Les lois de l’évolution sont souvent difficiles à comprendre, même pour ceux qui les abordent sans préjugés. Il est tout d’abord difficile pour le cerveau humain de concevoir l’extraordinaire pouvoir du temps, les centaines de millions d’années qui se sont écoulées depuis l’apparition sur notre planète des premiers organismes d’où proviennent aujourd’hui tous les êtres vivants (voir :distances et durées des âges géologiques). Il y a ensuite la complexité de certains comportements animaux dont on a peine à croire qu’ils n’ont pas été d’emblée prévus comme finalisés (nous avons souvent eu l’occasion de l’évoquer dans ce blog) (voir par exemple : comportements animaux et évolution).
À l’aide de quelques exemples, je souhaiterais souligner l’incroyable faculté d’adaptation des insectes, ces petits compagnons de notre vie sur Terre, souvent négligés par l’homme, du moins lorsqu’il n’est pas directement concerné par leur présence plus ou moins agressive.
UNE ADAPTATION INTELLIGENTE
Une physiologie très spéciale
Les insectes, avancent certains scientifiques, dominent la Terre et c’est probablement vrai si l’on considère par exemple l’omniprésence des fourmis à la surface du globe Ils ont su s’adapter aux changements de leurs conditions de vie et, bien sûr, ils n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Nous avons eu l’occasion d’écrire un article sur les insectes géants du carbonifère (voir : les insectes géants du carbonifère) qui, de nos jours paraîtraient totalement monstrueux. La diminution de la taille de ces animaux fut ici la conséquence d’un changement important dans l’atmosphère terrestre : la baisse du taux d’oxygène dans l’air ambiant. Les insectes ont donc dû s’adapter pour continuer à exister et, partant, développer des talents cachés. En voici quelques exemples :
* la petitesse extrême pour devenir (presque) invisibles et échapper aux prédateurs. C’est le cas d’une guêpe parasite minuscule (mymaridae) puisque
mymaridae
sa taille est inférieure à 2 mm, les mâles étant encore plus petits, mesurant au maximum 1,5 mm, soit le diamètre de deux cheveux. Ils vivent aux dépens d’insectes plus gros (cochenilles, punaises, etc.) qu’ils infestent pour pondre leurs œufs qui finiront par tuer leur hôte après s’en être nourri (un classique dans le mondes des insectes et assimilés).
* la déformabilité : les blattes (6000 espèces différentes) sont les championnes des introductions difficiles. Elles possèdent en effet un exosquelette qui leur permet de s’aplatir et de franchir de minuscules interstices avant, une fois sortis, de filer à la vitesse de l’éclair (cinquante fois la longueur de leurs corps par seconde ce qui, ramené à l’échelle humaine, avoisine les 800 km/h…).
* La vitesse : de nombreux insectes cherchent à échapper à un prédateur souvent bien plus gros qu’eux en développant des rapidités de déplacement qui, proportionnellement à leur taille, paraissent extraordinaires : le taon est un diptère (c'est-à-dire un insecte ne possédant qu’une seule paire d’ailes) qui peut atteindre l’incroyable vitesse en vol de 150 km/h ce qui en fait un des insectes les plus rapides. Par comparaison, une abeille peut néanmoins voler entre de 9 à 50 km/h.
Au sol, le criquet pèlerin (Shistocerca gregaria) est un champion inégalé puisqu’il peut atteindre les 35 km/h tandis que pour le vol on soulignera les prestations d’un papillon, la noctuelle du maïs (Helicoverpa zea) qui peut quant à elle atteindre 25 km/h.
* la puissance : c’est par exemple le cas du plus gros coléoptère connu, le scarabée Titanus giganteus (Les coléoptères sont des insectes dotés d'élytres, c'est-à-dire d’ailes antérieures durcies protégeant les ailes véritables). Titanus qui vit dans la forêt amazonienne, notamment en Guyane, peut atteindre près de 17 cm et ses mandibules sont assez puissantes pour casser en deux un crayon.
scarabée Titanus giganteus
* un allongement de la durée de vie : c’est le cas de la cigale (insecte hémiptère) qui passe l’essentiel de sa vie sous forme larvaire dans la Terre. Magicicada septendecim vit dans l’est des États-Unis et est appelée la cigale dix-sept ans parce que c’est exactement le temps qu’elle passe enfouie dans le sol avant de sortir, de s’accoupler puis mourir. Le but ? Dix-sept ans n’est pas le fruit du hasard, du moins à l’origine : c’est un nombre qui n’est le multiple d’aucun nombre entier et, dès lors, il est rarissime que l’année de sortie des cigales coïncide avec un pic d’abondance de ses prédateurs. Sélection naturelle à l’évidence…
* le saut en hauteur et on pense ici bien entendu aux puces et c’est effectivement la puce du chien (ctenocephalides canis) qui détient le record puisque, mesurant seulement 2 mm, elle est capable de sauter 25 cm soit 125 fois sa taille : elle se réceptionne sur ses pattes qui lui servent d’amortisseurs ce qui fait qu’elle ne se signale à son hôte que lors de sa piqure
Une morphologie adaptée
D’autres insectes survivent à leurs prédateurs grâce à leur morphologie hautement spécialisée (obtenue évidemment par des millions de générations confrontées à la sélection naturelle). Ils peuvent alors adopter des moyens de défense (ou de dissuasion) très élaborés, le plus souvent par mimétisme müllérien dont on rappelle qu’il s’agit ici pour la potentielle victime de « copier » des attributs d’espèces toxiques afin de dissuader un éventuel agresseur (voir aussi : le mimétisme, une stratégie d'adaptation). En voici quelques exemples :
* les cicadelles sont des insectes hyménoptères dont il existe de nombreuses variétés : l’une d’entre elles, la cicadelle bocydium globulare qui vit en Amazonie ressemble à une sorte de petit hélicoptère avec des appendices en forme de boules sortant de son thorax (photo en en-tête) ; les entomologistes se sont longtemps demandé quel pouvait être l’avantage évolutif d’une telle apparence avant de se rendre compte que cela la faisait ressembler à un champignon parasite et toxique, une façon efficace de décourager les prédateurs.
* la nymphe du criquet présente une couleur qui est un avertissement de toxicité pour d’éventuels prédateurs. Le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) dont on connaît les ravages qu’il commet en Afrique change de couleur pour mieux se dissimuler en phase grégaire alors que le criquet égyptien (Anacridium aegyptium) voit ses couleurs et ses motifs se modifier afin de paraître plus effrayant.
* d’autres insectes comme la punaise bijoux (Chrysocoris stollii) affiche des couleurs vives et changeantes afin de dissuader un quelconque prédateur de l’attaquer, lui signalant ainsi qu’elle est toxique et désagréable à manger. Bien d’autres insectes utilisent des artifices identiques comme les membracides, petits insectes suceurs de sève qui possèdent des excroissances sur la partie dorsale antérieure du thorax (épines, cornes, ailettes, etc.) variant suivant les espèces et pouvant les faire ressembler à des fourmis en position d’attaque, une dissuasion souvent opérante.
Un comportement spécialisé
Outre leur morphologie, les insectes ont su découvrir des comportements adaptés que nous trouverions certainement abominables dans nos sociétés mais qui leur permettent de survivre dans le petit monde terrifiant qui est le leur.
mante religieuse
* le cannibalisme : tout le monde connaît le cannibalisme de la mante religieuse, cannibalisme sexuel au demeurant puisqu’il survient lors de l’accouplement : la femelle dévore le mâle en commençant par la tête puis en grignotant un ganglion nerveux qui « stimule » l’activité sexuelle de ce qui reste de son compagnon. En se laissant dévorer, le mâle se sacrifie en fait pour son espèce en améliorant sa descendance… Bien d’autres espèces d’insectes ont recours au cannibalisme : fourmis, guêpes, scarabées, mouches, etc. ne cherchant ainsi qu’à répondre à une compétition autour des différentes ressources du milieu. Mais plutôt que d’abandonner un cadavre, pourquoi ne pas profiter de ses qualités nutritives, du coup faciles d’accès ? D’un point de vue humain, cela peut paraître cruel mais il n’y a pas de cruauté dans la nature, seulement une lutte pour survivre et s’assurer la meilleures descendance possible. La nature est simplement indifférente.
* l’ingestion des enfants : voilà une pratique difficile à appréhender pour l’esprit et pourtant, dans le monde des insectes, elle peut se comprendre. Un coléoptère nécrophage, nicroforus, est doté d’un odorat performant qui peut déceler la mort dès qu’elle survient ; il creuse sous le cadavre d’un oiseau ou d’un petit mammifère comme une souris afin de le dissimuler car la concurrence est rude avec les fourmis et autres diptères nécrophages. La femelle nicroforus estime alors la taille du cadavre et pond des œufs en conséquence. Toutefois, il lui arrive de se tromper ou que les conditions du milieu aient changé : afin de réguler sa descendance en fonction des ressources disponibles, elle n’hésitera pas à dévorer les larves surnuméraires… Ce n’est pas le seul insecte à avoir recours à ce type de comportement. Rien, jamais, ne doit se perdre.
* l’autolyse : dans un précédent article (voir : insectes sociaux et comportements altruistes), nous avions abordé le « suicide » de certains individus appartenant à une société d’insectes (fourmis, termites, abeilles, etc.) et nous avions conclu que ces sacrifices apparents n’étaient jamais vraiment altruistes dans la mesure où le bénéfice pour l’individu est presque toujours la transmission de ses gènes (les fourmis par exemple sont toutes stériles et génétiquement proches les unes des autres). Il n’en reste pas moins que, dans ces communautés bien soudées, des individus perdent « volontairement » leurs vies au profit de l’ensemble du groupe.
* le harcèlement sexuel : ne jamais laisser la possibilité à un autre mâle de vous supplanter : c’est la règle d’or pour transmettre ses gènes. Les insectes ont « inventé » de nombreuses parades pour l’éviter : présence de crochets pour empêcher la femelle de se débarrasser du mâle durant la copulation (punaises d’eau), pose de bouchons dans le canal génital de la femelle après l’acte, organes reproducteurs en forme d’écouvillon pour éliminer toute trace d’une éventuelle autre semence, blocage de la tête de la femelle pour contrôler l’endroit où elle va pondre (libellule), etc.
* l’esclavage : c’est notamment chez les fourmis que l’on trouve cette aptitude à capturer des ouvrières d’autres fourmilières pour les ramener vivantes afin qu’elles deviennent une main-d’œuvre exploitable. Bien qu’elles émettent des phéromones différentes, ces prisonnières sont parfaitement intégrées au groupe et – détail surprenant – elles ne se rebellent pratiquement jamais
* la provocation délibérée : les pompiles sont des guêpes solitaires (donc des hyménoptères) dont la particularité est la chasse des araignées. Il en existe de nombreuses espèces (au moins 150 espèces rien que pour la France) comme la guêpe noire, un chasseur d’araignées hors du commun. La plus célèbre est toutefois la pompile chasseuse de mygales qui arpente les forêts tropicales. La mygale est une araignée qui ne tisse pas de toile mais chasse à l’affût puis, si besoin, à la poursuite. La guêpe pompile le sait et elle va se poster devant le terrier de la mygale et chercher à la faire sortir en frappant le sol avec ses pattes ou en voletant bruyamment. Le combat qui s’en suit est souvent à l’avantage de la guêpe (dans 2/3 des cas environ) qui paralyse l’araignée qui reste évidemment vivante. Bien que plus petite, la pompile est incroyablement forte et est capable de tracter le corps de la mygale parfois sur de longues distances jusqu’à son propre terrier (qu’elle retrouve toujours car elle a une mémoire photographique). Elle pourra alors pondre un œuf sur sa proie afin de nourrir la larve qui en émergera avec de la chair longtemps fraîche.
lutte à mort entre une pompile et une mygale
L’ÉVOLUTION EST TOUJOURS EN COURS
Les millions d’espèces d’insectes, comme on vient de le voir, se sont adaptées au fil du temps afin de survivre mais il s’agit d’un combat permanent : face aux prédateurs qui inventent sans cesse de nouvelles armes d’attaques, ceux qui ne savent pas – ou ne peuvent pas – s’adapter sont appelés à disparaître…
Le cas désespérant de certaines lucioles
Les insectes ne sont bien sûr pas les seuls à avoir organisé des conduites extraordinaires pour piéger les autres mais elles relèvent toujours des mêmes mécanismes évolutifs. L’araignée ogre (Araneus ventricosus) n’est évidemment pas un insecte puisqu’elle fait partie des arachnides mais elle sait attraper certains insectes, ses proies.
En Chine, les lucioles Abscondita terminalis émettent de nombreux signaux lumineux de la mi-mai à la mi-juin afin de trouver des partenaires. Jusque là, rien d’extraordinaire. Les mâles envoient de rapides séries d’éclairs tandis que les femelles se signalent par des émissions isolées qui permettent aux mâles de les repérer et de les rejoindre : c’est alors qu’un piège mortel peut se mettre en place. L’araignée ogre précédemment évoquée capture un des mâles mais elle ne le tue surtout pas : les scientifiques ont pu mettre en évidence que l’araignée capture uniquement des mâles qu’elle enroule dans un cocon de soie avant de les mordre sans les tuer. Les lucioles mâles ainsi mordues continuent alors à émettre des signaux lumineux mais à une fréquence bien inférieure qui se rapproche de celle des femelles : le piège peut alors se refermer sur d’autres mâles.
Combien a-t-il fallu de millions d’années pour que cette technique de chasse s’implante durablement dans l’ADN du petit prédateur, combien de hasards, de retours en arrière, d’expériences ratées ? Et combien de temps faudra-t-il aux lucioles pour trouver la parade ?
Les araignées myrmécomorphes
araignée mymécomorphe
Les fourmis sont incroyablement nombreuses et, d’une certaine manière, on peut dire qu’elles dominent le monde. Certaines araignées dites myrmécomorphes sont capables d’imiter une fourmi. Bien sûr, contrairement à l’insecte visé, elles ont huit pattes mais aucune importance, ces araignées dont le corps ressemble par ailleurs étonnamment à celui d’une fourmi, vont brandir leur première paire de pattes à la façon d’une paire d’antennes, certaines allant même jusqu’à secréter des phéromones qui peuvent (un temps) tromper les insectes. Le but de la manœuvre est de fondre par surprise sur une fourmi isolée sans éveiller les soupçons de ses autres congénères. La manœuvre est toujours risquée car les fourmis sont, elles-aussi de redoutables prédatrices. En réalité, le plus souvent, l’araignée myrmécomorphe se sert de son déguisement surtout pour échapper à ses propres prédateurs car de nombreux animaux trouvent les fourmis désagréables ou dangereuses à manger…
Ces deux exemples nous prouvent que les luttes proies/prédateurs sont permanentes dans la nature et concernent toute la chaîne du vivant… sauf que la présence de plus en plus prégnante de l’homme risque de rebattre les cartes.
L’AVENIR EST INCERTAIN
Comme on vient de le voir, l’Évolution, par le biais de la sélection naturelle, permet aux insectes d’élaborer de nombreuses stratégies pour subsister et se reproduire. Toutefois, comme pour toute forme de vie sur Terre, en cas de modification significative de l’écosystème qu’ils occupent, il leur faudra s’adapter et c’est là que le bât blesse car, si par le passé, des modifications parfois substantielles ont eu lieu, chaque fois, ils ont disposé d’un certain temps pour s’adapter (du moins les espèces qui ont pu survivre). Toutefois, depuis quelques siècles, l’homme modifie l’environnement de tous à une rapidité délétère…
Lors de son voyage avec le Beagle qui allait déterminer ses réflexions sur l’évolution du vivant, Charles Darwin raconte l’anecdote suivante : le Beagle ayant fait escale au Brésil dans ce qui allait devenir la baie de Rio de Janeiro, il lui fut impossible de dormir la première nuit. En effet, bien que le bateau soit amarré à plusieurs encablures du rivage, un bruit permanent dominait tous les autres, une sorte de bourdonnement paroxystique dû à l’activité nocturne de millions d’insectes. Darwin revivrait aujourd’hui dans les mêmes conditions qu’il observerait une formidable différence car la présence de l’homme a gommé cette vie trépidante…
Les insectes représentent 85% de la biodiversité animale et, selon l’estimation des scientifiques, il en existe 1,3 millions d’espèces décrites existant actuellement sur Terre avec plus de 10 000 nouvelles espèces découvertes chaque année (surtout dans les canopées des forêts tropicales, amazoniennes notamment). Pourtant, ces chiffres ne représentent que les insectes dûment identifiés puisqu’une extrapolation fondée sur des études récentes évalue le nombre total d’espèces d’insectes à environ 70 millions (dix milliards de milliards de ces animaux seraient vivants en même temps à un instant T…).
L’action de l’homme sur la nature et son influence sur le dérèglement climatique ont pour conséquence principale que 90% des espèces d’insectes n’ayant pas encore été cataloguées auront disparu avant leur identification. Preuve s’il en était besoin que, en dépit de leur extrême faculté d’adaptation, le changement de leur environnement, contrairement à ceux des temps passés, va trop vite. La sélection naturelle ( ?) sera ici aussi impitoyable.
météorite du Yucatan à la fin du Crétacé : le hasard ?
Il y a 65 millions d’années, une météorite de 10 km de diamètre s’abattait dans la presqu’île du Yucatan, au Mexique, entraînant une catastrophe telle qu’elle mit fin à la domination des dinosaures qui durait depuis 140 millions d’années (1). La conséquence principale de cette disparition fut l’avènement du règne des mammifères jusque là muselés par les grands sauriens. En effet, si leur apparition est concomitante de celle des dinosaures, au Trias supérieur, il y a environ 230 millions d’années, les mammifères furent depuis le début obligés de vivre dans l’ombre de ces grands prédateurs. Ils réussirent quand même à survivre mais en restant peu diversifiés et surtout de petite taille (forcément inférieure à celle d’un chat). Les dinosaures disparus, au bout de quelques millions d’années (un temps très court en termes géologiques), il existait déjà des mammifères de la taille d’un ours. Aujourd’hui, ils sont de toutes sortes, sur tous les continents et l’un d’entre eux, homo sapiens, a pris la place que l’on sait. On peut donc légitimement se poser une question : que se serait-il passé si l’astéroïde n’avait fait qu’effleurer notre planète ? Les dinosaures auraient-ils quand même fini par disparaître ? Et l’apparition de l’Homme aurait-elle pu avoir lieu ? Cela veut-il dire que le hasard entre, au moins partiellement, en compte dans la transformation et l’évolution des espèces ? Et qu’entend-on réellement par ce terme ambigu, de hasard ?
(1) Certains scientifiques avancent que le déclin des dinosaures aurait commencé quelques millions d’années avant l’impact de la météorite, provoqué par des phénomènes volcaniques (trapps du Deccan) et/ou par l’apparition des plantes à fleurs, une nourriture inappropriée pour les grands sauriens. Ces affirmations restent du domaine de l’hypothétique et, quoi qu’il en soit, la chute de la météorite aura de toute façon porté le « coup de grâce ».
Le hasard est-il pluriel ?
La théorie de l’Évolution actuelle est en fait confrontée à trois sens différents du mot hasard : la chance, l’aléatoire et la contingence. Or, ces différentes notions sont souvent confondues les unes avec les autres. Il convient donc de préciser ce qu’elles recouvrent vraiment.
