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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

ethologie

Publié le par Céphéides
Publié dans : #éthologie

 

 

     “Les bêtes n'ont pas seulement moins de raison que les hommes, elles n'en ont point du tout” nous dit Descartes et, dans sa lettre au Marquis de Newcastle, il explique que le comportement animal est uniquement instinctif, c’est-à-dire régi par un ensemble de mécanismes qui s’active automatiquement en réaction aux signaux produits par son environnement. Pour lui, l’animal n’est qu’une machine perfectionnée.

 

     Toutefois, le temps de « l’animal-machine » cher à Descartes est depuis longtemps dépassé. On sait aujourd’hui que les animaux ne sont pas de simples mécaniques : ils sont capables d’adopter des comportements propres qui ne sont pas qu’instinctifs.

 

     En 1872, dans son livre « l’expression des émotions chez l’homme et les animaux », Charles Darwin rapportait nombre de situations où les animaux qu’il étudiait étaient doués d’émotions parfois complexes. Il rapportait ainsi ses observations de la jalousie d’un orang-outan ou de la colère d’un lézard, ailleurs de la joie du chien remuant sa queue, le grognement de satisfaction d’un porc, voire la déception suivie d’une grosse colère d’un chimpanzé. Pour le scientifique, ce n’était pas une énorme surprise puisqu’il était convaincu avec raison que, l’origine biologique des êtres vivants étant commune, l’Évolution avait permis de conserver chez eux des comportements comparables.  Pour Darwin, entre homme et animal, il n’y a pas de différence de nature mais uniquement de degrés.

 

     Une centaine d’années plus tard, Konrad Lorenz recevait le prix Nobel pour ses travaux sur le comportement des animaux et, pour lui aussi, les émotions animales sont indiscutables.

 

 

Un contresens historique : la vision mécaniciste des animaux

 

     Cela peut paraître aujourd’hui étonnant mais les conceptions de Darwin et de Lorenz sont restées minoritaires durant des siècles parmi les scientifiques. Pour les savants de l’époque, les animaux n’étaient que des êtres primitifs conditionnés pour ne répondre à des stimuli que de façon instinctive. Sans intelligence ni émotions, ce n’était en somme que des « bêtes ». Et c’était plutôt commode pour en faire des objets d’expérimentation. Cette vision réductrice (et singulièrement erronée) a longtemps persisté puisque, en 1987 encore, dans une revue célèbre (l’Oxford Compagnion to Animal Behaviour), on pouvait toujours lire « l’étude des émotions animales n’a aucun intérêt puisqu’elle ne nous apprend rien ». La raison de cet aveuglement ? La peur de faire de l’anthropomorphisme… Or, si celui-ci existe parfois, notamment chez le profane, ce n’est certainement pas le cas ici.

   

     Il est vrai qu’il peut sembler compliqué de mettre en évidence une émotion animale et de la dissocier d’un simple comportement instinctif. Prenons, par exemple, le cas d’un ratqui se trouve acculé par un chat dans le fond d’une impasse. Il s’immobilise, cherche à fuir, crie désespérément tandis que sa fréquence cardiaque augmente considérablement et qu’il sécrète des flots d’adrénaline : il présente donc toutes les apparences de la peur. Mais a-t-il vraiment conscience de sa peur et des modifications soudaines de son corps ? Certains diront que le rat ne ressent pas la peur au vrai sens du terme, qu’il ne présente que des réactions automatiques de défense… Et pourtant…

 

     La notion « d’émotion animale » est encore plus discutée si l’on cherche à savoir si les animaux peuvent avoir le souvenir d’événements passés susceptibles d’influencer leur comportement. Par exemple, dans le cas de notre rat acculé par un chat, si le rongeur a eu la chance d’échapper à son prédateur, aura-t-il une « peur par anticipation » en revenant près de l’impasse où il fut attaqué ? Présentera-t-il une émotion alors qu’aucun danger ne le guette plus ? On parle ici « d’émotion secondaire » puisque le sujet anticipe une situation qui ne s’est pas encore reproduite, qui n’existe finalement pas.

 

     Les scientifiques ont cherché à évaluer ce domaine de l’émotion secondaire animale et, pour se faire, une expérience célèbre est la suivante : on offre un bonbon à un enfant et on lui dit qu’il en aura un second s’il attend, disons cinq minutes, avant de le manger. L’enfant cherche alors à patienter en chantonnant ou en gigotant, voire  

en un jeu lui permettant de se distraire afin de ne pas céder à la tentation. Eh bien, les singes usent exactement des mêmes stratagèmes pour obtenir la seconde récompense. Des expériences identiques ont également été réalisées avec d’autres animaux. Si ceux-ci essaient de se divertir pour ne pas être tentés, n’est-ce pas parce qu’ils ont conscience de leurs émotions ?

 

     De fait, comme nous le verrons par la suite, la compréhension humaine des émotions animales a considérablement évolué depuis quelques années et il n’est plus guère de scientifiques qui croient encore à l’animal-machine de Descartes.

 

 

De nombreux domaines sont concernés par l’émotivité animale

 

    Pour conforter ce qui vient d’être écrit, prenons quelques exemples de comportements animaux qu’il semble difficile de dissocier d’authentiques émotions.

 

* le chien est sensible aux reproches de son maître

       Lorsqu’il a « fait une bêtise » et qu’il est réprimandé, le chien adopte souvent une attitude très particulière : queue entre les pattes, oreilles abaissées, regard piteux. Pour certains scientifiques, c’est l’attitude de leur maître qui conditionne leur comportement : qu’ils aient fauté ou non, si le maître semble vouloir le punir, ils affecteraient dans tous les cas une attitude coupable. Toutefois, pourquoi un chien prendrait-il alors un air coupable avant que son maître n’ait eu connaissance de sa faute (comme tous les propriétaires de chiens ont pu le remarquer) ? Remords ou anticipation des conséquences de son acte ?

 

* les animaux savent faire preuve d’attachement

     Quatre-vingt dix pour cent des oiseaux arrivent à former de véritables couples : oisillons élevés à deux après des relations sexuelles exclusives, joie de se retrouver ou, au contraire, tristesse lors d’une séparation. Cette propension à la vie à deux se retrouve dans bien d’autres espèces, jusqu’à 25% chez les primates. Les éthologues préfèrent utiliser le terme d’attachement mais n’est-ce pas en définitive une forme d’amour ?

    Dans le même ordre d’idée, nous avons tous en mémoire des exemples d’amitié intangible entre individus d’une même espèce, voire d’espèces différentes comme cela est souvent rapporté par exemple entre des chiens et des chats.

     Sentiments authentiques ou simples réactions hormonales ?

 

* les girafes respectent leurs adversaires

 

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les girafes combattent à la "loyale"

     Dans une étude récente, des éthologues britanniques ont pu mettre en évidence que, chez ces animaux habituellement tranquilles, lors de combats entre mâles, lesproportions sont toujours respectées : jamais une girafe n’attaque une plus petite qu’elle et si les combats se passent à grands coups de tête, les côtés « préférés » de l’une ou l’autre sont respectés par l’adversaire tandis que, souvent, un vieux mâle sert d’arbitre, n’hésitant pas à intervenir en cas de nécessité. Des combats à la loyale en somme. Où se situe l’instinct en pareil cas ?

 

* certains animaux ont du mal à se séparer de leurs enfants morts

     En 2018, près des côtes canadiennes, un orque femelle a transporté en surface la dépouille de son petit sur 1600 km durant 17 jours. Ce n’est pas un acte isolé chez ce type d’animaux. Des attitudes similaires ont été notées chez les primates comme nous l’avons déjà signalé dans des articles précédents.  Certains scientifiques avancent que les mères en question n’ont peut-être pas conscience de la mort de leur enfant et qu’elles espèrent toujours qu’il va se réveiller. Ce n’est, aujourd’hui, plus l’avis de la plupart des éthologues qui  s’accordent pour penser qu’il s’agit ici de véritables périodes de deuil, les mères ne portant pas du tout leurs bébés morts comme elles le feraient avec des vivants.

 

* bien d’autres exemples existent d’émotions animales

 

Le dégoût : la femelle chimpanzé Washoe (à qui on avait appris le langage des signes) avait été éduquée à repérer un meuble ou un vêtement tachés. Un jour, agacée par un macaque désagréable, elle s’est mise à signer : « sale singe » ! Comme si elle était dégoûtée par le comportement de son congénère. Était-elle passée du simple descriptif à une signification d’ordre moral ?

 

Le sens de la justice : de nombreuses expériences ont été réalisées avec des grands singes, des tamarins, des macaques, des corvidés, des chiens qui, toutes, ont montré combien ces animaux sont sensibles à l’inégalité de traitement. Si l’on demande à ces animaux de réaliser un exercice en échange de nourriture, c’est le mécontentement total quand l’un des participants reçoit une plus grande quantité ou une meilleure nourriture. Les participants « spoliés » refusent alors souvent de participer à nouveau à l’exercice. Est-ce de la simple frustration ? De la jalousie ? Pas sûr si l’on songe que certains grands singes vont jusqu’a refuser la récompense qui les avantage…

 

 

les rats peuvent présenter de l'empathie pour leurs semblables

   Ils sont capables d’empathie : de nombreuses expériences ont été menées sur cethème avec les rats. L’une d’entre elles consistait à délivrer une quantité identique de nourriture à des rats placés dans un box au moyen de deux leviers. Au bout de quelques jours, forcément, les rats avaient une préférence pour l’un ou l’autre des leviers. L’expérimentateur choisissait alors le levier préféré d’un individu et l’associait, en même temps que la délivrance de la nourriture, à une décharge électrique sur un autre rat. Eh bien, le rat choisissait alors l’autre levier pour ne pas voir souffrir son congénère…

 

D’autres comportements ont été souvent rapportés...

… comme de ne pas aimer partager leur maître (chiens) ou leurs amis (singes). Ou bien de remercier un être humain au détriment de leur confort immédiat (singes).

 

     On peut constater, au vu de ces quelques exemples (il y en a bien d’autres) qu’il paraît difficile de croire que les animaux n’interagissent avec leur environnement que de manière instinctive : ils présentent d’authentiques émotions ce qui a conduit l’Homme à revoir – certes encore partiellement – ses rapports avec eux.

 

 

Notre perception des animaux évolue… et la Loi aussi

 

 

l'horreur du marché de Yulin en Chine

     Depuis quelques années, un consensus semble se dessiner chez les scientifiques pour reconnaître aux animaux souffrance et émotions et cela d’autant plus que leur systèmenerveux est développé. Cette approche nouvelle de « nos amies les bêtes » s’est peu à peu diffusée à l’ensemble de notre société. Des pratiques ancestrales sont à présent combattues (par exemple, l’horrible marché de la « viande de chiens vivants » de Yulin, en Chine) et ont de moins en moins de succès. On contrôle de mieux en mieux les abattoirs et les élevages et ce sont parfois des associations « non officielles » qui se chargent d’attirer sur eux l’attention de tous.

 

     De ce fait, la Loi, elle aussi, évolue et cherche à étendre les droits des animaux en leur octroyant un certain statut juridique. On n’autorise plus – du moins dans la plupart des pays occidentaux dont la France – les delphinariums où de pauvres dauphins captifs tournaient en rond à longueur de journée. Dans le même ordre d’idées, la disparition des animaux de cirque (et a fortiori de foire) est programmée. Le transport des animaux est également étudié de près et on tolère de moins en moins les élevages en batterie. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses pétitions circulent pour signaler les comportements cruels de certains individus envers les animaux et elles rassemblent parfois suffisamment de monde pour donner lieu à des enquêtes et d’éventuelles poursuites.

 

     En France, le jeudi 18 novembre 2021,  le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi de lutte contre la maltraitance animale par 332 voix pour, une voix contre et dix abstentions, On sent que sur ce sujet particulièrement sensible les choses évoluent. Et c’est tant mieux.

 

 

 

 

Sources :

 

 

Images :

  1. Teckel triste (sources : dreamstime.com)
  2. Chat et rat (sources : youtube.com)
  3.  Le singe et sa récompense (sources : parismatch.be)
  4. Combat de girafes (sources : alternatival.com)
  5. l'empathie chez le rat (sources : scitechdaily.com)
  6. l'horreur du marché de Yulin en Chine (sources : hebdovinchine.com)

 

 

 

Mots-clés : Charles Darwin - Konrad Lorenz - animal machine - statut juridique des animaux - loi du 30 novembre 2021 sur la maltraitance animale

 

 

 

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mise à jour : 27 mars 2023

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Publié le par Céphéides
Publié dans : #éthologie
coucou gris d'Europe

 

     Dans un article précédent, nous avions évoqué la stratégie d’adaptation fort répandue dans le domaine du vivant qu’est le parasitisme (voir le sujet : parasitisme et évolution). Il existe, nous l’avons donc vu, de nombreuses formes de parasitismes dont certaines sont très élaborées mais l’une des plus surprenantes est celle développée par l’un des hôtes de nos bois, l’emblématique coucou. Arrêtons-nous un instant sur les agissements de ce sympathique (?) parasite.

 

 

La stratégie du coucou

 

     

une mère abusée

Lors d'une promenade en forêt, il arrive qu'on découvre un nid avec un petit oiseau occupé à nourrir sa progéniture. Sauf qu’il arrive parfois que le rejeton affamé soit deux fois plus gros que la petite femelle vouée à tarir son féroce appétit. En réalité, l’oiseau dispense ses soins à un oisillon qui n’est pas de sa lignée puisqu’il s’agit d’un bébé coucou (il existe toutefois d’autres oiseaux pratiquant ces subterfuges). La mère coucou a pondu son œuf dans un nid destiné à une autre espèce de manière à s’épargner l’effort de nourrir son petit mais l’histoire ne s’arrête pas là : le bébé coucou se

oisillon coucou se débarrassant d'on oeuf légitime

retrouve en concurrence avec les oisillons « légitimes » de l’espèce parasitée et il va faire tout son possible pour se débarrasser de ses rivaux. Il n’est ainsi pas rare de voir le bébé coucou, encore aveugle, portant les autres œufs sur son dos afin de les expulser du nid et rester seul à profiter des largesses de sa mère adoptive…

      Charles Darwin en son temps s’était interrogé sur ce curieux comportement et il avait conclu que l’économie de temps et d’énergie ainsi réalisée permettait aux parents coucous de mieux se consacrer à la conception d’une plus importante progéniture.

      Reste à savoir pourquoi les oiseaux parasités ne semblent pas se révolter devant cette indéniable agression mais on verra qu’en fait ils cherchent bien à réagir ce qui entraîne de la part du coucou une série de contremesures aboutissant à une véritable « course aux armements ».

 

 

Le coucou commun de nos régions

 

    Le parasitisme de couvée est en définitive peu fréquent chez les oiseaux (1 % environ) bien qu’il concerne plusieurs espèces comme les pinsons parasites, les carouges américaines, etc. Concernant les coucous, il en existe des dizaines de variétés mais le plus étudié est le coucou gris (cuculus canorus). Migrateur, son arrivée en mars en Europe signe le retour du printemps. Discret, il est repérable par son chant caractéristique qui lui a donné son nom. Comme il mesure 30 cm

un oiseau comme les autres ?

environ, il a la taille d’un épervier auquel il ressemble, notamment en vol. Le coucou est doté d’une vue perçante qui lui permet de se  nourrir de chenilles ou de vers de terre. En somme, un oiseau presque comme un autre… si ce n’est ce parasitisme de couvée qui l’a rendu célèbre. Il ne faut néanmoins pas s’y tromper : cette sorte de parasitisme n’est pas si aisée à assumer en termes d’évolution. En effet, le coucou doit constamment s’adapter aux stratégies défensives de ses victimes… Par ailleurs, une telle attitude pose un autre problème théoriquement difficile à résoudre : le pique-assiette doit s’assurer que ses rejetons identifieront formellement les représentants de leur espèce alors qu’ils ont été élevés par d’autres.

 

Une course aux armements

 

     L’hôte et le parasite luttent en fait à chaque moment du parasitage : à chaque action de l’un s’oppose une contre-mesure de l’autre dans ce qui est un combat réel pour la survie des uns et des autres. On peut schématiquement découper cette lutte en quatre stades chronologiques.

 

* étape de la ponte

  • D’instinct, l’hôte (qui a peut-être déjà été parasité) va cacher son nid du mieux possible mais le coucou possède ici une très efficace mémoire spatiale qui lui permet généralement de localiser le nid convoité. Ailleurs, certaines espèces se défendent en avançant le début de la ponte ce qui prend le parasite de vitesse : découvrant un état d’incubation trop avancé, il arrive alors que le pillard saccage le nid d’où une nouvelle ponte de l’hôte permettant enfin au parasite de déposer son œuf…

 

  • la stratégie de la défense à tout prix peut se révéler efficace : le couple hôte attaque le coucou qui va, ensuite, se faire très discret, presque furtif, ou, au contraire, exhiber son ventre qui ressemble à celui de l’épervier et ce afin de terroriser ses victimes. Des scientifiques ont également rapporté un comportement bien particulier de certains coucous dont le mâle « attaque » le nid et se laisse poursuivre par l’hôte tandis que la femelle coucou en embuscade en profite pour pondre son œuf dans le nid : il ne lui faut que deux à trois secondes !

