même l’apparition de la capacité à voler.
Rendre le vol possible, séduire une femelle ou intimider un rival, retenir la chaleur corporelle, protéger les œufs pendant la couvaison… Les plumes ont tant d’usages qu’il a été difficile de comprendre quelle fut leur première fonction.
La transition entre dinosaures et oiseaux a couru sur des dizaines de millions d’années d’évolution. Elle a été si progressive qu’il n’existe pas de distinction claire entre « oiseaux » et « non-oiseaux ».
(Pour la Science, Hors-Série n°119, mai-juin 2023)
Au moment où j’écris ces lignes, le blog comprend 148 articles dont plus de 60 ont trait à la théorie de l’Évolution, la grande majorité de ces derniers concernant les mécanismes et les conséquences de ces lois. Quelques lecteurs m’ont demandé de chercher à réunir de la façon la plus synthétique possible ces différents éléments dans un article qui permettrait d’avoir une perspective plus globale de l’Évolution : c’est ce que je vais essayer de faire aujourd’hui. Je ne manquerai bien sûr pas de mentionner les références des articles plus spécialisés au fur et à mesure de l’avancée du texte.
Avant les travaux de Charles Darwin, les réponses données à la présence de l’Homme sur Terre étaient simples et rassurantes : le monde était créationniste et il était inchangé
depuis sa formation quelques milliers d’années plus tôt par Dieu ; les êtres vivants existent tels quels une fois pour toutes etrien ne peut les modifier. Jamais. Les fossiles retrouvés par hasard ? Un moyen divin de tenter l’Homme et de s’assurer de la profondeur de sa foi : même le grand écrivain que fut Chateaubriand adhérait pleinement à cette approche (« Si le monde n’eût été à la fois jeune et vieux, le grand, le sérieux, le moral, disparoissoient de la nature, car ces sentiments tiennent par essence aux choses antiques. Chaque site eut perdu ses merveilles. » Chateaubriand, le génie du Christianisme, chapitre V, jeunesse et vieillesse de la Terre). Avant lui, en 1650, James Ussher, archevêque anglican, avait même calculé que notre planète avait été créée dans la nuit précédent le dimanche 23 octobre 4004 avant J.C. (calendrier Julien).
C’est dire que Darwin savait qu’il allait profondément déranger bon nombre de ses contemporains et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il hésita de nombreuses années avant de publier son ouvrage princeps « de l’origine des espèces » (1859).
Il était pourtant sûr de lui, après avoir passé des années à observer des centaines d’espèces vivantes tant animales que végétales ; il en était arrivé à une conclusion simple et indiscutable : il existe des modifications chez les êtres vivants qui se transmettent de génération en génération et ces changements avantagent ou désavantagent ceux qui en sont porteurs de sorte que s’opère un « tri » : c’est la sélection naturelle.
On comprend aisément que, à l’époque de Darwin, des pans entiers de la science étaient totalement inconnus : Darwin, par exemple, se demandait comment les caractères apparus chez certains individus pouvaient se transmettre à ses descendants, les travaux de Mendel et la génétique étant totalement inconnus. Il faudra des décennies pour que des réponses satisfaisantes soient apportées, renforçant à chaque fois la théorie de Darwin, en la modifiant techniquement en fonction de l’avancée des connaissances… mais sans jamais en remettre en cause l’esprit.
La « révolution » darwinienne repose sur trois points…
* Le premier est facilement compréhensible : il existe un ancêtre commun (le premier être multicellulaire) à toutes les espèces vivantes et c’est à partir de lui que se sont diversifiées les espèces, parfois de façon stupéfiante (quel rapport apparent existe-t-il entre une mouche et un corail à part le fait que tous deux sont vivants ?). Puisque, par ailleurs, on peut mettre en évidence des fossiles d’êtres vivants nous ayant précédés mais disparus depuis longtemps, il faut bien que la Terre soit plus vieille que ce que l’on prétendait alors. Les travaux du géologue Lyell qui inspirèrent Darwin parlaient de centaines de millions d’années et, pour le scientifique anglais, c’était bien le minimum. Hélas, l’autorité morale en physique de l’époque qu’était Lord Kelvin avait ruiné les espérances de Darwin après avoir calculé que la Terre ne pouvait exister que depuis 20 à 40 millions d’années sinon elle serait complètement froide. Les Darwiniens étaient certains qu’il se trompait mais sans pouvoir en apporter la preuve. Il fallut attendre Rutherford et la mise en évidence de la radioactivité terrestre pour apporter une réponse : 4,5 milliards d’années ce qui est bien suffisant pour l’éclosion et le développement de la vie actuelle.
* Le deuxième point stipule que des variations lentes et progressives sont à l’origine de la transformation des espèces au cours du temps. En réalité, Darwin ne fait que reprendre ici à son compte ce que les transformistes comme Buffon, Lamarck ou Geoffroy Saint-Hilaire avaient déjà postulé en étudiant les fossiles. Il pense lui aussi que ces transformations se transmettent de génération en génération : c’est ce qu’il avait déjà noté en étudiant les espèces domestiquées par l’Homme (élevages) et qu’il retrouve dans la Nature pour les espèces sauvages quoique à un rythme bien plus lent.
