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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

 

  Supersaurus.jpg

 

 

 

 

      Tous les enfants ayant fréquenté une plage à marée basse se sont sans doute un jour amusés à créer un réseau compliqué de petits canaux dans lesquels l’eau de mer, transpirée par le sable mouillé, s’écoule vers l’océan qui s’éloigne. Au milieu de son architecture temporaire, l’enfant aura beaumaree-basse.jpg faire, il ne pourra jamais empêcher l’eau, abandonnant ici un chenal, là une flaque, de chercher et de trouver chaque fois un chemin qu’elle empruntera au plus court. Si, par une éphémère construction sableuse, l’enfant s’avisait de l’en empêcher, l’eau trouverait inévitablement quand même une autre route et rejoindrait forcément quelque chemin d’aval. Je vois assez l’Évolution comme cette eau difficile à canaliser : au fil des âges, chaque fois qu’une niche écologique se libère, qu’une opportunité se présente, l’Évolution permet à une espèce de se transformer pour s’adapter à la modification de son environnement. Et si, d’aventure, cette transformation était trop radicale, il est à parier que des espèces entières seraient condamnées au bénéfice d’autres qui profiteraient de l’aubaine afin que la grande aventure de la Vie puisse se poursuivre.

 

      La course vers la survie par l’adaptation la plus ingénieuse est une condition indispensable pour qu’une espèce d’êtres vivants progresse : céder à l’immobilisme, pour une espèce donnée, c’est presque toujours déjà accepter sa disparition. Au sein d’une nature aveugle, c’est à chacun de trouver sans même le savoir le canal qui permettra d’avancer vers l’océan, ici l’avenir. Certains sont conduits à faire le choix du nombre comme les fourmis ou les bactéries, d’autres comme le léopard celui de la rapidité à saisir ou comme les gazelles la vitesse de fuite. Ou bien la survie dans un milieu extrême à la manière des micro-organismes des sources brûlantes des fonds sous-marins. D’autres encore ont recours à l’agilité comme araignee-tissant-sa-toile.jpgcertains singes, à la ruse comme l’araignée ou au mimétisme à la façon de ces serpents inoffensifs qui imitent la robe de leurs congénères mortels. Même l’Homme n’échappe pas à cette règle puisqu’il a su s’imposer par son intelligence. Chaque fois, il s’agit pour l’individu d’échapper à son prédateur qui, s’il ne veut pas disparaître à son tour, devra lui aussi inventer le moyen d’égaliser à nouveau les chances dans une course sans fin à une adaptation maximale.

 

      Il y a des millions d’années, afin de mieux survivre, des animaux ont été poussés dans une direction plutôt originale, celle du gigantisme. Voyons comment cela a été rendu possible.

 

 

Les sauropodes, des dinosaures géants

 

      Des milliers d’espèces différentes de dinosaures ont peuplé la Terre durant un temps très très long - des millions et des millions d’années - ce qui permit leur diversification. Il est compliqué pour le cerveau humain d’appréhender ce que signifient ces durées de temps, surtout rapportées à une vie humaine, si courte. Essayons d’utiliser une image pour nous faire une idée et réduisons l’existence de la Terre, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, à une année : à cette échelle de temps, les dinosaures auraientsauropodes.jpg alors dominé la planète depuis (à peu près) la mi-novembre jusqu’au 20 décembre. Par comparaison, la présence de l’Homme ne se situerait que dans les toutes dernières minutes précédant le 1er janvier… On comprend que l’Évolution a eu largement le temps de sélectionner des milliers et des milliers d’espèces de ces « terribles reptiles ».

