Pour admirer les étoiles, la recette est simple : il faut choisir une belle nuit sans Lune et sans nuages et s’installer confortablement dans un coin sombre, à l’abri des lueurs dérangeantes de la civilisation. Durant cinq à six minutes environ on laisse alors ses yeux s’habituer peu à peu à l’obscurité. De cette noirceur où flottaient difficilement quelques étoiles émergent progressivement des millions de points lumineux comme autant de diamants scintillants… Des millions ? Non, seulement quelques milliers, même pour l’œil le mieux aguerri, mais l’impression de foisonnement de ces minuscules lumières est si impressionnante que l’on se sent incroyablement petit sur notre coin de Terre.
Beaucoup d’anciens pensaient d’ailleurs qu’une sphère de velours sombre entourait notre planète en un écrin constellé de pléiades de pierres précieuses auxquelles, par leur proximité apparente, ils appliquaient des géométries compliquées en rapport avec leurs croyances d’éternité. On sait aujourd’hui que ces figures, les constellations, ne sont que des constructions imaginaires uniquement reliées par leurs luminosités relatives… Mais le bestiaire cosmique ainsi inventé est si riche que, encore de nos jours, on y fait souvent référence.
Si, au moyen d’un outil amplificateur comme, par exemple, une paire de jumelles, on tente d’explorer un par un ces astres lointains, il nous apparaît subjectivement qu’ils ne sont pas tous identiques et que leur éclat semble variable. Et, en fait, leurs aspects sont dissemblables car, c’est vrai, les étoiles nous parlent : elles chantent et leurs mots sont en couleur.
Des interrogations anciennes
Deux siècles avant J.C. les savants grecs se posaient déjà des questions sur la répartition des astres dans le ciel. C’est à Hipparque (vers 190 av. J.C. - 120 av. J.C.) que revint le mérite de chercher à classer les étoiles en 6 grandeurs par ordre d’éclat décroissant (étoiles de première grandeur pour les plus brillantes jusqu’à la sixième grandeur pour les moins lumineuses). Toutefois, ce classement pouvait prêter à confusion puisque se rapportant à la taille de l’étoile. On abandonna donc cette approche pour parler de magnitude apparente, des magnitudes séparées par un écart de brillance d’un échelon de 2,5. En d’autres termes, une étoile de magnitude 2 est 2,5 fois plus brillante qu’une étoile de magnitude 3 ce qui revient à dire que plus la magnitude d’une étoile est élevée, moins elle est brillante.
Ce système de magnitude apparente est trompeur car il ne correspond pas à la luminosité véritable de l’astre étudié en raison de sa distance qui est variable par rapport à la Terre : un astre peu lumineux peut, en réalité, l’être beaucoup mais c’est son éloignement qui le rend difficile à discerner. On introduisit en conséquence la notion de magnitude absolue en imaginant l’éclat de l’étoile observée si, comparée à ses sœurs, elle se trouvait à la même distance de la Terre que toutes les autres. On décida de retenir le chiffre de 10 parsecs (32,61 années-lumière) comme étalon standard de distance.
C’était assurément un progrès mais on décida de compléter le calcul avec celui de la couleur des étoiles qui donne, comme on le verra, une indication sur la chaleur de leur surface. On obtint ainsi les caractéristiques spectrales de chaque groupe d’astres, une classification encore en usage aujourd’hui, classification codifiée au début du XXème siècle par deux astronomes américains de l’observatoire d’Harvard, Antonia Maury (1866-1952) et Annie Cannon (1863-1941). Ajoutons que, pour tenir compte des différences de luminosité et de taille, les astronomes décidèrent de classer les astres selon leur éclat dans chacun des groupes identifiés.
Aujourd’hui, on sait donc plutôt bien « classer » réellement les étoiles d’après leurs caractéristiques : taille, éloignement, éclat et couleur. Mais justement pourquoi nos amies les étoiles peuvent-elles être de couleurs différentes ?
La couleur des étoiles
De la même façon que les étoiles sont de taille variable, elles ne sont pas toutes de la même couleur et cette couleur dépend de leur température et de leur âge. Au premier abord, c’est vrai, elles semblent blanches mais, comme nous le remarquions précédemment, si l’on observe plus attentivement chacune d’entre elles, on retrouve des teintes très souvent différentes : bleu, blanc, rouge, orangé, blanc-vert parfois et, d’une façon plus générale, nombre de nuances intermédiaires. Longtemps, cette disparité est restée sans explication et ce n’est qu’au début du XXème siècle qu’on a pu mieux la comprendre en définissant la physique du corps noir. Qu’est-ce qu’un corps noir, me direz vous ? Il s’agit en fait d’un objet idéal qui absorbe toute l’énergie électromagnétique sans n’en rien retransmettre : puisque la lumière est une onde électromagnétique, elle sera donc totalement absorbée par un corps noir. Considérons à présent une étoile comme un corps noir (un corps noir – c’est parfois difficile à saisir – n’est pas forcément noir mais seulement un objet qui ne réfléchit rien) : les courbes lumineuses émises par l’étoile elle-même lui sont donc propres, intégralement créées par elle. Puisque que l’on a remarqué que le spectre des étoiles était très semblable aux courbes de radiations d’un corps noir porté à différentes températures, la conclusion s’impose d’elle-même : les variations de couleur des étoiles sont la conséquence directe de leur température de surface et uniquement de cette température.