* le hasard en tant que finalité : c’est le sens le plus fréquent qui veut que quelque chose se produise de façon inattendue par rapport à un but, que celui-ci soit conscient ou non. Prenons un exemple. Je suis en train de farfouiller dans mon bureau à la recherche d’une feuille de papier vierge pour écrire une lettre et voilà que je mets la main sur la facture que je recherche depuis plusieurs jours… Prétendre que j’ai découvert ma facture par hasard signifie que je viens de mettre la main sur cet objet très recherché par moi en poursuivant en fait un but totalement différent. C’est le sens du hasard le plus commun qui est le plus souvent décrit par les termes « chance » et « malchance ».
* le hasard recouvrant des événements « aléatoires » : ici, nous pouvons prévoir qu’un événement peut se produire selon certaines conditions mais nous
sommes incapables de savoir si ces conditions sont réunies ou non pour le cas particulier qui nous intéresse. C’est par exemple le cas de la pièce de monnaie qu’on lance en l’air sans pouvoir deviner si elle tombera sur pile ou sur face. Si l’on voulait le savoir à l’avance, il faudrait connaître toutes les conditions du lancer, le poids et la forme exacte de la pièce, la force du jet, la résistance de l’air, etc. ce qui est évidemment impossible : l’événement relève donc de l’aléatoire et pour réduire ici le hasard, seules les lois de la probabilité peuvent nous aider.
* le hasard en tant que contingence : stricto sensu et selon la définition du dictionnaire, la contingence est ce qui peut éventuellement arriver ou non. D’un point de vue plus scientifique, on appelle contingents des événements qui ne sont pas déductibles (donc prévisibles) à l’intérieur d’une théorie (parce que nous ne connaissons pas les conditions initiales du problème ou que les calculs se révèlent trop complexes, voire que la théorie n’existe tout simplement pas). C’est cette notion du hasard – contingent - qui est le centre d’âpres débats en science de l’Évolution. Son contraire est la nécessité, terme qui signifie qu’un événement donné en entraîne forcément un autre (qui devient donc prédictible).
Lorsqu’ils débattent entre eux de la théorie de l’Évolution, les scientifiques introduisent ces notions de hasard à plusieurs niveaux tels que la dérive génétique (sur laquelle nous reviendrons), les mutations, les écosystèmes, etc. L’un des débats le plus fructueux sur cette question concerne l’identification des animaux observés dans les schistes de Burgess, sujet que nous avons déjà évoqué ici à plusieurs reprises.
La bataille de Burgess
Il y a plus de 100 ans, furent mis au jour à Burgess en Colombie britannique par un paléontologue célèbre à l’époque, Charles Doolitle Walcott, plus de 80 000 fossiles vieux de 505 millions d’années et ne ressemblant pour la plupart à rien de ce que l’on connaissait jusqu’alors. Surtout - probablement à la suite d’un ensevelissement brutal - ces fossiles conservaient des appendices et des parties molles qui, habituellement, ne sont jamais présents. Or ce sont ces espèces à
faune de Burgess
corps mou qui font toute la différence avec un banal gisement du Cambrien (période la plus ancienne du paléozoïque anciennement appelé ère primaire) et nous donnent réellement un aperçu de la vie à cette époque, le Cambrien moyen. Selon les préjugés de son temps, Walcott chercha à faire entrer les animaux qu’il étudia dans les groupes principaux (phylums) alors connus car, selon lui, il s’agissait forcément de formes archaïques ayant par la suite donné les groupes d’animaux actuels (dans un contexte scientifique encore empreint d’une certaine religiosité, il n’aurait pas été concevable d’avancer que « le Créateur » avait fait naître des êtres abandonnés ensuite sans descendance). Ce n’est que bien plus tard, en réexaminant les fossiles, que les scientifiques se firent la réflexion que beaucoup d’entre eux (notamment les arthropodes qui représentent près de la moitié des espèces présentes) paraissent inclassables dans les embranchements actuels et ne correspondent à rien de connu, qu’ils appartiennent en somme à des phylums n’ayant apparemment pas donné de descendants..
Il n’en fallait pas plus pour que Stephen J. Gould, le célèbre paléontologue mort en 2002, s’empare du sujet dans un de ses livres les plus fameux (« la vie est belle », 1989). Son explication est la suivante : dans les schistes de Burgess, parmi les animaux présents et appartenant à différents embranchements dont certains
Stephen J Gould
inconnus, aucun ne paraissait posséder par rapport aux autres d’avantages particuliers. Plus encore, Gould remarqua que certains des animaux n’ayant pas survécu par la suite présentaient des caractères adaptatifs très astucieux. Sa conclusion : puisque tous vivaient à armes égales, si certains ont survécu et pas d’autres, c’est que cela ne pouvait être que dû au hasard. En résumé, pour Gould, c’est la contingence (c'est-à-dire tous les événements imprévisibles survenant dans la Nature et impossibles à identifier) qui prime tout : ce qui se passe d’une certaine manière aurait tout aussi bien pu se passer autrement. Et, par voie de conséquence, cela sous-entend que l’espèce humaine est un accident biologique. Il explique ainsi que si l’on devait faire repartir l’histoire évolutive depuis le début, à la manière d’un film qu’on rembobinerait, compte-tenu des différents événements aléatoires rencontrés tout du long, elle serait certainement très différente et l’Homme n’aurait probablement aucune chance de réapparaître.
Toutefois, un de ceux qui réétudia cette faune de Burgess fut Conway-Morris. Il partagea cette analyse jusqu’à ce que d’autres gisements analogues à Burgess
Simon Coway-Morris
soient découverts, notamment en Chine. Ce paléontologue changea alors complètement d’avis en expliquant que, finalement, on peut retrouver des similitudes entre les différents phylums et que la plupart des animaux de Burgess sont effectivement membres de groupes existant aujourd’hui. Ses contradicteurs lui reprochèrent alors une position idéologique le poussant à défendre une vision essentiellement chrétienne de l’évolution (ce qui était de notoriété publique). D’où une discussion acharnée avec Gould.
Aujourd’hui encore, la question ne semble pas définitivement tranchée mais, s’il est vrai qu’un certain nombre des animaux de Burgess a pu être réétudié et rattaché à des groupes existant encore de nos jours, il reste nombre de spécimens dont on serait bien en peine de trouver une quelconque descendance. Alors, quelle place donnée ici à la contingence, au hasard ?
La dérive génétique
La « dérive génétique » c’est l’évolution d’une espèce (ou au moins d’une population) sous l’effet d’événements aléatoires, et ceci indépendamment de la sélection naturelle, des mutations ou de déplacements géographiques. Théorisée par Motoo Kimura en 1968, cette approche s’appuie sur les variations potentielles observées durant la méiose c’est-à-dire, dans la reproduction
exemple d'allèles (plantes)
sexuée, lors de la transmission de certains caractères des parents. En pareil cas, on le sait, chaque parent ne transmet que la moitié de ses allèles. Rappelons qu’un allèle est une version variable d’un même gène : il y en a généralement deux pour un gène (parfois beaucoup plus, jusqu’à une dizaine). Du coup, certaines variantes d’un gène (certains allèles) ne seront jamais transmis à la descendance d’un adulte et, par conséquent, certains allèles verront leur fréquence augmenter ou diminuer dans la génération suivante. Évidemment si la population était de taille infinie, tous les allèles finiraient par être transmis mais ce n’est évidemment pas le cas. On peut même avancer que la non-transmission de certains allèles (la « variance ») est d’autant plus importante que la population considérée est de petite taille. Questions : 1. cette « disparition » de certains facteurs génétiques est-elle assimilable à une diminution de la diversité génétique et 2. Quel est le rôle du hasard dans ce phénomène ?
Prenons le cas d’un « goulot d’étranglement », c’est-à-dire un événement qui va séparer des groupes d’individus : une inondation cataclysmique emporte le pont de terre qui reliait une presqu’île au continent. De ce fait, une partie d’une population de lézards se retrouve isolée sur la nouvelle île et cette population réduite va voir un certain nombre d’allèles non transmis lors de la reproduction. Il s’agit donc d’une diminution de la diversité génétique et on comprend facilement que plus la population concernée est petite, plus la dérive génétique est importante. Cette « dérive » génétique, c’est au bout du compte la différence croissante qui va s’instaurer entre la diversité génétique de la population isolée par rapport à la
l'isolement accidentel d'une population peut conduire à deux espèces différentes
population d’origine, dans cet exemple les lézards restés sur le continent. Les changements qu’on va alors voir survenir dans la population résiduelle, celle de la nouvelle île, ne sont évidemment pas une adaptation et, en ce sens, ils ne relèvent pas d’une sélection naturelle classique. Si la survie de cette espèce de lézards dans l’île est possible (suffisamment de ressources pour permettre le maintien d’une population efficace), peu à peu, par le biais de l’absence de certains allèles ou de mutations, cette population va évoluer pour son propre compte : dans le cas où elle serait remise en contact avec la population d’origine restée sur le continent, il est très possible qu’il ne puisse plus y avoir d’accouplements productifs entre les deux groupes devenus des espèces différentes. Cette dérive génétique due à un isolement géographique aura alors conduit à ce qu’on appelle une spéciation (apparition d’une nouvelle espèce).
En arriver à un tel résultat est certainement dû au hasard (l’événement cataclysmique originel) associé secondairement à la sélection naturelle qui va privilégier les individus les mieux adaptés dans une population différente de celle du début, précisément en raison de la dérive génétique survenue. Hasard et sélection naturelle agissent donc en même temps sur les populations et sont à l’origine des changements de la diversité génétique : on parle alors d’évolution biologique.
Les mutations
Nous venons d’évoquer les mutations génétiques en tant que facteurs de transformation d’une population spécifique d’individus mais comment surviennent ces mutations ? Sont-elles également le fait du hasard ?
Rappelons très schématiquement ce qu’est l’ADN, support de l’hérédité et son rôle. Il est composé de quatre bases nucléiques : A (adénine), C (cytosine), G (guanine), et T (thymine) et c’est l’ordre dans lequel se retrouvent ces bases (il y en a des milliards) sur le brin d’ADN qui porte l’information génétique. Lorsqu’il se produit un « erreur » de transmission (une des bases – voire un groupe - est remplacée par une autre) l’information est modifiée. Trois situations sont alors possibles : dans l’immense majorité des cas, la modification est sans conséquence
ADN
et on parle de mutation neutre. Si la modification est défavorable, c’est-à-dire qu’elle met en danger son porteur, celui-ci sera éliminé avant que d’arriver à maturité pour se reproduire : on parle alors de mutation délétère qui ne peut se transmettre. Enfin, troisième possibilité, la mutation apporte un avantage sélectif à son porteur : théoriquement, ce dernier sera avantagé par rapport aux autres individus et, mieux protégé de son environnement, il se reproduira plus fréquemment ce qui permettra, peu à peu, à la mutation d’atteindre l’ensemble de la population.
Ce qu’il faut également bien comprendre, c’est qu’une mutation n’apparaît physiquement pas chaque fois qu’un changement de l’environnement d’un individu se modifie de façon sensible. Par exemple, la mutation de la régulation de la lactase qui permet chez l’adulte humain de digérer le lait de vache n’est pas spontanément apparue avec l’élevage de ces animaux parce qu’on en avait besoin. Elle était présente avant l’élevage avec la même fréquence mais c’est avec l’élevage des vaches qu’elle est devenue avantageuse pour ses porteurs et qu’elle s’est petit à petit répandue…
Que peut on conclure sur le rôle du hasard dans les mutations génétiques ? Eh bien que le hasard, ici, veut dire que les mutations apparaissent sans qu’il y ait de relation directe avec leurs effets sur l’organisme. Quand une base nucléique en remplace une autre, la survenue de cette mutation est indépendante de l’effet qu’elle peut avoir sur le sujet ou, dit autrement, la mutation apparaît par hasard et, puisqu’il y en a beaucoup, au fil des générations, certaines d’entre elles peuvent se révéler favorables dans un environnement donné.
Le hasard et la sélection naturelle dirigent l’évolution
Pour survivre et prospérer, une population d’êtres vivants doit s’adapter à son milieu. Tant que cet environnement est stable, que ses modifications au fil du temps restent mineures, la population est bien adaptée et subit elle-même peu de modifications. Toutefois, on le sait bien, cette caractéristique de stabilité n’a qu’un temps car, tôt ou tard, des changements se manifestent : modifications du climat et donc des ressources, catastrophes naturelles, maladies, apparition ou transformations de prédateurs, etc. Dès lors, la sélection naturelle décrite par Darwin il y a déjà de nombreuses années entre en jeu (elle a toujours existé mais, compte-tenu de la stabilité de l’environnement, elle avait peu à intervenir). En sélectionnant les individus les plus aptes, elle transforme progressivement l’espèce concernée : des mutations jusqu'alors latentes apportent des réponses au changement (pour peu évidemment qu’un certain laps de temps le permette car si ce n’est pas la cas, l’extinction de la population est inévitable). Or comme nous l’avons vu, ces mutations sont apparues au hasard de l’altération d’une partie du code génétique. La sélection naturelle, mécanisme principal de l’Évolution, se comporte en réalité comme une immense machine de tri du vivant.
Il existe d’autres mécanismes de transformation des espèces : la dérive génétique est un autre moyen d’aboutir à la transformation d’une population mais, ici, l’évolution d’une espèce est causée par des événements complètement aléatoires, des événements dont la prévision est impossible (et ses effets, comme on l’a vu, sont d’autant plus importants que la population considérée est de petite taille).
On peut donc affirmer que l’évolution des espèces est sous la dépendance du hasard. C’est le hasard qui assure la richesse du vivant en engendrant une multitude de différentes variations avant que le milieu ne fasse le tri par le biais de la sélection naturelle. Dérive génétique et sélection naturelle sont donc les moteurs de la diversité des espèces vivantes en permettant évidemment leur adaptation au changement mais également en assurant la stabilité des espèces bien adaptées. Ces deux différents mécanismes dirigent l’Évolution et c’est le hasard qui les régit.
Voici quelques courts articles parus sur le site Facebook du blog
LUEUR D'ESPOIR POUR LE CORAIL
poisson-perroquet
On sait que les différentes barrières coralliennes sont menacées d'extinction rapide, notamment en raison du réchauffement climatique pense-t-on. En fait, c'est plus compliqué que ça.
Dans les Caraïbes, par exemple, depuis 50 ans, la moitié du corail a été détruite. Des scientifiques ont donc compilé pas moins de 35 000 études menées depuis 1969 dans 34 pays différents sur les récifs coralliens caribéens. Surprise : les principaux responsables du massacre sont la surpêche et la pollution côtière...
En fait, en 1983, une épidémie a décimé là-bas l'oursin-diadème qui se nourrit des algues proliférant sur les récifs et étouffant le corail. Du coup, ne restent plus comme prédateurs de ces algues que les poissons-perroquets... victimes de la surpêche. Partout où celle-ci est mieux combattue, les récifs coralliens sont en meilleure santé et résistent d'autant plus aux cyclones qu'ils sont riches en poissons-perroquets !
Ce n'est pas tout : on a pu également mettre en évidence que partout où les requins étaient trop chassés, ils libéraient des niches propices au développement de petits poissons carnivores qui attaquent les poissons herbivores comme nos poissons-perroquets... Qui aurait pu penser que les grands squales protègent indirectement le corail de ces mers chaudes ?
Ceci nous rappelle une notion fondamentale : tous les êtres vivants font partie d'une chaîne alimentaire et lorsque l'un des maillons de la chaîne est atteint, c'est tout le reste des vivants qui souffre ! On en trouvera plusieurs illustrations dans le sujet du blog : "superprédateurs et chaîne alimentaire"
L'ENNEMI N'EST PAS TOUJOURS CELUI QUE L'ON CROIT...
une peste végétale : le kudzu
Tenez, prenez le cas de cette assez jolie plante que l'on appelle le Kudzu et qui est réputée pour permettre l'arrêt de certaines addictions comme celles à l'alcool ou à la nicotine. Je ne sais pas si ses exploits en la matière sont réels ou supposés mais ce dont je suis sûr, c'est que le kudzu est l'une des pires "pestes" végétales existantes.
Originaire du Japon, le kudzu a été introduit aux USA pour stabiliser certains sols et faire un peu d'ombre sous la forme de tonnelles improvisées. Malheur ! Ce que l'on ne savait pas (?), c'est que cette plante a une croissance tellement rapide (jusqu'à 30 cm par jour) qu'elle envahit tout en très peu de temps et la voilà qui recouvre rapidement tous les végétaux (notamment les arbres) qu'elle étouffe, les réverbères, les panneaux indicateurs ou publicitaires et même les murs et les toits des maisons ! Aux États-Unis où l'on n'arrive pas à s'en débarrasser, elle a envahi des milliers de km² de forêts et de champs et la lutte contre cet ennemi si prolifique est un combat de tous les instants : un moment de relâchement et tout est à recommencer !
Mais ce n'est pas tout : voilà que les scientifiques l'accusent de participer au réchauffement climatique : le kudzu réduit le volume de carbone stocké dans les sols des endroits envahis par lui, notamment en détruisant les végétaux qui, eux stockent ce gaz à effet de serre. Un vrai poison que nul herbicide ne sait enrayer.
Méfiance donc pour tous ceux qui, à des fins thérapeutiques, souhaiteraient se lancer dans des "cultures sauvages" de cette plante aux vertus... contrastées !!!
photo : forêt pétrifiée par le kudzu (sources :tenfreshfruits.com)
UNE ARAIGNÉE HÉROÏQUE !
stegodyphus lineatus et ses petits
Elle s'appelle stegodyphus-lineatus et est une petite araignée velue d'environ un cm et demi. Elle habite l'Europe, l'Asie et le nord de l'Afrique et est connue pour faire partie des araignées cannibales...
Oui mais cannibale comment ? Parce qu'on connait bien ces araignées femelles qui, lors de l'accouplement, dévorent le mâle qui ne s'est pas enfui assez vite mais, ici, l'histoire est différente. En effet, Stegodyphus a un destin tout à fait spécial (du moins la femelle de cette espèce). Dès que la fécondation a eu lieu et que commence l'incubation, les tissus abdominaux de la mère araignée ramollissent progressivement. Une sorte de préparation à la naissance des enfants.
Lorsque que celle-ci a lieu, la mère araignée commence par régurgiter toutes les bonnes réserves qu'elle avait faites pour ses petits. Mais, très vite, cela ne suffit pas pour ses 80 rejetons. Alors, elle se sacrifie et, suicidaire, s'offre à l’appétit féroce de ses petits en se liquéfiant littéralement. Bientôt, il ne reste plus que son squelette desséché... et 80 petites araignées en pleine forme qui partent découvrir l'Univers !
Au fil des millions d'années, c'est ce scénario génétiquement inscrit que la sélection naturelle a gardé pour ces étranges animaux car, au bout du compte, dans la Nature, l'individu ne compte pas : seule la survie de l'espèce a de l'importance;
photo : une stegodyphus et ses petits (sources : www.lemonde.fr)
LE PLUS VIEUX MEURTRE DU MONDE
430 000 ans, tel est l'âge du plus vieux meurtre (connu) pour l'espèce humaine. En réalité, pas l'espèce humaine actuelle mais chez un précurseur, homo heidelbergensis, probable ancêtre de l'homme de Néandertal, notre lointain cousin.