 

      Il existait deux grandes familles de dinosaures, les théropodes carnivores et leurs proies potentielles, les sauropodes herbivores. C’est parmi ces derniers que l’on trouvait les géants que nous évoquons aujourd’hui. Des géants si imposants que les plus gros et les plus agressifs des théropodes – comme, par exemple, le Tyrannosaure Rex si réputé – ne pouvait rien contre eux. En effet, les plus grands des sauropodes comme le supersaurus (qui était une sorte de grand diplodocus), pesaient jusqu’à 60 tonnes, voire plus, et il avait la taille d’un immeuble de 10 étages (environ 40 m) pour une longueur de trois à quatre autobus mis à la queue leu leu ! Inutile de préciser que le tyrannosaure, avec ses 10 à 12 m de long et ses 6 à 7 tonnes ne jouait pas dans la même catégorie… Le carnivore n’avait donc theropode-acausaurus.jpgqu’une seule option lorsqu’il rencontrait un troupeau de ces géants : passer son chemin ou risquer de se faire écraser ! Du coup, ces sauropodes géants n’avaient aucun prédateur direct contre eux et leurs seuls ennemis devaient être les phénomènes naturels de disette… et probablement quelques virus. Comment ces animaux ont-ils pu en arriver là lorsqu’on se rend compte de la difficulté qu’il devait y avoir à développer et entretenir des masses vivantes aussi gigantesques ?

 

 

Un succès évolutif tenant en cinq points

 

      Les sauropodes géants étaient certainement des bêtes très calmes n’aspirant qu’à une seule chose : se nourrir et pour cela, on peut imaginer leurs troupeaux se déplaçant lentement au gré des bouquets d’arbres afin de trouver l’énorme quantité de nourriture nécessaire à leur survie. Toutefois, contrairement à certaines idées préconçues, ces dinosaures étaient relativement mobiles, voire dynamiques, n’hésitant pas – comme le prouvent leurs traces fossiles – à s’aventurer dans différents milieux comme des plages ou des tourbières. Certains scientifiques pensent même que, dans leur environnement semi-aride, ils effectuaient de véritables migrations les entraînant à la recherche de nourriture sur des centaines de km. Chez certaines espèces, ils se déplaçaient en troupeaux d’individus d’âges différents de façon à protéger les plus jeunes tandis que chez d’autres, les troupeaux étaient séparés par âge, probablement parce que les habitudes alimentaires différaient entre jeunes et adultes. Certaines traces fossiles montrent également qu’ils étaient suivis par des théropodes carnivores, peut-être à l’affût d’un jeune isolé. Quoi qu’il en soit, on leur devine des corps gigantesques avec de longs cous équilibrés par de non moins longues queues servant de balanciers (et peut-être même de fouet) tandis que leurs quatre pattes devaient ressembler aux colonnes d’un temple (les premiers dinosaures étaient tous bipèdes et seuls les théropodes agressifs le sont par la suite restés : on comprend, en effet, que quatre appuis étaient absolument nécessaires à nos herbivores géants). Cinq mécanismes adaptatifs expliquent le succès de leur course au gigantisme.

 

*  leur rapidité de croissance : les sauropodes étaient – comme tous les sauriens – ovipares et, d’après les restes fossilisés de leurs œufs, ceux-ci devaient peser environ 5 kg pour une taille d’une vingtaine de cm. Le bébé sauropode devait donc mesurer dans les 90 cm et il était alors dinosaures-oeufs.JPGparticulièrement vulnérable. Cette vulnérabilité était toutefois réduite au minimum puisqu’on évalue la prise de poids annuelle de l’animal à environ 2 tonnes (ce qui ne s’est jamais revu par la suite). Durant 20 ans, le jeune devait se nourrir le plus possible tout en évitant les prédateurs : on peut aisément deviner que tous n’atteignaient pas l’âge adulte ! Ensuite, les scientifiques estiment qu’il continuait à grossir plus lentement durant encore 10 ans pour atteindre enfin son poids « de croisière » et vivre les 30 dernières années de sa vie (l’histologie osseuse permettant d’estimer leur vie à une soixantaine d’années) sans être plus jamais menacé par un prédateur…

 