 

* étape de l’œuf

  • L’hôte qui a repéré l’œuf parasite peut adopter trois parades : il peut décider de s’en débarrasser en l’éjectant. Il peut également enfouir sa propre couvée avec l’œuf parasité avant de produire une nouvelle couvée superposée à la précédente qui sera du coup détruite. Enfin, une réponse plus radicale est tout simplement
    oeuf de coucou dans le nid de l'hôte
    d’abandonner le nid. Pour ne pas « troubler » l’hôte et le pousser à adopter des mesures radicales, le coucou répond souvent par anticipation en pondant des œufs qui, au fil du temps, sont devenus pratiquement identiques à ceux de l’hôte par une sorte de mimétisme empirique. En Europe, le coucou gris parasite plus d’une dizaine d’espèces ayant chacune des œufs spécifiques d’où l’apparition de coucous quasi-spécialisés avec des œufs d’aspect différent…

 

  • Face à cette menace, l’hôte malgré lui va avoir recours à la différenciation de ses œufs (polymorphisme). Certains hôtes (Chine, Afrique) dotent leurs œufs de caractéristiques qui les rendent très difficiles à imiter, en modifiant par exemple leur couleur ou en incorporant des marbrures sur la coquille. Hélas pour eux, il a été constaté que les parasites ont rapidement fait évoluer leurs œufs pour qu’ils ressemblent à ceux de leurs hôtes…

​​​​​​​

  • Dans certains cas, l’hôte ne cherche tout simplement pas à se débarrasser de l’œuf parasite. Cette attitude peut sembler paradoxale mais elle s’explique. En effet, en cherchant à expulser l’œuf incongru, l’hôte peut blesser sa propre couvée, voire éjecter le mauvais œuf. Ou pire : s’exposer à une attitude belliqueuse de la part du coucou qui, face à l’expulsion de son œuf, vient tout simplement ravager le nid et la couvée de l’hôte. Ce comportement quasi-maffieux du parasite explique pourquoi il peut sembler plus rentable pour l’hôte d’accepter l’œuf parasite en faisant bien attention de nourrir également sa propre progéniture.

 

* étape de l’oisillon

     Nous avons déjà mentionné que, afin d’être seul à bénéficier des largesses de sa mère adoptive, l’oisillon coucou élimine les œufs de l’hôte. Cette stratégie révèle toutefois ses limites lorsque le parent hôte arrive à « reconnaître » le survivant comme un étranger qu’il

oisillon coucou
être nourri en premier !

décide alors de ne plus nourrir, voire de carrément éliminer en le jetant hors du nid. Comment peut alors réagir l’oisillon parasite ? Eh bien par une sorte de mimétisme qui consiste à imiter les vocalises des petits de l’hôte afin de tromper ce dernier… Il a même été rapporté, pour certains oiseaux parasites voisins du coucou, l’apparition d’une étape supplémentaire : l’oisillon parasite présente des motifs colorés inspirés de ceux que présentent les petits légitimes lorsqu’ils ouvrent le bec pour quémander la nourriture.

 

* étape de l’envol

     Lorsque l’oisillon coucou est élevé avec des oisillons légitimes, les parents adoptifs finissent par le reconnaître après qu’il a quitté le nid et refusent de le nourrir durant le temps encore nécessaire à acquérir son indépendance complète. Le jeune coucou est alors livré à lui-même mais, au contraire de certains autres oiseaux parasites, il ne meurt pas forcément car il part aussitôt à la recherche d’autres nids à parasiter qu’il trouve assez souvent : il se fait alors nourrir par d’autres mères-hôtes…

 

     L'Évolution, à la suite d'essais plus ou moins réussis et sans doute répétés presque à l'infini au fil du temps, a permis au coucou d'adopter une stratégie quasi-unique chez les oiseaux qui consiste à profiter de l'autre, à lui faire faire l'effort à votre place. Un comportement probablement dangereux mais qui, chez lui, a réellement porté ses fruits. 

 

 

L’Évolution est une longue aventure

 

     Le coucou (et quelques autres oiseaux du genre) est un bon exemple de ce que l’Évolution peut produire au fil de millions d’années. Nous avions vu dans le sujet précédent consacré au parasitisme qu’il arrivait que certaines espèces fassent preuve d’une ingéniosité particulière pour utiliser des ressources qui appartiennent à d’autres. Ainsi nous avions par exemple évoqué la guêpe fouisseuse qui sait exactement où piquer le cafard pour l’immobiliser mais en le maintenant en vie afin qu'il serve de garde-manger pour ses petits. Ou le protozoaire toxoplasma gondi qui modifie le comportement des rats, son hôte intermédiaire, en les faisant se jeter dans la gueule d’un chat dont le tube digestif est son hôte final. De tels comportements interpellent tant ils semblent si complexes à mettre en place qu’on peut parfois être saisi d’un « vertige finaliste », solution facile qui n’est nullement nécessaire. La saga du parasitisme de couvée nous montre combien des attitudes en apparence finalisées ne sont que la succession d’étapes acquises au cours du temps. Il s’agit en réalité de compétitions entre espèces qui se jouent au gré de mesures et contre-mesures complexifiant progressivement le comportement de chacun.

     On ne peut comprendre l’Évolution que si l’on songe au temps considérable (en millions d’années et donc en générations d’individus) nécessaire pour aboutir aux comportements existant aujourd’hui et bien sûr toujours en transformation.

 

 

Sources :

 

 

Images :

  1. coucou gris d'Europe (sources : salamandre.net) 
  2. une mère abusée (sources : screenville.blogspot.com)
  3. oisillon coucou détruisant un oeuf rival (dailymail.co.uk)
  4. coucou perché (sources : fr.wiktionary.org)
  5. oeuf de coucou parasitant un nid (sources : flickr.com)
  6. premier servi ! (sources : the-ethologist.blogspot.com) 

 

 

 

Mots-clés : parasitisme - contre-mesures et stratégies de défense - théorie de l'Évolution

 

 

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Mise à jour : 24 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie

 

 

 

 

     Ernst Mayr (1904-2005), ornithologue, biologiste et généticien, s’était posé la question suivante : « Pourquoi les fauvettes qui occupent l’environnement de ma maison du New Hampshire ont-elles entamé leur migration vers le sud dans la nuit du 25 août ? ». Selon lui, on peut évoquer quatre possibilités :

 

  • Les fauvettes se nourrissent d’insectes qui désertent singulièrement l’endroit en hiver : si elles devaient rester, il est vraisemblable qu’elles mourraient de faim. Il s’agit là d’une cause écologique.

 

  • Au fur et à mesure de l’évolution de leur espèce, ces oiseaux ont acquis une constitution génétique qui les prédispose à un comportement migratoire lorsque se présentent certains stimuli environnementaux : il s’agit là d’une cause génétique.

 

  • Lorsque le jour décline et que sa durée tombe en dessous d’un certain seuil, des changements comportementaux et physiologiques poussent les fauvettes à migrer : le comportement migratoire est alors lié à la photopériodicité et on évoquera ici une cause physiologique intrinsèque.

 

  • Enfin, le 25 août, le temps s’est dégradé et une masse d’air froid s’est abattue sur le New Hampshire : alors que les oiseaux étaient prêts à migrer, cette baisse soudaine de la température et de la luminosité à été le signal du départ : il s’agit là d’une cause physiologique extrinsèque.

 

     Pour Ernst Mayr, il faut opposer les deux causes « immédiates », c'est-à-dire pour lui celles qui agissent du vivant de l’organisme (les causes physiologiques intrinsèque et extrinsèque) aux causes « ultimes » qui, elles, se rapportent à un temps antérieur au vivant de l’organisme et donc se rattachent à l’histoire de l’espèce (les causes écologique et génétique).

 

     Ces dernières – les causes ultimes de Mayr - se rapportent à la biologie de l’Évolution. Elles sont présentes chez tous les représentants d’une même espèce. Peut-on avancer que ces causes ultimes participent à ce que l’on nomme l’instinct que l’on définit classiquement comme la part héréditaire et innée des tendances comportementales (étant entendu que l’Homme, un primate donc un animal) est également concerné ?

 

 

Comment évaluer un caractère instinctif ?

 

     Avant de chercher à comprendre comment il se manifeste, il convient d’identifier de façon formelle ce qu’est un comportement instinctif. Plusieurs approches, d’ailleurs fortement complémentaires, sont envisageables.

 

 

L’évaluation par l’éthologie

 

Depuis Konrad Lorenz (1903-1989), l’un des pères fondateurs de l’étude des animaux, l’éthologie essaie, autant que faire se peut, de les étudier dans leur milieu naturel, dans leur environnement. Et quels sont donc les moyens pour un animal d’agir sur son environnement ?

Konrad Lorenz (1903-1989)

Sa seule possibilité d’action est d’utiliser ses muscles : en effet, un acte, ici, se caractérise par une succession de contractions musculaires. Le problème est alors de savoir si l’acte est inné (génétique) ou acquis (apprentissage). Quatre critères d’appréciation sont possibles pour départager son origine.

 

        • Tous les représentants d’une espèce donnée ont une réponse absolument identique : on parle alors de comparaison horizontale.

 

        • D’une espèce à l’autre, la réponse varie en intensité et en forme selon la distance séparant des groupes proches du point de vue de l’Évolution : il s’agit en pareil cas d’une comparaison verticale.

 

        • Il est parfois envisageable d’identifier le centre nerveux responsable de l’acte considéré et d’en percevoir le contrôle automatique (méthode physiologique), enfin

 

        • L’apprentissage ne doit en aucune façon modifier l’acte. La vérification de cette notion se fait par la méthode dite d’isolation : l’absence effective de soins parentaux ou la mise à l’écart de l’individu depuis sa naissance permet d’exclure un apprentissage extérieur.

 

Les coordinations héréditaires

 

     Les coordinations héréditaires sont ainsi nommées lorsqu’un acte se déroule jusqu’à la fin une fois qu’il a été enclenché et cela même si la cause qui l’a engendré a disparu. On prend souvent l’exemple de l’oie qui, face au mouvement de roulis de son œuf, exécute des mouvements latéraux du cou pour le ramener au bon endroit : toutefois, même si l’expérimentateur retire l’œuf du champ de vision du volatile, celui-ci poursuit ses mouvements du cou et doit les terminer avant de passer à autre chose. Ajoutons que des conditions sont souvent requises pour que l’acte ait lieu : dans l’exemple de l’oie, pour que celle-ci cherche effectivement à replacer son œuf, il faut qu’elle soit en période de couvaison.

 

 

L’instinct sexuel et la méthode neuroscientifique

 

     Il est possible de rechercher des circuits neuraux innés en les identifiant par traçage ou l’étude de lésions. C’est ainsi que l’on a pu identifier les différentes conditions de l’instinct sexuel chez les animaux non-primates. Normalement c’est la reproduction sexuée donc hétérosexuelle qui est toujours privilégiée et un certain nombre de mécanismes se succèdent alors :

 

  • D’abord entrent en jeu les phéromones sexuelles : ce sont elles qui attirent le mâle vers la femelle et permettent à celle-ci de ne pas s’enfuir.

 

  • Lorsque le choix est fait, un réflexe de lordose (hypercambrure de la colonne vertébrale) permet la présentation en bonne position du vagin pour une pénétration optimale

 

  • Des poussées pelviennes cadencées du mâle se trouvent alors initiées par un réseau de neurones de la moelle épinière qui fonctionne de façon autonome sans intervention de circuits supérieurs.

 

  • L’éjaculation est favorisée par la transformation du vagin qui s’est lubrifié.

 

  • Enfin, la motivation sexuelle est amplifiée par un système de récompenses (sensations agréables péniennes, vaginales, etc.).

 

     Il existe donc ici un circuit d’actions qui échappe totalement à un quelconque élément volontaire. En revanche, c’est par l’apprentissage que certaines séquences, comme celle de la monte, peuvent se réaliser (observation des autres, essais plus ou moins réussis lors des premières tentatives).

 

     Précisons que chez les primates – et notamment chez les hominidés – la sexualité échappe en grande partie à ces circuits automatiques : par exemple, le réflexe de lordose disparait au profit du système de récompense qui est devenu prépondérant.

 

 

Les processus moteurs

 

     Un certain nombre d’éléments de base se manifestent dès la naissance et cela indépendamment de tout apprentissage, notamment d’origine parentale. C’est le cas de la marche (et de la course). Tous les animaux peuvent d’emblée marcher même si certains

la plupart des animaux nagent d'emblée

mammifères (prédateurs notamment) rampent durant leurs premiers jours. Rapidement, le mouvement s’améliore pour devenir très tôt optimal. Nous avons tous en mémoire les images des bébés gazelles qui, dans la steppe africaine, cherchent à se lever dès la mise-bas et qui, après quelques essais balbutiants, trouvent rapidement leur équilibre. Le même mécanisme existe chez les animaux pour la nage (qui n’est, en réalité, qu’une marche tête hors de l’eau). Cette faculté est plus difficile à réaliser d’emblée chez les grands singes anthropoïdes dont la morphologie n’est ici guère adaptée.

 

Facteurs déclenchants

 

       Un éthologue célèbre, Nikolaas Tibergen (1907-1988) a longtemps étudié les facteurs susceptibles de déclencher une réaction instinctive chez l’animal. Il étudia tout

une épinoche

spécialement un petit poisson de quelques centimètres de longueur et pourvu de trois épines dorsales, l’épinoche. Ce petit animal est capable de présenter une terrible agressivité lorsqu’il est mis en présence d’un de ses congénères mâles. Un jour, Tibergen observa cette réaction violente chez une épinoche qu’il avait posé dans son bocal sur sa fenêtre. Il n’y avait pourtant aucun autre poisson à portée de vue. C’est alors qu’il remarqua la camionnette de la poste qui était venue se garer en contrebas : c’est la couleur rouge de l’engin qui provoquait la colère du petit poisson. En effet, à l’époque de la reproduction, les mâles de cette espèce arborent une coloration rouge de la gorge et de l’abdomen. Dans ce cas, seule la coloration rouge est donc le facteur déclenchant du réflexe d’agressivité du poisson.

 

     Bien entendu, dans la nature, si un facteur déclenchant peut être seul à même d’entrainer une réaction, cela se fait dans un contexte où interviennent également l’espace, la vitesse de déplacement, l’orientation etc.

 

       Chez l’animal, une réaction instinctive est toujours déclenchée par un stimulus qui peut être visuel (comme dans le cas de l’épinoche que nous venons d’évoquer), sonore, tactile ou odorifère. Il existe même des cas où le stimulus peut être amplifié, entraînant alors une réaction encore plus grande : par exemple, une oie va réagir de façon bien plus forte lorsqu’elle est mise en présence d’un œuf d’autruche, beaucoup plus gros, en dehors de son nid ; elle va même finir par préférer cet œuf géant aux siens, même si elle est incapable de le transporter… On parle alors d’hyperstimulus.

 

       Lorenz explique également que seules quelques caractéristiques fondamentales sont nécessaires pour provoquer la réaction instinctive, indépendamment du reste de l’objet lui-même : on parle de stimulus-clé (la tâche rouge pour l’épinoche qui agresse un leurre en carton pourvu que celui-ci soit taché de rouge).

 

 

Les activités de déplacement

 

     Dans certains cas, la réaction instinctive se produit alors qu’aucun stimulus ne semble présent. Lorenz rapporta en 1937 l’exemple suivant : un étourneau captif présenta tous les actes de prédation  (guet, attaque et déglutition) alors qu’aucun insecte n’était présent. En apparence, il s’agit là d’une activité de déplacement : tout se passe comme si l’oiseau, incapable de chasser puisque emprisonné, avait cherché à compenser sa frustration par une activité de remplacement. Il est toutefois difficile d’être certain qu’aucun stimulus n’était présent (un grain de poussière ?) et on sait que la séquence une fois entamée, elle doit aller jusqu’au bout.

 

     Un autre éthologue, Frederik Kortlandt (né en 1946) observa deux oiseaux se menacer alors qu’ils étaient à la limite de leurs territoires respectifs. Leur agressivité s’amplifia jusqu’à ce que, tout à coup, chacun des deux se mette à picorer des matériaux de construction pour construire leur nid : l’agressivité avait soudain été détournée vers une tâche plus pacifique…

 

     Lors d’un séjour sur l’Ile de la Réunion, j’ai été témoin d’une scène peu banale : alors que

un margouillat...

je regardais la télévision, sur le mur blanc qui me faisait face, un margouillat (sorte de lézard local) se trouva nez à nez avec une araignée babouk (ou babouque). Ces araignées, noires et dotées de grosses pattes, font, quand elles sont très petites, volontiers l’ordinaire d’un margouillat mais celle-ci était vraiment très impressionnante (de la taille d’une grosse soucoupe).