C'est en Espagne, dans la grotte d'Atapuerca, déjà citée dans ce journal du blog, qu'a été faite cette découverte, récemment publiée dans la presse scientifique. On a donc retrouvé le squelette d'un hominidé ayant vécu il y a fort longtemps, portant une profonde fracture au dessus de l’œil gauche. Une plaie mortelle causée par un "objet contondant" ayant frappé la victime à deux reprises, les protagonistes se trouvant face à face. La répétition du geste avec le même instrument (on en est certain grâce à une reconstitution virtuelle) traduit à l'évidence l'intention de tuer. Pourquoi ? On ne le saura jamais mais il s'agit très certainement d'un "différend domestique" puisque l'endroit n'est pas un théâtre de combats.
En ce siècle de violences ultra-médiatisées, on s'étonne de l'agressivité dont font preuve tant d'individus : comme on peut le constater dans l'exemple que je viens de rapporter, tout ça remonte à loin et, j'en fais le pronostic, n'est hélas pas près de s'arrêter !
photo (source : www.plosone.org/)
UN IMITATEUR DOUÉ
oisillon d'Aulia
C'est dur de survivre seul dans la jungle lorsque les parents sont partis chercher de la nourriture et qu'ils ne reviennent que durant quelques instants, une fois par heure environ. et d'autant que la nidification est plutôt longue, plus de 20 jours. Comment tromper les prédateurs ?
La sélection naturelle a permis à l'oisillon de l'aulia cendré d'adopter une attitude étonnante. Alors que les plumages de ses parents sont d'un gris banal, son apparence à lui est éclatante, comme en témoigne la photo. Sera-t-il dès lors plus en vue et donc susceptible d'attirer les prédateurs ? En réalité non car son duvet imite à la perfection... une chenille toxique des environs. L'oisillon en a la taille (environ 15 cm), l'apparence mais aussi le comportement puisque, en l'absence de ses parents, il ne fait aucun bruit et se met à onduler de la tête pour simuler le déplacement de la chenille : dès lors, les éventuels prédateurs préfèrent se détourner !
On appelle ce phénomène du mimétisme batésien (imiter l'apparence d'un animal toxique) et c'est très rare chez les oiseaux. En aura-t-il fallu des millions de générations de ce petit passereau dans la forêt tropicale pour qu'une mutation de ce genre apparaisse et s'implante enfin au détriment des autres nids décimés...
Dans les reportages animaliers de la télé, on nous montre parfois (mais c'est difficile à regarder), le meurtre des petits de la lionne lorsque le mâle qui la féconda a été évincé par un plus fort. Ce dernier fait alors semblant de jouer avec les lionceaux puis devient brutal tandis que les petits s'étonnent et, soudain, le grand mâle leur brise la nuque sans que la mère intervienne... Cela mettra fin à la lactation de celle-ci et la rendra à nouveau féconde pour le nouveau venu... dont le seul but (inconscient) est de diffuser son propre ADN. Il ne s'agit là que d'un exemple parmi bien d'autres.
Un chercheur du CNRS de Montpellier a publié il y a quelques mois dans la prestigieuse revue "Science" les résultats de 30 ans d'étude des infanticides chez les mammifères. Surprise : sur 260 espèces étudiées, dans plus de la moitié d'entre elles, les mâles tuent les petits s'ils n'en sont pas les pères ! Cela concerne, bien sûr, les lions comme on vient de le voir mais aussi les singes, les hippopotames, les ours, les léopards, les zèbres, les chiens de prairie, les lièvres, les marmottes, etc.
Chez les singes (babouins, gorilles, chimpanzés, etc.), tous ont recours à cette politique du vide génétique. Chez les babouins du Botswana dont les dominants peuvent changer au fil de quelques jours, c'est parfois un véritable massacre : 80% des bébés d'un même groupe peuvent ainsi être trucidés ! Il existe toutefois une exception : les bonobos ne pratiquent pas l'infanticide et ce sont, curieusement, nos plus proches parents.
Toutefois, le pacifisme de nos cousins bonobos n'a eu aucune influence sur l'espèce humaine : l'Homme est en effet le SEUL MAMMIFÈRE à tuer même sa propre descendance ! Rien de très glorieux, on est bien obligé de le reconnaître...
photo : un lion et le petit d'un autre (sources :www.sciencesetavenir.fr)
OISEAU FAUSSAIRE
Drongo brillant (Dicrucus adsimillis)
Les lois de l'Évolution sont innombrables et parfois difficiles à saisir. Tenez, dans le désert du Kalahari, au Botswana (Afrique de l'est), vit un drôle de petit personnage : le drongo (voir photo). Le drongo est un petit oiseau du type passereau qui dispose d'une très large palette vocale (répertoire individuel variant de 9 à 32 cris différents) et il sait s'en servir. En effet, le drongo est un simulateur.
Puisqu'il semble plus facile de s'approprier ce qui ne vous appartient pas plutôt que de faire soi-même le travail, il ruse. Parfois, c'est vrai, le drongo a effectivement repéré un prédateur qui s'approche doucement : il permet alors à l'ensemble des oiseaux, y compris lui-même, de s'enfuir. Mais, à d'autres moments, il ne s'envole pas car il sait pertinemment qu'il vient d'émettre une fausse alarme et qu'il n'y a aucun danger : il n'a plus alors qu'à aller se servir parmi les insectes et vermisseaux isolés par les victimes de sa tromperie.
Bien entendu, de tels subterfuges finiraient pas s'épuiser à force d'être utilisés. c'est là que le drongo montre toute sa force (ou sa capacité de nuisance) puisqu'il est capable d'émettre jusqu'à plus de cinquante fausses alarmes différentes, arrivant ainsi à duper plusieurs fois les mêmes victimes...
Ce que l'on ne sait pas encore, c'est si cette aptitude à simuler est innée, c'est à dire apparue il y a longtemps et transmise depuis génétiquement, ou bien apprise à chaque génération d'enfants par les parents. Inné ou acquis, le drongo s'en moque bien et sait profiter du travail des autres !
le carbonifère : insectes, fougères géantes et premiers arbres à écorce
Nous allons évoquer une période ancienne, très ancienne, appelée le carbonifère, une époque appartenant au paléozoïque supérieur (autrement dit l’ère primaire) et s’étendant de – 359 à – 299 millions d’années (Ma). Notons toutefois qu’il s’agit là de chiffres difficiles à concevoir par le cerveau humain quand on sait que nous paraissent déjà immenses les environ 10 000 années de présence sur Terre de l’homme dit moderne. Inaugurée par une extinction de masse, le carbonifère dura une soixantaine de millions d’années au cours desquels la Terre se transforma profondément.
Extinction de masse du dévonien
C’est à la fin de la période de l’ère primaire précédente, le dévonien, qu’une très importante extinction de masse fit disparaître 70% des animaux marins. La Terre était alors occupée par un seul continent situé au pôle sud tandis qu’un chapelet d’îles et d’archipels s’étalait à l’équateur : tout le reste n’était qu’un immense océan. Sur le continent unique, la température était élevée avec un indice hygrométrique important : chaleur et humidité, il n’en fallait pas plus pour que s’étale sur terre une végétation
l'extinction dévonienne commença par les océans qui s'étouffèrent
luxuriante où régnaient en maîtres les insectes, le reste de la faune étant quasi-inexistant. C’est dans l’océan que la diversité foisonnait : éponges, coraux, brachiopodes, nautiloïdes, trilobites auxquels il faut ajouter des poissons de toutes sortes. Tout ce petit monde proliférait dans des eaux chaudes et lumineuses et c’est alors que se produisit la deuxième grande extinction de masse de l’histoire de la Terre (la première remontait à l’ordovicien, 100 Ma auparavant).
L’extinction dévonienne ne fut pas brutale et s’étendit sur des dizaines de milliers d’années. Inaugurée par un réchauffement climatique, elle se traduisit par l’apparition de séismes sous-marins et d’émissions de gaz surchauffés qui entraînèrent un manque d’oxygène progressif de l'océan puis de l'atmosphère (appelé événement Kellwasser) s’ajoutant à l’empoisonnement de l’eau par des métaux lourds. L’ensemble aboutit à la destruction massive de la faune marine. Il faudra ensuite attendre environ 250 000 ans avant que les arbres produisent suffisamment d’oxygène et que les températures se stabilisent pour initier un renouveau. Mais l’extinction aura détruit les ¾ des animaux marins, eux qui représentaient à cette époque l’essentiel de la vie sur Terre.
Le carbonifère
Succédant immédiatement au dévonien et à sa terrible extinction de masse, le carbonifère doit son nom au fait que l’époque fut particulièrement riche en végétaux, leur fossilisation ayant secondairement donné naissance à la houille si indispensable à l’espèce humaine lors de l’avènement de l’’époque industrielle. Un processus d’autant plus actif que c’est à cette époque qu’apparurent les premiers arbres revêtus d’écorce dont la sédimentation consécutive, par exemple, à une inondation ou à un incendie produisait du charbon.
Le carbonifère commence par une très importante transgression marine (c’est-à-dire l’envahissement des terres par la mer) qui concerne toutes les masses continentales avec d’importants dépôts de calcaire.
Du point de vue de la tectonique des plaques, la période se traduit par de grands
changements avec la fusion des plaques américaine, européenne et gondwanienne (le Gondwana étant une partie du supercontinent précédent) pour former un nouveau supercontinent appelé Pangée (qui subsistera jusqu’au Trias, à l’ère secondaire, soit près de 60 millions d’années plus tard). Tout autour de la Pangée s’étend un océan unique nommé Panthalasa et une mer intérieure, la Paléothetys.
L’érosion qui accompagne les bouleversements géologiques et la luxuriance, voire l’opulence de la végétation colonisant le continent ont pour principale conséquence de faire considérablement baisser le taux de CO2 de l’air et, du même coup, la température globale de la planète : celle-ci s’ajuste en fonction de la latitude, les terres du pôle sud se couvrant de glace.
Ces différences de température vont avoir pour effet de permettre le développement d’arbres à feuilles caduques dans les zones tempérées tandis que les grandes forêts houillères s’étendent tout au long de l’équateur. Dans les zones tempérées, les fougères aux feuilles à sporanges (c'est-à-dire des organes plus ou moins cachés contenant les spores) se voient concurrencées par d’autres espèces de fougères dont les feuilles portent des graines mieux protégées (par un ovaire) et plus facilement accessibles, notamment par les insectes pollinisateurs : c’est le point de départ des plantes à fleurs qui coloniseront secondairement la planète.
Ces changements, certes progressifs mais durables, vont bien sûr également concerner la faune.
La faune du carbonifère
Dans la mer, la vie est particulièrement animée avec notamment une grande activité des coraux, qu’ils soient coloniaux ou solitaires. Les brachiopodes (animaux à coquilles bivalves) ont également un succès évolutif certain (il n’en reste aujourd’hui que quelques espèces relictuelles, c’est-à-dire peuplant un habitat restreint où ils sont peu concurrencés). La Paléothétys est également peuplée par des animaux présents depuis le début du paléozoïque (et qui subsistent encore aujourd’hui avec succès) : les échinodermes tels étoiles et concombres de mer, oursins, etc. Ces animaux dont l’apparition remonte à – 525 millions d’années (voire plus avant encore) se sont finalement peu transformés depuis le carbonifère où ils prospèrent : les scientifiques
trilobite, arthropode dont le déclin commença au carbonifère
évoquent environ 13 000 espèces aujourd’hui éteintes contre 7 000 encore bien présentes. De la même façon, les mollusques (moules, coques, huîtres, etc.) se développent à cette époque de manière satisfaisante. En revanche, les trilobites, ces arthropodes marins qui existent depuis le cambrien (- 540/ - 485 Ma) commencent à décliner : ils disparaitront définitivement lors de l’extinction de masse du permien (- 250 Ma). Signalons enfin la présence et le développement des requins, existant depuis le dévonien mais qui présentent alors des formes plutôt étranges à l’instar des requins-enclumes…
C’est sur terre que le carbonifère réserve quelques surprises : il grouille de vie ! On y trouve toutes sortes d’habitants, à commencer par les insectes déjà présents à la période précédente : le sol est le terrain de chasse de mille-pattes, de scorpions, de toutes sortes d’araignées qui se faufilent entre fougères géantes et premiers conifères tandis que planent au dessus de ce petit monde une foule d’insectes ailés. C’est à cet univers assez surprenant que nous allons à présent nous intéresser.
Le monde des insectes géants
Jusqu’à récemment, les scientifiques étaient d’accord pour affirmer que les insectes vivant au carbonifère étaient des géants comparés à ceux d’aujourd’hui et que leur transformation au fil des temps géologiques étaient allée vers leur rapetissement. C’est sûrement vrai pour certains d’entre eux comme on le verra par la suite. Toutefois, croire qu’il s’agit là d’une règle absolue semble illusoire à la lumière des découvertes récentes. En réalité, de très petits insectes prospéraient également à cette période et il aura fallu bien du temps pour s’en convaincre.
Il est vrai que la diversité des insectes encore aujourd’hui est telle que les experts scientifiques sont dans l’incapacité de les compter. À ce jour, on a décrit environ un million d’espèces différentes mais on estime qu’il en existerait probablement dix fois plus, une grande partie d’entre elles étant présente dans les canopées des grandes forêts tropicales, notamment amazonienne. Il est même suggéré que, une extinction de masse étant actuellement en cours en raison de la présence délétère de l’Homme, la plupart de ces espèces auront disparu avant même d’avoir été identifiées.
Mais des insectes géants existaient bien au carbonifère et ils étaient très certainement effrayants pour nos cerveaux plutôt habitués à des insectes de taille (généralement) relativement modeste. Imaginez : survolant marais, étangs et cours d’eau, ou bien cachés dans les fougères et les arbres primitifs, ces géants pourchassaient, tuaient et dévoraient tout ce qui bougeait, y compris leurs propres congénères. Citons sommairement quelques uns des plus célèbres :
Meganeura Monui est probablement l’insecte le plus emblématique du carbonifère. Il s’agit d’une libellule géante dont l’envergure pouvait dépasser les 70 cm pour un poids de 150 grammes. Disons pour fixer les esprits que cette libellule avait une carrure digne d’un goéland ou d’un faucon. Elle affichait un abdomentaille de meganeura comparée à celle d'un homme particulièrement allongé et possédait quatre grandes ailes renforcées par des nervures et fixées à angle droit à son thorax. Ses six pattes articulées étaient recouvertes d’épines pour accrocher ses victimes. Sa tête était dotée d’yeux énormes susceptibles d’observer autour d’elle à 360° et s’ornait également de pièces buccales destinées à mordre. Après avoir repéré une proie, les scientifiques ont calculé qu’elle pouvait fondre sur elle à la vitesse prodigieuse de 70 km/h car, contrairement aux libellules actuelles qui chassent « postées », elle attaquait en vol. Elle n’avait d’ailleurs que l’embarras du choix tant la terre était grouillante de vie : cafards, blattes, punaises, cigales, scarabées, moustiques, guêpes, termites, fourmis, petits reptiles, etc. Le bourdonnement permanent de l’atmosphère devait être assourdissant si l’on en juge par une anecdote rapportée par Darwin lui-même : il raconte que lors de son périple à bord du Beagle, il fit escale dans la baie de Rio de Janeiro, alors encore peu habitée. Le bateau mouilla à plusieurs encablures de la rive, donc loin du rivage, et pourtant le naturaliste anglais eut du mal à dormir tant un bourdonnement continu dominait tous les autres bruits naturels. Il s’agissait du bruissement de la vie nocturne des nombreux insectes, bruissement parait-il encore plus intense le jour. Et on était au XIXème siècle : on imagine aisément ce que cela devait être au carbonifère !
Rampant dans les sous-bois des forêts tropicales de la fin du carbonifère (et du début du permien, l’époque suivante), Arthropleura était un gigantesque mille-pattes. Qu’on en juge : il pouvait atteindre 2 m de long (voire un peu plus) pour une largeur de 50 cm ! Heureusement pour ses contemporains, il était herbivore, du moins si l’on s’en réfère aux traces de pollen découvertes dans son tube digestif fossilisé. Toutefois, la présence de deux pinces situées sur le devant de son corps et d’une très puissante mâchoire laisse encore planer un doute…
Megarachne, quant à elle, comme son appellation l’indique, relève plutôt de la famille des arachnides. D’ailleurs, lors de la découverte de son fossile, les scientifiques pensèrent tout simplement avoir mis au jour la plus grande araignée megarachne (vue d'artiste)ayant jamais existé sur Terre. En réalité, l’animal est à présent classé comme un euryptide, c’est-à-dire plutôt un animal marin se rapprochant des scorpions de mer. C’était néanmoins un être impressionnant car d’une longueur de 35 cm avec une distance de 60 cm entre les pattes supérieures. À titre de comparaison, une des araignées actuellement parmi les plus grosses du monde est la tarentule Goliath mangeuse d’oiseaux dont la taille avoisine les 30 cm tandis qu’elle possède des crocs de 2,5 cm. On peut également citer, vivant dans les forêts tropicales d’Amérique du sud, la femelle Theraphosa (30 cm d’envergure pour un poids de 170 grammes) qui, outre ses crocs pouvant occasionner une trèstheraphosa blondi (Brésil, Guyane, Vénézuela) forte douleur chez l’Homme, est capable de lancer des poils urticants entraînant de fort douloureuses démangeaisons. Quoi qu’il en soit, au carbonifère Megarachne occupait le sommet de la prédation (seule Meganeura décrite plus haut avait une taille susceptible de rivaliser avec la sienne). Elle ressemblait effectivement à une araignée géante (d’où l’erreur des premiers observateurs) en raison de la forme de sa carapace, de son abdomen sphérique et de ses yeux circulaires de 15 mm, engoncés entre deux autres yeux, au centre de sa tête. On ne sait pas si son corps était recouvert de poils comme celui d’une mygale.
Au cours des âges géologiques, il existe peu de cas relevant d’un gigantisme aussi absolu. Nous avons déjà évoqué la course au gigantisme représentée par l’apparition d’une classe spéciale de dinosaures, les sauropodes (voir le sujet : la tentation du gigantisme) mais le contexte était bien différent. Quelles peuvent être les explications d’un tel phénomène au carbonifère ?
Pourquoi des insectes géants au carbonifère ?
L’explication longtemps avancée par les scientifiques concerne le taux d’oxygène dans l’atmosphère de cette époque. Aujourd’hui, celui-ci est voisin de 21% (et a d’ailleurs tendance à baisser imperceptiblement) contre 35 % à l’époque que nous évoquons. Ce taux élevé était la conséquence des milliers d’années précédents où, comme nous l’avons déjà dit, les arbres ont peu à peu reconstitué le stock d’O2mis à mal lors de l’extinction dévonienne. Or, araignées et insectes ont besoin de beaucoup d’oxygène pour grandir et il est vrai que, par la suite, la raréfaction des forêts et la chute concomitante du taux d’oxygène ont certainement eu raison du mille-pattes Arthropleura, voire peut-être aussi de Megarachne qui devait étouffer avec un taux d’oxygène progressivement réduit.
