Depuis qu’il existe des hommes et que ceux-ci sont capables de réflexion, ils s’interrogent sur leur place dans l’Univers, sur l’origine du monde dans lequel ils vivent et sur son devenir ultime. Il existe justement une science qui s’est penchée sur ce type de problèmes : la cosmologie. Branche actuelle de l’astrophysique, cette discipline s’est progressivement détachée des aspects purement philosophiques pour devenir une science à part entière c’est-à-dire rationnelle et s’appuyant sur des observations réelles et vérifiables. Grâce à elle, il est aujourd’hui possible d’aborder, sans être dans le domaine de l’imaginaire pur, les différents scénarios possibles d’évolution de cet Univers que nous connaissons encore si mal.
Le début : le Big Bang
« Au début fut la Lumière » déclarent certains textes anciens. Pas tout à fait, toutefois, si l’on retient le commencement probable de l’Univers avec le scénario du Big bang, actuellement privilégié par la très grande majorité des scientifiques. La lumière, en effet, n’apparut qu’au bout de 380 000 ans et ce n’est qu’à partir de ce moment très ancien que put se constituer l’Univers tel que nous le connaissons. Selon les dernière estimations, il est aujourd’hui âgé de 13,8 milliards d’années ce qui, au demeurant, représente un chiffre assez difficile à concevoir pour l’esprit humain. Nous avons déjà longuement discuté de ce modèle (voir sujet : le Big bang) qui ne fut pas toujours le favori des scientifiques.
En effet, la théorie du Big bang était jusque dans les années 1950 en concurrence avec une autre approche appelée « création continue » qui expliquait qu’il se créait de façon permanente à peu près autant de nouvelles étoiles qu’il en disparaissait d’anciennes, un univers statique en somme ou plutôt « stationnaire » comme il fut nommé à l’époque. L’expansion de l’Univers mise en évidence dès 1925 par Edwin Hubble (photo) ne permettait pas vraiment de choisir entre ces deux principales théories jusqu’à ce qu’une découverte ne tranche en faveur du Big bang : l’observation du fonds diffus cosmologique, témoin résiduel de cette « explosion » initiale.
L’Univers s’étend ou, plutôt, se crée au fur et à mesure de son expansion. On part donc d’un point initial très petit, très chaud et, après le Big bang, on assiste à une dilatation considérable de cet univers qui contient toute la matière. Mais jusqu’où ? Comment peut-on envisager la fin de cette expansion et, d’ailleurs, y aura-t-il seulement une fin ? C’est là que la cosmologie nous fournit quelques piste.
Quel type d’univers ?
Lorsque Einstein rédigea sa théorie de la relativité générale (qui est en fait une théorie de la gravitation), il retint des équations qui correspondent à un univers contenant de la matière. Toutefois, il pensait, pour des raisons probablement philosophiques, que cet univers devait être statique et, pour obtenir ce résultat, il introduisit un terme spécifique appelé « constante cosmologique ». Mais, peu de temps après, face à la mise en évidence par Hubble de l’expansion de l’Univers, il décida de le supprimer.
Quelques années plus tard, le Hollandais de Sitter, le Russe Friedmann et le belge George Lemaître avancèrent des hypothèses d’univers non statiques pour résoudre les équations de la relativité générale. Ils ne travaillèrent néanmoins pas sur les mêmes scénarios car de Sitter imaginait un univers sans matière tandis que celui de Friedmann reposait au contraire sur la densité de la matière : c’est ce dernier modèle qui est aujourd’hui retenu par la majorité des cosmologistes et sert de support à leurs modélisations.
Avant d’aller plus avant dans la question de savoir si l’Univers est « ouvert », c’est-à-dire en expansion infinie ou « fermé » et donc susceptible d’arrêter sa dilatation, voire de revenir sur lui-même, il convient d’être en accord sur plusieurs points essentiels qui composent ce que l’on appelle le principe cosmologique et qui sont les suivants :
* il n’y a strictement aucune raison pour que la Terre soit le centre de l’univers (on en a d’ailleurs déjà discuté dans le sujet dédié ICI) ou, dit autrement, qu’elle se situe dans un endroit particulier de ce dernier. Si on veut bien admettre ce principe de base, il faut également accepter que
* l’univers est homogène ce qu’on peut résumer de la façon suivante : à l’échelle cosmologique, c’est-à-dire de l’espace et des galaxies, il présente toujours et partout les mêmes propriétés (ce qui, évidemment, n’est pas forcément le cas à faible échelle où les situations peuvent être différentes : par exemple dans et en dehors d’une galaxie). De plus,
* l’univers est isotrope ce qui veut dire qu’il est toujours identique quelle que soit la direction dans laquelle on l’observe : il n’y a pas de centre ou de « bords » identifiables ou de modification de la courbure de l’espace-temps.