... et une babouque

Les deux animaux s’observèrent durant environ vingt minutes, chaque mouvement de l’un compensé par un mouvement contraire de l’autre. Je me demandais si le margouillat allait se risquer ce qui aurait pu lui coûter cher. Finalement aucun stimulus ne prédisposant à l’attaque de part et d’autre ne sembla s’imposer et le margouillat se mit à se lécher la queue… ce qui permit immédiatement à l’araignée de passer rapidement sans encombre et sans que le lézard ne réagisse alors qu’il voyait parfaitement son ennemie se faufiler à sa portée.

 

     Tous ces exemples semblent montrer que les réactions innées peuvent parfois être détournées selon un autre protocole inné : l’instinct est plus complexe qu’il n'y paraît.

 

Importance de l’instinct en fonction du degré d’évolution

 

     Plus une espèce est dite évoluée, moins les actes instinctifs semblent présents. On pense bien sûr aux primates et tout particulièrement à l’Homme. Il s’agit là à la fois d’une vérité et d’une illusion d’optique. Vérité car, chez l’Homme, l’apprentissage, c’es-à-dire sa dimension culturelle, est immense. Ses pouvoirs d’analyse et de réflexion lui permettent tout à fait de choisir des modes d’action qui l’éloignent du simple comportement instinctif. Toutefois, la situation n’est pas toujours aussi claire et l’illusion d’optique consisterait à croire que l’être humain échappe presque intégralement à sa part génétiquement instinctive : c’est manifestement une erreur car cette part automatique de nos comportements est certainement plus importante qu’on veut bien le croire. Le problème est d’ailleurs si complexe que cet aspect devrait (et fera peut-être) l’objet d’un sujet à part.

 

 

Instinct et apprentissage

 

     Comprendre dans quelle mesure, chez l’animal, l’apprentissage (par les parents, par l’expérience personnelle, par l’observation des autres, etc.) peut restreindre la part purement instinctive d’un comportement relève d’un débat fort ardu qui nécessiterait un approfondissement qui devrait faire l’objet d’un autre article : pour en démontrer toute la complexité, je souhaiterais en guise de conclusion rapporter le cas d’un oiseau très étrange : le drongo.

 

le Drongo, un oiseau plein de ressources

 

     Le drongo est un petit passereau africain remarquablement « intelligent » selon les observateurs. En effet, il se nourrit d’insectes et de larves mais ne sait pas ou ne peut pas creuser les trous où les insectes se cachent. Lorsqu’il ne trouve plus de nourriture, il est assez rusé pour voler celle des autres. Voilà comment il procède. Après avoir repéré une bande de fauvettes ou de suricates, ces petits mammifères du désert de la famille des mangoustes, il se positionne sur une branche d’arbre surplombant le groupe. Dès qu’il aperçoit un prédateur, serpent ou oiseau de proie par exemple, en parfait imitateur, il vocalise le cri d’alerte de la sentinelle passereau ou suricate : tout le groupe s’enfuit. Après quelques véritables alertes, le drongo passe à la tromperie : il alerte le groupe alors qu’il n’y a aucun prédateur et profite de sa fuite éperdue pour voler la nourriture. Tous les drongos sont capables d’organiser une telle tromperie : il s’agit là d’un comportement complexe qui a probablement été choisi par la sélection naturelle au cours de millions d’années. Mais est-on certain qu’une part d’apprentissage n’existe pas ? Est-on certain que le bébé drongo n’a pas observé certains de ses congénères avant de mettre en place sa propre stratégie ?

 

     On conçoit ici toute la difficulté d’une réponse claire…

 

 

 

Sources :

 

 

Images :

  1. Une oie et sa couvée (sources : www.yahki.com)
  2. Konrad Lorenz (sources : www.tumblr.com)
  3. Chat qui nage (sources : www.assuropoil.fr)
  4. Epinoche (sources : www.siahvy.org)
  5. Margouillat (sources : www.maillyn.over-blog.com)
  6. Araignée Bibe (sources : photos-reunion974.wifeo.com

 

 

Mots-clés : Ernst Mayr - Konrad Lorenz - Nikolaas Tibergen - hyperstimulus - coordination héréditaire - stimulus-clé - activité de déplacement - apprentissage - Freredik Kortland (en anglais) - drongo

 

les mots en gris renvoient à une documentation complémentaire

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. la notion d'espèce

2. reproduction sexuée et sélection naturelle

3. l'inné et l'acquis chez l'animal

4. l'intelligence animale

 

 

 

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mise à jour : 22 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie, #paléontologie

Voici quelques unes des "brèves" parues il y a quelque temps sur le fil Facebook du blog.

 

 

 

 

IL Y A TELLEMENT D’ESPÈCES EN VOIE DE DISPARITION !

 

 

   On estime à deux millions le nombre d'espèces identifiées de nos jours... et probablement cinquante millions qui restent à découvrir (essentiellement chez les insectes). Malheureusement, en raison du saccage de la Nature mené par l'Homme, la plupart de ces espèces inconnues auront disparu avant même d'être étudiées.


   Dans le passé déjà, nombre d'espèces ont été réduites à néant par l'insouciance (ou l'esprit de lucre) des humains : un exemple caricatural en est le dodo de l'île de la Réunion (et de l'île Maurice) qui, ne sachant pas voler, a été purement et simplement exterminé.


   Sur la photo ci-dessus, on peut voir un loup de Tasmanie, sorte de chien marsupial, dont le dernier représentant a été abattu en 1936 (le gouvernement australien offrait une prime pour chacun de ces "nuisibles" détruits). Une perte absolument inestimable en terme d'évolution...


   Tant d'autres espèces, souvent moins "visibles", ont été rayées de la surface de la Terre sans que quiconque (ou si peu) ne s'en émeuve... et le carnage continue en s'accélérant !

 

   Mais, à propos, comment définir ce qu'est une espèce ? Comment se fait-il que l'on sache instantanément qu'un Yorkshire et un Saint-Bernard sont tous deux des chiens alors que le Yorkshire, par sa taille et sa vivacité, se rapproche plus du chat avec lequel pourtant on ne le confond jamais ? Est-ce culturel ? Scientifique ? Imprimé dans nos gènes ? On en saura un peu plus en lisant le sujet dédié à cette question en cliquant sur le lien suivant ICI

 

 

 

LES CORBEAUX SONT PARMI LES PLUS INTELLIGENTS DES ANIMAUX !

 

 

   On ne prête pas beaucoup d'attention aux corbeaux et autres corvidés (choucas, corneilles, pies, geais, etc) que certains ont même tendance à considérer comme des nuisibles. Et pourtant ! Les éthologues l'ont démontré : ces oiseaux sont parmi les plus intelligents des animaux. Dotés d'une excellente mémoire, ils sont parfois capables d'un esprit de déduction remarquable. Vous en doutez ? Cliquez sur le lien ICI : dans ce court extrait tiré d'une émission d'éthologie d'ARTE, on peut y voir le comportement plus que surprenant d'un corbeau.

 

   D'une manière plus générale, comment quantifier l'intelligence animale ? Que sait-on réellement de l'intelligence des invertébrés ? Comment situer l'intelligence des animaux par rapport à celle des hommes ? Voilà quelques unes des questions abordées dans le blog de Céphéides à la rubrique de l'intelligence animale : ICI

 

 

 

NÉANDERTAL N'ÉTAIT PAS CE QUE L'ON A LONGTEMPS PENSÉ !

 

 

 

   Je relisais récemment "deadly décisions", un roman policier de Kathy Reichs et j'ai remarqué que cet auteur (par ailleurs excellent) présentait quelques lacunes en paléo-ethnologie puisque, au moins à deux reprises, elle écrit : "Néandertal, our ancestor"... Eh bien non, ne lui en déplaise, Néandertal n'a jamais été "notre ancêtre". C'est tellement vrai que durant quelques milliers d'années nous avons même partagé avec lui notre bonne vieille Terre... jusqu'à ce qu'il disparaisse sans que l'on sache trop pourquoi (mais quelque chose me dit que, d'une façon ou d'une autre, nous n'y sommes pas étrangers...).

 

   Néandertal n'est donc pas notre ancêtre, tout au plus un cousin éloigné avec lequel, d'ailleurs, nous avons échangé quelques gènes. Il n'empêche, ce Néandertal était loin d'être l'être fruste et inculte qu'on nous a d'abord présenté. Bien au contraire puisque, outre son cerveau plus gros de 25% en moyenne que le nôtre, il fut indéniablement empreint de spiritualité : il enterrait ses morts (et croyait donc à un au-delà) et s'était certainement organisé une vie sociale que beaucoup de nos représentants d'alors, les homo sapiens de l'époque (autrefois appelés Cro-Magnon), auraient pu lui envier.

 

   Récemment, un élément important est venu conforter cette approche de l'intelligence de Néandertal : des scientifiques français et allemands ont découvert sur deux sites de Dordogne où vivaient des néandertaliens il y a 50 000 ans, des fragments d'outils en os de cervidés ayant servi à façonner des peaux, de même que des lissoirs comparables à ceux des tanneurs actuels. Il s'agirait des plus vieux outils en os trouvés à ce jour en Europe occidentale, bien avant la survenue de Sapiens (l'homme moderne) arrivé en Europe quelques 10 000 ans plus tard. On se demande même si Néandertal n'a pas transmis ces outils à ses nouveaux (et envahissants) cousins ! Comme quoi, il ne faut jamais conclure trop vite : Néandertal aurait sans doute gagné à être connu.

 

   On trouvera sur le blog (lien ci-après) un sujet : "Néandertal et Sapiens, une quête de la spiritualité" qui revient sur cette lointaine cohabitation et qui se risque à quelques hypothèses sur la disparition de cet hominidé si proche et si lointain tout à la fois. Cliquer ICI

 

 

 

UN POISSON VIEUX DE 420 MILLIONS D'ANNÉES

 

 

   Il s'appelle antelognathus primordialis et peuplait nos mers il y a 420 millions d'années à une époque lointaine appelée le silurien (début de l'ère primaire). C'est à peu près à cette époque que sont apparus les requins (si menacés aujourd'hui par les obscurantistes amateurs d'ailerons). Son corps fossilisé parfaitement bien conservé a été découvert en Chine. Et alors ? allez-vous dire. C'est que cette bête remet en question toute la généalogie des êtres vivants !


   En effet, jusqu'à présent, on pensait que les ancêtres des vertébrés étaient les poissons cartilagineux (ancêtres des raies et des requins) mais pas les placodermes aux mâchoires articulées comme notre poisson chinois. Alors faut-il recommencer toute la classification ? Certains scientifiques le pensent !


   En tout cas, une chose est sûre : on voit combien la science n'est jamais figée et qu'elle se remet toujours en question. C'est là son grand mérite !

 

crédit image : taringa.net

 

 

 

UN MERVEILLEUX MONDE DE COULEURS

 

 

 

  

   Il y a peu, au large de l'île Little Cayman, dans les caraïbes, des scientifiques du muséum américain d'histoire naturelle cherchaient à mettre en évidence la biofluorescence des coraux. En effet, ces étranges petites bêtes ont la particularité d'absorber la lumière bleue qui prédomine sous la mer pour la réémettre sous une autre longueur d'onde, en général dans le rouge ou le vert. Les chercheurs installaient donc leur matériel spécial lorsque, tout à fait par hasard, une anguille est passée dans leur champ d'exploration et elle leur est apparue vert fluo ! Très intrigués, les scientifiques se sont demandés si les poissons ne se paraient pas de couleurs étranges, invisibles pour l'œil humain. Pour cela, ils sont allés observer (avec leur caméras spéciales) la faune marine des îles Salomon, des Bahamas et même, pour faire bonne mesure, des aquariums de certains musées océanographiques...

 

   Surprise ! La vie sous-marine s'est alors présentée à eux sous la forme d'une débauche de couleurs chatoyantes, toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Près de 200 espèces de poissons possèdent ces couleurs fluorescentes : des roussettes, des raies, des rascasses, etc.

 

   Pourquoi ? Probablement pour communiquer, notamment lors des pariades, c'est à dire lors des amours, afin de choisir le partenaire le mieux adapté. A moins (mais les deux options ne sont pas incompatibles) que ce soit pour mieux se cacher des prédateurs au sein des massifs coralliens...

 

   On savait que les abeilles voient la vie en ultra-violet et voilà que, à leur tour, les poissons nous apprennent que leur monde est composé de merveilleuses couleurs que nous ne pouvons malheureusement pas voir avec nos yeux au spectre limité...

 

L'image représente la faune sous-marine que l'on peut rencontrer au large des îles Coco, au Costa-Rica (crédit-photo : easyvoyage.com)

 

 

 

 

LES CROCODILES NE SONT PAS SI BÊTES...

 

 

   Il y a quelques mois, j'évoquais l'intelligence des corbeaux et autres corvidés, capables d'ouvrir une cage avec un bout de bois mais les crocodiles et les alligators ne sont pas en reste !

 

   Des chercheurs américains de l'Université du Tennessee ont pour la première fois mis en évidence l'utilisation d'outils chez les reptiles. Ils ont en effet observé des crocodiles, à demi-immergés dans des marais d'Amérique du nord et présentant sur leur longs museaux des brindilles et autres bouts de bois. Il s'agit là d'un piège subtil destiné à tromper les oiseaux en train de bâtir leurs nids : en effet, lorsque ceux-ci se présentent pour s'emparer des matériaux de construction qu'ils recherchent, l'alligator n'a qu'à ouvrir la gueule pour attraper le volatile trop audacieux !

 

   Plus encore, les chercheurs ont pu constater que, en dehors de la période de reproduction des oiseaux, les alligators n'utilisent jamais ce subterfuge puisque leurs repas potentiels ne construisent alors pas de nids. Malin, n'est-ce pas ?

 

Photo : un crocodile (ici, crocodylus palustris) attendant sa pitance (source : pourlascience.fr)

 

 

 

L'ANIMAL LE PLUS ÂGÉ JAMAIS DÉCOUVERT

 

 

   Connaissez-vous la praire d'Islande (artica islandica) ? C'est pourtant à cette espèce qu'appartient l'animal le plus vieux jamais découvert par l'Homme. En 2006 fut en effet remontée une praire d'Islande qui paraissait très âgée. Comme toujours en pareil cas, les scientifiques s'acharnèrent à compter le nombre de stries sur sa coquille (une strie représente un an) et arrivèrent à la conclusion que l'animal avait environ 400 ans ! Mais comme il était difficile de compter les premières stries quelque peu effacées, on a, dans un deuxième temps, eu recours à la datation par le carbone 14 (université de Bangor, pays de Galles). Résultat : l'animal était vieux en réalité de 507 ans !

 

   Il fut baptisé Ming car c'était la dynastie chinoise qui régnait à l'époque de sa naissance... en 1499. Du coup, cet extraordinaire coquillage avait été contemporain des découvertes de Magellan, de la bataille de Marignan, de la Révolution française et des attentats du World Trade Center. Bien plus vieux que les plus vieux animaux connus comme la tortue géante des Seychelles (150 ans) ou la baleine boréale (130 ans).

 

   Une question se pose : combien de temps aurait encore vécu cet animal s'il n'avait pas été remonté en 2006 ?

 

Image : valve gauche du coquillage Ming âgé de 507 ans (source : Wikipédia France)

 

 

 

 

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mise à jour : 21 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie
radeau de survie d'une colonie de fourmis de feu (Solenopsis invicta)

radeau de survie d'une colonie de fourmis de feu (Solenopsis invicta)

 

 

     Dans un précédent sujet, nous avons cherché à évaluer l’intelligence des animaux en tant qu’individus représentatifs de leur espèce (voir sujets apparentés en fin d'article). Il existe toutefois une autre forme d’intelligence animale, conséquence de l’activité commune d’un certain nombre de ressortissants d’une même espèce et qui peut être largement supérieure en termes de résultats à l’action de chacun des individus pris séparément. On évoque alors une intelligence de groupe que l’on peut trouver par exemple chez les oiseaux migrateurs, les bancs de poissons et surtout les insectes dits sociaux. Chez ces derniers, le produit de l’action du groupe est toujours infiniment supérieur à celui des individus pris isolément, non seulement en terme de force d’action, ce qui est aisément compréhensible, mais également et surtout pour l’intelligence de la réalisation qui aboutit presque toujours à un résultat surprenant. Ainsi, une fourmi isolée n’est guère intelligente et elle se révèle incapable d’accomplir des tâches un tant soit peu élaborées. Par contre, dès que l’on a affaire à un groupe suffisamment important de ces hyménoptères, les actions réalisées par leur association sont parfois extraordinaires. Comment se fait-il que des individus qui, solitaires, ne peuvent que très peu, trouvent ensemble des solutions parfois stupéfiantes grâce à ce qu’il faut bien appeler une « intelligence collective » ?

