cellules cancéreuses attaquées par le système immunitaire
L’année 2005 est l’année la plus récente pour laquelle nous possédons des données pratiquement complètes et, cette année-là, il y a eu en France 537 300 décès, un des chiffres les plus bas d’Europe (chiffre à rapprocher des 807 400 enfants nés cette même année). C’est assez bien mais pas encore suffisant.
On sait aussi que depuis (presque) toujours, les deux plus grandes causes de mortalité dans notre pays sont les maladies cardiovasculaires et les cancers (cancers au pluriel tant il en existe de formes différentes). Or c’est en 1989 que, pour la première fois, la mortalité par cancer a dépassé celle des maladies cardiovasculaires. A cela plusieurs raisons :
• les maladies cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accidents cérébrovasculaires, etc.) sont de mieux en mieux et de plus en plus tôt prises en charge ;
• l’incidence des cancers a fortement augmenté ces dernières années : pour 2005, on estime à 320 000 le nombre des nouveaux cas de cancer (180 000 chez les hommes et 140 000 chez les femmes, soit, en 25 ans, une augmentation de + 93% chez les hommes et de + 84 % chez les femmes). Il faut, bien sûr, rapporter ces chiffres à l’augmentation de la démographie et au vieillissement de la population mais, une fois la pondération faite, on arrive quand même au chiffre de + 52% chez l’homme et + 55% chez la femme.
Je parle ici d’incidence (c'est-à-dire la survenue de cas nouveaux) et non de mortalité : cette dernière, si elle a aussi augmenté, a été comparativement moindre puisque les personnes décédées d’un cancer en 2005 sont au nombre de 146 000 ce qui ne traduit une augmentation « que » de 13% depuis 1980. On peut en déduire que les cancers sont mieux pris en charge par la médecine moderne (dépistage systématique et plus précoce, meilleurs traitements, etc.) et il faut s’en réjouir sans, évidemment, relâcher les efforts entrepris.
Puisque les cancers restent une des grandes causes de santé publique, je souhaite revenir sur ce qu’est réellement cette maladie, étant entendu qu’il n’est pas de mon propos de détailler les différents cancers (et encore moins leurs prises en charge) mais d’essayer d’en comprendre les mécanismes.
la cellule
Tout part évidemment des cellules qui composent nos tissus : c’est à cette échelle invisible que tout se joue.
• la cellule normale
La cellule est – nous l’avons déjà mentionné – la brique constitutive de tout être vivant. Elle se divise en deux parties : d’une part, limité par une membrane extérieure, le cytoplasme où se déroulent toutes les activités physicochimiques qui lui permettent de vivre et, d’autre part, un noyau qui contient le matériel génétique, l’ADN, qui lui permet de se répliquer.
A l’échelon macroscopique qui est le nôtre, cette transformation permanente de milliards de cellules n’est guère apparente (sauf sur le très long terme). Chaque jour, par exemple, nous voyons notre peau qui nous semble toujours la même et nous supposons qu’il en va de même de tous nos organes. Pourtant notre peau change continuellement sous nos yeux qui ne le voient pas : ses couches superficielles sont certes des cellules mortes mais correspondant à un renouvellement complet des cellules cutanées en un peu moins d’un mois. Il en va de même – plus ou moins rapidement, plus ou moins lentement – de tous nos organes ; par exemple, les cellules de la paroi intestinale se renouvèlent en 10 à 25 jours, nos globules rouges ne vivent que quatre mois, les cellules du foie environ un an, etc.
Qui dit renouvellement dit reproduction, en principe à l’identique, et c’est le rôle de l’ADN cellulaire de permettre cela. Au fur et à mesure de ces millions de processus de renouvellement, les erreurs ou mutations s’accumulent d’où un vieillissement de l’ensemble de l’organisme avec l’arrivée progressive et inéluctable de cellules – et donc d’organes – moins performantes, plus fragiles. Il s’agit là d’un phénomène naturel obligatoire qui, à terme, conduit à la disparition des individus que nous sommes.
Dans certains cas néanmoins, les dysfonctionnements cellulaires peuvent aboutir à la formation de cellules atypiques, monstrueuses, dont la prolifération anarchique met en danger l’ensemble de l’organisme : c’est le cancer.
• la cellule cancéreuse
C’est une cellule devenue folle et qui, ayant perdu la faculté de se détruire comme toute cellule normale, vit éternellement. De ce fait, les cellules cancéreuses continuent à se multiplier au sein d’un organe où leurs compagnes ordinaires meurent (afin de se renouveler) pour constituer une tumeur qui va progressivement remplacer le tissu normal de l’organe. Ces cellules anormales se transforment petit à petit en éléments qui ont de moins en moins de rapport avec ceux d’origine et on parlera de cellules plus ou moins différenciées selon que l’on arrive ou non à reconnaître les tissus dont elles sont issues. A terme, on aboutit à des cellules « monstrueuses », à la taille fortement augmentée et au noyau démesuré, parfois bourré de chromosomes modifiés et siège d’une intense activité métabolique.