*  un cou d’une longueur jamais égalée depuis : lorsqu’on pense à ces animaux, on imagine d’abord ce long cou terminé par une toute petite tête (par rapport à l’ensemble). Ce n’est pas un hasard : il s’agit là d’un facteur adaptatif majeur. En effet, ce cou si long (jusqu’à 19 vertèbres « allongées » contre 7 chez les mammifères) permettait d’abord à l’ensemble du corps de bénéficier d’un système de refroidissement efficace. Mais l’essentiel n’est pas là : en fait ce cou si long était un moyen très astucieux de capter la grande quantité de nourriture indispensable, d’abord en atteignant sans trop d’effort des branches hautes situées hors de portée des autres herbivores (en gardant le cou à l’horizontale pour des problèmes de pression artérielle) mais surtout, par un mouvement de balancier, « d’explorer » une large zone sans avoir à déplacer le corps massif. Les scientifiques ont ainsi calculé que, pour couvrir une zone d’un hectare, un cheval doit se déplacer 5000 fois, une girafe (le plus long cou actuel) 1250 fois et un sauropode… seulement une centaine de fois. Une économie de moyens certaine.

 

*  un squelette à la fois robuste et léger : le gigantisme impose des contraintes physiques implacables. Pour supporter des dizaines de tonnes, l’armature osseuse doit être solide et résistante ; d’un autre côté, on sait que le squelette pèse souvent beaucoup et il était donc nécessaire pour ces animaux de le voir s’alléger au maximum. Chez les sauropodes, les os des membres sont denses et épais et on trouve dans leur trame de nombreux canaux et vaisseaux sanguins permettant la croissance rapidediplodocus-vertebre.jpg déjà évoquée (et donc celle de la masse totale). En revanche, les os qui ne supportaient pas directement le poids lié à la gravité étaient bien différents : ainsi, les vertèbres étaient en partie évidées, emplies de poches d’air à la façon de certains oiseaux actuels ce qui permettait un allégement conséquent. On estime que ces aménagements osseux permettaient à l’animal « d’économiser » jusqu’à 10 à 15 % de son poids.

 

*  un système respiratoire performant : bien entendu, comme tous tissus mous, aucun poumon de dinosaure n’a jamais été retrouvé. C’est donc par analogie avec les reptiles actuels (et certains oiseaux) qu’on a imaginé ce que pouvait être le système respiratoire de ces animaux. Chez l’Homme, la respiration se fait en deux temps : inspiration et expiration et c’est seulement durant la première moitié du phénomène que les alvéoles pulmonaires se remplissent d’air. Les sauropodes, eux, recevaient probablement de l’air en continu : d’abord par l’inspiration (comme chez l’Homme) puis encore lors de l’expiration par de nombreux sacs, alvéoles, poches diverses situés tout au long du corps et qui s’étaient eux-mêmes emplis d’air lors de l’inspiration : un système en somme deux fois plus performants que le nôtre ! De plus, l’atmosphère durant le mésozoïque (ère secondaire) était souvent plus riche en oxygène qu’aujourd’hui. Au bout du compte, les dinosaures géants étaient loin d’être désavantagés car qui dit plus d’oxygène, dit plus d’énergie…

 

*  un appareil digestif compétitif : trouver chaque jour environ une tonne  de végétaux n’est certainement pas une sinécure mais, plus encore, assimiler cette nourriture demande un appareil digestif spécialement adapté ! C’était en effet bien le cas : contrairement aux herbivores de notre temps, les sauropodes ne passaient pas la plus grande part de leur temps à mâcher ; ils se contentaient d’avaler d’énormes quantités de végétaux grâce à leur dentition renouvelable dite spatulée (en forme de cuiller), végétaux qui pouvaient séjourner jusqu’à deux semaines dans leurs estomac et intestins et avoir largement le temps de fermenter : là encore, il s’agit d’un avantage lié au gigantisme. Moins performant certainement que celui des ruminants actuels, le système digestif de ces grands sauriens dinosaures-gastrolithe.jpgs’améliorait par l’ingestion de gastrolithes, c'est-à-dire de pierres que l’animal avalait pour favoriser sa digestion par broyage, à la façon des pierres de gésier des oiseaux contemporains.