 

 

 

la somme du tout est bien supérieure à la somme des parties

 

 

     L’intelligence collective, c’est pour une espèce grégaire le fait de compenser la faiblesse de chacun de ses ressortissants par la possibilité de trouver ensemble et de mettre en ordre des actions parfois terriblement complexes. On y reviendra mais, d’ores et déjà, on peut souligner que seules les lois de l’Évolution adossées à la sélection naturelle sur un long, très long espace de temps sont capables d’expliquer ces réussites qui, aux yeux du profane, paraissent si extraordinaires qu’il en vient parfois à se demander s’il n’y a pas du créationnisme là-dessous : il n’en est à l’évidence rien. Prenons quelques exemples.

 

 

* des fourmis formidablement bien organisées

 

     Solenopsis invicta est une variété de fourmis originaires d’Argentine mais qui, à présent, peuple tout le sud des Etats-Unis ; on les surnomme les « fourmis de feu » en raison de leur grande agressivité et de la douleur occasionnée par leurs piqures.

 

       Leur réaction est très particulière lorsqu’une montée d’eau brutale

intelligence collective animale
radeau de survie de fourmis Solenopsis Invicta

(fréquente dans ces contrées) menace la fourmilière. Voilà que, à mesure que l’eau envahit leur habitat, des milliers d’ouvrières s’associent sur la surface de l'eau, s’accrochant les unes aux autres ici par les mandibules, là par leurs pattes. Chaque fourmi se trouve en contact par ses six pattes avec ses voisines, cherchant dans le même temps à les repousser le plus loin possible, créant ainsi de minuscules poches d’air dont la multiplication assure une bien meilleure flottabilité à l’ensemble.

 

     En quelques minutes se forme alors un véritable radeau vivant ! Les pupes et les larves - qui sont très légères - sont placées dans la partie immergée du radeau afin de servir de flotteurs tandis que la Reine est installée au centre de l’esquif. Celui-ci part alors à la dérive jusqu’à trouver un point de fixation (terre émergée, tronc d’arbre, etc.) où la colonie attendra patiemment la fin de l’inondation. Élément très particulier : le radeau vivant peut dériver des semaines avant de trouver un point de fixation jugé valable ! Ensuite, lorsque les conditions seront redevenues normales, il suffira aux fourmis de pratiquer la gymnastique inverse : la colonie est sauvée…

 

 

* la traversée du fleuve

 

    Bon nombre d’entre nous ont assisté, grâce aux documentaires animaliers, à la grande migration des gnous depuis les plaines du Serengeti, en Tanzanie jusqu’à celles de Masaï Mara au Kenya. Des dizaines de milliers de gnous accompagnés de quelques zèbres parcourent cette énorme distance à la recherche de nouveaux pâturages. Problème : pour rejoindre les terres convoitées, il faut que l’immense troupeau traverse la rivière Mara où les attendent des dizaines de crocodiles affamés regroupés à cet endroit précis chaque année à la même époque.

 

     Les scientifiques qui observent depuis longtemps ce drame inévitable sont arrivés à la conclusion que, si un zèbre s’appuie sur son intelligence

intelligence collective
Crocodiles à l'affût, la traversée de la rivière Mara demande du courage

propre qui est plus de dix fois supérieure à celle d’un gnou, les bovidés ont, eux, recours à une sorte d’intelligence collective : au total les gnous s’en sortent bien mieux que les zèbres. En effet, lorsque le gigantesque troupeau arrive sur la berge du fleuve, les premiers individus s’arrêtent, hésitent, piétinent, reculent tandis que les zèbres choisissent de traverser individuellement après avoir repéré les endroits qui leur paraissent les plus sûrs. Mais les nouveaux arrivants toujours plus nombreux repoussent de plus en plus les premiers gnous et l’un d’entre eux tombe finalement dans la rivière. Immédiatement, le troupeau entier se lance et, dans un énorme mouvement d’eau, fait reculer les crocodiles, circonspects devant le bruit et la masse qui s’approche d’eux. Bien sûr, des gnous seront happés au passage mais ce sont les zèbres qui traversent individuellement et latéralement qui feront souvent les frais du recul obligé des crocodiles…

 

     Arrivés sur l’autre rive, les gnous se séparent en différentes colonnes pour découvrir un passage et lorsque celui-ci est trouvé, tout le monde s’y engouffre, y compris les zèbres.

 

 

* la surveillance partagée

 

      Le Queléa ou « travailleur à bec rouge » (Quelea quelea) est un petit passereau connu pour être un des oiseaux les plus représentés au monde (un milliard et demi d’individus selon les dernières estimations). Habitant l’Afrique subsaharienne, ce petit oiseau (12 cm de long pour une quinzaine de grammes) est évidemment la victime de prédateurs, notamment les oiseaux de proie. Cependant, il lui faut bien se désaltérer et pour cela il a recours à une technique spéciale.

 

     Regroupés près du point d’eau, ce sont les plus anciens qui vont d’abord

intelligence collective
passereau de l'espèce Quelea quelea

se désaltérer tandis que les plus jeunes, grimpés sur les branches les plus hautes, scrutent le ciel. D’autres quéleas se placent sur les branches les plus basses pour prévenir d’une attaque terrestre. C’est seulement, lorsque les premiers auront étanché leur soif que les oiseaux échangeront leur place de façon à ce que chacun soit servi… Un oiseau de proie est repéré ? Immédiatement, tous les quéleas s’envolent dans un immense nuage virevoltant empêchant le prédateur de se fixer sur une proie précise et le plus souvent il repart bredouille.

 

     On peut donc constater, dans chacun de ces exemples, que le résultat obtenu par l’interaction entre les différents individus d’un même groupe est bien supérieur à ce qu’auraient obtenu les différents participants pris isolément (à supposer même que ces individus aient pu intervenir réellement sur le problème posé). Comment un tel dispositif est-il possible ?

 

 

 

une intelligence partagée pour quelle

organisation ?

 

 

     Jusqu’à il y a peu, la plupart des scientifiques s’étant intéressés à l’intelligence collective des animaux pensaient que la structure de l’organisation permettant la réalisation d’attitudes communes était de nature pyramidale. En d’autres termes, l’organisation des sociétés animales était vue comme celle des hommes : des décisions transitant par une hiérarchie au sommet de laquelle présidait le chef suprême donneur d’ordre, par exemple la Reine qui, dans la société des abeilles,  « ferait passer des ordres » à des ouvrières afin d’appliquer un programme prédéterminé.

 

     L’éthologie moderne a tendance à rejeter ce modèle : une des raisons avancées est que les individus concernés, des fourmis par exemple, n’ont tout simplement pas les aptitudes individuelles pour mettre en œuvre un tel programme : leurs capacités cognitives sont trop limitées. Pourtant, des actions mettant en jeu des milliers de participants existent bien, comme on l’a vu dans les exemples précédents. Comment cela est-il possible ? Eh bien, on pense qu’il s’agit d’interactions élémentaires induites entre individus qui n’ont accès qu’à des informations locales simples, peu nombreuses et forcément parcellaires.

   

     En d’autres termes, des sollicitations automatiques passent d’un individu à l’autre entraînant des réponses programmées, par exemple l’accrochage à la fourmi voisine en cas de danger par les eaux. L’individu pris isolément n’a aucune notion de ce que sera le résultat définitif : il ne sait pas du tout à quelle architecture il participe ni quel est l’objectif final de l’entreprise.

 

 

 

l’optimisation des procédures

 

 

     Comment une procédure peut-elle alors s’imposer comme règle de conduite de la communauté alors qu’il n’existe aucun « ordre venu d’en haut » et comment les individus qui vont être amenés à participer à une action commune bénéfique pour l’ensemble ont-ils « choisi » de le faire ? Pour le comprendre, reprenons l’exemple, très instructif, des fourmis  car il s’agit de sociétés animales où le nombre des participants est immense alors que l’indépendance de chacun d’entre eux est quasi-nulle.

 

     Imaginons une fourmilière et des centaines de fourmis partant d’elle pour aller explorer les environs à la recherche de nourriture. On sait qu’une fourmi laisse une trace odorante, appelée phéromone, sur l’espace qu’elle emprunte : c’est sa façon de communiquer avec ses congénères et de

intelligence animale collective
trouver le retour de façon fortuite

retrouver sa propre trace. Pour se rendre à un point B situé à distance de la fourmilière, il existe de nombreux chemins différents empruntés par des dizaines d’individus. Imaginons que l’une des fourmis « ait trouvé », de façon totalement aléatoire, le chemin le plus court pour aller du point A (fourmilière) jusqu'au point B (source d’approvisionnement) : en toute logique, elle retournera plus vite au nid avant de repartir par son chemin qu’elle empruntera plus souvent que les autres fourmis le leur. Son action se répète donc à de nombreuses reprises et le chemin le plus court finit par être marqué par davantage de phéromones que les autres, attirant de ce fait d’autres individus qui se mettent à l’emprunter, accentuant le phénomène. En pareil cas, la fourmi responsable d’avoir découvert le chemin le plus court ne le sait pas ; mieux encore, à aucun moment elle n’a cherché à communiquer l’information aux autres et pourtant celle-ci a fini par passer : il s’agit là d’un phénomène auto-organisé.

 

     Pour de nombreux problèmes se posant à une communauté d’animaux sociaux, l’acquisition de la solution la plus profitable à l’ensemble suit donc un tel schéma informatif. Mais, bien sûr, pour qu’une information demeure intacte au fil des générations, il faut davantage, comme on le verra plus loin.

 

 

 

critères d’intelligence collective

 

 

     On trouve des éléments d’intelligence collective chez d’assez nombreux animaux : les oiseaux, par exemple, sont capables de voler en groupe de façon à économiser les énergies de chacun (c’est le cas des oies sauvages dont la formation en V permet d’étendre la distance de vol, chaque individu profitant de l’aspiration de son prédécesseur) ou bien de réagir conjointement à la menace d’un prédateur. Ce type d’auto-organisation se rencontre également chez les petits poissons grégaires et permet au banc de répondre « comme un seul homme » aux différents stimuli extérieurs, notamment menaçants. C’est toutefois chez les insectes sociaux comme les fourmis, termites et autres abeilles que le modèle est porté à son paroxysme. Reprenons l’exemple des fourmis. Quels sont les critères d’organisation nécessaires à l’apparition d’une réponse collective adaptée ? On peut individualiser les suivants :

 

* l’information : les capacités cognitives de la fourmi en tant qu’individu sont, on l’a déjà souligné, limitées ce qui fait que chaque fourmi a finalement peu d’informations sur la fourmilière elle-même (il est d’ailleurs probable qu’elle ne sait rien de son organisation générale et de sa fonction globale). En revanche, grâce aux phéromones échangées, un individu est en contact avec ses voisins immédiats avec lesquels il peut échanger des informations locales ;

 

 * l’organisation par division des tâches : la Reine, bien sûr, est l’avenir de la colonie (il est d’ailleurs dommage d’avoir donné ce nom à cet individu primordial puisque, comme on l’a déjà dit, la décision d’action n’est pas pyramidale), les ouvrières, petites et accédant à l’ensemble de la fourmilière et les soldats, plus robustes et affectés à la surveillance et à la défense de l’ensemble. Ajoutons que chez d’autres animaux sociaux comme les abeilles, les rôles sont encore plus pointus, les ouvrières étant elle-même très spécialisées (voir le sujet : insectes sociaux et comportements altruistes). Quoi qu’il en soit, nos fourmis sont capables d’accomplir des tâches spécifiques comme collecter la nourriture, défendre la colonie, nourrir le reine et les larves, etc. Toutefois, on sait que, en cas de besoin, un individu peut changer complètement d’activité et on a souvent vu des fourmis ouvrières se battre et défendre l’entrée du nid contre des envahisseurs en cas de présence insuffisante des fourmis soldats. Cette faculté de changement traduit une certaine plasticité dans la division des tâches et pose une question : comment un individu dont on a dit que ses capacités étaient très limitées peut-il basculer ainsi dans un autre fonctionnement ?

 

* flexibilité et seuil de réponse : selon la « spécialisation » d’un individu, son seuil de réponse à une action sera plus ou moins important. Par

intelligence animale collective
pourquoi une ouvrière se bat-elle ?

exemple, il faudra peu de sollicitation pour qu’une fourmi ouvrière s’occupant plutôt de nourrir les larves le fasse effectivement puisque c’est sa fonction première. En revanche, son seuil de réponse est plus élevé pour, par exemple, défendre l’entrée de la colonie : ici, il lui faudra bien plus de stimuli pour qu’elle se « reconvertisse ». Or, nous avons vu que ce sont des informations locales qui font réagir une fourmi. Peu de sollicitations : elle accomplit sa tâche habituelle. Des sollicitations beaucoup plus importantes face à une menace (excès de phéromones, désorganisation locale, présence de « senteurs » étrangères, etc.) : elle se bat. Une sollicitation extrême, par exemple la fourmilière est inondée et certaines variétés de fourmis (décrites plus haut) s’accrochent les unes aux autres pour former un radeau flottant…

 

 

 

Pérennisation des comportements

 

 

     Ce que nous venons de décrire pour les fourmis concerne des attitudes collectives souvent compliquées résultant d’attitudes individuelles simples. On peut se demander comment de tels comportements ont pu se maintenir au fil du temps Il est évidemment exclu qu’un comportement collectif comme le radeau vivant des fourmis Solenopsis soit redécouvert par hasard à chaque fois qu’une colonie de ce genre est menacée par la montée des eaux. Il est également impossible que, chez des fourmis aux capacités individuellement si limitées, ce comportement ait été acquis par apprentissage (comme chez certains animaux intellectuellement plus évolués).

 

      Il s’agit donc forcément d’un instinct génétique et, en reprenant l’exemple du « radeau vivant » mais c’est vrai pour tous les autres acquis génétiques, on peut imaginer les choses de la façon suivante : les fourmis Solenopsis ont été confrontées depuis toujours aux inondations qui ont vu dans la plupart des cas disparaître des colonies entières. Et cela a duré pendant une période de temps immense, à savoir des centaines de milliers, voire des millions d’années. Puis, un jour, apparaît une mutation (chromosomique ou épigénétique) qui fait que, face à la menace de l’eau, un individu s’accroche à un autre pour se sauver. La mutation « accrochage à l’autre » n’est théoriquement intéressante qu’en cas de danger et elle apparaît chez une Reine, seule à même de donner des descendants. La mutation est transmise aux ouvrières qui, toutefois, ne sont nullement gênées par elle dans leur existence habituelle. Elle se maintient donc. En revanche, face au danger des eaux, la colonie porteuse de la mutation sera plus souvent sauvée que les autres et essaimera plus facilement d’où la diffusion progressive de cet élément favorable à la survie des colonies de ces fourmis.

 

 

 

L’intelligence collective

 

 

     Les animaux supérieurs qui chassent en bande (loups, lionnes, primates, etc.) montrent une sorte d’intelligence collective, ou du moins de groupe,

intelligence animale collective
loups : plus une collaboration qu'une action collective

puisque leur association leur permet d’obtenir des résultats qu’aucun d’entre eux n’aurait obtenu seul. Toutefois, il s’agit à mon sens de la limite d’une telle appellation : les animaux concernés ici possèdent des facultés cognitives bien supérieures aux insectes précédemment cités (et donc une bien plus grande liberté individuelle) et, d’autre part, le nombre des individus présents dans l’action est beaucoup plus faible. Ce type d’intelligence relève certainement plus de la coordination et de l’organisation que l’on retrouve dans un travail collaboratif, voire un travail d’équipe.

 

     À l’autre bout de l’échiquier se situe l’espèce humaine car l’intelligence collective la plus élaborée sur Terre est incontestablement celle des hommes : eux seuls ont réussi à s’affranchir de la communication locale entre individus (qui existe évidemment mais n’est plus primordiale) mais la comparaison s’arrête là. En effet, grâce à l’accumulation et à la transmission des connaissances acquises d’une génération à l’autre, l’aspect génétique évoqué pour les insectes sociaux est ici absent et toute comparaison est illusoire.

 

     L’intelligence collective proprement dite relève donc bien des sociétés animales sociales, sociétés d’autant plus performantes que l’aspect individuel est le moins présent possible. Elle traduit une faculté d’adaptation assurément très particulière et souvent très performante à moindre coût. Finalement assez mal connue, cette forme d’organisation mériterait que l’on s’y intéresse de près car elle a certainement beaucoup à nous apprendre.


 
 

 

Note brêve : rôle social des fourmis et épigénétique

 

Chez les fourmis, on naît ouvrière ou soldat et on le reste toute sa vie. Du moins, c'était le cas jusqu'ici. Car des biologistes de l'université de Pennsylvanie (Etats-Unis) ont réussi à inverser leurs rôles. Sans modifier leurs gènes mais en leur injectant des enzymes qui modulent l'expression des gènes par un simple changement de configuration de l'ADN. Un contrôle dit épigénétique qui pourrait jouer un rôle dans d'autres comportements sociaux chez la fourmi... et même chez l'homme.