Au début, toutefois, il ne se passe rien et ces formations nouvelles vivent au sein du tissu normal sans en modifier la fonction. On estime qu’il faut environ 100 000 cellules cancéreuses pour commencer à parler de tumeur maligne. De ce fait, il s’écoule un certain temps (on dit parfois qu’il faut environ 8 ans pour passer d’une première cellule cancéreuse à une tumeur macroscopiquement visible mais cela est bien sûr variable selon les types de cancers) et on comprend donc bien que c’est à ce stade de début, qu’il faut intervenir : après, c’est plus compliqué (mais nullement désespéré !). A un stade de plus, la tumeur – si on la laisse prospérer – envoie, par voie sanguine ou lymphatique, des colonies à distance, les métastases, qui sont autant de foyers nouveaux à combattre.
Que se passe-t-il donc pour que de telles cellules modifiées apparaissent ?
Dans le noyau de la cellule, les chromosomes sont formés de structures plus petites, les gènes, qui déterminent la fonction de la cellule et, à un échelon plus grand, des organes. Parfois, des mutations surviennent au sein d’un gène ou bien certains d’entre eux peuvent être « oubliés » lors de la réplication cellulaire. Normalement, la cellule possède des procédures de réparation qui lui permettent de corriger l’anomalie et c’est bien ce qui se passe le plus souvent. De temps à autre, malheureusement, ces mécanismes de réparation sont insuffisants et la cellule meurt ou, au contraire, devient immortelle, et susceptible de se reproduire à l’infini : c’est la cellule cancéreuse.
Précisons d’emblée qu’une seule mutation ne peut conduire à l’apparition d’un cancer : c’est l’accumulation au fil du temps de mutations nombreuses, multiples, variées, qui aboutit au processus tumoral (la tumeur représentant l’ensemble des cellules anormales). On comprend dès lors que plus le temps passe, plus l’organisme vieillit et plus il y a de chances de voir apparaître un tel phénomène.
• Gènes et oncogènes
Normalement existent des gènes appelés proto-oncogènes qui stimulent la division cellulaire mais, sous certaines conditions, ils peuvent se retrouver sous une forme anormale : on appelle alors oncogènes ces gènes modifiés intervenant dans la constitution d’un cancer. Il en existe d’autres, les anti-oncogènes qui agissent en sens inverse (ce sont les gènes réparateurs auxquels je faisais précédemment allusion en parlant des mécanismes de réparation naturels de la cellule). L’activation des premiers sous l’effet d’agents plus ou moins extérieurs (sur lesquels nous reviendrons) ou l’inactivation des anti-oncogènes réparateurs conduisent donc à l’apparition d’un cancer.
Le cancer (ici au singulier puisque j’évoque le mécanisme général de sa formation) est par conséquent une maladie génétique somatique, c'est-à-dire des tissus : c’est la dérégulation de la formation harmonieuse des cellules qui le provoque. Quelles sont les causes de cette dérégulation ?
Les agents favorisants
Ils sont en réalité multiples et, en dépit de la masse d’informations que nous possédons sur le phénomène, sans doute ne sont-ils pas tous encore connus. Essayons d’en énumérer les principaux.
• Certains cancers sont totalement héréditaires : c’est, par exemple, le cas du rétinoblastome, une tumeur extrêmement grave touchant les yeux et généralement diagnostiquée avant l’âge de deux ans ; ici, le malade est porteur de deux allèles (voir glossaire) pathologiques du gène RB1.
• Le plus souvent, il s’agit d’un simple environnement génétique
La personne est susceptible de développer un type particulier de cancer car il existe une notion de terrain : dans sa famille, des membres plus ou moins proches ont présenté des cancers particuliers et le fait de le savoir permet d’instaurer une surveillance plus attentive chez cette personne « à risque ». C’est, par exemple, souvent le cas des cancers du sein ou du colon. Les recherches récentes en génétique s’efforcent de découvrir quels sont les gènes dont sont porteuses ces personnes et qui les prédisposent ainsi.
Au-delà des ces facteurs purement génétiques, il existe évidemment de nombreux facteurs externes éventuellement responsables de la survenue de cancers mais on soupçonne que la génétique n’est jamais totalement absente : certains individus seraient moins protégés contre l’exposition à l’un ou l’autre de ces facteurs de risque.