 

      Les cinq « trouvailles » adaptatives des sauropodes géants expliquent le succès de ces animaux qui, se rendant presque invulnérables à la prédation, ont pu se maintenir sous de multiples espèces différentes durant plus de 130 millions d’années

 

 

Une disparition sans rapport avec leur taille

 

      Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ce n’est pas leur taille qui explique leur disparition au crétacé mais l’extinction de masse dont on pense qu’elle fut provoquée par la météorite géante du Yucatan, même si d’autres facteurs ont pu également influencer. On comprend que leur taille, bien qu’elle ait sensiblement diminué depuis le Jurassique, les prédisposa immédiatement à périr sous le déluge de feu qui eut alors lieu mais, de toute façon, ils n’auraient pas pu survivre à la disparition des plantes dont la photosynthèse ne se faisait plus en raison du nuage de cendres entourant la Terre.

 

      Cousins des théropodes dont descendent les oiseaux, les sauropodes sont en définitive plus proches des mammifères que des reptiles. Leur course au gigantisme peut être vue comme un excellent moyen d’adaptation à un monde où les prédateurs étaient particulièrement virulents ; eux-aussi, d’ailleurs, cherchèrent à grandir mais jusqu’à un certain point seulement : comment imaginer en effet la course d’un tyrannosaure de 40 tonnes ? Les sauropodes, les plus grands animaux que la Terre ait jamais portés, furent une réponse adaptative à une situation donnée et une réponse qui résista au temps : des dizaines de millions d’années de présence sur Terre. A titre de comparaison, rappelons que l’Homme moderne n’a que quelques dizaines de milliers d’années d’histoire. Quant à notre civilisation proprement dite…

 

 

Sources

 

1. science-et-vie.com

2. lesdinos.free.fr

3. Wikipedia.org

4. baladesnaturalistes.hautetfort.com

5. futura-sciences.com

 

 

Images

 

1. supersaurus, géant parmi les géants

(sources : anthrosaurs.com/Supersaurus.html)

2. marée basse (sources : regardsolitaires.free.fr)

3. araignée tissant sa toile (sources : leplus.nouvelobs.com/)

4. sauropodes (sources : lebloug.fr)

5. aucasaurus (sources : dkimages.com)

6. oeufs fossilisés de sauropodes (sources : jpmontfort83.over-blog.org)

7. vertèbre de diplodocus (sources : swissinfo.ch)

8. gastrolithes (sources : dinosoria.com)

 (pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : sélection naturelle - avantage adaptatif - théropode - sauropode - bipédie initiale - oviparité - gastrolithes - météorite du Yucatan

  (les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. les extinctions de masse

2. les mécanismes de l'Évolution

3. la disparition des dinosaures

4. distance et durée des âges géologiques

5. l'empire des dinosaures

 

 

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mise à jour : 14 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution

 

betty-boop.jpg

 

 

 

 

 

     Tout le monde aime Mickey et ses amis : pourtant, Mickey est un rat (ou une souris, c’est selon) et ce type d’animaux est généralement peu apprécié de nos contemporains. Mais on aime Mickey parce que c’est un rat mickey-mouse.pngnéoténique ! Néoténique, c'est à dire ? Eh bien, littéralement, néoténie veut dire « rétention de la jeunesse » et, de fait, c’est vrai, le monde de Disney est un monde où les personnages sont restés dans l’enfance : regardez ces têtes énormes par rapport au reste des corps, ces grands yeux, ces voix de fausset, cette agitation souvent désordonnée… le tout pourtant associé à des comportements d’adultes.

 

     Dans le monde du dessin animé, la néoténie est d’ailleurs assez répandue comme on peut le voir, par exemple, dans les mangas japonais mais on la trouve aussi, cette néoténie, dans bien des objets de la vie courante : depuis la coccinelle de Volkswagen, typique avec sa forme joufflue et ses gros phares ronds, jusqu’à nos amis les chiens dont on saitloup hurlant qu’ils ont conservé les attributs physiques et même comportementaux des loups juvéniles… ce qui les rend éminemment sympathiques et attachants pour bien des gens ! Car la néoténie c’est la conservation d’une certaine jeunesse à l’âge adulte, c'est-à-dire pour tout un chacun le rappel nostalgique du monde de l’enfance, une certaine douceur, une fragilité…

 

     Or – et c’est le sujet de cet article – la néoténie a été souvent avancée pour expliquer le succès de l’Homme parmi les autres animaux. Selon certains scientifiques, nous garderions plus longtemps que les autres les attributs infantiles de certains de nos ancêtres ce qui aurait assuré une partie de notre succès évolutif. Que peut-on dire aujourd’hui de cette hypothèse ?