Il existe enfin une dernière condition pour qu’on puisse engager une réflexion constructive sur le sujet : il est nécessaire que les lois de la physique soient universelles et ce quel que soit l’endroit et le moment.
Alors ouvert ou fermé ? Cela dépend de la variabilité de plusieurs paramètres. Sans entrer dans le détail des équations (ce que je serais bien incapable de faire), il faut en gros retenir qu’il existe trois intervenants majeurs :
* la constante de Hubble (H) qui représente le taux d’expansion de l’univers
* la densité de l’univers (Ω) et
* une constante dite cosmologique (l) qui représente la force qui s’oppose à la gravitation.
Actuellement, l’univers est en expansion ce qui veut dire que la force antigravitationnelle est plus importante que la gravitation ; toutefois, plus la densité de l’univers sera importante et plus ce sera la gravitation qui devrait l’emporter sur l’expansion ce qu’on peut résumer de la façon suivante : expansion > gravitation = univers ouvert et expansion < gravitation = univers fermé. Voyons cela d’un peu plus près.
Les scénarios possibles
Nous venons de dire que l’univers est en expansion, probablement depuis au moins 6 milliards d’années quoique, semble-t-il à des vitesses parfois différentes. Il y a quelques décennies, les scientifiques pensaient que cette expansion devait forcément se ralentir (ou, en tout cas, se stabiliser) en raison des forces de gravitation qui s’opposent à ce mouvement d’élargissement. Pourtant, contre toute attente, on sait depuis une dizaine d’années que, non seulement il n’y a aucun ralentissement, mais que, au contraire, cette expansion s’accélère. Sans que l’on sache vraiment quelle est la nature de la force qui prend ainsi le dessus sur la gravitation. On soupçonne une matière non visible dite « matière noire » ainsi qu’une énergie dite sombre. Les calculs ont été faits et refaits mais il n’y a aucun doute : notre univers ne renferme que 4 à 5 % de matière visible (c’est-à-dire toutes les étoiles, galaxies, nuages de gaz et de matière, etc.). Le reste, c’est-à-dire 95%, ressort du domaine de ces mystérieuses matière noire et énergie sombre…
Quoi qu’il en soit l’univers est en expansion, une expansion qui s’accélère. Et si cette expansion ne s’arrêtait jamais ?
l’univers infini ou Big chill
C’est l’hypothèse la plus en vogue chez les scientifiques depuis la découverte de l’accélération de l’expansion de l’univers. En effet, si l’expansion devait se prolonger ainsi, il ne pourrait y avoir de « retour en arrière » et, comme l’univers créé au fur et à mesure, cette expansion serait alors quasi infinie, une notion certes toujours difficile à saisir pour un esprit rationnel. Précisons néanmoins que l’accélération a été calculée à partir de données (constante de Hubble, densité de la matière) basées sur des mesures de distance et que, en astronomie, ce type de mesures reste quand même relativement approximatif.