* Mais ce qui fait la véritable originalité des travaux de Darwin, c’est l’introduction d’une notion fondamentale pour l’évolution des espèces : la sélection naturelle.
Inspirée de l’ économie (notamment des travaux de Malthus), la sélection naturelle explique pourquoi certains individus (et donc certaines espèces) sont favorisés par rapport à d’autres. Suite à une mutation spontanée dont l’expression est le plus souvent facilitée par une modification de l’environnement où ils vivent, quelques individus sont effectivement mieux armés pour survivre : on parle alors d’avantage sélectif. De ce fait, ils auront plus de descendants que leurs congénères « non mutés » et, peu à peu, leur population en arrivera à supplanter la population d’origine.
Cette sélection naturelle peut prendre un autre aspect : celui de la sélection sexuelle qui complète les pressions de sélections environnementales en ce sens que c’est alors la femelle (exceptionnellement l’inverse) qui va choisir le mâle porteur des gènes les plus favorables selon des critères physiques et/ou comportementaux instinctuels parfois très élaborés.
Si Darwin comprend bien qu’il existe des modifications des espèces qui s’imposent au fil du temps, il est bien incapable de comprendre par quels mécanismes, la génétique restant à son époque complètement inexistante. Pourquoi et comment l’avantage évolutif, fondement de la théorie, peut-il être transmis du parent à l’enfant ? Mystère pour l’époque.
Un autre aspect de la pensée darwinienne reste flou : celui de la notion d’espèce. L’espèce est un concept qu’on peut à la limite comprendre assez aisément de façon intuitive mais qui, d’un point de vue strictement scientifique, reste plutôt flou. Comment le définir ? Pour reprendre un exemple facile, pourquoi sait-on qu’un chihuahua est un chien et appartient donc à la même espèce qu’un Saint-Bernard et non pas à celle d’un chat dont il est morphologiquement plus proche ? L’absence de l’explication génétique est encore une fois fort perturbante.
Autre problème majeur: qu’en est-il du rythme évolutif des espèces ? Est-il lent et progressif comme le pense Darwin ou, au contraire, rapide et par à-coups ce que laisserait supposer l’absence de découverte des fossiles « intermédiaires » montrant les infimes modifications successives ? Il n’y a pas de réponse claire et les ennemis du savant anglais se font fort de le lui rappeler.
Enfin, un dernier point fait débat : la sélection naturelle porte-t-elle uniquement sur les individus ou concerne-t-elle d’autres niveaux de la Vie, comme les groupes ou même les espèces dans leur globalité ?
En ce milieu du XIXème siècle, la science n’est pas en mesure de répondre à ces questions pourtant fondamentales. Il faudra attendre le siècle suivant pour commencer à y voir plus clair.
Les progrès de la science apportent des réponses
* Les lois de l’Hérédité
C’est la connaissance de ces lois qui manqua si cruellement à Darwin mais le décryptage de la génétique ne se fit pas d’un seul coup, tant s’en faut. On peut résumer ces acquis selon quatre étapes.
Il y eut d’abord les travaux précurseurs de Mendel…
Le moine tchèque travaillait sur des pois et observa ce que donnaient les croisements des différentes espèces de ces végétaux. Vers 1850, il en tira trois lois qui expliquaient de façon précise les principes de l’hérédité biologique qui permet un transfert des caractères des parents vers les descendants
. Curieusement, la découverte par Mendel des lois de l’hérédité eurent lieu du vivant de Darwin : ce dernier avait même reçu un tiré-à-part des travaux de Mendel mais, malheureusement, il ne le lut pas. Deuxième rendez-vous manqué : Mendel vint à Londres en 1862 mais n’eut pas l’occasion de rencontrer Darwin dont il connaissait pourtant les travaux… La découverte du Tchèque, capitale, ne fut pas exploitée et tomba dans l’oubli jusqu’en 1900 où elle fut enfin reconnue.
… puis les travaux d’August Weissman, un médecin et biologiste allemand, qui consacra la plus grande partie de sa vie à démontrer l’impossibilité de la transmission des caractères acquis avant de conclure que le seul moyen de transmettre une information d’un parent à son descendant reposait sur la continuité du « plasma germinatif » ou, dit autrement, que les organismes pluricellulaires sont constitués de cellules germinales contenant l’information héréditaire (appelé aujourd’hui génome) et de cellules somatiques pour les fonctions vitales. C’était un immense pas en avant puisque prouvant le support matériel de l’hérédité.
En 1901 la notion de mutation est pour la première fois exprimée par le botaniste néerlandais Hugo de Wries qui défend alors la conception darwinienne de la sélection naturelle. Quelques années plus tard, en 1909, Wilhelm Johannsen, évoque la notion de gène et propose de la définir de manière purement opérationnelle par rapport à la combinatoire mendélienne. Il ne reste donc plus qu’à découvrir la nature physique de ces gènes dont on ignore encore tout.