 

 

La néoténie dans la Nature

 

     La néoténie est manifeste chez certains animaux et connue depuis bien longtemps. Par exemple, chez les termites, en l’absence accidentelle d’un Roi ou d’une Reine, reproducteurs indispensables à la vie de la termitière, c’est une larve qui pourra se substituer : elle interrompra son développement afin d’acquérir immédiatement une maturité sexuelle… tout en restant par ailleurs bel et bien une larve (presque) normale.

 

     Chez les amphibiens, c’est encore plus caractéristique puisqu’une variation de leur environnement peut induire un processus biologique particulier : c’est le cas chez l’axolotl, un batracien des lacs mexicains, qui peut suspendre son développement dans l’attente d’un retour à la normale axolotl.jpgde son écosystème (ce stade « larvaire » maintenu a longtemps fait prendre l’axolotl néoténique pour une espèce à part). Il s’agit ici d’une néoténie « facultative » puisque la chaleur ou l’injection d’hormone thyroïdienne fait repartir ce batracien vers le stade adulte. D’autres batraciens subissent des néoténies « obligatoires » (amphibiens souterrains) ou « partielles » (grenouille verte). On sait à présent que ces états de « non-maturation » plus ou moins prononcés sont sous l’influence de l’axe hypothalamo-hypophysaire ou, pour le dire plus simplement, sous la dépendance de différentes hormones dont l’hormone de croissance.

 

 

La néoténie contre la théorie de la récapitulation

 

     On apprenait jadis la théorie de la récapitulation à l’école et on la trouve encore expliquée dans d’anciens ouvrages de « science naturelle » datant du début du siècle dernier. Cette théorie explique que les animaux passent par le stade adulte de leurs ancêtres durant tout leur développement embryonnaire. C’est ainsi que ces scientifiques appelés « récapitulationnistes » expliquaient que les branchies de l’embryon humain baignant dans le « liquide » amniotique de l’utérus maternel étaient la survivance durant quelque temps du stade adulte des poissons dont nous descendons… J’entends encore les vieilles personnes de ma famille me disant : « Dans le ventre de sa mère, l’enfant passe par tous les stades derecapitulation-theorie.jpg l’évolution des êtres vivants qui l’ont précédé… ». Cette théorie - aujourd’hui abandonnée - sous-entendait que les différents stades évolutifs d’un individu subissent une accélération afin que les traits de l’ancêtre adulte se retrouvent être les étapes de la jeunesse du descendant. Or, c’est exactement le contraire que prétend la néoténie : les stades infantiles des ancêtres se retrouvent durant le stade adulte du descendant ce qui ne peut s’expliquer que par un ralentissement du développement de ce dernier. Et s’il y a  ralentissement général du développement de l’être humain par rapport à ses ancêtres, c’est qu’il est néoténique. Et c’est effectivement plutôt ce que l’on observe.

 

     Comme le rappelle Stephen J. Gould dans son livre « Darwin et les grandes énigmes de la Vie » (Éd. Du Seuil, coll. Sciences), les primates se développent plus lentement, vivent plus longtemps et arrivent à maturité plus tard que les autres mammifères. Parmi ces primates, les grands singes arrivent à maturité plus tard et vivent plus longtemps que les petits singes et cette tendance s’amplifie avec l’Homme. Certes, la période de gestation d’une femme est à peine plus longue que chez les singes mais nos enfants sont bien plus lourds… Nous vivons plus longtemps (à poids comparables) que les singes, nos dents poussent plus tard et nous sommes adultes plus tard : voilà quelques arguments en faveur de la néoténie de l’espèce humaine.