Il existe pourtant d’autres raisons. Ces insectes géants, on l’a vu, occupaient le haut de l’échelle de prédation puisque leur taille était un avantage décisif : nourriture abondante, taux d’oxygène maximal et aucun prédateur réel expliquent leur succès adaptatif. Jusqu’à l’apparition des vertébrés qui, venus de la mer, colonisèrent progressivement les terres. Or, les reptiles planeurs puis volants firent leur apparition et ils chassaient les mêmes proies. La concurrence devint féroce. Enfin, dernier changement et non des moindres, l’apparition des précurseurs des plantes à fleurs autour des étangs et des lacs où se développaient les libellules géantes entraînèrent un changement complet de l’écosystème. Tous ces éléments conjugués furent fatals aux derniers insectes géants…
Il est intéressant de constater que la Vie, toujours, partout, essaie de se frayer un chemin et qu’elle est opportuniste. Les insectes du carbonifère ont accru leur taille – et donc leur indice de prédation – en profitant de circonstances particulières qui ne se sont jamais reconstituées par la suite et c’est la disparition de ces facteurs favorisants qui précipita leur chute. On retrouve là le hasard mélangé à un certain déterminisme, ce que le paléontologue Stephen J. Gould résumait sous le terme de contingence. Quelques dizaines de millions d’années plus tard, après des débuts plutôt modestes, d’autres populations animales allaient également profiter de circonstances favorables et occuper l’espace alors laissé vacant : les dinosaures dont le règne s’étalera sur plus de 160 millions d’années.
Les origines de la vie sur Terre demeurent incertaines. Difficile de dire exactement où cette vie est apparue, ni quand. Notre bonne vieille Terre est âgée d’environ 4,5 milliards d’années, l’âge du système solaire, et c’est au bout d’environ 500 millions d’années qu’il semble que soient apparues les premières cellules susceptibles de donner un être vivant. On sait que les plus anciens fossiles de micro-organismes sont âgés d’environ 3,5 milliards d’années, certaines études allant même jusqu’à affirmer qu’un âge de plus de 4 milliards d’années serait plus près de la réalité. Cette époque si lointaine, ces premiers 500 millions d’années, sont appelés l’hadéen (première partie du précambrien) par les scientifiques et c’est probablement vers la fin de cette phase qu’est apparu celui qui allait devenir l’ancêtre de tous les êtres ayant vécu et vivant encore sur Terre.
Lorsqu’on observe attentivement une forêt tropicale, ou même un simple étang de nos régions tempérées, on est frappé par la diversité du vivant, par la profusion d’espèces qui, pour la plupart, partagent un écosystème sans jamais se rencontrer vraiment, cette possibilité n’étant donnée qu’aux couples prédateurs-proies. Tout ce monde grouillant de vie provient donc d’un même ancêtre et, au fil du temps (des centaines de millions d’années, si difficiles à comprendre pour nos cerveaux qui ont du mal à seulement intégrer quelques milliers d’années), la sélection naturelle, en fonction des changements de milieu, a progressivement modelé la Vie. L’immense majorité des espèces qui, à un moment ou à un autre, a peuplé notre planète, a, à présent, disparu, emportée par le hasard d’un élément contraire auquel elle n’a pas su ou pu s’adapter.
L’homme est un des animaux survivants aujourd’hui mais son apparition sous sa forme actuelle ne s’est évidemment pas faite d’un seul coup. Tout au contraire, il aura fallu bien des évolutions, bien des formes intermédiaires et bien des hasards pour en arriver à la situation présente. Je me propose de revenir sur les principales étapes qui ont permis, depuis le premier ancêtre commun, à Homo sapiens d’être ce qu’il est. Les étapes retenues sont au nombre de treize et, à chacune d’entre elles, la branche qui conduira à Sapiens s’est séparée d’autres représentants du monde vivant que nous évoquerons succinctement.
Étape 1 : l’homme est un eucaryote (- 2 milliards d’années)
Eucaryote signifie « ceux qui possèdent un véritable noyau » par opposition aux procaryotes que sont bactéries et archées, autrefois nommées archéobactéries. Ces eucaryotes (mono ou multicellulaires) ont pour caractéristiques principales de posséder un noyau contenant de l’ADN, porteur des caractéristiques génétiques. Ils peuvent se diviser (mitose) et se reproduire (pour la grande majorité au moyen d’une reproduction sexuée). À ce titre, l’homme est un eucaryote, tout comme les champignons et les plantes.
Étape 2 : l’homme est un métazoaire (- 900 millions d’années)
Le terme de métazoaire correspond aux animaux et, puisqu’il est l’un d’eux, l’homme est un organisme multicellulaire capable de se nourrir de constituants organiques préexistants (on parle alors d’hétérotrophie). Du coup, plantes et champignons sont ici exclus. Il est à noter qu’il aura fallu plus d’un milliard d’années pour voir apparaître ce type d’organismes, une période si longue qu’elle est impossible à concevoir réellement pour l’esprit humain.
Étape 3 : il est également un bilatérien (- 700 millions d’années)
Comme la plupart des animaux, l’homme présente uns symétrie bilatérale, c’est-à-dire qu’il possède un côté droit et un côté gauche. C’est à ce stade que l’ancêtre de l’homme se sépare des animaux qui ne sont pas bilatériens comme les éponges et les méduses.
Étape 4 : … un vertébré (-600 millions d’années)
100 millions d’années plus tard apparaissent les vertébrés. Ces animaux sont dotés d’un squelette osseux ou cartilagineux qui assure une certaine rigidité à leur organisme. Leur
autre forme de protection : hémithorax chitinisé (carapace)
colonne vertébrale est l’endroit où est protégé le système nerveux central. Il s’agit évidemment d’une évolution majeure, résolue différemment par d’autres bilatériens comme les arthropodes (insectes, arachnides, crustacés) qui possèdent une carapace, les mollusques affublés quant à eux d’une coquille ou bien restent dépourvus de parties dures comme les vers. Il est à noter que les arthropodes sont de loin ceux qui possèdent le plus d’espèces et d’individus dans le monde du vivant : à titre d’exemple, les insectes sont approximativement au nombre de 1019 soit 10 milliards de milliards…
Étape 5 : … un tétrapode (-350 millions d’années)
Il y a 350 millions d’années environ (une époque appelée le dévonien), une nouvelle différenciation va voir le jour avec l’apparition d’individus dotés de quatre membres par opposition aux poissons (pourtant vertébrés comme eux) dont ils se différencient. Font également partie de cette superclasse tétrapode : les reptiles, les dinosaures et les oiseaux. Ces tétrapodes ont une particularité : ils utilisent souvent une respiration pulmonaire qui est la conséquence (ou l’origine) de leur passage depuis la mer à la terre ferme, une des colonisations du vivant parmi les plus importantes de son histoire.
Étape 6 : … un amniote (- 310 millions d’années)
Quelques millions d’années encore et la sélection naturelle va permettre le choix d’un avantage sélectif très important : la protection de l’embryon, futur être vivant à naître. Jusque là, il était pondu dans l’eau, milieu évidemment à risques. Dorénavant, une nouvelle enveloppe – utérus ou coquille – va le protéger du monde extérieur bien qu’il se développe toujours en milieu aqueux.
Les amniotes sont des tétrapodes qui, grâce à cet acquis essentiel, peuvent réellement s’émanciper du milieu aquatique à la différence, par exemple, des grenouilles qui continuent à pondre dans l’eau. Différents groupes d’amniotes coexistent mais ce sont les dinosaures qui vont bénéficier d’une radiation évolutive, c’est-à-dire d’une évolution rapide et dominante à partir d’un ancêtre commun conduisant à un foisonnement d’espèces différentes sur l’ensemble du globe.
Étape 7 : … un mammifère (- 100 millions d’années)
L’Homme fait partie des mammifères mais, à cette époque lointaine, ceux-ci vivent chichement : en raison de la domination sans partage des grands sauriens, ils sont
les mammifères dominèrent le monde... après les dinosaures
réduits à la portion congrue, sortes de petits rats insectivores essentiellement nocturnes : leur explosion radiative surviendra plus tard. Ils possèdent un certain nombre de caractéristiques qui leur seront très utiles par la suite : un système nerveux central, notamment encéphalique, relativement développé par comparaison avec les autres groupes, une température interne constante, énorme avantage lors des changements météorologiques (ensoleillement), un cœur possédant quatre cavités ce qui permet de mieux réguler l’oxygénation de l’organisme et leurs femelles ont des mamelles (d’où leur nom).
Étape 8 : … un euthérien (- 74 millions d’années)
Les mammifères se divisent eux-aussi en sous-groupes, notamment celui des mammifères thériens qui regroupe les mammifères placentaires (auquel appartient l’Homme) et les mammifères marsupiaux, par opposition aux monotrèmes comme l’ornithorynque (mammifère pondant des œufs). Est appelé euthérien le groupe des mammifères placentaires qui protègent leur descendance jusqu’au stade de juvénile tandis que les marsupiaux (ou métathériens) ont des petits qui naissent bien plus tôt (au stade de larves dont le développement reste à faire en dehors du corps de la mère ce qui est moins protecteur). Dans un sujet déjà évoqué, nous avions d’ailleurs vu que, à chaque fois que les mammifères placentaires et marsupiaux se sont affrontés pour la possession d’un territoire, ce sont les placentaires qui ont pris le dessus, éliminant leurs rivaux assez rapidement. A l’exception notable du continent australien qui ne fut jamais (du moins jusqu’à très récemment) colonisé par les placentaires.
Étape 9 : … un primate (- 30 millions d’années)
Les primates (de « premier ») forment un groupe au sein des mammifères placentaires. Il regroupe les petits singes, les lémuriens et les grands anthropoïdes dont certains donneront homo sapiens. Au début, ces primates étaient essentiellement arboricoles avant de recourir à la bipédie. Un primate est un plantigrade en ce sens qu’il marche sur la plante (toute la plante) des pieds et qu’il possède un pouce opposable. Son cerveau est développé et on cherche encore à savoir dans quelle proportion ce développement est à mettre au compte de la bipédie qui aurait libéré ses bras et notamment ses mains. Les lieux de prédilection des primates sont les régions tropicales ou subtropicales (seul l’homme moderne arrivera à coloniser tous les continents mais ce sera bien plus tard). Certains caractères leur sont propres comme le développement de la vision stéréoscopique et, pour certains, trichromatique (avec trois couleurs de base) au détriment de l’odorat qui est pourtant le système sensoriel dominant chez les mammifères.
Les primates présentent également un dimorphisme sexuel ce qui veut dire que mâles et
dimorphisme sexuel chez le hurleur noir (mâle au centre)
femelles diffèrent par la corpulence, la taille des canines voire la coloration mais le trait essentiel de ces animaux, c’est la présence d’un plus gros cerveau comparativement à celui des autres mammifères. Signalons enfin, un trait qui a son importance : le développement des primates est plus lent que celui des autres mammifères ce qui sous-entend qu’ils seront matures plus tard (handicap ?) mais avec comme compensation une durée plus longue de vie.
Étape 10 : … un hominoïde (- 20 millions d’années)
Les premiers singes africains datent d’environ 40 millions d’années contre 45 pour les plus anciens connus découverts en Chine. Il est encore difficile de comprendre dans quel sens est survenue cette migration. Ce n’est que plus tard que ces singes coloniseront les Amériques. Il y a 35 millions d’années, à la limite éocène-oligocène, une importante chute des températures se produit (environ 5 à 6° sur une durée de 500 000 ans ce qui est rapide à l’échelle de l’histoire de la Terre). Surnommée « la grande coupure » ce changement relativement brutal survient alors que la période précédente - qui avait duré plus de 25 millions d’années - avait été une des périodes les plus chaudes de l’ère géologique Ce changement climatique a forcément des conséquences sur la faune et la flore bien que celles-ci soient difficiles à retracer exactement. Le refroidissement va durer une dizaine de millions d’années avant qu’un climat plus favorable aux primates s’établisse, avec notamment l’émergence d’une nouvelle superfamille, les hominoïdes. C’est le nom qui est donné par les scientifiques à de grands singes se différenciant des autres singes par la perte de leur queue. Cette famille comprend les gibbons, les orangs-outans, les gorilles, les chimpanzés et les humains.
Étape 11 : … un hominoïdé (- 16 millions d’années)
Hominoïdés : c’est ainsi que l’on nomme le groupe précédent une fois qu’en ont été retirés les gibbons il y a 16 millions d’années ; ceux-ci diffèrent notablement des autres grands singes par leur taille plus petite, leur mode de vie arboricole pur avec usage d’un mode de locomotion par balancement d’un arbre à l’autre (brachiation) et ce, grâce à leurs très longs bras.
Étape 12 : … un hominidé (- 9 millions d’années)
Lors de cette étape, ce sont les orangs-outangs (pongidés) qui sont séparés de la lignée principale des grands singes anthropomorphes (et donc du genre homo). Ne restent que chimpanzés, bonobos, gorilles et humains (au sens large du terme = homo). Durant très longtemps, les scientifiques influencés par leur époque ont cherché à séparer les grands singes anthropomorphes et l’Homme : pour des raisons philosophiques et religieuses, il ne paraissait alors pas possible de considérer l’Homme comme un grand singe dont le cerveau était simplement un peu plus développé que celui des autres grands singes. Heureusement, ces préjugés sont aujourd’hui abandonnés.
Tous les spécialistes ne sont pas encore d’accord pour exclure les orangs-outangs du groupe des hominidés mais une chose est certaine : l’homme est bien un hominidé.
Étape 13 : … un homininé (- 7 millions d’années)
C’est la dernière grande séparation du genre humain avec des espèces réellement
arbre phylogénétique de homo sapiens
différentes, en l’occurrence, ici, les gorilles. Sous-famille de la famille des hominidés, les homininés comprennent parmi les espèces survivantes les chimpanzés et les bonobos. De nombreuses espèces disparues relèvent également de cette sous-famille comme les australopithèques, les paranthropes, les ardipithèques ainsi que des fossiles encore à classer (Toumaï, Orrorin). Et, bien sûr, toutes les familles d’homo dont une seule a survécu : sapiens. Suite à la disparition de Neandertal, des hommes de Denisova et de Florès et (avant eux homo habilis, erectus, etc.), c’est curieusement les chimpanzés et les bonobos qui, quoique cousins relativement éloignés, sont nos plus proches parents.
Dans ce groupe des homininés, n’importe quel observateur peut s’apercevoir des importantes différences existant entre un chimpanzé et un homme. D’ailleurs, ce dernier pratique une bipédie exclusive et, en sus d’un langage compliqué lui permettant de bâtir des concepts abstraits, son cerveau lui a permis de disposer d’outils de plus en plus élaborés. Néanmoins, d’un point de vue purement génétique, homo sapiens partage plus de 98% de ses gènes avec le chimpanzé (et 99,4 % si l’on ne retient que les 97 gènes fonctionnels des deux espèces).
Un long cheminement
Pour en arriver à l’homme d’aujourd’hui et à sa domination sans partage sur la planète, il aura fallu du temps, beaucoup de temps. D’un organisme formé de quelques cellules agissant en synergie, on est arrivé aujourd’hui à la coexistence d’individus infiniment plus compliqués. Cette complexification s’est faite sous l’influence de la sélection naturelle, c’est-à-dire par ajustements progressifs aux variations de milieu, ces dernières étant le fruit du hasard. Certaines espèces n’ont pas pu s’adapter, soit qu’elles n’en portaient pas en elles la possibilité, soit que les transformations de leur écosystème apparurent trop vite pour qu’elles puissent réagir. Chaque fois, cette disparition, puisqu’elle laissait un vide, a été comblée par l’arrivée d’une autre forme de vie, dans une sorte de ballet sans cesse renouvelé.
Vers la fin de sa vie, Darwin qui avait durant tant d’années réfléchi à la question, était arrivé à la conclusion que l’évolution de la Vie quelle qu’en soit la forme était sur Terre la conséquence de hasards multiples : catastrophes naturelles, volcanisme, glaciations, etc. De ce fait il ne croyait pas au progrès (si en vogue à l’époque) et ne pensait pas que la complexification évoquée plus haut était synonyme d’amélioration. D’ailleurs, nombre de formes de vie du passé et aujourd’hui disparues étaient aussi complexes et élaborées que les formes vivant de nos jours (si ce n’est plus).
Dans le même ordre d’idée, si l’apparition d’homo sapiens est essentiellement due au hasard, il ne saurait être question de le considérer comme un but évolutif (comme certains
chimpanzés, les plus proches parents de l'homme
ont, peut-être par un orgueil mal placé, trop souvent tendance à le croire). L’homme moderne n’étant certainement pas un achèvement, d’autres étapes sont susceptibles d’intervenir avec l’apparition de formes de vie mieux adaptées aux changements de milieu (ceux-ci étant cette fois peut-être induits par le seul homo sapiens).
Ces modifications majeures de notre cadre de vie commun – la Terre et ses ressources épuisables – se font malheureusement à la vitesse de l’éclair, sans que les espèces peuplant notre monde n’aient probablement le temps biologique nécessaire pour s’adapter. Nous évoquions un peu plus haut les conséquences considérables de la perte de 5°C en 500 000 ans à la fin de l’éocène, il y a 35 millions d’années, et voilà que certains scientifiques évoquent l’augmentation actuelle de 3°C en … cinquante ans ! Les chiffres sont sans appel.
La sixième grande extinction de masse des formes vivantes n’a-t-elle pas déjà commencé ?
archéoptéryx : dinosaure volant ou oiseau véritable ?
Le mot « dinosaure » a été formé à partir du grec ancien δεινός / deinόs (« terriblement grand ») et σαùρος / saûros (« lézard »). C’est dire que, dès la découverte des premiers fossiles de ces animaux, les scientifiques avaient avant tout suspecté une relation entre eux et les reptiles. D’ailleurs, ces bêtes énigmatiques pour l’époque étaient également appelés « grands sauriens », saurien désignant un reptile comme le lézard ou le caméléon. Il faut dire que les squelettes immenses, parfois reconstitués avec difficulté, « donnaient l’impression » de rappeler quelque part la classe des reptiliens. On ne possédait alors pas d’éléments décrivant l’aspect extérieur des dinosaures, s’ils portaient des écailles ou des plumes, quels étaient leurs comportements réels, etc. Aujourd’hui, notamment avec les extraordinaires fossiles récemment mis au jour en Chine, on en sait un peu plus et le problème de l’origine des grands sauriens semble plus complexe que prévu…
Les différentes lignées de dinosaures
Peu après leur apparition il y a 225 millions d’années, les
saurischien sauropode
dinosaures se séparent en deux branches : les saurischiens et les ornithischiens. La différence entre ces deux groupes est d’ordre anatomique : les premiers, les saurischiens (herbivores ou carnassiers), ont un bassin de lézard (pubis orienté vers l’avant) tandis que les ornithischiens (herbivores) ont un bassin comme celui des oiseaux (pubis vers l’arrière) d’où leur autre nom d’avipelviens. Les saurischiens se divisent à leur tour en deux familles différentes, les sauropodes (herbivores)
saurischien théropode
et les théropodes (carnassiers). Or - et c’est ici que se situe un paradoxe - on est pratiquement certain aujourd’hui que les oiseaux, seuls descendants des dinosaures, se sont formés à
partir des théropodes (les dinosaures qui avaient primitivement un pubis de lézard) : nous aurons l’occasion d’y revenir.
Première piste : l’archéoptéryx, oiseau archaïque ?