• L’hygiène de vie
C’est un élément fondamental de la lutte contre le cancer parce que, à vrai dire, c’est un des rares sur lesquels l’individu peut directement agir : l’alcool, le tabac, les drogues multiples et variées, une alimentation trop riche en graisses, notamment saturées, et pauvre en fibres, etc. sont des facteurs connus. Je disais précédemment qu’il existait une prédilection de terrain, certainement génétique, qui fait que tel individu sera particulièrement exposé en cas d’abus d’un de ces agents alors que d’autres y seront beaucoup moins sensibles. Certaines recherches actuelles travaillent sur ces notions de sensibilité personnelle et il sera peut-être un jour possible de prévoir les conséquences de tel ou tel abus. Pour l’heure, rien n’est sûr et il semble évidemment préférable d’être raisonnable…
Il convient également d’ajouter que la juxtaposition de plusieurs de ces facteurs de risques ne fait pas que les additionner mais élève ces risques à grande échelle. On sait par exemple les ravages que peut causer l’association alcool-tabac qui multiplie les risques de cancer de la bouche, du pharynx, de l’œsophage ou de la vessie. En pareil cas, 1 + 1 = 3 (voire plus !).
• L’environnement mutagène
Les facteurs cancérogènes évoqués plus haut dans l’hygiène de vie (goudrons et gaz du tabac, alcool, etc.) se retrouvent également dans ce que l’on désigne du terme général d’environnement. La liste en est longue : radiations (naturelles ou non), substances cancérigènes contenues dans certains aliments ou certaines substances chimiques (produits que notre société dissémine dans la nature, émissions de gaz divers tels que ceux de certains moteurs, voire cosmétiques ou médicaments, etc.). Citons également les rayons ultraviolets qui, depuis la mode récente du « bronzage » ont fait exploser les statistiques des cancers de la peau, du nickel sur les cancers des sinus du visage, de l’amiante dans les mésothéliomes (voir glossaire) et, d’une manière plus générale, toutes les expositions, professionnelles ou non, à des produits toxiques dont certains commencent seulement à être soupçonnés. On pourrait presque dire que c’est l’envers des bienfaits de notre civilisation industrielle et c’est la raison pour laquelle il reste impératif d’en explorer tous les dangers.
Enfin, pour terminer mon propos, je souhaiterais faire deux remarques :
Glossaire (in Wikipedia France)
* allèle : on appelle allèles les différentes versions d'un même gène. Chaque allèle se différencie par une ou plusieurs différences de la séquence de nucléotides (ADN ou ARN). Ces différences apparaissent par mutation au cours de l'histoire de l'espèce, ou par recombinaison génétique. Tous les allèles d'un gène occupent le même locus (emplacement) sur un même chromosome.
* mésothéliome : c'est une forme rare et virulente de cancer des surfaces mésothéliales qui affecte le revêtement des poumons (la plèvre), de la cavité abdominale (le péritoine) ou l'enveloppe du cœur (le péricarde). Le mésothéliome pulmonaire est causé par l'exposition à des fibres minérales (comme l’amiante, ou l'érionite).
Images
1. cellules cancéreuses attaquées par le système immunitaire (sources : www.alternative-cancer.net/)
2. schéma d'une cellule normale (sources : www.chimie-sup.fr)
3. colonie de cellules cancéreuses (sources : www.lefigaro.fr)
4. facteurs de risques liés au cancer (sources : vincent.keunen.net/)
5. crabe centolla (sources : www.astrosurf.com)
Brêve : le cancer est-il une maladie héréditaire ?
Le lien entre hérédité et cancer était pressenti depuis longtemps. Ce n'est qu'en 1986 qu'un premier gène de prédisposition au cancer a été identifié, le gène RBI. Une mutation constitutionnelle du gène BRCA1, portée par un seul allèle, est associée à un risque très élevé (90%) de rétinoblastome dans les premiers mois de la vie. Depuis, grâce au clonage positionnel, une quarantaine de gènes de prédisposition ont été identifiés. Cela étant, on ne peut pas dire que le cancer est une maladie héréditaire. Ce que l'on peut dire, c'est que dans un certain nombre de cas, pas les plus nombreux, il y a une mutation génétique qui augmente le risque de développer un cancer. On sait par exemple que 45% des femmes présentant une altération du gène BRCA1 développeront un cancer du sein avant l'âge de 50 ans. Comme dans la population générale, ce risque a augmenté chez les femmes mutées au cours des dernières décénnies : il est deux fois plus élevé chez les femmes nées après 1940 par rapport à celui des femmes nées avant 1940.
Pr Dominique Stoppa-Lyonnet
chef du service de génétique oncologique à l'Institut Curie (Paris)
professeur à l'université René-Descartes (Paris-V)
(in Médecins, bulletin d'information de l'Ordre des Médecins, mars-avril 2009, n°4)
Mots-clés : cancer - mortalité en 2005 - cytoplasme - noyau cellulaire - mutations - métastases - proto-oncogène - oncogène - anti-oncogène - hygiène de vie - environnement mutagène
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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Mise à jour : 1er mars 2023