Dans ce modèle, l’univers s’élargirait ainsi durant des centaines de milliards d’années, un âge où l’espèce humaine aura disparu depuis si longtemps que plus aucune trace d’elle ne subsistera nulle part. Au préalable, toutes les galaxies des groupes locaux (c’est-à-dire suffisamment proches pour être liées par la gravitation) auront fusionné en créant des gerbes de nouvelles étoiles, comme, par exemple, la Voie lactée et Andromède dans deux à trois milliards d’années. Il n’existera donc plus que des galaxies géantes qui s’éloigneront de plus en plus vite les unes des autres. Viendra d’ailleurs un temps où le seul spectacle à contempler dans le ciel sera celui offert par la galaxie géante locale, toutes les autres ayant disparu du champ visible : un habitant de ce temps-là ne pourra donc pas soupçonner que d’autres mondes existent en dehors de sa propre galaxie…
Puis, bien plus tard, ce sera le tour d’une époque où tout l’hydrogène de l’univers sera épuisé et où les dernières générations d’étoiles commenceront à s’éteindre. Il ne restera plus que des cadavres d’étoiles qui seront, soit éjectées dans le vide intersidéral pour s’y diluer, soit être aspirées par les grands trous noirs centraux galactiques avec au final, un simple bain glacé de photons résiduels d’où l’appellation de ce modèle, le Big chill (grand Froid) Il est inutile de préciser que ce scénario, s’il arrive à sa fin, mettra des centaines, peut-être même des milliers de milliards d’années à se constituer…
le big crunch
Le scénario inverse de celui que nous venons d’évoquer est appelé le Big crunch (crunch en anglais veut dire craquement et ici plus certainement « effondrement »). Dans cette éventualité on imagine que, au bout d’une certaine période d’expansion (que nous sommes en train de vivre), le mouvement s’inversera car la gravitation aura fini par prendre le dessus sur les forces qui s’opposent à elle. De ce fait, toute la matière de l’Univers aura tendance à se condenser dans un univers qui se mettra à rétrécir, à se replier sur lui-même. Toutefois, contrairement à ce qu’on pourrait à première vue penser, il ne s’agira pas d’un retour en arrière vers le Big bang car, si l’univers s’inversera bien, ses composants, notamment les galaxies et ce qu’elles contiennent, continueront à évoluer pour leur propre compte. À terme, cet univers recroquevillé sur lui-même pourrait retrouver la structure qu’il avait au moment du Big bang. Depuis que l’on a démontré avec une quasi-certitude l’accélération de l’expansion universelle, cette hypothèse du Big crunch a moins la cote chez les scientifiques… encore que certains d’entre eux font remarquer que nous ne savons rien de l’énergie sombre responsable de l’expansion actuelle et qu’il est en conséquence difficile de conclure vraiment.
le big bounce
Imaginons que le scénario précédent, le « big crunch » soit le bon mais à une différence fondamentale près : au moment où tout l’univers va se reconcentrer dans un espace infiniment petit, infiniment chaud et infiniment dense, au tout dernier moment en quelque sorte, une espèce de « sursaut » se fait et un nouveau Big bang apparaît : c’est cela l’hypothèse du Big bounce (ou « grand rebond » en anglais, appellation dont je signale au passage qu’elle est tirée du titre d’un livre du célèbre auteur américain de romans policiers, Elmore Leonard, paru en 1969).
En effet, pour ne pas violer la deuxième loi de la thermodynamique (qui établit l’irréversibilité des phénomènes physiques, notamment lors des échanges thermiques), il est impératif que l’univers rebondisse avant de devenir une singularité. Du coup, on a affaire à un univers cyclique se reproduisant éternellement et dont on ne sait pas si la séquence actuelle est la première itération ou la centième ou la milliardième… Certains écrits laissent supposer qu’une discipline quantique appelée « gravitation quantique à boucles » aurait permis d’avancer les équations nécessaires à ce modèle. L’avenir nous en dira certainement plus mais si une chose est certaine, c’est que les toutes premières fractions de seconde de l’univers (le « début » du Big bang qu’on appelle singularité) correspondent forcément à une physique qui n’est pas la nôtre et dont nous ne savons rien : dès lors, tout est envisageable.
le big rip
En 1999, le cosmologiste américain Robert R. Caldwell avança un scénario tout à fait original qu’il baptisa « Big rip » (« grand déchirement »). Dans ce modèle, il introduit une forme d’énergie très spéciale appelée « énergie fantôme » dont la caractéristique principale est de voir sa densité augmenter lors de la poursuite de l’expansion. Et si l’énergie sombre était cette énergie fantôme ? Bien entendu, il s’agit de pure spéculation qui n’a jamais connu le commencement d’une preuve mais le scénario a retenu l’attention de certains scientifiques.