(revue Science & Vie, avril 2016, n° 1183)


 

 

Sources :

 

1. Wikipedia France

2. Science et Avenir, n° 181, avril-mai 2015

3. CNRS (www.cnrs.fr/)

4. Encyclopaedia Britannica

5. www.animogen.com/

 

 

 

Images :

 

1. radeau de survie de fourmis Solenopsis (sources : journaldelascience.fr)

2. radeau de survie Solenopsis bis (sources : sweetrandomscience.blogspot.fr)

3. migration de gnous dans le Serengeti (sources : gentside.com)

4. Quélea (sources : calphotos.berkeley.edu)

5. fourmilière (sources : agoumatine.centerblog.net)

6. combat de fourmis ouvrières (sources : war2100.fr)

7. meute de loups (cources : loup.org)

 

 

Mots-clés : intelligence de groupe - hyménoptères - sélection naturelle - migration des gnous - organisation non pyramidale - information locale - phéromone - phénomène auto-organisé - plasticité comportementale

(les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. le rythme de l'évolution des espèces

2. insectes sociaux et comportements altruistes

3. intelligence animale (1)

4. intelligence animale (2)

 

 

 

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Dernière mise à jour : 16 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie, #Évolution

 

 

 Scorpion-Empereur-04.jpg

 

 

 

 

 

 

     En dépit de l’intitulé de l’article, nous ne parlerons bien sûr pas du pasteur incarné par Robert Mitchum dans le film du même titre et de son angoissante poursuite à travers les USA des deux enfants dont il a assassiné la mère. En fait, nous allons nous intéresser à d’autres chasseurs de la nuit, ceux de la prédation nocturne (assez différente comme on le verra de celle, mieux connue, qui se déroule en plein jour) ou, pour être plus précis, nous allons essayer d’identifier les contraintes de milieu et les solutions trouvées par les animaux ayant fait leur spécialité d’une vie dans l’obscurité. Poussés par des obligations géographiques, climatiques, de pure concurrence ou d’adaptation à une niche écologique, certains de ces animaux ont été amenés au cours de l’Évolution à trouver des solutions parfois très astucieuses. Bien entendu et comme toujours, cela leur a pris des centaines de milliers d’années pour, grâce à la sélection naturelle, déterminer la réponse appropriée à leurs problèmes spécifiques.

 

 

la prédation nocturne

 

     Par définition, il s’agit de l’action des prédateurs durant la nuit. Toutefois, il en existe bien des nuances. On oppose ainsi la prédation strictement nocturne (action dans l’obscurité complète) à la prédation crépusculaire (fort variable en durée selon les latitudes) puisque certains animaux chassent préférentiellement au lever du jour et à la tombée de la nuit. La prédation nocturne complète peut être induite par un milieu (poissons des profondeurs marines, animaux vivant en permanence dans des grottes sans lumière et géographiquement isolées) ou par un comportement (animaux dormant le jour et chassant la nuit). De la même façon, il convient de distinguer la prédation nocturne permanente de certains animaux par loups4.jpgrapport à celle qui varie selon les saisons (ours blanc en milieu polaire) ou les conditions locales (dans cette catégorie signalons, par exemple, la prédation nocturne du loup lorsqu’il y a présence humaine alors que, naturellement, cet animal est un prédateur diurne). Et, bien sûr, il existe des prédateurs « mixtes » comme la musaraigne, aussi active de jour que de nuit.

 

     Quoi qu’il en soit et contrairement à ce que croient beaucoup de gens, la prédation nocturne est très répandue et est pratiquée par la presque totalité des rongeurs, les trois-quarts des marsupiaux et la grande majorité des 1200 espèces de chauve-souris dont on a déjà dit qu’il s’agissait des mammifères les plus nombreux sur notre planète. Les foret-nuit-etoile-550x309.jpgprimates ne rechignent pas à ce type de chasse (1 sur 5 environ) et même quelques oiseaux en sont adeptes comme on le verra par la suite. Rappelons pour mémoire que les premiers mammifères étaient tous des prédateurs nocturnes, un état qui ne cessa pour la plupart d’entre eux qu’avec la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années !

 

     Quelles peuvent donc être les raisons de ce choix en apparence plus difficile à assumer ? La première explication tombe sous le sens : vivre la nuit, c’est échapper… à ses propres prédateurs, l’obscurité permettant (en principe) de mieux se cacher. Mais ce n’est pas tout : choisir la nuit, c’est également fuir certains milieux particulièrement éprouvants de jour et on pense alors à l’écrasante chaleur du désert qui explique la prédation nocturne du scorpion. C’est aussi – et peut-être surtout – le souci de limiter la compétition avec les espèces diurnes pour l’eau et les territoires de chasse : un partage de raison en somme…

 

     Selon le type de prédation nocturne choisi par un animal, il lui est indispensable, pour repérer et se saisir de ses proies, de disposer d’armes spécifiques et on verra que certaines d’entre elles sont tout à fait étonnantes.

 

 

Différents types d’adaptation

 

     L’Évolution a permis l’apparition de multiples adaptations pour une prédation nocturne maximisée et on peut dire que, quelle que soit la niche écologique envisagée, il existe toujours une réponse. Bien sûr, pour chacun des cinq sens connus, des solutions adaptées ont été trouvées pour survivre la nuit mais pas seulement puisque nous verrons également, développées par certains animaux, des facultés réellement étranges… mais tout aussi efficaces !

 

* la vue : à tout seigneur, tout honneur, il s’agit à l’évidence du sens auquel, nous autres humains, pensons en premier parce que nous sommes particulièrement mal adaptés à la vie nocturne. Éliminons d’emblée les sites à obscurité totale et permanente (nous y reviendrons) puisque leurs habitants n’ont pas besoin d’yeux (source de fragilité et d’infection, ils sont volontiers recouverts d’une épaisse membrane quand ils n’ont pas tout simplement disparu), des yeux qui, de toute façon, ne pourraient pas capter de lumière d’où leur involution presque généralisée conduisant à des espèces aveugles compensant par d’autres moyens…

 

     A l’extérieur, en revanche, la nuit, l’obscurité n’est jamais totale : lune, étoiles, réverbérations diverses font qu’il peut être très intéressant pour  tarsier.jpgun prédateur de disposer d’un organe visuel performant. Le champion toutes catégories est ici un petit animal appelé tarsier qui est le plus petit primate du monde, pas plus haut qu’une main d’adulte : ses yeux sont énormes par rapport à sa taille (5% de son poids total) et peuvent donc capter bien plus de lumière, d’autant qu’il ne voit plus vraiment les couleurs, cette « régression » lui permettant de mieux distinguer la nuit ses proies, les insectes.

 

     Plusieurs espèces animales ont évolué dans ce sens (certaines araignées, la chauve-souris roussette) : citons le hibou grand-duc qui, avec une taille de moins de 75 cm, a des yeux aussi gros que les humains mais voit bien mieux qu’eux. Ses yeux sont si volumineux pour sa taille qu’il ne peut les faire bouger dans leurs orbites mais, heureusement pour lui, il possède un cou si flexible qu’il peut voir à 270° : malheur à la souris qui se faufile entre les herbes !

 

     D’autres moyens d’adaptation à la vision nocturne ont été trouvés parchat pupilles verticales les prédateurs. Certains, comme le chat, le loir, plusieurs espèces de renards ont des pupilles verticales. L’intérêt ? Dilatée dans l’obscurité, ce type de pupille se referme en pleine lumière, évitant l’éblouissement et permettant une meilleure perception des détails en plein jour.

 

     Ailleurs, certaines espèces ont sacrifié une bonne perception des couleurs en développant surtout leurs bâtonnets, ces cellules de la rétine, afin de retenir essentiellement les nuances de gris : c’est un type de vision qui convient le mieux aux animaux comme le chat (ou la chauve-souris roussette) traquant le mouvement, par opposition à ceux qui cherchent à repérer des objets fixes (comme une cerise dans un arbre) nécessitant alors une bonne discrimination des couleurs (oiseaux).

 

     Enfin, signalons, dans ce paragraphe consacré à la vision, la présence d’une membrane oculaire spéciale chez le chien, le loup, le hibou, le dauphin, etc. qui amplifie la lumière : c’est la raison pour laquelle, sur une photo, les yeux d’un chien brillent comme des phares ! Le chat possède aussi cette membrane : associée aux caractères nocturnes déjà évoqués pour lui, on comprend pourquoi ce félin est un chasseur redoutable la nuit.

 

* le toucher est également important pour celui qui ne peut pas bien voir : le scorpion, par exemple, est pratiquement aveugle et sourd mais il possède une arme redoutable. Cet animal peut en effet détecter les vibrations même infimes du sol car les extrémités de ses pattes sont garnies de petits organites sensoriels ; il effectue alors une sorte de triangulation avec ses membres et repère l’endroit d’où provient le mouvement (sensibilité jusqu’à 20 cm en surface et 50 cm en profondeur). Il se jette ensuite sur sa proie avec une précision démoniaque. Les mygales procèdent d’une façon identique (enregistrant de plus les déplacements d’air), héritières qu’elles sont des araignées à toiles qui enregistrent les vibrations de leurs pièges mortels. La guêpe d’Amérique du sud le sait d’ailleurs bien, elle qui va « piétiner » devant l’antre de la mygale pour la faire sortir et l’immobiliser avec son dard (si elle est assez rapide) pour qu’elle serve ensuite de repas progressif à ses petits…

 

     Une variante de cette sensibilité du toucher concerne les rongeurs, le cheval, le phoque, les félins (et donc encore le chat) : des moustaches extraordinairement sensibles, au toucher bien sûr mais aussi aux mouvements de l’air… dus au déplacement d’une proie potentielle.

 

* l’ouïe : « quand on ne sait pas voir, il faut écouter » dit le bon sens chouette.jpgpopulaire. De nombreux animaux ont mis en pratique cet adage. La chouette, par exemple, bien qu’elle ait de grands yeux, se sert essentiellement de son ouïe pour repérer ses proies : celle-ci est si aiguisée que l’oiseau peut localiser une souris se faufilant dans des herbes hautes au cœur de la nuit la plus noire. De plus, ses oreilles, cachées sous un lit de plumes, sont asymétriques, la droite étant située plus haut que la gauche permettant ainsi une sorte de triangulation sommaire bien utile. Son cousin le hibou possède la même faculté ainsi que nombre d’insectivores à la vue basse (taupe, hérisson)… de même que le renard, ce qui explique pourquoi ce dernier est si difficile à attraper par l’homme.

 

     Capacité voisine de l’ouïe, l’écholocation est pratiquée par les chauves-souris insectivores ; elle consiste à émettre des ultra-sons et à en analyser l’écho : l’animal est alors instantanément capable de situer une proie même volante en estimant jusqu’à sa vitesse de progression. Certains cétacés et oiseaux (martinet) possèdent également cette faculté, quoique à un stade plus rudimentaire.

 

*  autre sens hyperdéveloppé chez certains prédateurs nocturnes : l’odorat. Cette faculté concerne les amphibiens, les lézards et les reptiles. Un lézard venimeux d’Amérique du nord, le « monstre de Gila », lent et massif, vivant dans les déserts et les garrigues, est capable de sentir ses proies… avec sa langue. Son organe de l’odorat est en effet situé au bout de celle-ci ce qui lui permet de repérer ses proies, par exemple des œufs,Dragon-Komodo-Komodo-Indo-AR-535.jpg jusqu’à 15 cm de profondeur et même de suivre leur trace s’ils ont été bougés. Un autre lézard, le varan géant appelé dragon de Komodo, est capable, lui, de repérer des proies jusqu’à 4 km parce qu’il avance en balançant la tête de droite et de gauche, langue tirée, pour étudier  les molécules de l’air. On comprend que de telles techniques de chasse peuvent remplacer efficacement la vue ou l’ouïe !

 

*  certaines adaptations sont très étonnantes

 

     Au-delà de la transformation des organes sensoriels classiques, certaines espèces ont développé des facultés originales – et parfois même étranges – mais le but est toujours le même : disposer d’un avantage sur les autres créatures de la nuit.

 

. la thermoréception : grâce à des organes spécifiques, certains animaux sont capables de détecter des sources de chaleur dans la nuit totale. crotal_diamentin.jpgCette capacité concerne certains serpents comme les boas, les pythons et le crotale mais aussi la chauve-souris vampire. La proie est ici repérée par des capteurs à infrarouge (sensibles au millième de degré près) et un animal à sang chaud, même tapi au fond d’un trou, ne peut échapper au serpent qui s’avance inexorablement vers lui. Notons que la chauve-souris vampire, quant à elle, se sert de ses détecteurs de chaleur pour identifier sur la proie la position exacte des vaisseaux sanguins et y planter ses crocs ce qui est son objectif final.

 

. L’électroluminescence : profiter de l’obscurité pour y briller semble le but de ces animaux. Sous nos climats existe la luciole dont on peut, par les belles nuits d’été, apercevoir dans les buissons la chaude lumière jaune-vert ; c’est grâce à cette luminescence, en fonction d’une intensité et d’un rythme donnés pour chaque espèce, que les femelles peuvent choisir un mâle. Attention toutefois : une espèce particulière de lucioles imite les clignotements d’autres espèces pour attirer leurs mâles et les dévorer. Comme quoi rien n’est jamais simple dans la Nature !

 

     Ailleurs, l’électroluminescence sert réellement à tromper : un poisson des profondeurs océanes (-3000 m), Chaenophryne longiceps, en forme de boule et d’un noir de jais, possède un leurre luminescent qu'il brandit au bout d'une tige membraneuse devant sa gueule béante aux dents acérées ; chaenophryne-longiceps.pngles proies se précipitent vers ce phare dans la nuit noire sans voir la bouche du prédateur derrière. Ce poisson est d’ailleurs très spécial et je ne résiste pas à l’envie de vous raconter son mode de reproduction bien particulier. Le mâle est ici beaucoup plus petit que la femelle et il passe son temps à la chercher ; il la repère  grâce à son odorat très développé et se colle à elle en la mordant et en libérant de ce fait une enzyme qui dissout sa bouche et la partie mordue de la femelle : les deux animaux fusionnent alors leurs systèmes sanguins et le mâle se met à mourir lentement en se dissolvant progressivement, d’abord les organes digestifs, puis le cerveau, les yeux, ne laissant au final qu’une paire de testicules qui libèrent alors le sperme. Bizarre, vous avez dit bizarre ?

 

     Le poisson hachette nage, quant à lui, vers 300 m de profondeur, limite de pénétration de la lumière naturelle. De ce fait, vu par en dessous, ce poisson expose sa silhouette et il pourrait alors être repéré par un prédateur. Pas de problème : des cellules spéciales appelées photophores « s’allument » sur son ventre et accommodent un éclairage identique à la lumière (presque résiduelle) qui vient de plus haut ; une illusion et une cachette parfaites !

 

. l’électrosensibilité : ce phénomène existe surtout chez les poissons et consiste à générer un petit champ électrique qui permet de se guider dans les eaux obscures de la nuit ; le poisson repère alors les obstacles sur son chemin mais aussi les proies éventuelles qu’il va pouvoir chasser. Portée à son maximum, cette faculté est l’apanage du poisson trompette (Ramphichthys rostratus)  qui émet de très brèves impulsions entrecoupées par des intervalles 10 fois plus longs ; il reçoit en retour les variations du champ électrique ambiant analysées par des cellules spéciales disposées sur l’ensemble de son corps et peut ainsi interpréter la présence de congénères… ou de proies. Près de 500 espèces de poissons sont connues pour posséder ainsi une sensibilité particulière aux variations de champ électrique.

 

. terminons cette énumération de tous les artifices inventés par l’Évolution pour permettre la survie en univers hostile (dans la Nature, il l’est toujours) par un petit animal qui vit dans les prairies de chez nous, le bousier. Ce coléoptère passe son temps à transporter des excréments bousier.jpgdont il fait même son terrier. On peut voir les difficultés que cette petite bête a à transporter sa « boule » le plus souvent bien plus grosse que lui dans l’excellent film « Microcosmos » sorti sur les écrans il y a quelques années. Mais comment fait-il pour se diriger toujours en droite ligne ? Eh bien, il se fie aux étoiles ou plus exactement à la position de la Voie lactée. En effet, plusieurs études ont montré qu’il suivait sa route parfaite même en l’absence de la lune. Il faut un ciel particulièrement couvert pour que le bousier perde la régularité de son épopée nocturne. Ce n’est pas le seul animal à se servir du ciel pour se guider : les oiseaux migrateurs sont bien connus pour posséder cette capacité et, depuis peu, on sait que c’est également le cas des phoques.

 

     On a pu constater au cours de ce petit tour d’horizon de la prédation nocturne combien la Nature est ingénieuse et a permis au fil du temps la juxtaposition de bien des techniques de chasse… ou de dissimulation car, bien sûr, les unes ne vont pas sans les autres.

