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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie

 

 

 

 

     Ernst Mayr (1904-2005), ornithologue, biologiste et généticien, s’était posé la question suivante : « Pourquoi les fauvettes qui occupent l’environnement de ma maison du New Hampshire ont-elles entamé leur migration vers le sud dans la nuit du 25 août ? ». Selon lui, on peut évoquer quatre possibilités :

 

  • Les fauvettes se nourrissent d’insectes qui désertent singulièrement l’endroit en hiver : si elles devaient rester, il est vraisemblable qu’elles mourraient de faim. Il s’agit là d’une cause écologique.

 

  • Au fur et à mesure de l’évolution de leur espèce, ces oiseaux ont acquis une constitution génétique qui les prédispose à un comportement migratoire lorsque se présentent certains stimuli environnementaux : il s’agit là d’une cause génétique.

 

  • Lorsque le jour décline et que sa durée tombe en dessous d’un certain seuil, des changements comportementaux et physiologiques poussent les fauvettes à migrer : le comportement migratoire est alors lié à la photopériodicité et on évoquera ici une cause physiologique intrinsèque.

 

  • Enfin, le 25 août, le temps s’est dégradé et une masse d’air froid s’est abattue sur le New Hampshire : alors que les oiseaux étaient prêts à migrer, cette baisse soudaine de la température et de la luminosité à été le signal du départ : il s’agit là d’une cause physiologique extrinsèque.

 

     Pour Ernst Mayr, il faut opposer les deux causes « immédiates », c'est-à-dire pour lui celles qui agissent du vivant de l’organisme (les causes physiologiques intrinsèque et extrinsèque) aux causes « ultimes » qui, elles, se rapportent à un temps antérieur au vivant de l’organisme et donc se rattachent à l’histoire de l’espèce (les causes écologique et génétique).

 

     Ces dernières – les causes ultimes de Mayr - se rapportent à la biologie de l’Évolution. Elles sont présentes chez tous les représentants d’une même espèce. Peut-on avancer que ces causes ultimes participent à ce que l’on nomme l’instinct que l’on définit classiquement comme la part héréditaire et innée des tendances comportementales (étant entendu que l’Homme, un primate donc un animal) est également concerné ?

 

 

Comment évaluer un caractère instinctif ?

 

     Avant de chercher à comprendre comment il se manifeste, il convient d’identifier de façon formelle ce qu’est un comportement instinctif. Plusieurs approches, d’ailleurs fortement complémentaires, sont envisageables.

 

 

L’évaluation par l’éthologie

 

Depuis Konrad Lorenz (1903-1989), l’un des pères fondateurs de l’étude des animaux, l’éthologie essaie, autant que faire se peut, de les étudier dans leur milieu naturel, dans leur environnement. Et quels sont donc les moyens pour un animal d’agir sur son environnement ?

Konrad Lorenz (1903-1989)

Sa seule possibilité d’action est d’utiliser ses muscles : en effet, un acte, ici, se caractérise par une succession de contractions musculaires. Le problème est alors de savoir si l’acte est inné (génétique) ou acquis (apprentissage). Quatre critères d’appréciation sont possibles pour départager son origine.

 

        • Tous les représentants d’une espèce donnée ont une réponse absolument identique : on parle alors de comparaison horizontale.

 

        • D’une espèce à l’autre, la réponse varie en intensité et en forme selon la distance séparant des groupes proches du point de vue de l’Évolution : il s’agit en pareil cas d’une comparaison verticale.

 

        • Il est parfois envisageable d’identifier le centre nerveux responsable de l’acte considéré et d’en percevoir le contrôle automatique (méthode physiologique), enfin

 

        • L’apprentissage ne doit en aucune façon modifier l’acte. La vérification de cette notion se fait par la méthode dite d’isolation : l’absence effective de soins parentaux ou la mise à l’écart de l’individu depuis sa naissance permet d’exclure un apprentissage extérieur.