Le premier fossile d’archéoptéryx a été découvert en 1876 en Allemagne (plus précisément sur le site de Blumenberg près de Eichstätt). D’emblée, il pose un problème aux scientifiques puisqu’ils s’interrogent : a-t-on affaire à un oiseau très archaïque ou encore à un dinosaure volant à plumes ? Quelques « spécimens » supplémentaires plus tard, il semble bien que nous soyons face à un animal de transition entre dinosaures et oiseaux. Ayant vécu à la fin du Jurassique, il y a environ 150 millions d’années, archéoptéryx était semble-t-il capable de voler mais s‘agissait-il d’un simple vol plané (en s’élançant par exemple d’un arbre ou d’une hauteur) ? Des études récentes (2017) semblent prouver qu’il était capable de battre des ailes
premier fossile d'archéoptryx découvert en Allemagne
pour voler, probablement pas à la manière des oiseaux actuels mais plutôt comme les nageurs de brasse-papillon. Son anatomie lui interdisait également de décoller comme les oiseaux modernes mais, après tout, de nos jours, c’est aussi le cas de l’albatros qui arrive pourtant bien à quitter le sol après une course parfois approximative…
Archéoptéryx était couvert de plumes dont on a récemment démontré qu’elles étaient noires. Il possédait nombre de caractères le rapprochant des dinosaures théropodes comme, entre autres, des ailes pourvues de trois doigts griffus, un museau « très dinosaurien », une mâchoire avec des alvéoles renfermant des dents pointues, loin évidemment des becs cornus des oiseaux actuels.
La paléontologie chinoise, en plein essor grâce à des sites de fossiles à la conservation remarquable, a récemment apporté une réponse avec la découverte de nouveaux spécimens d’archéoptéryx et apparentés (anchiornis). Les scientifiques purent ainsi mettre en évidence chez ces individus le museau assez plat et des régions postérieures aux orbites assez étendues : absents chez les oiseaux, ces caractères morphologiques sont ceux que l’on connait chez les vélociraptors et autres microraptors et, de ce fait, notre archéoptéryx retrouve, 150 ans après sa découverte, son statut vraisemblable, non pas d’oiseau mais de dinosaure volant.
Les ancêtres des oiseaux : les maniraptoriens
Il y a quelques années, en cherchant à « systématiser » l’origine des oiseaux, les scientifiques se sont particulièrement intéressés à un groupe (clade) bien particulier de dinosaures
maniraptorien (ici, microraptor)
théropodes nommés maniraptoras (« mains préhensiles ») qui vivaient au Jurassique et au Crétacé (et qui incluait les vélociraptors). Pourquoi ? parce que ces dinosaures présentent des caractéristiques très particulières qui, comme on va le voir, les rapprochent de ce que deviendront les oiseaux.
* les maniraptoriens ont de longs bras et mains, des plumes, une queue raide et un pubis allongé pointant vers l’arrière (caractéristique des oiseaux)
* leur système respiratoire est porteur de propriétés typiquement aviaires. Pour comprendre, revenons un instant sur la manière de respirer des oiseaux. Ceux-ci ne respirent pas comme les mammifères : l’air entre de façon continue dans leurs poumons dont la structure est capillaire et non alvéolaire. Pas d’alvéoles, certes, mais des sacs aériens dont certains s’infiltrent dans les os (qui sont creux ce qui allège considérablement le vol). Au repos (et durant le sommeil), les poumons varient en amplitude mais sont bloqués durant le vol. Cette synergie poumons-sacs aériens autorise les énormes besoins en énergie demandés par le vol. De plus, le système permet également une température corporelle constante, plus élevée que chez les mammifères. Eh bien, les maniraptoriens sont les seuls dinosaures possédant un système respiratoire voisin (bréchet et sternum étant remplacés par des côtes supplémentaires dans leur abdomen).
* les plumes : les rémiges (grandes plumes des ailes des oiseaux aussi appelés pennes) ont été identifiés chez certains maniraptoriens (dont les vélociraptors, n’en déplaise à « Jurassic Park »). Or, la plupart de ces dinosaures ne volaient pas ce qui laisse supposer une fonction différente pour les plumes : camouflage probablement, sélection sexuelle, peut-
velociraptor
être, comme on l’a déjà noté dans ce blog pour bien des oiseaux ou, plus simplement encore, protection contre la perte de chaleur ce qui laisserait alors supposer qu’ils étaient homéothermes, qu’ils avaient le sang chaud. Du coup, la réutilisation ultérieure des plumes pour une autre fonction (le vol) est ici une exaptation, c’est-à-dire, selon Stephen J. Gould, une adaptation sélective différente de la fonction initialement prévue.
Les arguments en faveur de la transformation d’un sous-groupe de théropodes, les maniraptoriens, en oiseaux semblent donc assez solides.
Des dinosaures…
Le règne des dinosaures a pris fin, au crétacé, il y a 66 millions d’années lorsqu’un astéroïde gigantesque vint frapper la presqu’île du Yucatan, au Mexique, et supprima la presque totalité de la vie de notre planète : ces animaux auront donc exercé leur supériorité sur le reste du vivant durant plus de cent-soixante millions d’années. 160 millions d’années ! Voilà un chiffre qui n’est pas facile à visualiser lorsqu’on a déjà du mal à comprendre ce que représente sur Terre la présence de l’homme moderne, un peu plus de 5000 ans. On peut dire autrement : l’homme moderne a vécu 0,003% de la durée de la présence des dinosaures sur Terre… Ce rappel des durées immenses qui nous séparent du crétacé n’est pas anodin : il permet de concevoir comment, peu à peu, sous la pression de la sélection naturelle, d’avantages sélectifs en avantages sélectifs, certains dinosaures ont pu se perpétuer en changeant totalement de forme pour devenir le groupe abondant et diversifié des oiseaux.
…aux oiseaux (petit rappel)
Les oiseaux forment la classe des Aves. Ce sont des animaux
Gros Bec de Guyanne : des espèces d'oiseaux...
vertébrés, à quatre membres dont deux sont des ailes ce qui permet (pour l’immense majorité d’entre eux) le vol. En 66 millions d’années (depuis la météorite de la fin du crétacé), ils ont eu le temps d’apparaître, de s’adapter et de se diversifier puisqu’on compte près de 10 500 espèces d’oiseaux recensées (en 2016).
Ils possèdent en commun, à différents degrés variés, des plumes ou des écailles cornées (ou les deux), une mâchoire dépourvue de dents (contrairement à l’archéoptéryx) mais enveloppée d’une gaine cornée formant un bec, une queue courte et, surtout, des membres antérieurs transformés en ailes (le
... fort différentes (ici, un serin européen)
plus souvent fonctionnelles mais pas toujours) ainsi que des pattes arrières qui sont seules à permettre la progression au sol ou dans l’eau. Ils sont par ailleurs homéothermes. Enfin,
caractère à ne pas oublier, ils sont tous ovipares ce qui veut dire qu’ils pondent des œufs entourés d’une fine coquille que les parents devront couver un certain temps pour assurer le développement de leur progéniture.
Une transformation aviaire sur une très longue durée
Longtemps on a cru que, dans le règne animal, les oiseaux étaient une sorte d’intermédiaire entre les reptiles et les mammifères.. On sait aujourd’hui qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse qui arrangeait notre ignorance. La phylogénétique moléculaire nous apprend que le groupe actuel le plus proche de celui des oiseaux est le groupe des crocodiliens.
La paléontologie laisse supposer, avec, on l’a dit, des arguments plutôt convaincants, que ce sont en fait des dinosaures théropodes qui ont donné naissance aux oiseaux, et plus particulièrement le groupe des maniraptoriens (voir plus haut dans le texte).
Une discipline spécialisée de la biologie évolutive appelée néontologie a étudié l’anatomie comparée des oiseaux pour en déterminer l’évolution récente et ses conclusions vont dans le même sens. De son côté, la cladistique (qui est, rappelons-le, la reconstruction des relations de parentés entre les êtres vivants au moyen de « cellules » appelées clades dans lesquels les individus retenus sont plus apparentés entre eux qu’avec n’importe quel autre groupe) a également conclu que les oiseaux sont bien issus des dinosaures théropodes.
La transformation dinosaures-oiseaux s’est faite au cours des millions d’années qui nous séparent du crétacé et, comme pour les humains, il n’y a pas de chaînon manquant (voir l’article : le mythe du chaînon manquant). Cela veut dire que, progressivement, avec parfois des retours en arrière et des
derniers descendants carnivores des théropodes : ici, un aigle royal
périodes de stase, de plus en plus de caractéristiques aviaires sont apparues chez des dinosaures de moins en moins « sauriens ». Une fois l’essentiel réuni, lorsque les propriétés anatomiques principales des oiseaux furent suffisamment présentes, ce fut une explosion évolutionnaire et la diversification que nous connaissons. Comme pour les humains donc, il n’y a pas un « ancêtre » commun à tous ces oiseaux mais des espèces et des individus porteurs progressivement de plus en plus de caractéristiques aviaires. Cette « aviarisation » de certains dinosaures théropodes a commencé bien avant la catastrophe du crétacé et a permis à cette branche très particulière de résister à la grande extinction qui emporta tous leurs cousins. Ce que l’on ne sait pas, en revanche, c’est la raison de cette survie lors de la catastrophe : simple bonne fortune donc hasard ou déjà adaptation à des circonstances nouvelles ? On pourrait se poser la même question pour d’autres survivants (je pense par exemple aux crocodiliens).
Les grands sauriens ont, durant des millions d’années semble-t-il, bridé l’expansion des mammifères et il aura fallu attendre la disparition des plus agressifs et volumineux d’entre eux pour que cette libération se produise. Dans le même temps, on peut également avancer que d’autres dinosaures - les oiseaux - n’ont pas empêché la diffusion radiative des mammifères tout en réussissant leur occupation d’un écosystème très important. On peut en retenir que la nature est toujours une notion d’équilibre ce que certains humains, de nos jours, semblent oublier… à leurs risques et périls.
Brève 1 : les plumes avant le vol !
Depuis la découverte de dinosaures à plumes en Chine, il est établi que les oiseaux sont issus des dinosaures théropodes. Les nombreux fossiles de ces animaux révèlent que les plumes sont apparues d’abord sous forme de duvets colorés, utiles pour préserver la chaleur du corps et s’attirer l’intérêt des femelles. La capacité de voler n’est venue qu’après, au terme d’une lente et profonde modification de la morphologie des dinosaures aviens.
Zhenyuanlong est un dinosaure à plumes découvert à Jinzhou, en Chine. C’est l’un des nombreux fossiles découverts récemment qui montrent que les dinosaures théropodes ont longuement évolué avant même l’apparition de la capacité à voler.
Rendre le vol possible, séduire une femelle ou intimider un rival, retenir la chaleur corporelle, protéger les œufs pendant la couvaison… Les plumes ont tant d’usages qu’il a été difficile de comprendre quelle fut leur première fonction.
La transition entre dinosaures et oiseaux a couru sur des dizaines de millions d’années d’évolution. Elle a été si progressive qu’il n’existe pas de distinction claire entre « oiseaux » et « non-oiseaux ».
(Pour la Science, Hors-Série n°119, mai-juin 2023)
Au moment où j’écris ces lignes, le blog comprend 148 articles dont plus de 60 ont trait à la théorie de l’Évolution, la grande majorité de ces derniers concernant les mécanismes et les conséquences de ces lois. Quelques lecteurs m’ont demandé de chercher à réunir de la façon la plus synthétique possible ces différents éléments dans un article qui permettrait d’avoir une perspective plus globale de l’Évolution : c’est ce que je vais essayer de faire aujourd’hui. Je ne manquerai bien sûr pas de mentionner les références des articles plus spécialisés au fur et à mesure de l’avancée du texte.
Avant les travaux de Charles Darwin, les réponses données à la présence de l’Homme sur Terre étaient simples et rassurantes : le monde était créationniste et il était inchangé
Chateaubraind vers la fin de sa vie
depuis sa formation quelques milliers d’années plus tôt par Dieu ; les êtres vivants existent tels quels une fois pour toutes etrien ne peut les modifier. Jamais. Les fossiles retrouvés par hasard ? Un moyen divin de tenter l’Homme et de s’assurer de la profondeur de sa foi : même le grand écrivain que fut Chateaubriand adhérait pleinement à cette approche (« Si le monde n’eût été à la fois jeune et vieux, le grand, le sérieux, le moral, disparoissoient de la nature, car ces sentiments tiennent par essence aux choses antiques. Chaque site eut perdu ses merveilles. » Chateaubriand, le génie du Christianisme, chapitre V, jeunesse et vieillesse de la Terre). Avant lui, en 1650, James Ussher, archevêque anglican, avait même calculé que notre planète avait été créée dans la nuit précédent le dimanche 23 octobre 4004 avant J.C. (calendrier Julien).
C’est dire que Darwin savait qu’il allait profondément déranger bon nombre de ses contemporains et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il hésita de nombreuses années avant de publier son ouvrage princeps « de l’origine des espèces » (1859).
Charles Darwin (1809-1882)
Il était pourtant sûr de lui, après avoir passé des années à observer des centaines d’espèces vivantes tant animales que végétales ; il en était arrivé à une conclusion simple et indiscutable : il existe des modifications chez les êtres vivants qui se transmettent de génération en génération et ces changements avantagent ou désavantagent ceux qui en sont porteurs de sorte que s’opère un « tri » : c’est la sélection naturelle.
On comprend aisément que, à l’époque de Darwin, des pans entiers de la science étaient totalement inconnus : Darwin, par exemple, se demandait comment les caractères apparus chez certains individus pouvaient se transmettre à ses descendants, les travaux de Mendel et la génétique étant totalement inconnus. Il faudra des décennies pour que des réponses satisfaisantes soient apportées, renforçant à chaque fois la théorie de Darwin, en la modifiant techniquement en fonction de l’avancée des connaissances… mais sans jamais en remettre en cause l’esprit.
La « révolution » darwinienne repose sur trois points…
* Le premier est facilement compréhensible : il existe un ancêtre commun (le premier être multicellulaire) à toutes les espèces vivantes et c’est à partir de lui que se sont diversifiées les espèces, parfois de façon stupéfiante (quel rapport apparent existe-t-il entre une mouche et un corail à part le fait que tous deux sont vivants ?). Puisque, par ailleurs, on peut mettre en évidence des fossiles d’êtres vivants nous ayant précédés mais disparus depuis longtemps, il faut bien que la Terre soit plus vieille que ce que l’on prétendait alors. Les travaux du géologue Lyell qui inspirèrent Darwin parlaient de centaines de millions d’années et, pour le scientifique anglais, c’était bien le minimum. Hélas, l’autorité morale en physique de l’époque qu’était Lord Kelvin avait ruiné les espérances de Darwin après avoir calculé que la Terre ne pouvait exister que depuis 20 à 40 millions d’années sinon elle serait complètement froide. Les Darwiniens étaient certains qu’il se trompait mais sans pouvoir en apporter la preuve. Il fallut attendre Rutherford et la mise en évidence de la radioactivité terrestre pour apporter une réponse : 4,5 milliards d’années ce qui est bien suffisant pour l’éclosion et le développement de la vie actuelle.
* Le deuxième point stipule que des variations lentes et progressives sont à l’origine de la transformation des espèces au cours du temps. En réalité, Darwin ne fait que reprendre ici à son compte ce que les transformistes comme Buffon, Lamarck ou Geoffroy Saint-Hilaire avaient déjà postulé en étudiant les fossiles. Il pense lui aussi que ces transformations se transmettent de génération en génération : c’est ce qu’il avait déjà noté en étudiant les espèces domestiquées par l’Homme (élevages) et qu’il retrouve dans la Nature pour les espèces sauvages quoique à un rythme bien plus lent.
* Mais ce qui fait la véritable originalité des travaux de Darwin, c’est l’introduction d’une notion fondamentale pour l’évolution des espèces : la sélection naturelle.
Inspirée de l’ économie (notamment des travaux de Malthus), la sélection naturelle explique pourquoi certains individus (et donc certaines espèces) sont favorisés par rapport à d’autres. Suite à une mutation spontanée dont l’expression est le plus souvent facilitée par une modification de l’environnement où ils vivent, quelques individus sont effectivement mieux armés pour survivre : on parle alors d’avantage sélectif. De ce fait, ils auront plus de descendants que leurs congénères « non mutés » et, peu à peu, leur population en arrivera à supplanter la population d’origine.
Cette sélection naturelle peut prendre un autre aspect : celui de la sélection sexuelle qui complète les pressions de sélections environnementales en ce sens que c’est alors la femelle (exceptionnellement l’inverse) qui va choisir le mâle porteur des gènes les plus favorables selon des critères physiques et/ou comportementaux instinctuels parfois très élaborés.
Si Darwin comprend bien qu’il existe des modifications des espèces qui s’imposent au fil du temps, il est bien incapable de comprendre par quels mécanismes, la génétique restant à son époque complètement inexistante. Pourquoi et comment l’avantage évolutif, fondement de la théorie, peut-il être transmis du parent à l’enfant ? Mystère pour l’époque.
Un autre aspect de la pensée darwinienne reste flou : celui de la notion d’espèce. L’espèce est un concept qu’on peut à la limite comprendre assez aisément de façon intuitive mais qui, d’un point de vue strictement scientifique, reste plutôt flou. Comment le définir ? Pour reprendre un exemple facile, pourquoi sait-on qu’un chihuahua est un chien et appartient donc à la même espèce qu’un Saint-Bernard et non pas à celle d’un chat dont il est morphologiquement plus proche ? L’absence de l’explication génétique est encore une fois fort perturbante.
Autre problème majeur: qu’en est-il du rythme évolutif des espèces ? Est-il lent et progressif comme le pense Darwin ou, au contraire, rapide et par à-coups ce que laisserait supposer l’absence de découverte des fossiles « intermédiaires » montrant les infimes modifications successives ? Il n’y a pas de réponse claire et les ennemis du savant anglais se font fort de le lui rappeler.
Enfin, un dernier point fait débat : la sélection naturelle porte-t-elle uniquement sur les individus ou concerne-t-elle d’autres niveaux de la Vie, comme les groupes ou même les espèces dans leur globalité ?
En ce milieu du XIXème siècle, la science n’est pas en mesure de répondre à ces questions pourtant fondamentales. Il faudra attendre le siècle suivant pour commencer à y voir plus clair.
Les progrès de la science apportent des réponses
* Les lois de l’Hérédité
C’est la connaissance de ces lois qui manqua si cruellement à Darwin mais le décryptage de la génétique ne se fit pas d’un seul coup, tant s’en faut. On peut résumer ces acquis selon quatre étapes.
Il y eut d’abord les travaux précurseurs de Mendel…
Le moine tchèque travaillait sur des pois et observa ce que donnaient les croisements des différentes espèces de ces végétaux. Vers 1850, il en tira trois lois qui expliquaient de façon précise les principes de l’hérédité biologique qui permet un transfert des caractères des parents vers les descendants
Gregor Mendel (1822-1884)
. Curieusement, la découverte par Mendel des lois de l’hérédité eurent lieu du vivant de Darwin : ce dernier avait même reçu un tiré-à-part des travaux de Mendel mais, malheureusement, il ne le lut pas. Deuxième rendez-vous manqué : Mendel vint à Londres en 1862 mais n’eut pas l’occasion de rencontrer Darwin dont il connaissait pourtant les travaux… La découverte du Tchèque, capitale, ne fut pas exploitée et tomba dans l’oubli jusqu’en 1900 où elle fut enfin reconnue.
… puis les travaux d’August Weissman, un médecin et biologiste allemand, qui consacra la plus grande partie de sa vie à démontrer l’impossibilité de la transmission des caractères acquis avant de conclure que le seul moyen de transmettre une information d’un parent à son descendant reposait sur la continuité du « plasma germinatif » ou, dit autrement, que les organismes pluricellulaires sont constitués de cellules germinales contenant l’information héréditaire (appelé aujourd’hui génome) et de cellules somatiques pour les fonctions vitales. C’était un immense pas en avant puisque prouvant le support matériel de l’hérédité.