 

 

Nocturne ou diurne, la prédation est le moteur de la Vie

 

     La prédation est indispensable à la vie puisque celle-ci est une compétition permanente entre les différentes espèces d’êtres vivants. Dans la nature, il n’existe ni compassion, ni clémence, ni justice, jamais ! Ces « bons sentiments » ne sont que des notions spécifiquement humaines. En réalité, dans la Nature, c’est le mieux adapté ou le plus chanceux qui survit. La nuit n’échappe bien sûr pas à la règle et il s’y développe autant de luttes farouches que le jour : seules les techniques diffèrent quelque peu puisqu’il faut ici s’avoir s’adapter à l’obscurité. Puisque tout prédateur est celui d’un plus faible mais la victime potentielle d’un plus fort, les « solutions » trouvées par l’un ou par l’autre pour disposer d’un avantage évolutif sont chaque fois contrebalancées par des adaptations contraires, des sortes de « contre-mesures » naturelles qui permettent d’échapper autant que faire se peut à la prédation de l’autre. Des espèces qui ne se seraient pas soumises à cette course sans fin vers toujours plus d’armement ne sauraient survivre. D’ailleurs, lorsqu’on prend le temps d’y réfléchir, on comprend qu’elles ont déjà disparu : ne subsistent à ce jour que les mieux adaptées, le jour comme la nuit.

 

 

 

sources

 

1. Science & Vie, HS n° 266, mars 2014

2. www.oiseau-libre.net

3. Wikipedia.org

4. www.animaniacs.fr

5. www.linternaute.com

6. www.bestioles.ca

 

 

images

1. scorpion (source : one360.eu)

2. meute de loups (source : humour-canin.com)

3. forêt étoilée (source : blogdumoderateur.com)

4. tarsier (source : en.wikipedia.org)

5. chat (source : fremalo0680.canalblog.com)

6. chouette (source : carte-france.info)

7.varan (dragon de Komodo) (source : chloechappuis.blogspot.com)

8. crotale (source : jfbalaize.free.fr)

9. chaenophryne longiceps (source : en.wikipedia.org)

10. bousier (source : margincall.fr)

 (pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

mots-clés : tarsier - électrolocation - dragon de Komodo - thermoréception - électroluminescence - sélection naturelle - avantage évolutif

(les mots en blanc renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

sujets apparentés sur le blog

1. l'oeil, organe-phare de l'Évolution

2. indifférence de la Nature

3. comportements animaux et Évolution

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mise à jour : 13 mars 2023

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Publié le par cepheides
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 mustangs2.jpg

 

 

 

 

     Dans le célèbre film de John Huston, « les désaxés » (the misfits, 1961), Clark Gable avait fait de la capture des chevaux sauvages son métier au grand désespoir de Marylin Monroe qui trouvait particulièrement cruel de priver de liberté les derniers mustangs (pour accessoirement les convertir en nourriture pour chiens). Depuis, la législation américaine a évolué et les mustangs sont à présent protégés : il en reste un peu moins de 100 000, pour la moitié d’entre eux dans l’état du Nevada. Ces chevaux sont les descendants de générations retournées à l’état sauvage bien des années auparavant et ayant survécu malgré les conditions parfois très dures de leur nouvel environnement. Dans un sujet précédent, nous avions évoqué la domestication par l’homme de nombreuses espèces animales : il s’agit ici du chemin exactement inverse. On peut certainement s’étonner de l’adaptation d’animaux jusque là hyperprotégés à des milieux forcément hostiles et se demander si de tels phénomènes sont fréquents…

 

 

Des cas plus fréquents qu’on ne le croit

 

     Le retour à l’état sauvage de nombreux animaux ne date évidemment pas d’aujourd’hui. De nos jours, toutefois, deux éléments supplémentaires sont à prendre en compte : d’abord le rétrécissement inévitable des territoires « possibles » pour ce retour et cela du fait de l’expansion humaine qui se fait de plus en plus pressante et, par ailleurs, la plus grande facilité des transports sur de longues distances en rapport avec les progrès techniques. Ces deux éléments sont en apparence antagonistes mais le premier est probablement plus important que le second. Quoi qu’il en soit, il faut souvent assez peu de temps (en termes d’évolution) pour voir des populations entières d’animaux revenir à leur état ancestral en s’organisant véritablement. Prenons quelques exemples :

 

 

* les mustangs du Nevada

 

     Revenons sur nos mustangs déjà évoqués. La légende veut qu’ils soient les descendants des chevaux amenés dans le nouveau monde par lesmustangs  conquistadors auxquels se seraient ajoutés les chevaux en surplus à la fin de la guerre de sécession. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont assez rapidement prospéré puisqu’on en comptait jusqu’à un million au début du XXème siècle. Comme cela est très bien raconté dans le film que j’ai cité en début de sujet, leur nombre a progressivement diminué jusqu’à s’établir à un chiffre d’environ 100 000 à présent qu’ils sont protégés.

 

     Ce qu’il est intéressant de noter (et on le verra pour d’autres espèces), c’est que l’organisation de ces chevaux a très vite copié celle de leurs congénères sauvages. Ces animaux étant particulièrement robustes et très indépendants, ils errent par petits groupes d’une quinzaine d’individus entrainés par un étalon, souvent aidé de la jument la plus âgée. Bien entendu, les jeunes mâles qui sont rejetés du groupe lorsqu’ils atteignent 3 ans et se retrouvent par force solitaires, viennent régulièrement disputer le harem au mâle dominant. Bref, rien que de très classique dans la Nature.

 

     On peut d’ores et déjà se poser une question : le fait de retrouver une structure de groupe ancestrale est-elle d’origine génétique, un patrimoine en partie caché jusque là par la domestication ou ne s’agit-il que d’une conséquence de la vie sauvage elle-même qui n’autoriserait en fin de compte que ce genre d’organisation ?

 

 

* le dingo d’Australie

 

     Dans tout le sud-est asiatique vivent des chiens retournés à l’état sauvage. Nombreux il y a quelques années, ils ne subsistent plus de nos jours que dans quelques poches forestières résiduelles. On les trouve également en Australie où on les appelle les dingos (un nom emprunté à la langue des aborigènes) tandis que, en Nouvelle-Guinée, existe une variété de dingos appelés chiens chanteurs (en raison de leur vocalises bien spécifiques).

 

     Les dingos peuplent surtout le nord de l’Australie car le gouvernement de ce pays a construit pour eux la plus longue barrière du monde, ladingo.jpg « dingo fence », longue de près de 5 400 km. Il autorise également leur chasse en rémunérant les peaux (50 $ chacune) reproduisant ainsi la grossière erreur déjà commise avec le thylacine (ou chien marsupial) qui a été exterminé dans les années 1930.

 

     Il s’agit là d’un contre-sens car le dingo, s’il est opportuniste et attaque ce qu’il trouve (jusqu’à des chevaux ou des kangourous quand il est en meute), est un animal plutôt craintif qui vit aussi loin de l’Homme qu’il le peut. Très rapide (pouvant faire des pointes à 60 km/h), il lui arrive de se déplacer de plus de 20 km chaque jour. Souvent, quand des attaques proches des humains concernent des canidés, il s’agit plutôt de chiens retournés plus récemment à l’état sauvage – donc relativement plus habitués à la présence humaine – dans ce que l’on appelle le marronnage (ou féralisation) sur lequel nous reviendrons.

 

     Le dingo est un animal solitaire sauf que, comme ses ancêtres les loups, il peut vivre (et chasser) en meute ce qui est notamment le cas à la saison des amours qui a lieu pour lui une fois par an : exactement comme les loups et à la différence des chiens. Ce que certains scientifiques rattachent à une dimension génétique réapparue lors de l’ensauvagement.

 

 

* les chats et chiens errants des pays industrialisés.

 

     Les chats, on le sait bien, sont restés d’excellents chasseurs. Même parfaitement nourris par ceux qui pensent être leurs maîtres, ils continuent à guetter l’oiseau ou le petit rongeur qui a le malheur de croiser leur route. chat-chasseur.jpgC’est dire que, rendus à une liberté totale, ils n’ont aucune peine à survivre en solitaires ! Aux USA, il existe plus de 50 millions de chats errants (pour 90 millions de chats « domestiques ») qui, livrés à eux-mêmes, font un véritable carnage parmi les oiseaux, les rats, souris, lapins, serpents, lézards et autres grenouilles… Les américains estiment que plus de 3 milliards d’oiseaux et 7 milliards de petits mammifères succombent sous leurs griffes chaque année !

 

     Les chiens retournés à l’état sauvage ne sont pas en reste. Ils se réunissent alors en meutes qui ne sont pas sans rappeler celles des loups, avec un mâle dominant et des chasses en commun lorsque les déchets abandonnés par les humains ne leur suffisent plus. Dans certaines villes, ils vont jusqu’à provoquer de véritables catastrophes comme récemment à Bucarest, en Roumanie, où des hordes de chiens à demi-sauvageschien-sauvage.jpg terrorisaient les passants. Les autorités locales ont dû prendre de sévères mesures pas toujours comprises des populations locales pour y mettre fin. Le même phénomène s’est produit il y a une vingtaine d’années sur l’île de la Réunion où des cohortes de « chiens jaunes » provoquaient saccages et accidents de la route à répétition. Là-aussi, les autorités durent intervenir pour diminuer ces populations de canidés devenues incontrôlables, parfois au grand dam de certains habitants qui trouvaient les mesures trop radicales.

 

     Il n’existe pas en France métropolitaine de chiens retournés totalement à l’état sauvage mais tout au plus des animaux abandonnés par leurs maîtres et ayant appris à survivre seuls. Leur « ensauvagement » est alors à mi-parcours entre le statut du chien domestique et celui du chien sauvage. Comme s’il fallait une ou deux générations pour « gommer » vraiment la domestication…

 

 

* les mouflons corses

 

     Le mouflon, on le sait bien, est l’ancêtre du mouton. En Corse, c’est le processus inverse qui s’est produit : des moutons échappés à des éleveurs et retournés à l’état sauvage ont donné naissance à des hardes de chacune une quinzaine de mouflons (certains portant à nouveau des cornes). Ces animaux, très craintifs, se réfugient dans les forêts ou les secteursmouflon-corse.jpg escarpés si bien qu’il est difficile pour un humain de les apercevoir. Ils se sont parfaitement adaptés à leur habitat sauvage au point que l’Homme a réussi à en introduire dans d’autres endroits comme dans les Alpes, la baie de Somme, voire les îles Canaries…

 

 

* Les impasses de l’ensauvagement

 

     Il ne faudrait pourtant pas croire que tous les animaux domestiques peuvent ainsi être réadaptables à un milieu totalement sauvage. Certaines pratiques de domestication ont rendu biologiquement impossible pour certaines espèces de se passer de la présence humaine. Sans forcément insister sur des cas extrêmes comme certaines familles de vaches qui ne chien-yorkshire.jpgpeuvent mettre bas que par césarienne, pensons plutôt aux petits chiens comme les chihuahuas, yorkshire et autres caniches nains que leur petite taille désavantagerait fortement vis-à-vis de prédateurs plus imposants tandis que leur fragilité constitutionnelle les empêcherait de capturer les proies indispensables à leur alimentation carnassière…

 

     Quoi qu’il en soit, ce retour à la vie sauvage, cet « ensauvagement », est souvent possible et surtout remarquablement rapide. Là où il a fallu, comme on l’a déjà signalé dans un précédent sujet, bien des années et beaucoup de patience pour « domestiquer » certaines espèces animales (avec, parfois, des échecs retentissants pour d’autres), on s’aperçoit qu’il suffit de quelques générations pour aboutir à nouveau à un ensauvagement, difficile ensuite à inverser. On parle alors de « marronnage », par analogie avec les esclaves échappés de jadis qui étaient alors appelés « marrons », ou bien de féralisation, ce terme provenant du latin fera (animal sauvage) par l’intermédiaire de l’anglais « feral » (« on entendait la nuit les miaulements des chats féraux », a écrit le poète).

 

 

Quelles sont les causes de l’ensauvagement ?

 

     Elles peuvent certainement être volontaires de la part de l’Homme. Une partie des mustangs que nous évoquions plus haut viennent aussi de chevaux relâchés dans la Nature par leurs propriétaires incapables de les nourrir : à chaque crise économique, on voit ainsi leur cheptel s’accroître (et les autorités américaines confrontées à la nécessité de réguler leur nombre). Signalons au passage que certaines domestications ne vont jamais jusqu’au bout de façon totalement délibérée : par exemple, les rapacesfauconjpg.jpg élevés en captivité sont gardés à l’état semi-sauvage afin qu’ils ne perdent pas leurs instincts de chasseurs. Ailleurs – mais c’est bien plus triste – les chiens élevés dans le but de combattre sont « conservés à l’état presque sauvage » et « stimulés » en conséquence (il s’agit là bien sûr d’une pratique condamnée par la Loi mais l’homme étant ce qu’il est…).

 

     Le plus souvent toutefois, il s’agit d’actes involontaires qui concourent à relâcher dans la Nature des populations d’animaux domestiqués.

 

     On comprend, par exemple, que les guerres (et leurs ruines abandonnées) et d’une façon générale les troubles divers (les pandémies, il y a quelques siècles) contribuent à cette dissémination. De la même façon, les catastrophes naturelles, en faisant tomber les barrières érigées par l’Homme, autorisent cette diffusion : on cite souvent les poules de la Nouvelle-Orléans qui, à l’occasion du passage de l’ouragan Katrina, se sont échappées de leurs poulaillers ; on peut encore les voir voleter en grand nombre dans certaines rues de la ville aujourd’hui…

 

     Toutefois, le cas le plus fréquent est probablement l’insuffisance de surveillance des cheptels domestiques. Nombre d’animaux s’échappent de leur confinement d’élevage, à moins que plus simplement encore, ils soient importés volontairement ou non par l’Homme lui-même comme les chats ou les lapins en Australie. Ces « erreurs humaines » peuvent entraîner de véritables catastrophes : c’est le cas de ces saumons d’élevage en Norvège, échappés lors de tempêtes plus violentes que la moyenne, et qui, bien que peu adaptés à la vie sauvage, ont réussi par leur nombre à submerger et coloniser des rivières entières.

 

 

La domestication par l’Homme n’est pas irréversible

 

     La domestication – contrairement à ce que pensent bien des gens – n’a, au début, jamais eu un but utilitaire. Les hommes du néolithique ne pouvaient pas savoir que le mouflon deviendrait au fil des générations un mouton susceptible de leur donner de la laine pour se protéger du froid. De la même façon, impossible de prévoir que la vache donnerait bien plus de lait que n’en a besoin son veau… Le début de la domestication repose probablement sur le besoin que l’Homme a de « dominer » la Nature, de créer des situations nouvelles, de se lancer des défis. En domestiquant certains animaux, il n’a pas transformé la Nature : il l’a simplement adaptée, provisoirement, à ses besoins.

 

     Du fait, les attitudes instinctuelles des différents animaux sauvages ne disparaissent pas lorsqu’ils sont domestiqués par l’homme : tout au plus, peut-on parler d’une raréfaction des comportements sauvages. L’éthologue K. Lorenz expliquait que, en cas de domestication réussie, c’est le seuil de déclenchement du « comportement sauvage » qui est rehaussé : celui-ci ne disparaît pas mais a moins de chance de se produire dans un environnement protégé humain.

 

     Dans un monde qui, comme on le signalait, se réduit et s’interpénètre de plus en plus, quelle est la place laissée aujourd’hui à ces espèces nouvellement ensauvagées ? Elle suscite débats et controverses. D’aucuns sont tout bonnement furieux de voir des espèces quasi-nouvelles risquer de déstabiliser un peu plus le fragile équilibre de la nature : ceux-là, par exemple, pestent contre les chats « marrons » qui détruisent les oisillons chat-ensauvage.jpget les petits mammifères menaçant un peu plus encore la biodiversité (le chat en liberté est considéré comme nuisible en Nouvelle-Zélande). Les autres soutiennent qu’il s’agit comme à chaque fois de partager l’espace avec ces nouvelles espèces qui finiront, un jour ou l’autre, par devenir des espèces à part entière et ils défendent eux-aussi une biodiversité qui n’est pas tout à fait la même. La polémique est loin d’être close et chacun trouvera sa propre réponse.