Plus une étoile sera chaude, plus elle aura un spectre important dans le bleu. A l’inverse, une étoile plus froide émettra dans le rouge et sera perçue comme telle.
Revenons un instant sur ces questions basiques d’optique physique : le spectre « continu visible » s’étend de 400 nm à 800 nm (nm signifiant nanomètre soit le milliardième du mètre). Vers 400 nm, on observe une couleur bleue (en dessous, c’est l’ultraviolet, non visible par l’œil humain mais accessible à l’œil de l’abeille) tandis que vers 800 nm on est dans la couleur rouge (et, au-delà dans l’infrarouge non visible). L’étude du spectre stellaire donnera donc une longueur d’onde dominante associée à la couleur et caractérisant la température de l’étoile étudiée. Prenons quelques exemples :
* Bételgeuse (alpha orionis) est une supergéante rouge de magnitude 1, située dans la constellation d’Orion à environ 500 années-lumière de la Terre, et accessoirement la 9ème plus brillante étoile du ciel. Mille fois plus grosse que le Soleil, elle rayonne comme 100 000 Soleils réunis. Bien que jeune, elle est en fin de vie et explosera dans quelques milliers d’années en supernova. Son cœur s’effondre lentement, provoquant une gigantesque expansion de son rayon et donc la baisse de sa température de surface ce qui explique sa couleur rouge.
* Rigel (beta orionis) est une supergéante bleue qui fait également partie de la constellation d’Orion et est située à plus de 900 années-lumière de la Terre (ce qui, au passage, démontre l’absurdité de la notion de constellation). Septième étoile la plus brillante du ciel, elle est bien plus petite que Bételgeuse (84 fois la taille du Soleil) ce qui explique sa chaleur de surface notoirement plus élevée et donc sa belle couleur bleue. Pour l’anecdote, remarquons que cette supergéante fait partie d’un système ternaire puisque deux autres étoiles, Rigel B et Rigel C, gravitent avec elle en un système compliqué. Elle aussi a une espérance de vie courte et explosera probablement en un trou noir.
* le Soleil : la dominante spectrale de notre Soleil se situe vers 500 nm et donc dans le vert. Toutefois, l’ensemble de son spectre lui confère une couleur blanche (tirant légèrement sur le vert) qu’on lui connait… en dehors de la Terre ! En effet, depuis notre planète, bien que sa lumière soit blanche, en raison de la plus grande diffusion du bleu (d'une longueur d'onde de 400 nm) dans l'atmosphère que du rouge (longueur d'onde 800 nm), il apparaîtra jaune (et le ciel bleu).
Les astronomes se sont donc retrouvés face à un véritable kaléidoscope de couleurs et, dès le XXème siècle, ils ont cherché à y mettre un peu d'ordre. Première méthode logique retenue : classer les étoiles selon les éléments chimiques identifiés à leurs surfaces. Ils ont ainsi répertorié sept groupes distincts qu'ils ont ensuite décliné en ordre décroissant de température et désigné par les lettres O, B, A, F, G, K et M. Difficile de s'en rappeler ? Les scientifiques américains ont proposé l'amusant petit moyen mnémotechnique suivant : " Oh Be A Fine Girl, Kiss Me ! "...
De ce fait, une étoile comme Lambda d'Orion, une géante bleue dont la température de surface atteint les 35 000°, est classée dans le groupe O tandis que le Soleil (naine jaune à la température de surface égale à 5 000°) est de classe G et les étoiles rouges comme Antarès (3 600°) sont rassemblées dans le groupe M.
Toutefois - rien n'est jamais simple - tout cela était encore un peu imprécis et, du coup, chaque groupe a été subdivisé en 9 sous-groupes de telle façon que le Soleil est en fait une étoile classée de type G2 (plus froide qu'une G1 mais plus chaude qu'une G3)... Comme on va le voir, cette classification, certes pratique, n'est pas la seule.
Le fait de connaître la couleur (et donc la chaleur) d’une étoile corrélée à sa taille permet de connaître sa durée de vie, le stade où elle se trouve et, bien sûr, la manière dont elle mourra.
La vie des étoiles
On peut également classer les étoiles selon les différents stades de leurs existences. Dans un sujet précédent (voir : mort d'une étoile), j’avais décrit les différents types d’étoiles et leur avenir : en voici les principales lignes (pour plus de détails, on se reportera au texte indiqué).