 

     L’anatomiste hollandais Louis Bolk, dans les années 1920, se fit l’ardent défenseur de la néoténie (qu’il appelait fœtalisation) et s’ingénia à trouver des arguments évolutifs en faveur de cette théorie. En voici quelques exemples :

 

* la boîte crânienne de l’Homme est ovoïde permettant le développement d’un gros cerveau (chez les singes, le début est similaire mais le développement de leur cerveau est si lent que leur boîte crânienne s’abaisse et devient relativement plus petite) ;

 

* la position du trou occipital (situé à la base du crâne et permettant le passage de la moelle épinière) : pour tous les embryons de mammifères, il est dirigé vers le bas mais chez les mammifères autres que l’homme, la position du trou occipital se déplace secondairement vers l’arrière ce qui permet plus facilement la marche à quatre pattes. Chez l’homme, cette non-migration permet donc une meilleure station debout ;

 

* la jeunesse du visage chez l’homme : le profil est droit, les mâchoires ont singe Mandrilune taille réduite, les arcades sourcilières sont aplaties. Chez le jeune singe, les mâchoires sont également petites mais elles se développent plus rapidement que le reste du crâne pour former ensuite un museau saillant ;

 

* le canal vaginal dirigé vers le ventre chez la femme : c’est secondairement chez les autres mammifères que le canal vaginal effectue une rotation vers l’arrière de façon à que l’accouplement se fasse par derrière ;

 

* le gros orteil non opposable chez l’homme : chez tous les autres primates, au début, le gros orteil commence comme le nôtre mais il effectue une rotation pour devenir opposable ce qui permet une meilleure préhension. Ici, la conservation de ce trait juvénile chez l’homme permet plus facilement la marche et la station debout, caractéristiques humaines ;

 

* l’ossification tardive chez l’homme : l’ossification, notamment celle des os du crâne, est retardée chez l’homme ce qui permet le développement de son cerveau à l’inverse des autres mammifères où le crâne est ossifié dès la naissance.

 

Il existe ainsi toute une liste de caractéristiques du développement de l’homme qui montre un ralentissement par rapport au développement des autres mammifères et ce ralentissement, c'est-à-dire la conservation de caractéristiques juvéniles, lui a été certainement profitable.

 

 

Néoténie et Évolution humaine

 

     Tous les êtres vivant sur notre planète sont issus des mêmes cellules primitives apparues il y a plusieurs milliards d’années. Au fur et à mesure de l’avancée du temps, les différentes espèces se sont transformées afin de s’adapter aux changements de leurs environnements spécifiques : la sélection naturelle a permis aux plus aptes de survivre tandis que la très grande majorité d’entre elles se sont éteintes à jamais. L’Évolution des espèces, lente et laborieuse (même si à en croire un scientifique comme Stephen J. Gould, il y a de temps à autre des accélérations soudaines entrecoupées de longues périodes de quasi-immobilisme) a été le lot commun jusqu’à il y a quelques siècles, un laps de temps qui n’est qu’un battement de paupière en regard de l’âge de notre planète.

 

     En effet, depuis 200 ans environ, un événement nouveau est venu perturber cette machine si bien huilée : l’irruption de l’espèce humaine comme entité dominante. On rétorquera qu’il s’agit au bout du compte d’un simple et nouveau changement de milieu auquel les autres espèces devrontdeboisement-paragominas-tailandia.jpg s’adapter : il s’agit là à mon sens d’une erreur profonde car ce « changement » induit par l’Homme possède deux caractéristiques originales : la soudaineté (quelques dizaines d’années !) et l’universalité (partout en même temps sur le globe). Or on sait que « l’adaptation » des espèces à des modifications majeures de leurs milieux est forcément lente, très lente. Si l’on devait rapporter un tel bouleversement au passé, ce serait plutôt par rapport aux cinq extinctions massives d’espèces qui se sont déjà produites au cours des âges géologiques… Mais le fait est là : l’Homme a pris le dessus sur tous les autres représentants du vivant et n’entend certainement plus lâcher prise. Pourquoi ? Comment expliquer cette soudaine prééminence ?