 

 

 

 

Sources :

1. Wikipedia France

2. Science & Vie, n° 1157, février 2014

3. Encyclopediae Universalis

4. Encyclopediae Britannica

 

Images :

1. mustangs (sources : www.ac-grenoble.fr/)

2. chevaux sauvages ou mustangs (sources : www.chevauxmustang.com)

3. dingo (sources : www.qcm-de-culture-generale.com/)

4. le chat est bon chasseur (sources : www.linternaute.com)

 5. chiens sauvages : méfiance ! (sources : fr.123rf.com)

6. mouflons (sources : www.ladepeche.fr/)

7. Yorkshire : trop faible pour l'état sauvage (sources : fond-d-ecran-gratuit.org)

8. rapaces, jamais vraiment domestiqués; ici, un faucon  (sources : www.humanima.com)

9. le chat ensauvagé, encore ami ou déjà ennemi ? (sources : www.dinosauria.com) 

 (pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : film "the misfits", mustangs, domestication, mouflon de Corse, ouragan Katrina, marronage ou féralisation

(les mots en gris  renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. l'agression

2. le rythme de l'évolution des espèces

3. domestication et Évolution

4. l'inné et l'acquis chez l'animal

5. superprédateurs et chaîne alimentaire

6. vie animale et colonisation humaine

 

 

 

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mise à jour : 13 mars 2023

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 ours-blanc.jpg

 

 

 

 

     Notre Terre est âgée d’environ 4,6 milliards d’années, contemporaine à quelques millions d’années près de son étoile, le Soleil. Remarquons au passage qu’il s’agit là de chiffres extrêmes difficilement accessibles à nos cerveaux qui ne durent que quelques dizaines d’années… La Vie, quant à elle, n’est apparue sur notre planète qu’après un milliard d’années (environ) ce qui situe l’événement à 3,5 milliards d’années avant notre ère. Ce qui est fort ancien. Bien sûr, au début, comme on l’a déjà dit dans d’autres sujets de ce blog, elle n’est restée que rudimentaire : bactérienne durant longtemps comme en témoignent les stromatolithesStromatolithe-acifs.jpg qui sont des formations calcaires d’origine biologique fossile. Il faudra attendre 700 millions d’années (Ma) avant notre ère pour individualiser les premiers animaux à corps mous dont il ne reste que des traces fragmentaires et indirectes. Puis, vers – 542 à – 530 Ma s’est produite ce que l’on appelle "l’explosion » cambrienne", explosion parce que c’est à cette époque lointaine, le cambrien, que sont nés, en un laps de temps plutôt court en termes géologiques, la plupart des embranchements d’animaux pluricellulaires conduisant à la faune actuelle…

 

     L’homme ne commence vraiment à s’individualiser qu’avec les premiers homo, notamment rudolfensis, il y a environ 3 Ma, homo sapiens (l’homme « moderne ») quant à lui apparaissant il y a seulement 200 000 ans.

 

     Durant ces centaines de Ma sans l’Homme, les animaux ont dominé le monde. Représentés par des milliers et des milliers de générations successives, des animaux de toutes sortes et de toutes tailles, se sont remplacés, s’adaptant progressivement aux inévitables changements de leurs milieux dans un combat féroce pour leur survie. Toutefois, l’immense majorité des espèces ayant un jour foulé notre sol est éteinte à jamais et la biodiversité actuelle n’est qu’un pâle reflet de ce que fut le foisonnement des espèces au cours des âges.

 

     Et voilà que depuis deux cents ans (un battement de paupière en regard de la durée de la vie sur Terre), les hommes ont entrepris de coloniser la planète avec des moyens colossaux, le plus souvent sans se soucier des conséquences induites. On peut ainsi dire que l’Homme est le premier animal à avoir transformé par lui-même son cadre de vie. Ce qui n’est pas sans conséquence, on va le voir, sur l’existence des autres êtres vivants partageant avec lui le même territoire…

 

 

 

Certains animaux arrivent à s’adapter…

 

     Un animal peut vivre près des hommes pour son propre et seul bénéfice : on parle alors de commensalisme. A ne pas confondre avec la symbiose (où les deux partenaires tirent chacun un bénéfice) et, bien entendu, avec le parasitisme où le parasite nuit – parfois gravement - à son hôte (voir le sujet : parasitisme et évolution).

 

     On peut ainsi évoquer les rats (ainsi que les souris) dont la variété dite des « rats des villes », chère à La Fontaine, ne peut vivre qu’à proximité de l’Homme mais également les moineaux qui restent près des habitations précisément parce qu’ils se nourrissent des restes abandonnés par les humains (c’est également le cas des pigeons si souvent décriés).

 

     De la même façon,  les blattesmites, punaises et quelques autres insectes assez peu sympathiques ont pris l’habitude de profiter de la présence humaine pour prospérer : sans elle, ils auraient bien du mal à se réadapter.

 

     Il existe parfois quelques cas curieux : celui des passereaux est plutôt caractéristique. Cette famille d’oiseaux est assez fournie puisqu’elle renferme plus de cinquante espèces et (au moins) deux d’entre elles sont roselin2.jpgsurprenantes : le moineau et le roselin mexicain. Voilà en effet des volatiles qui ont pris l’habitude de confectionner leurs nids avec… des mégots de cigarettes ! Habitués à utiliser des herbes antiseptiques, ces ingénieuses petites bêtes les ont, près des villes, remplacées par des filtres de cigarettes, riches en nicotine protectrice des parasites, avec toujours une préférence marquée pour ceux déjà fumés qui se révèlent à leurs yeux plus efficaces contre les nuisibles. On ne sait pas encore s’il s’agit là d’un comportement intentionnel acquis…

 

     Ailleurs, certains représentants de la faune sauvage cherchent à s’adapter tant bien que mal aux perturbations de leur milieu liées à l’activité humaine. Des scientifiques se sont par exemple intéressés aux suricates, petits mammifères du sud de l’’Afrique. Ces curieux animaux souffrent de l’extension des nouvelles voies de communication créées par l’homme. Vivant en communautés très soudées, ces animaux adoptent depuis quelques années un comportement étrange pour traverser les obstacles artificiels que représentent les nouvelles routes : la femelle dominante – sur laquelle repose la survie du groupe – a pris l’habitudesuricates.jpg d’envoyer quelques éclaireurs pour s’assurer de l’absence de danger lors de la traversée de l’obstacle. Si rien ne se passe, le groupe s’engage dans son intégralité ; sinon, les survivants font marche arrière afin d’aller chercher plus loin un passage plus serein. Aux prix de quelques victimes à chaque fois. Un comportement similaire a été décrit chez des singes comme les chimpanzés en Guinée. Il s’agit là indéniablement d’un comportement adaptatif, comportement que n’ont pas encore pu adopter les hérissons et autres batraciens de nos contrées que la circulation automobile décime au point que les hommes ont parfois entrepris de leur creuser des passages protégés dans les infrastructures routières…

 

     Ces quelques exemples finalement assez limités ne sauraient toutefois faire oublier les ravages dans la faune sauvage que l’Homme par son expansion continue et incontrôlée entraîne.

 

 

 

… mais la plupart souffrent parfois jusqu’à disparaître

 

     L’activité humaine réduit chaque jour davantage le territoire de la faune sauvage tandis que ses innovations technologiques la perturbent grandement. En voici quelques exemples.

 

1. oiseaux migrateurs : au-delà de leurs refuges naturels qui se réduisent souvent comme peau de chagrin obligeant les malheureux animaux à aller toujours plus loin pour

gratte-ciel tueur d'oiseaux
un piège mortel pour les oiseaux

trouver le territoire propice à leur reproduction, il existe des obstacles artificiels qui les affectent grandement. Ainsi, selon les scientifiques, on évalue à près d’un milliard les oiseaux qui, chaque année, s’écrasent contre les surfaces vitrées des gratte-ciels (la moitié d’entre eux en meurent), surfaces qu’ils ne peuvent pas voir et donc éviter. Un véritable carnage qui s’amplifie avec l’installation un peu partout d’éoliennes auxquelles ils se heurtent jusqu’à en perdre la vie… Dans le cas des grandes constructions de verre, il faudrait certainement réduire leurs surfaces vitrées (au grand dam de nos architectes modernes) et diminuer les éclairages de nuit (ce qui, ici, serait tout à fait souhaitable pour les économies d’énergie).

 

2. calmars et autres céphalopodes : dès le début des années 2000 a été rapportée par les scientifiques l’augmentation alarmante des échouages – et donc la mort – de ces animaux. Étude circonstanciée effectuée, on a pu mettre en évidence des lésions de leurs cils sensoriels présents dans l’organe (statocystes) qui leur permet normalement de s’orienter. D’où leurs périples désordonnés se terminant souvent par un échouage mortel. La cause de ces altérations ? La pollution sonore que représentent les canons à air comprimé des bateaux de prospection sismique…

 

     Ailleurs encore, comme je l’ai déjà signalé dans un article précédent (voir : la notion de mort chez les animaux), les cétacés, eux aussi, sont victimes de la pollution induite par l’activité humaine : échouage récurrent de cachalots et autres baleines rendus « aveugles » par la destruction de leurs appareils d’écholocation… et ces phénomènes destructeurs ne font que s’amplifier.

 

     Bien sûr, on sait depuis longtemps que des échouages d’animaux marins ont toujours existé mais ce qui fait problème aujourd’hui, c’est l’augmentation alarmante de leur fréquence.

 

3. tortues marines : nous avons tous en mémoire ces reportages télévisés montrant des centaines de bébés-tortues éclos en même temps qui se précipitent vers la mer salvatrice tandis que planent au dessus de leurs têtes les prédateurs qui se repaîtront de la majorité d’entre eux. Sélection naturelle classique. Toutefois, depuis quelques

plage de ponte des tortues de mer
bébés tortues : beaucoup de prédareurs... dont l'homme

années, est apparu un phénomène qui handicape véritablement ces petites bêtes : la  pollution lumineuse. En effet, l’instinct des bébés-tortues leur commande de se diriger le plus rapidement possible vers l’endroit le plus lumineux, à savoir l’océan tout proche. Malheureusement pour eux, les lieux de ponte sont de plus en plus peuplés de sites touristiques souvent très éclairés d’où l’errance mortelle des petites bêtes. Pollution lumineuse humaine ajoutée au bal des prédateurs sont le plus souvent un handicap devenu insurmontable…

 

4. ours polaires : il s’agit là d’un exemple emblématique, au point que nombre d’associations défendant la faune animale contre l’invasion humaine l’ont pris pour symbole. La fonte de la banquise, toujours plus précoce tandis que sa reformation se fait de plus en plus attendre, explique le comportement étrange de certains de ces plantigrades : on voit de plus en plus de ces animaux qui se lancent dans des expéditionsours-blancs.jpg périlleuses afin d’atteindre les nids d’oiseaux perchés sur des falaises presque inaccessibles. Il ne s’agit pas ici d’un éventuel « comportement d’adaptation » à une situation nouvelle mais d’une simple recherche de nourriture chez des animaux mourant de faim. La cause de cette misérable situation réside à l’évidence dans le réchauffement climatique entraîné par les malencontreuses activités de l’Homme. Encore quelques années de ce régime et les ours polaires ne seront plus que des souvenirs figés dans des DVD rangés au fond des placards…

 

     Ces quelques exemples ne sont, hélas et selon l’expression consacrée, que l’arbre qui cache la forêt. Des millions d’espèces sont menacées par l’avancée des populations humaines, la plupart d’entre elles d’ailleurs encore non répertoriées. Les organismes internationaux, avec des succès divers, tiennent le grand catalogue de ce que certains appellent déjà la « sixième » extinction, par référence aux extinctions d’espèces précédentes (voir le sujet : les extinctions de masse). Ce catalogue ne prend toutefois en compte que quelques espèces bien individualisées et souvent « visibles », à l’exclusion de la plupart des autres.

 

 

 

L’Homme construit une Terre à son image

 

     Il s’agit là d’une règle immuable : chaque fois qu’une espèce augmente sa démographie et puisque le territoire à partager est par essence limité, c’est au détriment des autres espèces d’êtres vivants (faune et flore confondues). La présence envahissante de l’Homme dans tous les milieux ne peut se faire qu’au préjudice des autres. Il va de soi qu’il ne saurait être question de remettre en cause l’avancée des civilisations humaines au profit d’un illusoire retour à un hypothétique « état antérieur ». Il s’agit là d’une transformation naturelle qui respecte tout à fait les lois darwiniennes de l’Évolution. Néanmoins, il convient de se poser la question : l’activité humaine doit-elle se développer tous azimuts et en ordre dispersé sans jamais se remettre en cause ? Pour ma part, je crois que non. Je pense qu’il est dans l’intérêt de nos descendants que nous ne détruisions pas sans le comprendre le monde qui est le nôtre. Personnellement, je n’aimerais pas vivre dans un univers exclusivement bétonné dont les anfractuosités ne seraient peuplées que de rats et de cafards. C’est à chacun de voir. Il est sans doute encore temps d’agir mais plus pour très longtemps.

 

 

 

Sources

 1 Science & Vie, n° 1149, juin 2013

2. Wikipedia

3. futura-sciences

 

 Images

 

1. ours blancs (source : aigleange.centerblog.net)

2. stromatolithes (source : randonature.ch)

3. roselin mexicain (source : pronaturafrance.free.fr)

4. suricates (source : burrard-lucas.com)

5. gratte-ciel (source : fr.123rf.com)

6. bébés tortues gagnant la mer (source : huguette.ceciler.free.fr)

7. ours blancs sur la banquise (source : tigresse004.centerblog.net)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : stromatolithes - explosion cambrienne - commensalisme - symbiose - parasitisme - suricates - comportement adaptatif - extinctions de masse

 (les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

Sujets apparentés sur le blog :

 

1. les extinctions de masse

2. indifférence de la nature

3. comportements animaux et Evolution

4. l'intelligence animale (1)

5. l'intelligence animale (2)

 

 

 

 

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mise à jour : 11 mars 2023

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 dauphins.jpg

 

     

 

 

     Dans l’article précédent (voir : l’intelligence animale – 1), nous avons évoqué les problèmes posés par l’évaluation de l’intelligence des animaux et grossièrement résumé ce qu’avaient pensé du sujet les philosophes et scientifiques des siècles passés. Essayons à présent – à l’aide de quelques exemples forcément arbitraires – de cerner un peu plus cette faculté d’adaptation à des situations nouvelles, cette intelligence des animaux. Au préalable, rappelons néanmoins ce que nous avons précédemment souligné : il ne faut pas trop interpréter cette intelligence à l’aune de préjugés humains et se souvenir que l’intelligence de nos amies les « bêtes » n’est pas forcément ce que l’on croit.

 

 

 

Comment isoler des critères d’évaluation ?

 

 

     À la différence de la taille d’un cerveau facilement mesurable, l’intelligence est un concept abstrait : c’est le « comportement » intelligent cerveau-homme-animal.pngqui est observable et, dans une certaine mesure, quantifiable. Un premier écueil apparaît toutefois : il peut sembler facile de classer les « degrés » d’intelligence en fonction de résultats plus ou moins élevés à des tests mais encore faut-il faire la part de ce qui, dans certains comportements complexes ou parfaitement adaptés, revient à des programmes prédéterminés. Je pense, par exemple, à des actions animales qui peuvent paraître comme « extraordinaires » d’astuce (d’intelligence ?) : la construction du nid d’un oiseau, l’utilisation « d’outils », voire les comportements extrêmes de certains insectes sociaux (voir le sujet : insectes sociaux et comportements altruistes). Il n’y a en pareil cas aucune intelligence au sens que nous lui donnons mais des réponses adaptatives acquises au cours de l’Évolution, fussent-elles ingénieuses. Rappelons d’ailleurs ici que l’adaptation d’un animal à un nouvel environnement ne peut jamais se transmettre par voie génétique mais uniquement d’un individu à l’autre par imprégnation ou simple imitation. L’adaptation « génétique », elle, s’acquiert par la sélection naturelle de « mutants » mieux adaptés et cela au fil des siècles. L’intelligence d’un individu devra donc s’évaluer face à une situation inédite mais aussi à sa capacité à transmettre éventuellement l’acquis à ses congénères… Cela dit, sur quels critères va-ton se reposer pour une telle évaluation ?

 

 

 

Quels critères retenir ?

 

 

      Tout le problème est effectivement de savoir identifier les critères à retenir pour démontrer l’intelligence de certains animaux. C’est un problème délicat et qui l’est d’autant plus lorsque l’on « descend » dans l’échelle du vivant. Quelques uns font néanmoins l’unanimité.

 

 

. la mémoire : suivant en cela Aristote (voir sujet précédent), force est de constater qu’il est impossible d’acquérir un comportement individuel nouveau en l’absence de mémoire. Or, contrairement à ce que beaucoup pensent, les animaux ont une mémoire très aiguë : ils développent leurs facultés d’adaptation par l’apprentissage suivi d’un traitement de l’information (on parle alors de cognition). Ultérieurement, remis en présence de la situation, l’animal réagit selon un processus de stimulus-réponse : la mémoire lui est donc indispensable. A titre d’exemple, voici deux types d’expériences sur la mémoire animale :

 

     Le singe : on présente à un chimpanzé une séquence de chiffres durant une fraction de seconde puis on lui demande de la refaire. Dans 80% des cas, l’animal arrive à recréer la séquence tandis que des étudiants (humains) pris par comparaison n’y arrivent que dans 40% des cas…

 

      Les oiseaux : on utilise ici les capacités du geai buissonnier. Cet oiseau a dans la Nature l’habitude de cacher sa nourriture. Pour en avoir le cœur net, des scientifiques de Cambridge (GB) ont placé un geai dans une cage à trois compartiments communicants mais dont seul celui de droite contenait de la nourriture. Pendant cinq jours, deux heures par jour, les chercheursgeai-buissonnier.JPG enfermèrent l’oiseau dans la cage mais en mettant de la nourriture dans le compartiment de droite un jour sur deux seulement. Le sixième jour, le geai avait déplacé sa nourriture dans le compartiment qui n’en avait jamais contenu. Selon les expérimentateurs, il s’agit d’une démonstration de la capacité de l’oiseau à planifier en se servant de sa conscience du temps passé et futur. Une prouesse évidemment impossible sans mémoire suffisante.

