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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #éthologie

 

    

                                  tropidoderus-childrenii

 

 

 

 

     Beaucoup de nos contemporains – et pas forcément les moins avertis – n’arrivent pas à comprendre comment l’œil, organe complexe, a pu se constituer de façon progressive au fil des âges alors que, d’après eux, cet organe ne peut être fonctionnel que dans sa forme définitive : comment l’évolution aurait-elle pu retenir « des organes visuels incomplets et donc fonctionnellement impropres », argumentent-ils en souriant. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce (faux) problème dans un précédent sujet (voir l’œil, organe-phare de l’évolution).

 

     De la même façon, bien des gens n’arrivent pas à saisir l’origine des morphologies végétales ou des comportements animaux en apparence extraordinaires, de ces cas que l’on appelle volontiers « des merveilles ou des miracles de la nature ». A partir de quelques exemples, je vais essayer d’expliquer pourquoi la sélection naturelle, et elle seule, est ici à prendre en compte. Il va de soi que, au-delà des quelques modèles retenus, l’approche est bien entendu partout la même.

 

 

 

Des exemples étranges mais édifiants

 

 

     Observons dans un premier temps quelques cas de comportements surprenants glanés dans la littérature éthologiste puis, dans un second temps, nous essaierons de trouver une explication à ces « merveilles de la Nature », explications qui, comme on le verra, sont pratiquement toujours les mêmes.

 

 

·         l’orchidée « trompe-insectes »

 

     Les orchidées ont une stratégie bien particulière pour se reproduire : elles se servent d’insectes venus se repaître de leur nectar pour les enduire de pollen qui sera alors transporté vers une autre orchidée. Sauf orchidee-trompe-abeille.jpgque l’orchidée ne possède pas de nectar et, pour attirer par exemple une guêpe, elle secrète une phéromone précise, c'est-à-dire une odeur identique à celle de la guêpe femelle. Plus encore, certaines orchidées vont jusqu’à posséder une lèvre inférieure (le labelle) identique en forme et en texture au corps de l’insecte femelle (poilue si la fleur cherche à tromper une abeille, glabre pour une guêpe). L’illusion est presque totale : certains naturalistes ont déclaré qu’il leur avait fallu se pencher de près pour s’assurer qu’il s’agissait bien d’une excroissance de l’orchidée qu’ils apercevaient et non véritablement d’une guêpe. C’est ce que l’on appelle du mimétisme. De fait, la fleur trompe vraiment l’insecte qui « croit » avoir affaire à une femelle de son espèce : il va chercher à copuler en se frottant sur l’orchidée et, ce faisant, se barbouille de pollen… qu’il ira déposer sur une autre orchidée prise là aussi, pour quelqu’un d’autre ! Cette « pseudo-copulation », une trouvaille vraiment performante de la Nature pour les orchidées, a évolué de façon indépendante sur trois continents. La question qu’on se pose immédiatement est la suivante : il paraît difficile de croire qu’un mécanisme aussi compliqué, alliant morphologie mimétique (le labelle de l’orchidée) et chimie (la phéromone trompeuse), se soit constitué progressivement : en effet, comment expliquer que la sélection naturelle – qui ne laisse subsister que les éléments favorables – ait pu permettre le maintien d’étapes intermédiaires, forcément inabouties, et, du coup, très désavantageuses pour les orchidées « incomplètes » ? Au premier abord, on pense à l’agencement d’un procédé d’emblée fonctionnel : on se retrouve donc proche du créationnisme… et loin de la réalité, comme on le verra plus tard.

 

 

·         la guêpe fouisseuse

 