 

Les coordinations héréditaires

 

     Les coordinations héréditaires sont ainsi nommées lorsqu’un acte se déroule jusqu’à la fin une fois qu’il a été enclenché et cela même si la cause qui l’a engendré a disparu. On prend souvent l’exemple de l’oie qui, face au mouvement de roulis de son œuf, exécute des mouvements latéraux du cou pour le ramener au bon endroit : toutefois, même si l’expérimentateur retire l’œuf du champ de vision du volatile, celui-ci poursuit ses mouvements du cou et doit les terminer avant de passer à autre chose. Ajoutons que des conditions sont souvent requises pour que l’acte ait lieu : dans l’exemple de l’oie, pour que celle-ci cherche effectivement à replacer son œuf, il faut qu’elle soit en période de couvaison.

 

 

L’instinct sexuel et la méthode neuroscientifique

 

     Il est possible de rechercher des circuits neuraux innés en les identifiant par traçage ou l’étude de lésions. C’est ainsi que l’on a pu identifier les différentes conditions de l’instinct sexuel chez les animaux non-primates. Normalement c’est la reproduction sexuée donc hétérosexuelle qui est toujours privilégiée et un certain nombre de mécanismes se succèdent alors :

 

  • D’abord entrent en jeu les phéromones sexuelles : ce sont elles qui attirent le mâle vers la femelle et permettent à celle-ci de ne pas s’enfuir.

 

  • Lorsque le choix est fait, un réflexe de lordose (hypercambrure de la colonne vertébrale) permet la présentation en bonne position du vagin pour une pénétration optimale

 

  • Des poussées pelviennes cadencées du mâle se trouvent alors initiées par un réseau de neurones de la moelle épinière qui fonctionne de façon autonome sans intervention de circuits supérieurs.

 

  • L’éjaculation est favorisée par la transformation du vagin qui s’est lubrifié.

 

  • Enfin, la motivation sexuelle est amplifiée par un système de récompenses (sensations agréables péniennes, vaginales, etc.).

 

     Il existe donc ici un circuit d’actions qui échappe totalement à un quelconque élément volontaire. En revanche, c’est par l’apprentissage que certaines séquences, comme celle de la monte, peuvent se réaliser (observation des autres, essais plus ou moins réussis lors des premières tentatives).

 

     Précisons que chez les primates – et notamment chez les hominidés – la sexualité échappe en grande partie à ces circuits automatiques : par exemple, le réflexe de lordose disparait au profit du système de récompense qui est devenu prépondérant.

 

 

Les processus moteurs

 

     Un certain nombre d’éléments de base se manifestent dès la naissance et cela indépendamment de tout apprentissage, notamment d’origine parentale. C’est le cas de la marche (et de la course). Tous les animaux peuvent d’emblée marcher même si certains

la plupart des animaux nagent d'emblée

mammifères (prédateurs notamment) rampent durant leurs premiers jours. Rapidement, le mouvement s’améliore pour devenir très tôt optimal. Nous avons tous en mémoire les images des bébés gazelles qui, dans la steppe africaine, cherchent à se lever dès la mise-bas et qui, après quelques essais balbutiants, trouvent rapidement leur équilibre. Le même mécanisme existe chez les animaux pour la nage (qui n’est, en réalité, qu’une marche tête hors de l’eau). Cette faculté est plus difficile à réaliser d’emblée chez les grands singes anthropoïdes dont la morphologie n’est ici guère adaptée.