 

     On a également pu démontrer que singes et oiseaux (pigeons) sont capables de mémoriser des milliers d’images et leurs réponses relatives, l’ensemble restant dans leur mémoire parfois plus d’un an.

 

 

. la permanence de l’objet : on sait que l’enfant humain finit par concevoir les objets comme des entités fixes et persistantes vers l’âge de six mois. Par la suite, au fil des mois, il acquerra une compréhension encore plus complète des objets (objets cachés, déplacés, etc.). Cette « permanence » acquise de l’objet lui est indispensable pour accéder à son organisation du temps et de l’espace. C’est probablement une des étapes fondamentales de l’acquisition de la pensée. Des tests de permanence d’objets ont donc été proposés à nombre d’animaux (chats, chiens, hamsters, poussins, etc.). Seuls les primates ont réussi à égaler (parfois à dépasser en rapidité) les acquisitions de l’enfant tandis que les chiens et, dans une moindre mesure les chats, y arrivent aussi mais moins rapidement.

  

 

. la catégorisation : il s’agit de la possibilité pour un animal de regrouper des objets au sein d’une même classe. L’exercice ne révèle pas seulement la construction de catégories selon l’aspect ou la couleur mais aussi le fait de se les représenter comme autant d’entités différentes les unes des autres et cela sous-entend une certaine capacité d’apprentissage. Les résultats les plus significatifs concernent… les pigeons. Ces volatiles, entraînés par renforcements positifs et négatifs, finissent par discriminer des catégories d’objets comme les arbres mais aussi de distinguer des scènes aquatiques contenant ou non des poissons. Ils possèdent donc une certaine faculté d’abstraction.

 

 

. les outils : on a souvent rapporté l’utilisation d’objets en tant qu’outils chez certains animaux. On connait évidemment le cas de la mouette rieuse qui se sert d’une pierre jetée d’une certaine hauteur pour casser les coquillages qui feront son repas : il s’agit là d’un comportement inné, propre à toutes les mouettes de cette espèce, et qui ne peut donc traduire les capacités d’adaptation d’un individu donné. Je ne le cite que comme exemple a contrario.

 

     Ce qui nous intéresse ici, c’est l’utilisation d’outils dans une situation corneille_noire.jpgnouvelle. Par exemple, il a été rapporté le manège d’une corneille d’Israël utilisant un morceau de pain qu’elle faisait flotter sur l’eau comme leurre pour les poissons qu’elle cherchait même à entraîner dans un endroit plus favorable pour leur capture. Comportement assurément nouveau… qui aurait pu se transmettre, par observation et imitation, à d’autres congénères.

 

     Ailleurs, il a été observé le manège de singes utilisant des bâtons pour mesurer la profondeur d’une mare qu’ils devaient traverser. D’autres singes ont été observés alors qu’ils « expliquaient » à des plus jeunes comment se servir d’une branche pour attraper des fruits ou des insectes.

 

     Citons une dernière expérience dont l’acteur est un corbeau calédonien : de la nourriture est placée au fond d’une petite cage en verre à ouverture étroite. A côté, se trouve une deuxième cage contenant une tige de bois inaccessible au bec de l’oiseau et, encore à côté, une petite brindille attachée à une branche. L’oiseau ira détacher la brindille, s’en servira pour extraire la tige en bois de la deuxième cage puis utilisera cet outil improvisé pour retirer la nourriture de la cage en verre. Pour accomplir une telle action, il faut non seulement de la mémoire mais également suffisamment de faculté d’abstraction pour relier les différents éléments à utiliser dans l’ordre… Incroyable ? La vidéo de cet exploit se trouve à l’adresse suivante : 

 http://www.youtube.com/watch?v=QvfWiW27890&feature=endscreen&NR=1

 

 

. le langage : avec ce critère, il faut d’emblée instaurer un distinguo. En effet, pour bien des gens, il existe une confusion entre langage et forme de communication. Par exemple, la « danse » des abeilles qui permet d’indiquer à la ruche l’endroit où se trouve du pollen à butiner n’est pas un langage (voir le sujet : insectes sociaux et comportements altruistes). Il s’agit d’un code de signaux qui symbolise une situation objective (données géographiques et visuelles). Dans le langage humain en revanche, les signes communiqués sont arbitraires et ne ressemblent pas à ce qu’ils désignent : ce sont des morphèmes, c'est-à-dire de petites unité porteuses de sens et dont la combinaison est infinie, permettant au locuteur de tout exprimer. Ce langage s’apprend au cours de l’enfance au contraire des signes des abeilles qui relèvent d’un comportement inné…

 

     Le même problème se pose pour les autres « langages » animaux comme le chant des oiseaux, celui des baleines ou les grondements des éléphants. Ils sont tous innés, non analysables autre que globalement et n’appellent aucune réponse de l’entourage (mais simplement une attitude induite). Le langage proprement dit est bien le propre de l’Homme.

 

      Il est cependant possible d’apprécier la capacité d’un animal à acquérir quelques rudiments de langage humain. Insistons sur le fait qu’il s’agit bien d’apprendre ce que peut signifier un mot précis et non répéter comme peut le faire le perroquet (dont la forme de communication est surtout le « langage » corporel). Certains singes sont capables d’associer des assemblages de symboles avec des objets ou des actions ; ailleurs, tout propriétaire d’un chien sait que son animal est capable d’identifier une cinquantaine de mots sans jamais se tromper sur la signification de ce qu’ils entraînent. Jamais, toutefois, il n’a été mis en évidence chez l’animal la possibilité de posséder un langage abstrait à la manière de celui de l’Homme.

 

 

. le raisonnement : il s’agit là aussi d’un critère difficile à cerner qui n’a été mis en évidence que chez certains primates supérieurs. Citons, par exemple, le cas d’un singe bonobo appelé Kanzi étudié par Sue Savage-Runbaugh, une primatologue américaine, singe auquel elle avait donné la clébonobo--2-.jpg de son enclos. Dès qu’elle se fut éloignée de lui, ce dernier alla cacher la clé. Quand la chercheuse redemanda la clé à Kanzi, celui-ci donna l’impression de l’avoir perdue. Accompagné de la scientifique, le singe fit mine de chercher attentivement la clé mais les recherches restèrent vaines. Ce n’est qu’après le départ de la chercheuse que Kanzi alla quérir la clé et s’en servit pour sortir de son enclos. Kenzi était donc capable de mentir ce qui sous-tend une certaine capacité de raisonnement. Il s’agit là néanmoins d’une exception dans le règne animal.

 

 

. la conscience de soi : savoir que l’on existe indépendamment des autres est la première étape qui permet à un individu d’avoir conscience de ses actes, de ses pensées et même de ses sentiments. C’est un retour sur soi qui permet de se situer et de penser le monde qui vous entoure.

 

     Pour apprécier cette faculté, la méthode la plus utilisée est le test du miroir. Il s’agit de savoir si un individu est capable d’y reconnaître son reflet comme une image de lui. Pour cela, on imprime une tache colorée et non olfactive sur la tête de l’animal (sans qu’il le sache) puis on observe si ce dernier réagit d’une manière indiquant qu’il a pris conscience que la tache est placée sur son propre corps. Si l’animal cherche à savoir ce qu’il y a derrière le miroir, s’il touche la tache ou d’autres parties cachées de son corps, c’est qu’il a conscience qu’il s’agit bien d’un reflet de lui-même. A l’inverse, s’il attaque le miroir ou s’enfuit, c’est qu’il n’a pas compris.

 

     Les résultats sont contrastés : parmi les singes, les orangs-outangs, les chimpanzés, les bonobos réussissent le test (mais pas les gorilles, du moins ceux vivant en liberté). C’est également vrai pour les éléphants, les dauphins et les orques, ainsi que pour les pies et les corbeaux mais, à l’inverse de ces derniers, les autres oiseaux attaquent violemment le miroir. Les chiens et les bébés humains de moins de dix-huit mois manifestent de la peur ou de la curiosité. Toutefois, on atteint avec les chiens la limite du test car on sait que chez cet animal la vision est secondaire et que, pour lui, s’il ne sent rien, c’est qu’il n’y a rien de vivant.

  

     Les quelques catégories de tests que nous venons d’évoquer s’adressent pour l’essentiel aux vertébrés, animaux situés à un stade élevé de l’échelle de la Vie mais que pourrait-on dire d’animaux plus « simples » comme les insectes, voire encore plus élémentaires ? Les a-t-on étudiés ? Comment évaluer leur intelligence réelle ou supposée ?

 

 

 

L’intelligence des invertébrés

 

 

     Les invertébrés sont les parents pauvres du règne animal aux yeux de l’Homme qui ne leur accorde guère de crédit : qui se soucie d’une simple mouche ou d’une huitre ? En France, le pays de « l’animal-machine » (voir la première partie de ce sujet), on a longtemps pensé que ce qui ne parle pas n’éprouve pas de sentiments (jusque dans les années 1960, les nourrissons n’étaient pas anesthésiés !). Pourtant, les invertébrés sont des êtres vivants qui, peut-être, ressentent « quelque chose ». Or, justement, depuis quelques années, on commence à s’intéresser à ces êtres « inférieurs » jusqu’à se demander s’ils ne possèdent pas une sorte de conscience et une intelligence embryonnaire. Alors qu’ils ne sont pas protégés dans les textes (au contraire des vertébrés régis par une charte), une directive européenne sur l’expérimentation animale entrée en vigueur le 1erjanvier 2013 impose la prise de précautions pour les céphalopodes (calmars, pieuvres, etc.) en raison de « leur aptitude à ressentir angoisse, douleur et souffrance ». Un premier pas. Mais que sait-on vraiment de l’intelligence et de la sensibilité des invertébrés ?

 

     Si l’on compare le cerveau d’un invertébré à celui d’un mammifère, il n’y a aucune hésitation possible : 86 milliards de neurones chez l’Homme contre 200 millions pour la pieuvre, un million pour l’abeille, 600 000 pour l’araignée et à peine 200 000 pour la mouche. On pense immédiatement qu’un bagage neuronal aussi faible ne peut conduire qu’à des réponses réflexes aux incitations extérieures et en aucun cas à une pensée ou une réflexion, si ténues soient-elles. Mais comparaison n’est pas raison. Chez les invertébrés le cerveau n’est pas tout le système nerveux central : de nombreux neurones intervenant dans les interactions avec l’extérieur se trouvent ailleurs ; par exemple, la majorité des neurones du poulpe se trouve… dans ses tentacules. Chez la mouche, le système visuel est au moins aussi complexe que celui d’un mammifère. Or un système nerveux élaboré peut être le support de quelque chose de plus compliqué qu’un simple arc-réflexe : la douleur sans doute, la peur de cette douleur donc l’angoisse peut-être, et, qui sait, une certaine forme de conscience, donc d’intelligence potentielle... Mais comment savoir ? Quelques expérimentations commencent à être publiées sur le sujet :

 

 

. l’araignée

 

     L’expérience consiste à mettre une araignée affamée face à des tubes en aluminium comportant de nombreux tournants et croisements et représentant deux parcours différents, l’un conduisant à une proie, l’autrearaignee-et-proie.jpg à un emplacement vide. La construction est faite de telle manière que l’araignée qui voit son butin avant de s’élancer est obligée de le perdre de vue dès qu’elle emprunte les tubes. Le résultat est surprenant puisque l’arachnide se trompe rarement et atteint très souvent sa proie. Les scientifiques en déduisent qu’elle a conservé en mémoire une représentation du chemin, atteignant ainsi le stade de la « permanence de l’objet » évoqué plus haut, un item réservé à des intelligences assez évoluées…

 

 

. la pieuvre (ou poulpe)

 

     Les scientifiques ont suivi durant plusieurs années des poulpes dans les eaux indonésiennes et ont pu mettre en évidence un comportement bien spécifique qui est l’utilisation d’outils : les céphalopodes étudiés ici utilisent des coquilles de noix de coco pour se mettre à l’abri. Il ne s’agit toutefois pas d’une simple recherche ponctuelle de protection puisque chaque poulpe garde son espèce d’armure durant des semaines en l’entraînant parfois très loin avec lui : ce comportement est acquis et non inné (comme celui du Bernard-l’hermite qui protège son estomac mou en squattant une coquille).

 

 

. le crabe

 

     Comme pour tous les invertébrés, il est à l’évidence difficile d’apprécier si les crabes peuvent avoir des pensées et a fortiori s’ils possèdent une conscience même embryonnaire. Toutefois, si activité cérébrale réflexive il peut y avoir, il est impératif qu’elle soit précédée d’une sensibilité et d’une mémoire. Une intéressante expérience a été menée avec les crabes verts : on sait que ces animaux cherchent à se protéger des prédateurs à marée basse en se réfugiant dans des trous. On va donc observer le comportement de ces crabes placés dans un bac dont chaque extrémité crabe-vert.jpgest pourvue d’un abri obscur (abris 1 et 2). On attache un fil électrique à l’une des pattes du crabe de façon à lui adresser une légère décharge électrique lorsqu’il se sera réfugié dans l’un des abris (par exemple, l’abri 1). A compter de la deuxième ou troisième décharge, le crabe choisira systématiquement l’abri 2, preuve qu’il a bien mémorisé l’expérience désagréable subie dans l’abri 1… Démonstration est ainsi faite que l’animal a éprouvé une sensation douloureuse et, plus encore, qu’il a appris à l’éviter. A-t-il une véritable conscience ? Rien n’est moins sûr mais ce dont on est certain, c’est qu’il a fait preuve d’une certaine intelligence puisqu’il s’est adapté à une situation nouvelle (apprentissage).

 

 

 

L’intelligence des animaux

 

 

     Il est clair que les animaux, aussi évolués soient-ils, ne possèdent pas une intelligence capable de rivaliser avec celle de l’Homme, même si l’on tient compte des milieux particuliers où ils vivent et des circonstances très différentes qu’ils rencontrent. Toutefois, quel que soit leur degré de complexité, ils semblent que tous possèdent un certain degré d’intelligence : leurs facultés d’apprentissage ne sont jamais totalement nulles.

 

     D’un autre côté, il semble certainement vain de vouloir « classer » ces différents degrés d’intelligence car ceux-ci seraient forcément rapportés à l’intelligence humaine or les problèmes posés à l’animal ne sont pas ceux de l’Homme. Une fois encore, gardons-nous de l’anthropomorphisme !

 

       Cela dit, on peut sans trop s’avancer affirmer que les animaux, même très rudimentaires, possèdent une certaine intelligence des situations qui leur sont propres. Comme on l’a écrit plus haut, l’intelligence des êtres vivant sur notre planète est de même nature bien qu’à des degrés différents. Du plus simple au plus compliqué, il existe une certaine linéarité de l’intelligence du vivant dans notre monde et, signalons-le au passage, toujours une sensibilité plus ou moins aiguisée à la souffrance et donc à une certaine forme de peur, voire d’angoisse. Non, les animaux ne sont pas des machines comme on l’a souvent prétendu avec Descartes. Ce sont des êtres biologiques et, à ce titre, ils peuvent certainement ressentir plaisir et souffrance. Il serait bon que certains de nos contemporains s’en souviennent dans un monde dominé par l’Homme et souvent mis à mal par lui.

 

 

 

Sources :

 

1. Wikipedia France

2. Science & Vie, n° 1144, janvier 2013

3. www.psychoweb.fr/news/27-intelligence-animale/

4. equihom.over-blog.com/article-peut-on-parler-d-intelligence-animale-86964263.html

 

 

Images :

 

 1. dauphins (sources : fr.questmachine.org/wiki/Les_dauphins)

2. tailles respectives de différents cerveaux de mammifères (sources : fr.wikipedia.org)

3. geai buissonnier (sources : fr.wikipedia.org)

4. corneille noire (sources : alpesoiseaux.free.fr)

5. singe bonobo (sources : extraisreloaded.blogspot.com)

6. une araignée enroulant sa proie (sources : xgodsoul.com)

7. crabe vert (sources : manger-la-mer.org)

(pour en lire les légendes, passer le curseur de la souris sur les illustrations)

 

 

Mots-clés : comportement inné - comportement acquis - apprentissage - sélection naturelle - mémoire - langage - morphème - catégorisation - permanence de l'objet - test du miroir

(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

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 mise à jour : 12 mars 2023

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