En 1901 la notion de mutation est pour la première fois exprimée par le botaniste néerlandais Hugo de Wries qui défend alors la conception darwinienne de la sélection naturelle. Quelques années plus tard, en 1909, Wilhelm Johannsen, évoque la notion de gène et propose de la définir de manière purement opérationnelle par rapport à la combinatoire mendélienne. Il ne reste donc plus qu’à découvrir la nature physique de ces gènes dont on ignore encore tout.
Il faudra attendre 1953 pour que Watson et Crick découvrent la structure physico-chimique de la molécule supportant ces gènes, l’ADN, et la structure en double hélice des chromosomes. Le code génétique permettant aux cellules de déchiffrer les séquences de gènes et donc de construire les molécules nécessaires à la vie cellulaire est finalisé en 1961 (Nirenberg et Matthael)
On imagine la joie qu’aurait ressentie Darwin de voir enfin élucidé le moyen de transmettre les informations d’un individu à son descendant, lui qui n’avait fait que le supposer.
* Autre point épineux : Darwin nous dit que les espèces se transforment au cours du temps mais qu’est-ce qu’une espèce ?
Lors de son passage aux îles Galápagos, Darwin avait observé l’évolution des colonies de pinsons : selon les îles qu’ils occupaient, ces oiseaux s’étaient diversifiés (notamment par la forme de leurs becs) en fonction des sources de nourriture dont ils disposaient. Jusqu’à devenir incapables d’avoir une descendance commune : une population auparavant homogène avait donné naissance à des espèces différentes. On appelle ce phénomène spéciation (ici géographique).
Le fait de ne pas pouvoir engendrer de descendants est-il donc la caractéristique principale qui différencie deux espèces ? C’est ce que le biologiste Ernst Mayr (1904-2005) pensait : pour lui, le critère d’interfécondité est primordial et le fait de ne pouvoir obtenir une descendance marque
le tigron n'est pas une espèce car il ne peut se reproduire
l’appartenance à deux espèces différentes. Et cela même si ces espèces sont encore suffisamment proches pour engendrer des descendants non fertiles comme l’âne et le cheval (donnant un mulet ou un bardot) ou une lionne et un tigre enfantant un félin hybride appelé tigron…
Darwin s’exerça à tracer un arbre généalogique des espèces qui, bien entendu, n’est plus de mise à présent avec la génétique moderne. Continuant sur la lancée d’un Linné, créateur d’une première approche dite « systématique », la taxinomie a cherché à regrouper les espèces en fonction de leurs ressemblances : l’unité conceptuelle de base est le taxon, censé identifier tous les individus ayant certains caractères en commun. Il s’agit pourtant là d’une classification parfois arbitraire, de nombreux taxons associant des espèces fort disparates. Surtout si l’on songe que certaines « ressemblances » peuvent être fortuites, celles-ci étant le fait d’évolutions totalement indépendantes (on parle alors de convergence évolutive).
On a donc également recours à la cladistique, un clade étant un taxon qui ne regroupe que les individus dont on est certain qu’ils possèdent un caractère hérité d’un ancêtre commun.
Du coup, « l’arbre » généalogique des espèces s’est transformé en un buisson touffu mais une chose est aujourd’hui certaine : il n’existe aucun « sens » historique préétabli ou de marche vers un quelconque « progrès ». L’Évolution des différentes espèces se fait en parallèle, en fonction des variations des conditions de survie : dans cette optique, homo sapiens n’est qu’un animal parmi d’autres.
* Troisième point ayant posé problème : le rythme de l’Évolution
Darwin attendit toute sa vie, la découverte des fameux « fossiles intermédiaires », ceux qui auraient pu montrer les infimes modifications d’avec les espèces originelles prouvant le caractère lent et constant de leur évolution. Déjà du temps du savant anglais, certains de ses plus fervents admirateurs avaient quelques doutes. En effet, quand on observe bien les fossiles retrouvés, on distingue des individus qui restent inchangés durant des millions d’années puis qui, d’un seul coup, disparaissent sans que l’on puisse retrouver des formes de transition.
Aujourd’hui, on sait que Darwin avait partiellement tort sur ce point précis des lois de l’Évolution : la vitesse de transformation des espèces n’est pas constante. En 1972, Stephen J. Gould et Niles Eldridge avancèrent l’hypothèse que l’Évolution n’est pas minime et régulière mais qu’elle procède par soubresauts, associant de longues phases d’immobilisme - dites de stagnation - à des épisodes de transformations rapides (portant au plus sur quelques milliers d’années). Cette approche est appelée la « théorie des équilibres ponctués ».
Plus radical encore fut avancé le saltationnisme qui tablait sur la possibilité de « sauts » immenses transformant complètement l’espèce en une autre, par exemple avec l’apparition de membres ou d’organes surnuméraires. La communauté scientifique resta longtemps assez peu réceptive à ces idées plutôt iconoclastes avant que ne soit connue, dans les années 1980, l’existence de « gènes architectes » susceptibles d’entraîner des bouleversements majeurs dans l’organisation de l’embryon.
En réalité, comme souvent dans le domaine des sciences, il n’existe pas de réponse unique. Tout dépend de l’espèce considérée : certaines sont inchangées depuis toujours à la façon du cœlacanthe, ce poisson qualifié de « fossile vivant » puisqu’on le croyait disparu depuis des millions d’années et qui
coelacanthe
fut retrouvé identique à ses lointains ancêtres il y a quelques décennies ; d’autres espèces se transforment presque continuellement : il n’est que de se souvenir des mutations quasi-permanentes des bactéries pour échapper à l’agressivité des antibiotiques à leur égard.
Si l’on peut penser que les transformations radicales du saltationnisme restent marginales, il est tout à fait vraisemblable que modifications brutales et subites (équilibres ponctués) s’associent aux variations progressives s’étendant sur des laps de temps plus étendus comme le pensait Darwin. Cette sorte d’équilibre entre les deux mécanismes principaux doit d’ailleurs varier sensiblement en fonction des espèces étudiées sans que l’on puisse dégager une explication précise propre à chacune d’entre elles.
Avec l’idée de sélection naturelle, Darwin avait trouvé la raison principale de la transformation des espèces. Toutefois, le savant anglais pensait essentiellement à la sélection des individus constituant une espèce mais, en réalité, la notion est bien plus vaste. Si vaste qu’il n’est guère de domaine où l’on ne puisse l’appliquer. Du coup, on se demande s’il n’existe pas d’autres niveaux de l’Évolution visés par la sélection naturelle. Et se poser la question, c’est presque y répondre…
Où s’exerce réellement la sélection naturelle ?
Pour Darwin, la cible privilégiée et peut-être unique de la sélection naturelle est l’individu : porteur d’un avantage sélectif, celui-ci survivra plus facilement, se reproduira plus aisément et sa descendance finira par transformer toute l’espèce. Cette approche est restée longtemps la seule à être reconnue avant que certains scientifiques ne proposent un autre niveau d’action.
Sans remettre en cause la sélection naturelle individuelle, une autre approche consiste en effet à s’intéresser aux groupes auxquels appartiennent les dits-individus. L’étude notamment des insectes sociaux comme les fourmis ou les abeilles permet de percevoir que la sélection naturelle - et donc in fine l’Évolution - agit à un autre niveau. Concernant les fourmis, par exemple, il est certain que l’individu n’a guère d’importance
une fourmi n'est rien : seule compte la fourmilière
puisque, isolé, il est amené à disparaître : la force de l’espèce, c’est la fourmilière. Un avantage sélectif n’est d’aucune utilité à l’individu seul mais, une fois sélectionné, concernera les actions et le devenir de l’ensemble de la communauté. Vu sous cet angle, la sélection naturelle s'applique donc bien plus au groupe qu'à l’individu, ce groupe qui possède en réalité une puissance d’action bien supérieure à celle de la somme de chacun de ses composants.
Certains sont allés encore plus loin : Stephen J. Gould, « l’inventeur » des équilibres ponctués, se demandait quant à lui si la sélection naturelle ne concernait pas tout simplement certaines espèces dans leur ensemble, par exemple, lors d’une compétition pour une même niche écologique. D’autres, à l’instar du biologiste et éthologiste Richard Dawkins propose, non sans malice, qu’il faut considérer la sélection naturelle au niveau du gène, l’individu n’étant en quelque sorte que l’enveloppe charnelle destinée à le protéger.
Quoi qu’il en soit, on peut raisonnablement avancer que l’individu, par la modification de quelques uns de ses gènes, est le porteur de la transformation de son espèce et ce quel que puisse être le niveau d’application final de la sélection naturelle. Une question néanmoins reste en suspens : la transformation d’une espèce est-elle toujours une amélioration de celle-ci ? A-t-on le droit de dire que l’évolution conduit obligatoirement à un perfectionnement, qu’ elle est en somme une source de progrès ?
Un terme à proscrire, celui de « progrès »
Darwin écrivit le 4 décembre 1872 au paléontologiste américain Alpheus Hyatt : « Après mûre réflexion, je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’y a pas de tendance au progrès. »
Contrairement à une idée couramment admise, l’Évolution des espèces ne représente pas un « progrès », une sorte d’amélioration qui tendrait vers un idéal hypothétique. La sélection naturelle explique seulement comment les organismes se modifient au fil du temps en cherchant à s’adapter au modifications de leur milieux locaux. Elle permet simplement aux espèces de survivre lorsque leur environnement change (et ce, à la condition que ces changements ne soient quand même pas trop rapides). Au-delà de tout ce qu’apportait sa théorie, Darwin considérait que ce rejet du progrès au profit de simples ajustements ponctuels à des changements de conditions était la partie la plus fondamentale et la plus radicale de ses travaux.
Aucune autre théorie que l’approche Darwinienne ne peut expliquer aussi bien les observations du monde du vivant et son évolution au long des millions d’années de sa présence sur notre planète.
sans la météorite qui s'abattit il y a 65 millions d'années sur le Mexique, nous ne serions pas là...
Cette évolution relève évidemment du hasard puisque les événements qui provoquent l’adaptation des espèces à leurs milieux sont imprévisibles. Le hasard ? Ou, dit autrement, le déterminisme de la matière, plutôt, qui est sa strate cachée. Mais l'incertitude au bout du compte rendant impossible toute prévision d’avenir, en tout cas pour la matière vivante. La meilleure illustration en est la météorite du Yucatan qui, en détruisant le monde des dinosaures, permit l’essor des mammifères et des millions d’années plus tard l’apparition d’homo sapiens : une trajectoire légèrement différente de l’objet exterminateur et nous ne serions pas là pour en discuter.
Des milliards de milliards petits événements, de petits hasards ont fait du monde ce qu’il est aujourd’hui : comme le dit fort bien Gould, « si l’on pouvait rembobiner le film de l’évolution de la vie jusqu’à ses débuts à l’époque du schiste de Burgess et recommencer son déroulement à partir du même point de départ, il y aurait bien peu de chances pour que quelque chose de semblable à l’intelligence humaine vienne agrémenter la nouvelle version de l’histoire. »
L’immense mérite de Darwin a été de nous permettre de comprendre, au-delà des mythes et des préjugés, ce qu’a été l’évolution du vivant sur cette Terre. L’idée, dit-on, était dans l’air du temps et d’autres auteurs étaient proches de publier des travaux voisins du sien mais c’est bien à lui que l’on doit une publication « l’origine des espèces » qui a changé à jamais la Science. Et la compréhension du monde dans lequel nous vivons.
Sources :
1. Wikipedia France
2. Science et Vie.com
3. Encyclopaediae Britannica
4. CNRS : sagascience (dossier évolution)
Images :
1. Chateaubriand vers la fin de sa vie (sources : repro-tableaux.com)
2. Charles Darwin (sources : American Philosophical Society)
3. la sélection naturelle (sources : sedna.radio-canada.ca)
Après avoir parcouru certaines publications et/ou sites sur Internet et, plus encore, ayant découvert les interventions de quelques uns sur les réseaux sociaux, le moins que je puisse en conclure est que la notion même de ce que représente la sélection naturelle dans le processus général de l’Évolution est plutôt mal connue. Lorsqu’elle n’est pas totalement dénaturée… Il parait donc utile de revenir aujourd’hui (et bien que nous l’ayons déjà longuement évoquée sur ce blog) sur ce qu’est vraiment la sélection naturelle dans la grande machinerie de l’Évolution.
la théorie de l’Évolution est un ensemble de
lois validées par l’expérience
Précisons tout d’abord que la théorie de l’Évolution est bel et bien comme le dit le dictionnaire une théorie, c’est-à-dire « un ensemble organisé de principes, de règles, de lois scientifiques visant à décrire et à expliquer un ensemble de faits » et non pas comme le souhaiteraient les créationnistes de tous poils une sorte de juxtaposition d’hypothèses plus ou moins justifiées selon la bonne volonté de leurs auteurs. La théorie de l’Évolution revue et corrigée par ses aspects les plus modernes est à ce jour la meilleure explication possible à la manière dont est organisée la vie sur Terre. Comme la théorie de la relativité générale est pour le moment la plus susceptible d’expliquer l’univers qui nous entoure. Ces précisions étant faites, essayons d’aller un peu plus avant.
Dès la publication de son ouvrage, Charles Darwin (illustration) a bien expliqué que ce qui lui paraissait être le but de l’évolution des espèces était leur maintien le plus longtemps possible dans la sphère du vivant et donc leur adaptation continue au fur et à mesure de la survenue des inévitables changements du milieu au sein duquel elles vivent.
Il est bon de rappeler que le scientifique anglais fit part de sa découverte à un moment où la science était encore balbutiante dans de nombreux domaines. La génétique, par exemple, était totalement inconnue (ce qui obligea d’ailleurs Darwin à recourir partiellement à une explication par la transmission des caractères acquis !). De même, l’embryologie, la biologie, la génétique des populations, etc. n’existaient pas non plus ou si peu : Charles Darwin n’en eut que plus de mérite à bâtir une théorie que ces disciplines alors ignorées allaient largement valider par la suite.
Un des mécanismes fondamentaux de l’Évolution des êtres vivants est la sélection naturelle, à savoir la survie du plus apte, de celui qui présente le degré de résistance le plus élevé aux changements de son environnement, celui qui, en somme, possède sur tous les autres un avantage évolutif qui lui permet de survivre là où ses concurrents ne le peuvent pas.
Où agit réellement la sélection naturelle ?
Son action peut se situer à différents niveaux dont certains, parfois, sont peu intuitifs.
* l’individu : pour Darwin, c’est à travers l’individu que se signale cette faculté supérieure d’adaptation ; pour pouvoir se reproduire, en effet, un sujet doit tout d’abord atteindre l’âge de la maturité afin de rencontrer le ou la partenaire qui lui permettra de se reproduire puis il devra avoir la descendance la plus nombreuse possible, susceptible d’échapper ainsi aux « aléas » de l’existence. S’il est porteur d’un avantage significatif, il ne lui en sera que plus facile de « distancer » les autres. Cette approche de la sélection dite naturelle est longtemps restée ultra-dominante avant que d’autres évolutionnistes ne cherchent à l’étendre à d’autres niveaux.
* le groupe : pour certains évolutionnistes, l’individu, s’il est important, n’est pas seul dans la sélection : il faut également regarder le groupe auquel il appartient. Effectivement, dans certains cas plus nombreux qu’on l’imagine, il existe des sortes de collaborations innées comme nous avons pu le voir dans le sujet qui a été consacré à « l’intelligence animale collective ». En pareil cas, l’association de plusieurs individus leur permet d’être bien plus performants dans leur survie globale que s’ils avaient dû rester autonomes. Un exemple bien connu est celui des fourmis : seul, un individu ne peut rien mais avec l’aide de ses congénères, il appartient alors à une force tout à fait redoutable, susceptible non seulement de s’attaquer à des ennemis en apparence bien plus importants mais également capable d’actions spectaculaires et parfois difficilement imaginables. D’autres insectes sociaux (abeilles, termites, araignées sociales, etc.) décuplent aussi leurs possibilités par des actions de groupe.
* l’espèce : le paléontologue Stephen J. Gould, souvent cité dans ces pages, va même un peu plus loin ; il pense que la sélection naturelle peut concerner des espèces entières, notamment lorsqu’elles occupent des niches écologiques voisines. Il imagine que des changements environnementaux, parfois minimes, peuvent entraîner la fusion de niches écologiques jusque là parfaitement distinctes ; de ce fait ce sont deux espèce différentes qui se disputent un même milieu et cette compétition ne finira que par la disparition de l’une des espèces concernées.
* le gène : Richard Dawkins, dans son livre « le gène égoïste » publié en 1976, prend le contre-pied des approches précédentes en allant vers l’infiniment petit, le gène, composant des chromosomes. Selon son approche, seul le gène a de l’importance et seule sa survie au fil des âges explique la sélection naturelle ; ici, le groupe n’est que le moyen de diffuser et sauvegarder les gènes et, d’ailleurs, l’individu qui les renferme dans son patrimoine génétique n’est qu’une enveloppe, un simple contenant. Bizarre à première vue, l’idée n’est plus si étrange après réflexion.
Quoi qu’il en soit et quel que soit le support ou l’aspect de l’élément à transmettre, c’est bien la sélection naturelle, indépendamment du niveau de son d’action (on peut imaginer qu’il soit multiple), qui va permettre la transmission de certains caractères aux génération suivantes. Quels en sont les principes ?
Principes de la sélection naturelle
Premier principe : la variation
Au sein d’une même population, même s’ils gardent un air « général » de parenté, les individus varient de l’un à l’autre en taille, pilosité, couleur, etc.. Sur les chromosomes des différents sujets, la diversité génétique se manifeste à l’échelle de segments d’ADN qui localement varient : mutations, recombinaison génétique (notamment par la reproduction sexuée, nous y reviendrons) voire épigénétique expliquent que les individus d’un même groupe diffèrent les uns des autres.
Deuxième principe : la sélection
Les différents individus vivent dans un environnement spécifique qui présente la particularité d’être instable et changeant sur le long terme. Parfois ces changements sont si importants (climat, phénomènes naturels, irruption brutale de prédateurs, maladies, etc.) que nombre d’individus ne possèdent pas les moyens de s’adapter. C’est à cette occasion que celui qui sera porteur d’un avantage sélectif (obtenu, par exemple, au moyen d’une mutation jusque là restée latente) prendra le dessus sur ses congénères. La conséquence en sera qu’il aura plus facilement accès à la nourriture (il restera donc en bonne santé) ou à la reproduction et aura normalement plus de descendants ce qui nécessite toutefois qu’il puisse « transmettre son avantage » d’où le troisième principe indispensable à la sélection naturelle…
Troisième principe : l’hérédité
Nous avons vu que pour qu’une population puisse s’adapter à des changements de milieu, il fallait que les individus qui la composent soient variés et que, parmi eux, les mieux armés soient sélectionnés. Encore faut-il qu’ils puissent transmettre leur héritage à leurs descendants. Si c’est le cas, l’avantage sélectif sera réparti et développé dans l’ensemble du groupe. C’est de cette façon qu’une population finit par s’adapter aux changements de milieu (en précisant toutefois qu’il ne faut pas que ce changement soit trop brutal ou trop rapide).
illustration : chromosomes, une approche génétique que Darwin ne pouvait connaître
De quelle façon s’exprime la sélection naturelle ?