* les étoiles peuvent être (sommairement) classées de la façon suivante :
a. les naines rouges, soit environ 80% des étoiles : elles sont relativement petites (moins de 0,8 masse solaire) et d’une grande longévité ; si grande même que, depuis le Big bang elles n’ont pas encore eu le temps de mourir. Leur chaleur est faible ce qui explique leur couleur. A titre d’exemple, Proxima du Centaure, notre plus proche voisine, est l’une de ces naines rouges.
b. les naines jaunes (10% des étoiles) : plus chaudes que les précédentes, leur masse est comprise entre une et huit masses solaires et c’est typiquement le cas de notre Soleil. Leur espérance de vie est encore respectable, environ 10 milliards d’années. Lorsque tout leur carburant nucléaire sera épuisé, elles se transformeront en
c. géantes rouges : la dilatation considérable à ce stade des couches externes de l’étoile combinée à l’effondrement de son cœur explique la couleur rouge de l’enveloppe stellaire, plus froide car à distance du centre. Le stade ultime de l’évolution de ce type d’étoile, lorsque que ne restera plus que son cœur nu (l’enveloppe s’étant dispersée dans l’espace) est celui d’une…
d. …naine blanche : de la taille d’une planète, cet astre est composé de manière dégénérée hyperdense, incapable d’entretenir la moindre réaction thermonucléaire. Il s’agit donc déjà d’un cadavre d’étoile qui va progressivement s’éteindre au fil de millions d’années pour devenir une
e. naine noire : ces restes d’étoiles sont probablement nombreux dans l’univers mais, par définition, ils ne sont pas visibles.
f. les supergéantes bleues sont des étoiles jeunes massives (plus de 10 masses solaires) et extraordinairement lumineuses. Compte tenu de leur taille, leur espérance de vie est courte ; elles finissent par épuiser rapidement leur carburant nucléaire pour devenir des
g. supergéantes rouges (toujours par le même mécanisme d’expansion qui refroidit leurs couches externes) et explosent en supernovas (voir le sujet novas et supernovas), voire même en trous noirs (voir le sujet trous noirs) pour les plus massives d’entre elles Elles ne représentent que quelques pourcents de l’ensemble.
On peut donc réunir ces différentes populations d’étoiles dans un diagramme spécifique (diagramme HR) bien qu’il soit parfois difficile de déterminer précisément les caractéristiques de chacune, ne serait-ce que parce que les observations sont rendues malaisées lorsqu’existent des systèmes multiples d’étoiles (environ 50% des cas).
* Le diagramme HR dit de Hertzsprung-Russel permet de corréler luminosité et chaleur des étoiles et donc de définir leurs différentes populations et établir ainsi l’évolution stellaire. On peut alors constater que la majorité des étoiles se situe sur une ligne du diagramme appelée séquence principale où ces astres passeront la plus grande partie de leur vie tandis que ne s’en échappent que les atypiques comme les supergéantes ou ceux qui sont en fin de vie.
Evolution stellaire
Les étoiles, comme toutes choses en ce bas monde, ont une évolution – on pourrait dire une vie – parfaitement prévisible. Leur aspect renseigne ceux qui se donnent la peine de les observer. Leurs mots sont en couleur, disais-je en préambule, et ces mots nous expliquent l’univers dans lequel nous vivons. Ils nous font notamment comprendre combien le Soleil, qui est une étoile bien banale mais si particulière pour nous, est important puisqu’il autorise la vie – notre vie - sur cette planète.
Images :
1. l'amas ouvert NGC 3603 (sources : philippe.boeuf.pagesperso-orange.fr )
2. Hipparque (sources : www.dimensions-math.org)
3. Aldébaran et Sirius (sources : www.webastro.net)
4. Bételgeuse et Rigel (sources : www.webastro.net)
5. la Croix du Sud (sources : http://antwrp.gsfc.nasa.gov )
6. Beta Cephi, une binaire bleue (sources : http://a.gerard4.free.fr)
7. diagramme de Hertzsprung-Russell (sources : http://fr.wikipedia.org)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Brêve : la couleur des étoiles
Dans l'hémisphère boréal, les nuits de juin sont les plus courtes. Le Soleil rasant l'horizon nord, le crépuscule s'étend dans la soirée, et les étoiles se font attendre...
Les plus brillantes, Arcturus du Bouvier, l'Epi de la Vierge et Véga de la Lyre, apparaissent entre 22h30 et 23 heures. C'est entre chien et loup, lorsque le bleu du ciel s'assombrit, qu'il est le plus facile d'observer la couleur des étoiles. A l'oeil nu, Véga apparaît d'un blanc éclatant, Arcturus franchement orangée et l'Epi légérement bleuté. Si leur couleur diffère, c'est parce que leur surface de gaz n'est pas porté à la même température : de 4600°C pour Arcturus, la plus froide, donc la plus rouge, à 20000°C pour l'Epi.
(Science & Vie, n° 1125, juin 2011, p. 149)
Mots-clés : Hipparque - magnitude - corps noir - Bételgeuse - Rigel - naine rouge - naine jaune - géante rouge - naine blanche - naine noire - supernova - trou noir - supergéante rouge - supergéante bleue - digramme de Hertzsprung-Russell
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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Mise à jour : 5 mars 2023