 

Facteurs déclenchants

 

       Un éthologue célèbre, Nikolaas Tibergen (1907-1988) a longtemps étudié les facteurs susceptibles de déclencher une réaction instinctive chez l’animal. Il étudia tout

une épinoche

spécialement un petit poisson de quelques centimètres de longueur et pourvu de trois épines dorsales, l’épinoche. Ce petit animal est capable de présenter une terrible agressivité lorsqu’il est mis en présence d’un de ses congénères mâles. Un jour, Tibergen observa cette réaction violente chez une épinoche qu’il avait posé dans son bocal sur sa fenêtre. Il n’y avait pourtant aucun autre poisson à portée de vue. C’est alors qu’il remarqua la camionnette de la poste qui était venue se garer en contrebas : c’est la couleur rouge de l’engin qui provoquait la colère du petit poisson. En effet, à l’époque de la reproduction, les mâles de cette espèce arborent une coloration rouge de la gorge et de l’abdomen. Dans ce cas, seule la coloration rouge est donc le facteur déclenchant du réflexe d’agressivité du poisson.

 

     Bien entendu, dans la nature, si un facteur déclenchant peut être seul à même d’entrainer une réaction, cela se fait dans un contexte où interviennent également l’espace, la vitesse de déplacement, l’orientation etc.

 

       Chez l’animal, une réaction instinctive est toujours déclenchée par un stimulus qui peut être visuel (comme dans le cas de l’épinoche que nous venons d’évoquer), sonore, tactile ou odorifère. Il existe même des cas où le stimulus peut être amplifié, entraînant alors une réaction encore plus grande : par exemple, une oie va réagir de façon bien plus forte lorsqu’elle est mise en présence d’un œuf d’autruche, beaucoup plus gros, en dehors de son nid ; elle va même finir par préférer cet œuf géant aux siens, même si elle est incapable de le transporter… On parle alors d’hyperstimulus.

 

       Lorenz explique également que seules quelques caractéristiques fondamentales sont nécessaires pour provoquer la réaction instinctive, indépendamment du reste de l’objet lui-même : on parle de stimulus-clé (la tâche rouge pour l’épinoche qui agresse un leurre en carton pourvu que celui-ci soit taché de rouge).

 

 

Les activités de déplacement

 

     Dans certains cas, la réaction instinctive se produit alors qu’aucun stimulus ne semble présent. Lorenz rapporta en 1937 l’exemple suivant : un étourneau captif présenta tous les actes de prédation  (guet, attaque et déglutition) alors qu’aucun insecte n’était présent. En apparence, il s’agit là d’une activité de déplacement : tout se passe comme si l’oiseau, incapable de chasser puisque emprisonné, avait cherché à compenser sa frustration par une activité de remplacement. Il est toutefois difficile d’être certain qu’aucun stimulus n’était présent (un grain de poussière ?) et on sait que la séquence une fois entamée, elle doit aller jusqu’au bout.

 

     Un autre éthologue, Frederik Kortlandt (né en 1946) observa deux oiseaux se menacer alors qu’ils étaient à la limite de leurs territoires respectifs. Leur agressivité s’amplifia jusqu’à ce que, tout à coup, chacun des deux se mette à picorer des matériaux de construction pour construire leur nid : l’agressivité avait soudain été détournée vers une tâche plus pacifique…

 

     Lors d’un séjour sur l’Ile de la Réunion, j’ai été témoin d’une scène peu banale : alors que

un margouillat...

je regardais la télévision, sur le mur blanc qui me faisait face, un margouillat (sorte de lézard local) se trouva nez à nez avec une araignée babouk (ou babouque). Ces araignées, noires et dotées de grosses pattes, font, quand elles sont très petites, volontiers l’ordinaire d’un margouillat mais celle-ci était vraiment très impressionnante (de la taille d’une grosse soucoupe).

... et une babouque

Les deux animaux s’observèrent durant environ vingt minutes, chaque mouvement de l’un compensé par un mouvement contraire de l’autre. Je me demandais si le margouillat allait se risquer ce qui aurait pu lui coûter cher. Finalement aucun stimulus ne prédisposant à l’attaque de part et d’autre ne sembla s’imposer et le margouillat se mit à se lécher la queue… ce qui permit immédiatement à l’araignée de passer rapidement sans encombre et sans que le lézard ne réagisse alors qu’il voyait parfaitement son ennemie se faufiler à sa portée.