Dans l’imaginaire du profane, compte-tenu des généralisations approximatives et des contresens parfois volontaires, la scène qui vient presque toujours à l’esprit quand on évoque la sélection naturelle est celle du lion qui course la gazelle : cette dernière sera finalement attrapée et ce d’autant qu’elle est âgée (ou trop jeune) ou malade : on imagine alors que ne subsistent chez les gazelles que les individus les plus robustes, concourant ainsi à l’amélioration de l’adaptation de l’espèce à son milieu. Stricto sensu ce n’est pas faux mais cela reste terriblement réducteur ! En effet, cet aspect « guerrier », agressif et cruel de la Nature n’existe tout simplement pas : les animaux n’ont aucune animosité les uns envers les autres, jamais de haine ou de désir de vengeance et s’ils doivent se combattre c’est parce qu’ils n’ont pas d’autre moyen pour prendre l’ascendant sur cet autre qui est en compétition avec eux. La violence pure et dure reste fréquente mais il existe bien d’autres méthodes pour circonvenir celui dont on est in fine le prédateur. Précisons d’emblée qu’il s’agit là d’agression interspécifique mais que cette compétition existe aussi au sein d’une même espèce comme nous aurons l’occasion de le voir.
* compétition directe
Il existe donc dans la Nature des couples spécifiques proie-prédateur. Ces « couples » sont effectivement très spécialisés dans la mesure où, pour une niche écologique déterminée (et parfois même une saison précise), une proie n’a que peu de prédateurs, toujours les mêmes et qui dépendent d’elle : que la proie vienne à disparaître et le prédateur sera lui-même en grand danger, incapable le plus souvent de se fixer sur une autre proie équivalente. Prédateurs et proies ont des destins liés et la disparition de l’un peut entraîner un déséquilibre conduisant à des catastrophes écologiques. Dans la Chine de Mao, par exemple, il fut une année décidé de mettre à mort tous les oiseaux qui, semblait-il, ravageaient les vergers et diminuaient ainsi le rendement des récoltes : des dizaines de millions de volatiles furent ainsi exterminés dans l’allégresse générale. Hélas, l’année d’après il n’y eut plus de récolte du tout, les insectes, proies habituelles des prédateurs oiseaux, ayant tout dévoré.
. illustration : une araignée verte chasseuse d'insectes
* parasitisme
Il s’agit ici aussi d’une agression puisque la proie devient la victime de son parasite qui va profiter d’elle. Il existe néanmoins une différence capitale avec le cas précédent : autant qu’il le pourra, le parasite cherchera à être le moins agressif possible car, est-il besoin de le rappeler, la mort de la proie serait également une catastrophe pour lui, obligé de chercher à nouveau un hôte susceptible de l’héberger. C’est la raison pour laquelle certains parasites peuvent coexister étonnamment longtemps avec leurs proies, ne la quittant que lorsque celle-ci est victime d’un accident de vie, voire tout simplement de la vieillesse. Il existe évidemment diverses formes de parasitisme, depuis la guêpe fouisseuse qui pond ses œufs dans le corps d’un cafard prisonnier qui servira de réserve alimentaire pour ses larves, jusqu’à la douve du foie, parasite des ruminants dont l’homme n’est en somme qu’un hôte par défaut et même jusqu'au protozoaire qui pousse les rats au suicide…
L’art de se cacher, de se fondre dans son environnement est un moyen de résister au sort contraire, un moyen de s’adapter. On cite volontiers le cas de l’ours blanc dont une mutation ancienne a permis à ceux qui en sont porteurs de mieux se fondre dans la banquise et donc d’approcher plus facilement les proies (avantage évolutif). Il existe de nombreuses formes de mimétismes, certains individus copiant à merveille ceux dont ils s’inspirent afin le plus souvent de tromper leurs propres prédateurs : ainsi, des lézards imitent à la perfection le bois de l'arbre sur lequel ils guettent (photo); ailleurs des serpents imitent la robe de plus mortels qu’eux afin de dissuader toute attaque ; ailleurs encore des orchidées imitent la forme et l’odeur de guêpes ou d’abeilles de manière à ce que l’insecte mâle trompé puisse disséminer le pollen récupéré sur son corps lors de la pseudo-copulation. Les mimétismes sont parfois si élaborés qu’on se demande quel phénomène extraordinaire a pu les produire : nul miracle n’est ici en jeu et seule, l’Évolution, par tâtonnements successifs au cours de milliers de siècles, a pu arriver à un tel résultat…
. illustration : geckos uroplatus, sorte de lézard mimétique
* coévolution
La coévolution est l’évolution « côte-à-côte » de deux espèces qui, dans certains cas, finissent par devenir dépendantes l’une de l’autre ; en effet, chacune des espèces trouve un bénéfice dans une collaboration qui assure à chacune survie et reproduction. Pour illustrer une coévolution d’espèces, on cite souvent l’association d’un papillon de nuit avec une orchidée de Madagascar. Cette dernière possède une extension de la corolle (pétales) appelée « éperon ». Cet organe contient le nectar mais est d’une longueur assez importante puisqu’il mesure jusqu’à 25 cm : de ce fait, sur l’île de Madagascar, seul le papillon de nuit possède une trompe assez longue pour aller puiser le nectar. Ainsi, la fleur peut se reproduire facilement grâce au papillon qui, en contrepartie, bénéficie d’une nourriture réservée. La solution trouvée ici par l’Évolution est apparemment élégante mais souffre d’un handicap certain : si l’une des deux espèces disparaît, l’autre est automatiquement condamnée.
Cas particulier de la sélection sexuelle
Cette partie du sujet a fait l’objet d’une publication spécifique (voir « reproduction sexuée et sélection naturelle »), nous n’en évoquerons donc ici que les grandes lignes.
Très tôt dans l’histoire de la théorie de l’Évolution, il avait été remarqué cette bizarrerie que semble représenter la reproduction sexuée et plus précisément la sélection sexuelle. En effet, afin de « séduire » la femelle, le mâle (c’est exceptionnellement l’inverse) est amené à prendre des risques : il peut se parer de couleurs chatoyantes comme certains poissons ou oiseaux ou bien agrémenter sa parade du déploiement d’organes particulièrement voyants et malcommodes comme la queue du paon faisant la roue ; ailleurs, le mâle se lance dans une parade compliquée, extraordinairement codifiée, et qui demande toute son énergie car s’il manque un geste ou l’effectue improprement, la femelle se détournera de lui, persuadée qu’il ne possède pas les qualités (et les chromosomes) qu’elle recherche (exemples de nombreux oiseaux, notamment aquatiques). Dans tous les cas, le mâle fragilise sa position, soit en attirant l’attention d’un prédateur par sa nouvelle visibilité, soit en se déconcentrant et en baissant sa garde. Il doit donc bien exister un avantage quelque part pour qu'un individu se découvre ainsi puisque, au fil du temps, la sélection naturelle a conservé cette approche…
Eh bien, le risque d’être victime d’un prédateur existe mais, toutes choses pesées par ailleurs, il semble que, pour l’espèce, il soit inférieur au gain que représente le choix du meilleur mâle par la femelle. Séduire par une parade particulièrement réussie coûte peut-être la vie à quelques uns (au fond, peut-être trop hardis ?) mais permet le choix d’individus performants par rapport à ceux vécus comme plus ternes car moins entreprenants ou courageux,. Ce sont donc les chromosomes du plus vigoureux qui se distribueront plus rapidement et en plus grand nombre dans le groupe…
Nous venons d’évoquer ce que les spécialistes appellent la sélection intersexuelle, c’est-à-dire mettant en jeu mâles et femelles. Il reste à signaler un autre aspect de cette sélection par le sexe : la sélection intrasexuelle qui oppose les mâles entre eux pour la possession des femelles ; c’est, par exemple, les combats de cerfs se terminant parfois
par la mort d’un combattant (voire des deux lorsque leurs bois sont emmêlés) ou de gorilles lors de la remise en cause de la position dominante du mâle « alpha ». En terme de « rentabilité » évolutive, on peut formuler ici les mêmes remarques que pour la sélection intersexuelle.
La sélection naturelle, un item universel
La sélection naturelle est un élément majeur de la théorie de l’Évolution qui explique le fondement de l’Évolution elle-même : l’adaptabilité des espèces. Pour qu’une espèce, quelle qu’elle soit, survive au fil des centaines de milliers d’années, il lui faut s’adapter aux changements de son milieu, changements qui inéluctablement surviendront. Même ainsi, certaines transformations de la nature restent trop brutales ou trop rapides et, du coup, de nombreuses espèces disparaissent faute d’avoir pu s’adapter : ce fut le cas au cours des cinq grandes extinctions de masse qui ont peuplé l’histoire de la vie sur Terre (nous vivons d’ailleurs à cause de l’Homme actuellement une sixième extinction tout aussi terrible mais il s’agit là d’un autre sujet).
La vie est une course sans fin vers l’adaptation, vers une mise en conformité naturelle : le milieu change et oblige, sous peine de mort, à la mise à niveau des espèces ; la proie se dote d’une arme défensive nouvelle et oblige son prédateur à « inventer » une parade ; un nouveau prédateur apparaît qui contraint proie et prédateur de l’ancienne dualité à se « reconvertir » rapidement, etc. Il en est ainsi depuis la nuit des temps et, en dehors de toute intervention humaine, il en sera toujours ainsi. Ce paradoxe qui veut que l’on se transforme continuellement pour retrouver un équilibre antérieur se trouve résumé dans ce que l’on appelle « l’hypothèse de la reine rouge ».
Cette hypothèse de la reine rouge a été formulée par le biologiste américain Leigh Van Valen en 1972. Le biologiste fait allusion à une scène du roman de Lewis Carol, « de l’autre côté du miroir » qui est la seconde partie, moins connue, de « Alice au pays des merveilles ». À cet instant de l’histoire, Alice se trouve sur un échiquier et est entraînée dans une course terrible par la reine rouge du jeu d’échecs ; Alice ne peut s’empêcher de demander : « mais, Reine rouge, c’est étrange, nous courons vite et pourtant le paysage autour de nous ne change pas ? » et la reine de répondre : « Nous courons pour rester à la même place ».
Cette idée a été également reprise par l’écrivain italien Tomasi di Lampedusa dans son unique livre, « le guépard » où il fait dire à l’un de ses héros, Tancredi : « il faut tout changer pour que tout reste comme avant ! ».
La Vie est un éternel recommencement et la sélection naturelle y contribue de façon considérable.
Jean-Jacques Rousseau, le philosophe bien connu, en était certain : après y avoir mûrement réfléchi, il avait conclu à la bonté naturelle de l’Homme, du moins lorsqu’il est isolé ou au sein d’un petit groupe. Ce n’est qu’après qu’une société s’est bâtie que, selon Rousseau, l’Homme devient agressif et méchant ; en somme, c’est sa propre organisation sociale qui fait de lui ce qu’il est : un être attiré tant par la violence physique que par celle des pulsions psychologiques.
Rousseau, à son époque, ne disposait pas des données actuelles de la science : l’éthologie n’existait même pas et, de toute façon, l’étude du comportement animal ne l’aurait pas intéressé puisque, pour la plupart des esprits de ce temps-là, l’Homme n’était pas un animal mais bien plutôt un être élu destiné à dominer l’univers dans lequel il vit. Il s’agit à l’évidence d’une illusion (qui perdure encore chez certains) sur laquelle il convient de revenir si l’on veut enfin essayer de comprendre le monde du vivant et déterminer s’il existe bien une agressivité naturelle, génétique, native en somme, chez Homo sapiens, une agressivité pouvant parfois conduire à une violence aveugle.
Le mythe du bon sauvage
Si l’Homme est naturellement bon comme le pense
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Rousseau, c’est la société dans laquelle il vit qui le rend violent et qui le pervertit. Quand le philosophe avance que l’Homme est bon de façon naturelle, il veut dire que, à l’état de nature, cet Homme idéal n’a pas beaucoup de désirs : il se contente du peu dont il a besoin sans chercher à augmenter ses richesses propres, son patrimoine. C’est seulement son interaction avec des individus comme lui qui le rend agressif, envieux, jaloux, etc. Pour éviter cela, Rousseau propose l’instauration d’un contrat social : cette partie de sa réflexion ne nous concerne pas ici mais, en revanche, il est intéressant de revenir sur cette notion quelque peu chimérique du « mythe du bon sauvage ».
Le massacre de Nataruk
Au Kenya, dans une petite plaine jouxtant le lac Turkana, un site renfermant 27 cadavres, tous morts de mort violente, a été mis au jour en 2012. Fait tout à fait remarquable : ce massacre remonte à plus de 10 000 ans, c’est-à-dire avant la sédentarisation d’Homo sapiens, à un moment où, selon Jean-Jacques Rousseau, l’Homme était encore un « bon sauvage ».
Nataruk, en langage local, veut dire « l’endroit des vautours » et on comprend assez facilement pourquoi. Les
squelette de femme attachée lors de sa mort
scientifiques se sont beaucoup intéressés à ce charnier naturel, avec ces corps qui n’ont jamais été enterrés mais laissés à l’abandon. La violence de l’affrontement ne fait pas de doute : ici, un homme présente de multiples blessures à la face ; là, un autre a été tué par deux projectiles dont un encore planté dans son crâne. Un peu plus loin, on identifie une jeune femme enceinte et prête à accoucher, ligotée avec les mains entre les jambes. Une autre femme semble avoir eu les deux genoux brisés. Il s’agit bel et bien d’un assassinat collectif.
Normalement, les corps auraient dû être dévorés par les charognards et les ossements dispersés mais il n’en est rien : à cette époque lointaine, le lieu était une plage marécageuse donnant sur un lagon dont la présence a permis l’enfouissement rapide des corps d’où leur exceptionnelle conservation.
crâne perforé en plusieurs endroits
Quelle est l’origine du conflit chez ces chasseurs-cueilleurs non encore sédentarisés ? On ne le saura probablement jamais mais une étude approfondie des ossements a permis de mettre en évidence dans un des squelettes un fragment d’arme et plus précisément un reste d’obsidienne or cette pierre est inexistante dans cette partie de l’Afrique : il est donc probable que les assaillants n’étaient pas de la région et qu’ils venaient de loin.
C’est en tout cas la première fois qu’une bataille d’envergure a été mise en évidence chez ce type d’individus : on avait, bien sûr, eu les exemples de quelques crimes isolés concernant au plus deux ou trois individus mais jamais autant. Or, les scientifiques avaient tendance à penser que c’est avec une organisation sociale plus élaborée, génératrice de richesses et donc d’envie ou de jalousie, que les conflits à plus grande échelle ont débuté (une approche finalement très rousseauiste). Raté !
Quelques précédents ont certes existé. Par exemple, il y a 12 000 ans, sur la rive droite du Nil (Djebel Sahaba), a eu lieu la première grande bataille identifiée (59 squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants, certains décapités ou démembrés). Oui mais il s’agissait de populations du paléolithique déjà sédentarisées et on pouvait donc légitimement avancer la notion d’appropriation par la force de terres particulièrement fertiles et, si près du Nil, riches en ressources diverses. Le massacre de Nataruk n’entre pas dans cette ligne de pensée : il esquisse certainement une nouvelle histoire de la violence… Peut-être la violence pour la violence ou, en tout cas, pour un motif qui n’est pas seulement matériel.
La violence, bras armé de l’agression
Dans la plupart des définitions qu’on en donne, la violence est « l'utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès » (OMS).
L’agression, quant à elle, désigne plutôt un comportement d’attaque qui s’exprime par la violence et au sein de laquelle
le guépard ne chasse jamais par plaisir mais parce qu'il a faim
il y a toujours une composante de colère. Dans la littérature, les définitions ne sont pas aussi tranchées et il existe une certaine confusion entre les deux termes. Toutefois, d’un point de vue éthologique, dans la Nature, il existe certainement une différence : lorsqu’un prédateur attaque une proie, il s’agit effectivement d’une attaque avec violence mais qu’on ne doit pas confondre avec une agression au sens qu’on vient de lui donner plus haut car il s’agit ici d’une simple recherche de nourriture effectuée sans colère et, en pareil cas, la chasse est légitime. D’autre part, il est essentiel de se rappeler que cette « agression qui n’en est pas vraiment une » est la base de la Vie sur notre planète et qu’elle est probablement un des piliers de l’Évolution : c’est une part de la sélection naturelle.
L’agression
Dans le règne animal, l’agression proprement dite est une violence exercée par un sujet sur un autre non pour se nourrir mais pour écarter celui qui semble être un gêneur. On oppose alors deux situations : l’agression entre des sujets d’espèces différentes et l’agression au sein d’une même groupe d’individus.
* l’agression interspécifique : c’est celle qui oppose deux individus appartenant à des espèces différentes. En réalité, elle est plutôt rare pour au moins deux bonnes raisons: d’abord, les animaux vivent dans des niches spécifiques où l’on trouve la proie et son (ou ses) prédateur(s) et si deux individus de rôle identique devaient se rencontrer (deux prédateurs de deux proies différentes par exemple), ce serait plutôt la rançon d’un mauvais hasard. En outre, et c’est la seconde raison, très importante elle aussi, un prédateur est conditionné par l’Évolution pour chasser une proie bien précise dont il connaît les critères d’identification : il est donc peu intéressé par des créatures sortant de son schéma d’agression. La plupart du temps, deux prédateurs « voisins » cherchent réellement à éviter le conflit, parfois au moyen de signes d’intimidation qui sont parfaitement interprétés.
* l’agression intraspécifique : c’est - et de loin - la plus fréquente. Effectivement, la plupart des espèces peuplant notre planète, du moins celles d’une certaine taille, ont adopté une transmission sexuée de leur patrimoine génétique et cela a une importance capitale car, afin d’améliorer sans cesse l’espèce à laquelle elle appartient (et lui permettre une meilleure adaptation aux changements de milieu), une femelle choisira toujours le mâle qui lui paraît porter les meilleurs chromosomes. De ce fait, on comprend facilement qu’il y a compétition entre les différents postulants et donc de nombreux combats qui sont autant d’agressions répétées et destinées à sélectionner celui qui semble le mieux armé dans une niche écologique donnée.
Ajoutons également que la Nature est économe et qu’elle ne cherche pas à éliminer automatiquement les perdants de ces compétitions à risque. Il existe en effet une ritualisation des comportements qui permet à celui qui est dominé de faire dévier le comportement agressif de son rival (on pense aux combats de chiens où le vainqueur détourne son regard dès que le vaincu lui a présenté sa gorge sans défense en guise de soumission. Celui-là peut dès lors s’enfuir pour tenter sa chance ailleurs). La sélection naturelle ayant permis d’atteindre le but recherché (la transmission des chromosomes « les mieux adaptés ») épargne ainsi un maximum de vies.
parade nuptiale = sélection = compétition = une certaine forme de violence
C’est dans le même esprit qu’il faut aborder les rituels de séduction, parfois si étranges et si compliqués pour certaines espèces : il s’agit également d’une compétition entre rivaux pour séduire, sans violence physique excessive la plupart du temps, une partenaire potentielle. C'est une forme d’agression détournée qui contient une part de plus en plus grande de souffrance psychologique au fur et à mesure qu’on s’approche des comportements des grands primates… et donc de l’Homme.
l’Homme est un primate
L’Homme fait partie d’une variété de grands singes, ceux du genre homo, dont il n’est plus que le dernier représentant puisque son ultime cousin, l’homme de Neandertal, a disparu peu de temps après l’arrivée de ce même Sapiens en Europe, sans que l’on puisse d’ailleurs affirmer avec certitude qu’il existe une relation directe entre ces deux événements.