Que deviendrait l’Univers en pareil cas ? Eh bien, plus le temps s’écoule, plus l’expansion s’accélère et plus l’énergie fantôme augmente sa densité, finissant par dépasser toutes les autres forces de liaison entre les différents éléments contenus dans l’univers. La conséquence en est que l’expansion devient de plus en plus violente et on assiste à la dilacération progressive de tous les objets existants. Il est même possible de calculer le temps que prendront les différentes étapes de la destruction : la disparition des superamas mettra quelques centaines de millions d’années, celle des galaxies quelques dizaines de millions tandis que l’éjection des planètes de leur système stellaire surviendra quelques années avant la fin, etc. La phase terminale sera la dislocation de tous les atomes…
Les univers-gigognes
On a déjà évoqué les trous noirs dont, tout ce qui est au-delà de leur « horizon » (c’est-à-dire ce qui est au-delà du visible) est du domaine de la spéculation. Pour la majorité des scientifiques, dans le trou noir, la courbure de l’espace-temps et la densité deviennent infinis (c’est ce que tendent à démontrer les équations) et c’est même précisément pourquoi, ici aussi, on nomme l’intérieur du trou noir une singularité. Imaginons toutefois que, au moment où les valeurs deviennent extrêmes, la gravité s’inverse (je rappelle qu’il s’agit en pareil lieu d’une physique que nous ne connaissons pas) : la conséquence pourrait en être un nouveau Big bang mais dirigé cette fois-ci vers « l’autre côté » avec pour conséquence la création d’un autre univers. Et, bien entendu, le nôtre serait né d’un trou noir situé dans un autre univers : on parle alors d’univers parallèles, de multivers ou d’univers-gigognes puisque naissant les uns des autres. Concernant notre propre cas, l’expansion s’ajoutant à l’évaporation des trous noirs finirait par ne laisser de notre univers qu’un rayonnement fossile mais, entretemps, chaque trou noir aura donné naissance à un autre univers…
Nous savons que nous ne savons pas
Suite à ces quelques réflexions sur la situation de notre univers, il semble évident qu’il est difficile de se faire une idée précise de son avenir à long terme. La raison principale de cette difficulté réside dans le fait que nous ne savons toujours pas de quoi est composé l’univers dans lequel nous vivons : si l’on s’en tient aux équations de la seule théorie actuelle réellement acceptable de la gravitation, la relativité générale, 95% de la matière n’ont pas été identifiés et on est loin de connaître leur nature véritable. Les preuves de l’existence de cette matière inconnue sont indirectes comme, par exemple, l’étude de la vitesse de rotation des galaxies. Mais quelles particules la composent et sous quelle forme agit l’énergie sombre, nul ne peut le dire.
Certains scientifiques vont jusqu’à remettre en cause les équations de la relativité générale ou, du moins, proposent que la théorie soit sérieusement amendée. En attendant, il parait hasardeux de choisir définitivement le scénario de l’évolution ultime de notre univers mais il est vrai que cet événement surviendra longtemps, longtemps après que le souvenir même des Hommes ait disparu. Il n’empêche, le cerveau humain est ainsi : curieux, il aime s’interroger même si cela ne le concerne pas directement ; les années à venir apporteront sûrement au moins quelques réponses aux questions que la cosmologie lui pose.
Sources :
* Science et Univers, Hors Série n°8
* www.science-et-vie.com/
* www.lacosmo.com/choix.html
* fr.wikipedia.org/wiki/
* www.astronomes.com/
* www.astrosurf.com/luxorion/
* www.hatem.com/
* http://www.gurumed.org/
Images
1. galaxies lointaines / Hubble Deep Field (sources : lefigaro.fr)
2. Edwin Powell Hubble (sources : phys-astro.sonoma.edu)
3. géométrie de l'univers (sources ; slideplayer.fr)
4. univers lointain (sources : lepoint.fr)
5. répartition de la matière dans l'univers (sources : podcastscience.fm)
6. galaxie géante du sombrero (sources : allwallpaper.in)
7. univers : le grand rebond (sources : blogs.futura-sciences.com)
8 multivers (sources : hitek.fr)
Mots-clés : Big Bang - univers stationnaire - univers en expansion - fonds diffus cosmologique - Edwin Hubble - relativité générale - constante cosmologique - constante de Hubble - matière noire / énergie sombre - Big Chill - Big Crunch - Big Bounce - Big Rip
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mise à jour : 18 mars 2023