 

     Tous ces exemples semblent montrer que les réactions innées peuvent parfois être détournées selon un autre protocole inné : l’instinct est plus complexe qu’il n'y paraît.

 

Importance de l’instinct en fonction du degré d’évolution

 

     Plus une espèce est dite évoluée, moins les actes instinctifs semblent présents. On pense bien sûr aux primates et tout particulièrement à l’Homme. Il s’agit là à la fois d’une vérité et d’une illusion d’optique. Vérité car, chez l’Homme, l’apprentissage, c’es-à-dire sa dimension culturelle, est immense. Ses pouvoirs d’analyse et de réflexion lui permettent tout à fait de choisir des modes d’action qui l’éloignent du simple comportement instinctif. Toutefois, la situation n’est pas toujours aussi claire et l’illusion d’optique consisterait à croire que l’être humain échappe presque intégralement à sa part génétiquement instinctive : c’est manifestement une erreur car cette part automatique de nos comportements est certainement plus importante qu’on veut bien le croire. Le problème est d’ailleurs si complexe que cet aspect devrait (et fera peut-être) l’objet d’un sujet à part.

 

 

Instinct et apprentissage

 

     Comprendre dans quelle mesure, chez l’animal, l’apprentissage (par les parents, par l’expérience personnelle, par l’observation des autres, etc.) peut restreindre la part purement instinctive d’un comportement relève d’un débat fort ardu qui nécessiterait un approfondissement qui devrait faire l’objet d’un autre article : pour en démontrer toute la complexité, je souhaiterais en guise de conclusion rapporter le cas d’un oiseau très étrange : le drongo.

 

le Drongo, un oiseau plein de ressources

 

     Le drongo est un petit passereau africain remarquablement « intelligent » selon les observateurs. En effet, il se nourrit d’insectes et de larves mais ne sait pas ou ne peut pas creuser les trous où les insectes se cachent. Lorsqu’il ne trouve plus de nourriture, il est assez rusé pour voler celle des autres. Voilà comment il procède. Après avoir repéré une bande de fauvettes ou de suricates, ces petits mammifères du désert de la famille des mangoustes, il se positionne sur une branche d’arbre surplombant le groupe. Dès qu’il aperçoit un prédateur, serpent ou oiseau de proie par exemple, en parfait imitateur, il vocalise le cri d’alerte de la sentinelle passereau ou suricate : tout le groupe s’enfuit. Après quelques véritables alertes, le drongo passe à la tromperie : il alerte le groupe alors qu’il n’y a aucun prédateur et profite de sa fuite éperdue pour voler la nourriture. Tous les drongos sont capables d’organiser une telle tromperie : il s’agit là d’un comportement complexe qui a probablement été choisi par la sélection naturelle au cours de millions d’années. Mais est-on certain qu’une part d’apprentissage n’existe pas ? Est-on certain que le bébé drongo n’a pas observé certains de ses congénères avant de mettre en place sa propre stratégie ?

 

     On conçoit ici toute la difficulté d’une réponse claire…

 

 

 

Sources :

 

 

Images :

  1. Une oie et sa couvée (sources : www.yahki.com)
  2. Konrad Lorenz (sources : www.tumblr.com)
  3. Chat qui nage (sources : www.assuropoil.fr)
  4. Epinoche (sources : www.siahvy.org)
  5. Margouillat (sources : www.maillyn.over-blog.com)
  6. Araignée Bibe (sources : photos-reunion974.wifeo.com

 

 

Mots-clés : Ernst Mayr - Konrad Lorenz - Nikolaas Tibergen - hyperstimulus - coordination héréditaire - stimulus-clé - activité de déplacement - apprentissage - Freredik Kortland (en anglais) - drongo

 

les mots en gris renvoient à une documentation complémentaire

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. la notion d'espèce

2. reproduction sexuée et sélection naturelle

3. l'inné et l'acquis chez l'animal

4. l'intelligence animale

 

 

 

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mise à jour : 22 mars 2023

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