Comme nombre de ses prédécesseurs, Sapiens est un animal social, d’instinct plutôt grégaire et c’est d’ailleurs une des raisons de son succès tout au long du paléolithique : l’hypothèse d’un hominidé, Sapiens, dont chaque individu aurait vécu en autarcie avec sa petite famille, est à écarter. Au contraire, les populations de chasseurs-cueilleurs devaient la plupart du temps se composer de petits groupes regroupant quelques dizaines d’individus mettant en commun leurs ressources avec, comme chez d’autres mammifères, un mâle dominant, le chef, imposant une certaine discipline. On s’éloigne toujours un peu plus du « bon sauvage ».
Avec l’émergence de civilisations de plus en plus techniques, les groupes humains se sont complexifiés : de plus en plus d’individus associés, chacun accomplissant des tâches précises, mais des groupes toujours organisés de manière hiérarchique, les échelons intermédiaires s’étant multipliés entre la « tête pensante » située tout en haut de la pyramide et l’individu de base.
Les éthologues savent depuis longtemps que les espèces animales prédatrices les plus redoutables (carnivores) sont dotés de mécanismes d’inhibition limitant les violences intraspécifiques ; en effet, si les grands prédateurs qui peuvent tuer d’un coup leur adversaire (lions, loups, etc.,) n’étaient pas dotés de ces mécanismes qui sont autant de « verrous de sécurité », il y a longtemps qu’ils auraient disparu. En revanche, la donne est différente pour les espèces plus faibles : celles-ci (pigeons, lapins, petits singes, etc.) ne peuvent pas tuer leurs congénères en une seule fois ce qui permet à l’autre de s’éloigner plus facilement et ce d’autant qu’il s’agit d’espèces très mobiles puisque habituées à fuir à cause de leur statut de proies potentielles. Puisque, en raison de leurs nuisances intraspécifiques modestes, elles ne semblent pas en avoir besoin, l’Évolution n’a pas retenu (ou peu retenu) chez elles de sélection de mécanismes d’inhibition.
Il est donc particulièrement intéressant de repenser la position d’Homo sapiens dans ce contexte. L’Homme n’est pas un carnivore mais un omnivore, volontiers charognard à
homo erectus : entre lui et nous, la seule différence, c'est l'éducation ?
ses débuts. Il lui est difficile de tuer un autre concurrent humain d’un seul coup de dent : s’il combat (et si l’autre évidemment n’est pas un vieillard ou un malade), il lui faudra une lutte âpre et difficile pour parvenir à ses fins ; comme pour les espèces dites « plus faibles « que nous venons d’évoquer, l’espèce humaine fait partie de celles dont les individus ne possèdent à titre personnel que peu de mécanismes d’inhibition…
La civilisation, une garantie contre la violence ?
L’Homme, heureusement, s’est organisé en sociétés civilisées depuis que la transmission écrite des connaissances a permis une accélération considérable des avancées techniques. Avancées qui, au demeurant, éloignent encore plus nos organisations modernes des sociétés primitives et, certains le prétendent à force de l’espérer, de la violence qui ne serait plus que le témoin archaïque d’un passé suranné. Mais est-ce vraiment la réalité ? Rien n’est moins sûr.
guerre du Viet-nam : une société secrète de la violence mais sans elle ce serait pire
Car Sapiens a su développer ses techniques dans toutes les directions : si l’on peut à juste titre s’enorgueillir de réalisations remarquables comme l’informatique ou la chirurgie cardiaque, il faut également admettre que des progrès considérables ont été accomplis dans le domaine de l’armement : des armes de plus en plus précises qui tuent de mieux en mieux et de plus en plus loin. Nous venons d’évoquer les mécanismes d’inhibition relativement modestes de l’Homme : par exemple, à la chasse (qui est parfaitement légitime lorsqu’elle sert à se nourrir mais l’est un peu moins autrement), il est facile de viser un animal et d’appuyer sur une gâchette. Plus facile que de surprendre un lapin et de l’égorger avec ses propres dents : peu d’individus seraient capables d’un tel geste aujourd’hui car ce contact direct, sanglant, est probablement inhibiteur. Mais quel peut-être le mécanisme qui inhiberait le soldat appuyant sur un bouton pour détruire au moyen d’un drone la silhouette qu’il aperçoit sur son écran de contrôle ? Il n’y en a pas. Au plutôt, le seul contrôle provient de la société plus ou moins civilisée dans laquelle il vit : que cette société, pour une raison ou une autre, disparaisse ou semble illégitime et la porte est ouverte à tous les possibilités.
La violence fait partie de la Vie
La violence est présente chez Sapiens comme, à un degré ou à un autre, chez toutes les espèces vivantes et elle est certainement utile : c’est elle qui permet la sélection naturelle. On peut même avancer que sans violence, et donc sans compétition, la Vie ne pourrait progresser et, du coup, probablement pas se maintenir. On peut le regretter en tant que partisan inconditionnel de la paix universelle mais c’est ainsi…
Toutefois, parmi toutes les espèces se partageant notre planète, Homo sapiens est certainement bien à part : il possède un cerveau très développé qui lui a permis de faire valoir son ascendant sur une grande partie de son environnement. Néanmoins il y a plus. La violence et l’agressivité qu’il possède en lui, quelque part dans son paléocortex, en font un être vivant probablement plus dangereux que les autres : il est difficile de nier qu’il possède une sérieuse capacité de nuisance, on peut, chaque jour, s’en rendre compte par les médias. Cette violence fait partie de lui depuis la nuit des temps, violence domestique (individuelle et urbaine) et violence extérieure dirigée contre d’autres groupes humains. La coexistence de cette violence avec des capacités de destruction de plus en plus élaborées n’est donc pas sans poser le problème de l'avenir de cette planète.
La violence existe dans toute société civilisée et seule la qualité des outils de destruction évolue avec le temps. En fait, tout se passe comme si la violence - intérieure et extérieure - des sociétés modernes faisait office de soupape de sécurité nécessaire, indispensable même peut-être, pour éviter de plus grands débordement. Un constat glaçant.
C’est en Afrique, on le sait, que l’immense majorité des scientifiques situe l’apparition des lignées d’hominidés qui conduiront, des millions d’années plus tard, à homo sapiens, l’homme dit moderne. Deux territoires africains sont particulièrement célèbres en raison des découvertes qui y ont été faites : la vallée du rift, à l’est, où de nombreux australopithèques ont été mis au jour (voir le sujet : East Side Story, la trop belle histoire)
et l’Afrique du sud, notamment dans la région environnant Johannesburg où se trouve, à 50 km au nord-ouest de la
entrée du site : "le berceau de l'Humanité"
ville, un endroit baptisé « the cradle of humankind » (le berceau de l’humanité) tant les squelettes de préhumains y sont nombreux. C’est là qu’il y a un peu moins de deux ans (en novembre 2013) une intéressante découverte a été faite, une découverte qui pourrait rebattre les cartes de la généalogie humaine.
La découverte d’homo naledi
Afrique du Sud : paysage typique des "sites à hominidés"
Le site dit du « berceau de l’humanité », en Afrique du sud, est exploré depuis longtemps et on y a trouvé nombre de fossiles majeurs pour l’histoire de l’Homme. Il y a environ deux ans, l’attention du paléontologue sud-africain Lee Berger (de l’université de Witwatersrand) est attirée par deux de ses jeunes collègues sur l’existence d’une petite grotte très difficile d’accès baptisée « naledi » (naledi veut dire étoile en sesotho, une langue bantoue locale). Ils expliquent que la grotte est située à près de 30 m de profondeur et que, pour y accéder, il faut effectuer une reptation d’environ 100 m dans un tunnel seulement praticable par des individus très minces. En effet, eux-mêmes pourtant peu corpulents, ne purent progresser que de façon extraordinairement périlleuse, un bras collé le long du corps, l’autre lancé devant, avant d’aboutir à une paroi où ils découvrirent par hasard une fissure qui les mena jusque dans une cavité jonchée de débris osseux. Une exploration plus complète est mise en place. On décide de choisir des femmes paléontologues à la silhouette particulièrement fine tandis que le reste de l’équipe resté en surface suit et dirige les fouilles à l’aide d’un système vidéo. A l’issue de ce qui reste néanmoins une quasi-performance sportive, les scientifiques débouchent sur une cavité dans laquelle se trouvent, relativement bien ordonnés, environ 1500 débris de squelettes permettant de reconstituer des corps entiers de tous âges et des deux sexes : un véritable trésor d’archéologie préhistorique !
Les chercheurs sont alors certains de deux choses :
1. il ne s’agit pas de morceaux de squelettes apportés par une quelconque voie d’eau, siphon ou rivière souterraine car, à l’exception d’une souris et de quelques oiseaux, il n’y a pas de débris autres que ceux de ces hominidés et, de plus, les squelettes sont bien en place ;
2. ce n’est pas non plus le repaire d’un quelconque prédateur car il est situé trop profondément et surtout il ne présente aucune trace d’occupation animale ni de morsures sur les squelettes.
Comme on n’a pas trouvé d’autre ouverture à cette grotte souterraine qui n’a de plus jamais été en contact direct avec la surface, on en arrive à se demander s’il ne s’agirait pas d’une sorte de chambre funéraire ; jusqu’à présent toutefois, les plus anciennes sépultures ont été attribuées à Sapiens et à Néandertal et elles datent de moins de 100 000 ans : on a donc du mal à croire que des préhumains aient pu progresser dans l’obscurité, tout au de long de ce boyau resserré, pour venir déposer là les dépouilles d’une quinzaine d’individus de tous âges (il y a des vieillards et des bébés) dans une sorte de mission initiatique. L’étude des squelettes peut-elle en apprendre plus ?
Principales caractéristiques d’homo naledi
Il faut tout d’abord rappeler la découverte, quelques années plus tôt, par ce même Lee Berger, dans une grotte située
australopithèque sediba
également en Afrique du sud, de deux squelettes fort bien conservés d’un hominidé qu’il aurait souhaité faire reconnaître comme appartenant au genre homo : la communauté scientifique décida finalement qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce d’australopithèque, aux caractéristiques probablement les plus proches du genre humain jamais découvertes, finalement appelée australopithecus sediba. Le scientifique voudrait-il rééditer cette démarche d’identification avec Naledi ?
Il est également nécessaire de revenir sur une notion essentielle (d’ailleurs déjà traitée à plusieurs reprises sur ce blog, par exemple, avec le sujet : le dernier ancêtre commun) : longtemps, les scientifiques ont cherché « le maillon manquant » précurseur de l’Homme. Ils avaient en effet du mal à comprendre comment on pouvait exhumer nombre de fossiles de préhumains sans avoir jamais mis au jour celui de l’ancêtre direct de l’homme moderne. On sait aujourd’hui que ce précurseur d’homo sapiens n’a probablement jamais existé : l’homme moderne a hérité de caractéristiques diverses provenant de multiples préhumains ce qui en fait, comme beaucoup d’autres, une espèce « composite »… Nombre de ceux qui « donnèrent » à cet homme moderne certaines de ses caractéristiques arpentèrent durant longtemps et en même temps les steppes et savanes africaines avant de disparaître au profit de ce seul homo sapiens (que ce dernier soit responsable de ces disparitions est une autre histoire !). Très bien mais où se situe Naledi dans tout ça ?
D’une taille d’environ 1m50 pour un poids moyen de 45 kg, Naledi présente certains caractères qui le rapprochent d’homo sapiens alors que d’autres font plutôt penser à un australopithèque ; en faveur du genre homo, les scientifiques font valoir :
* une main plutôt moderne évoquant une capacité probable à manier des outils mais aux doigts restant très incurvés soulignant une évidente facilité pour grimper aux arbres ;
* des pieds qu’il « paraît presque impossible de distinguer des
homo naledi (museum de Londres)
pieds d’homme moderne » (dixit les découvreurs) et cela démontre que Naledi était non seulement capable de se tenir debout mais également de le faire durant longtemps laissant supposer que cette position debout n’était pas chez lui accidentelle. Rappelons, toutefois, que la bipédie n’est pas toujours ce que l’on croit et notamment pas le seul apanage de l’homme : elle a peut-être même précédé la quadrupédie ;
* ses dents, petites et fines, ne plaident pas pour une alimentation composée de végétaux car pour en broyer les fibres il faut plutôt des dents larges et puissantes : on pense donc à une alimentation omnivore, relativement énergétique et donc plutôt moderne.
En revanche, le crâne de Naledi est de très petite taille tandis que le haut de son corps rappelle celui des australopithèques. De ce fait, on peut hésiter entre plusieurs possibilités : être en présence d’un australopithèque « tardif », d’une forme intermédiaire précurseur du genre homo ou même d’un homo archaïque. C’est certainement cette dernière hypothèse que privilégia Lee Berger et les paléontologues sud-africains puisqu’ils donnèrent à leur découverte le nom d’homo naledi.
Reste une grande inconnue : l’âge de ces squelettes dont on rappelle qu’ils ont été trouvés « à même le sol » sans la présence de ces couches sédimentaires contenant de nombreux débris permettant les datations pratiquement « à l’œil nu » : cette fois, il faudra attendre des analyses plus fines et, d’après les spécialistes concernés, il est possible qu’elles identifient des spécimens vieux de 2 à 3 millions d’années… ou seulement de 10 000 ans ! On comprend que tant d’incertitudes ajoutées au caractère étrangement « médiatisé » de la découverte elle-même aient poussé les uns et les autres à adopter des positions assez tranchées …
Les avis sont partagés
Dès la publication de la découverte (dans une revue scientifique certes honorable mais à diffusion limitée) par un paléontologue relativement habitué à des coups d’éclat, une polémique est apparue qui ne s’apaisera – peut-être - que lors de l’annonce des datations.
Pour les découvreurs, cela ne fait aucun doute, Naledi appartient pleinement au genre homo, notamment en raison des extrémités de ses membres plutôt modernes même si le volume de son cerveau semble le rapprocher des australopithèques.
Ce n’est pas l’avis d’Yves Coppens (1934-2022), le découvreur de Lucy, qui penche, avec nombre d’autres paléontologues, pour la découverte d’un australopithèque de plus, la petitesse de son cerveau ne pouvant en aucun cas correspondre à un représentant de la lignée
crâne d'homo naledi
des homo. Mais alors, s’il s’agit d’un fossile à ce point ancien, comment expliquer l’amorce d’orientation mystique que semble évoquer la découverte de tous ces corps en un même endroit quasi inaccessible ? Pour Coppens, il s’agit là aussi d’une interprétation erronée : avant Sapiens et, dans une moindre mesure, Néandertal, jamais les hominidés antérieurs n’ont été connus pour enterrer leurs morts, voire même simplement les disposer à part pour les soustraire à l’emprise des charognards. C’est a fortiori le cas des australopithèques : il s’agit donc ici probablement d’un piège naturel dans lequel ont chuté les différents individus.
La datation des ossements permettra bien sûr d’y voir plus clair. Toutefois, nouvel australopithèque ayant vécu il y a 2 ou 3 millions d’années ou homo plus ou moins archaïque et donc plus récent, la découverte de Naledi montre une fois de plus le formidable développement de la lignée humaine que, bien plus qu’une simple progression linéaire, il convient de représenter sous la forme d’un foisonnement buissonnant.
L’ancêtre commun n’a jamais existé
généalogie simplifiée d'Homo sapiens
Les différentes caractéristiques de l’homme moderne, son gros cerveau, son trou occipital centré, son bassin, etc. n’ont pas été transmis par un ancêtre commun qui aurait été simplement un tout petit peu plus « archaïque ». La forme actuelle d’homo sapiens résulte d’acquis réalisés au cours des âges par divers préhumains : le trou occipital centré permettant la station debout et les petites canines pour une alimentation plus énergétique datent de – 7 millions d’années (MA) ; les gros genoux pour l’endurance et la course sont apparus aux environs de - 4 MA tandis que le pied arqué et les orteils courts datent de – 3,7 MA. Vers – 3,3 MA, c’est l’apparition d’un pouce long permettant une meilleure préhension tandis que, à peu près au même moment, le bassin devient court et large permettant, entre autres, un accouchement en position allongé, voire assis. La torsion de l’humérus date de – 2 MA, les longues jambes pour la course et l’élargissement de la tête fémorale (meilleure assise) de 1,9 MA. Enfin, c’est il y a environ 1 MA que le cerveau acquiert à peu près son volume actuel.
Ces acquisitions progressives au fil des millions d’années expliquent pourquoi il ne peut y avoir un seul ancêtre à homo sapiens. De nombreux préhumains se sont croisés, affichant ici tel caractère, là tel autre, cet attribut étant gardé par l’Evolution en raison de son intérêt pour l’espèce (avantage évolutif), celui-là étant finalement écarté. C’est la raison pour laquelle il n’est pas facile de dresser une généalogie rapprochée de Sapiens, en fait une généalogie sans cesse en mouvement, sans cesse remaniée en fonction des découvertes paléontologiques et de l’étude détaillée des fossiles.
Homo (ou australopithécus) naledi est probablement contemporain des homo ergaster, abilis et erectus et il est peut-être même une forme archaïque de ce dernier… mais seules les datations pourront nous le confirmer. Toutefois, s’il est aussi âgé que ça, il est alors très peu probable que la cavité où ont été retrouvés ses restes aient quelque rapport de près ou de loin avec une quelconque religiosité. À moins de remettre en cause tout ce que nous savons de la paléoethnologie : une éventualité assez invraisemblable !
Nota 1 : au temps de Denisova et Neandertal vivait aussi... Homo naledi
Depuis sa découverte en 2015 , Homo naledi reste un mystère. "Il présente à la fois des caractères primitifs et dérivés de la lignée humaine. Il peut bouleverser la paléoanthropologie" assure John Hawks, de l'université du Wisconsin. Et voilà que des chercheurs viennent de dater ces fossiles entre 335 000 et 236 000 ans. Mais Naledi, relique du genre homo, aurait pu survivre plus d'un million d'années et être contemporain de Neandertal, de Denisova, des ancêtres de Florès et des précurseurs d'Homo sapiens. Cinq espèces humaines, au moins, cohabitaient donc sur Terre il y a 300 000 ans.
(Science & Vie, 1198, 19, juillet 2017)
Nota 2 : Homo naledi, le grimpeur qui n'était plus un singe
On fait le point sur Homo naledi en 2021 qui est à présent classé comme homo par la majorité des paléontologues. Lire l'article de Jean-Luc Voisin paru dans le numéro 524 de "pour la Science" en cliquant ICI
Nota 3 : un homo bien singulier
Dans ce vaste réseau karstique proche de Johannesburg (Rising Star, Afrique du Sud), les découvertes surprenantes s'accumulent depuis 2015. De très nombreux restes osseux permettent d'identifier une nouvelle paléo-espèce, Homo naledi, dont l'anatomie affiche des traits inattendus (petite boîte crânienne, aptitude au grimper) étant donné l'âge moyen de 300 000 ans calculé au moyen du croisement de six méthodes. À ces témoignages flagrants d'une évolution en mosaïque des humanités passées s'ajoute la probabilité de pratiques funéraires très anciennes, vu l'amoncellement des corps dans deux galeries souterraines très difficilement accessibles.
Revue l'Histoire, n° 216, octobre-décembre 2023)
Images :
1. homo naledi (sources : John Hawks / Wits University / AFP)
2. « berceau de l’Humanité » en Afrique du Sud (sources : wilrotours.co.za)
3. paysage typique près de Johannesburg (sources : willingfoot.com)
4. A. sediba a maintenant son portrait au muséum de Londres (sources : maxisciences.com)
5. homo naledi (sources : youtube.com)
6. crâne de homo naledi (sources : cnn.com)
7. généalogie sapiens (www.sceptiques.qc.ca)
(pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)