 

     L’homme a étudié et décrypté son environnement avant de le passer en coupe réglée : on peut dire qu’il a intellectualisé son univers. Mais pour cela, il lui a fallu développer un intellect adapté et c’est là que, comme on vient de le voir, la néoténie peut – du moins en partie – expliquer ce succès. C’est le ralentissement du développement de certains caractères de l’espèce humaine (ossification retardée, boîte crânienne longtemps plus souple permettant une meilleure plasticité cérébrale, enfance prolongée auprès des parents, etc.) qui a certainement permis l’émergence de ses facultés intellectuelles bien plus développées que celles des autres espèces animales.

 

     La théorie de Bolk s’inscrivait à l’aune des connaissances de son époque (1926) : elle était donc incomplète (et même par certains aspects erronée) Bolk-Louis.jpgce qui explique qu’elle fut longtemps oubliée ou considérée comme mineure. C’est le mérite de Stephen J. Gould d’avoir su en reparler dans les années 1970 et de faire remarquer que certaines des affirmations des tenants de la néoténie sont en réalité tout à fait acceptables, pour ne pas dire très vraisemblables. De ce fait, les scientifiques travaillent sérieusement aujourd’hui sur les hétérochronies, c'est-à-dire la modification de la durée et de la vitesse du développement de l’organisme au cours de l’Évolution ce qui est indéniablement une approche néoténique de cette Évolution.

 

     Le ralentissement de notre développement ne veut pas forcément dire que nous gardons à l’âge adulte toutes les caractéristiques de la jeunesse mais simplement que des potentialités adaptatives peuvent être conservées ce qui rend l’espèce humaine très dynamique d’un point de vue évolutif. Ce ralentissement du développement de certaines de nos caractéristiques est notamment très important pour notre évolution sociale car chez l’Homme le savoir est primordial. Nous ne sommes pas particulièrement forts, résistants ou très agiles et notre reproduction est assez tardive. Non, ce qui fait la force de l’espèce humaine, c’est son cerveau qui lui permet d’apprendre par expérience et de transmettre les informations. Pour permettre l’acquisition de ce savoir, en retardant la maturité sexuelle, nous avons prolongé l’enfance : les enfants humains restent proportionnellement plus longtemps auprès de leurs parents que tous les autres acteurs du vivant et cela donne tout le temps d’apprendre tout en renforçant les liens intergénérationnels. Bien que d’autres éléments entrent à l’évidence en ligne de compte, la néoténie que nous venons d’évoquer est certainement un atout important de l’espèce humaine pouvant expliquer ses remarquables facultés d’adaptation.

  

 

Sources

 

1. Stephen J. Gould, « Darwin et les grandes énigmes de la vie », Ed. du Seuil, coll. Sciences

2. geza.roheim.pagesperso-orange.fr/html/neotenie.htm

3. Wikipedia.org : néoténie

4. www.ethologie.info/revue/spip.php?article19

5. www.cnrs.fr/Cnrspresse/n366a2.htm

 

 

 

Images

 

1. Betty Boop (sources : chouchoudenantes.centerblog.net)

 2. Mickey et Donald (sources : www.coloriage.tv)

 3. loup adulte (sources : fr.maieutapedia.org)

 4. axolotl (sources : photomonde.fr)

 5. récapitulation (sources : le-blog-de-jes68.over-blog.com/)

 6. singe Mandrill (sources : fr.wikipedia.org)

 7.déboisement sauvage au Brésil (sources : visionbresil.wordpress.com)

 8. Louis Bolk  (sources : fr.wikipedia.org)   

 

(pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)

 

 

 

 

 

Mots-clés : termites - axolotl - Stephen J. Gould - Louis Bolk - ossification tardive - pouce non opposable - trou occipital - sélection naturelle - extinctions de masse - hétérochronie

 

  (les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. les extinctions de masse

 2. les mécanismes de l'Évolution

 3. le propre de l'Homme

 4. distance et durée des âges géologiques

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