     J’ai évoqué dans le sujet « indifférence de la Nature » et à la suite des travaux du formidable entomologiste que fut Jean-Henri Fabre, le comportement bien spécifique de la guêpe fouisseuse dont l’indifférence pour la douleur de ses proies peut sembler de la cruauté à un œil non averti. Fabre imagina avec cet insecte une expérience devenue classique. Il avait remarqué que lorsqu’elle revient vers son trou avec une proie qu’elle a paralysée, la guêpe fouisseuse dépose d’abord sa victime à proximité de son antre puis pénètre dans cette celle-ci afin, semble-t-il, de vérifier queguepe-fouiseuse-Sceliphron-caementarium.jpg tout y est normal et qu’il n’y a aucun danger pour elle, que, par exemple, nul intrus n’y a pénétré en son absence. C’est seulement après s’être ainsi rassurée que la guêpe tire sa victime dans le trou pour la faire dévorer vivante par ses larves. Voilà un comportement bien singulier qui pourrait démontrer une certaine forme d’intelligence. Difficile en effet de croire à première vue qu’une telle attitude ne s’est pas imposée à la guêpe en une seule fois et que ce n’est que progressivement avec le temps qu’elle y a eu recours. Fabre eut donc l’idée de déplacer de quelques cm la proie pendant l’inspection de son domicile par l’insecte. Face à ce changement et une fois ressortie, la guêpe se met normalement en quête de sa proie et la retrouve facilement. Elle la ramène donc mais, bizarrement, repart inspecter son trou comme la première fois. Une troisième tentative donnera les mêmes résultats. On pourra déplacer cinquante fois la proie, chaque fois la guêpe la retrouvera mais recommencera immuablement son manège d’inspection : tout se passe comme si, tel un programme d’ordinateur, l’attitude de l’insecte avait été « réinitialisée », l’obligeant indéfiniment à repasser par les mêmes séquences… La guêpe est facile à tromper et il n’y a ici nulle intelligence...

 

     Mais, me direz-vous, il existe peut-être une autre explication : la vue de la guêpe serait éventuellement approximative, de mauvaise qualité, ce qui guepe-fouisseuse-3.jpgexpliquerait ses « erreurs » (mais pas le soin apporté par l’orchidée déjà citée pour mimer parfaitement le corps de la femelle, on y reviendra). L’explication ne tient pas. En effet, avec le même insecte, l’éthologiste (et prix Nobel) Nicolaas Tinbergen procède de la façon suivante : après avoir repéré le trou d’une guêpe fouisseuse (ici de la variété Philantus, chasseuse d’abeilles), il attend que la guêpe soit dans sa cachette et dispose quelques repères visuels autour d’elle tels une pierre, des brindilles, etc. avant de disparaître. La guêpe sort, décrit trois ou quatre cercles comme pour visualiser mentalement le lieu et s’envole, parfois loin et longtemps, pour trouver une proie. Tinbergen déplace alors les brindilles de quelques mètres. Invariablement, à son retour, la guêpe manque son trou et plonge dans la partie du sol où, d’après ses repères, il aurait dû se trouver. L’insecte a donc une excellente vue (ainsi qu’une très bonne mémoire photographique) mais son comportement est automatique et irréfléchi. Il s’agit à l’évidence d’un comportement génétiquement acquis et il est peu vraisemblable que cela se soit fait en une fois.

 

 

·         La mouette commune

 

     Prenons à présent l’exemple d’un oiseau, la mouette. Pourrait-on trouver chez elle des comportements relevant d’une « intelligence » réfléchie ? Celle-ci a une réaction très caractéristique lorsqu’elle s’aperçoit qu’un de ses œufs a roulé hors du nid (qui est situé à même le sol) : elle s’étire afin d’attraper l’œuf pour le faire avancer sous son bec vers le nid. Comportement remarquable prouvant que l’oiseau, à l’instinct maternel exacerbé, est capable de comprendre que son (futur) petit est en danger ? Certainement pas puisque les éthologues ont pu montrer qu’un tel geste se produit également en présence d’un œuf de poule, d’une pelote de ficelle ou d’une canette de bière.

 

     Concernant toujours la mouette (mais les exemples foisonnent dans toutes les espèces), on sait que les jeunes mouettes mangeuses d’anchoismouette-a-bec-rouge.jpg quémandent de la nourriture à leurs parents et toujours de la même façon : en cognant avec leurs becs sur le point rouge du bec parental. Substituons une forme en carton ressemblant vaguement à une mouette adulte mais porteuse d’un point rouge : les petits cognent dessus et ouvrent leurs becs ; chez les mouettes tout se passe comme si les oisillons ne voyaient de leurs parents qu’un point rouge…

 

 

·         La dinde meurtrière

 

     Dans son livre « Qu’est-ce que l’évolution ? » (Hachette, collection Pluriel), Richard Dawkins rapporte une anecdote étrange concernant cette fois-ci la dinde. Cette dernière, on le sait, est féroce pour tout ce qui concerne la survie de ses petits qui, il est vrai, est parfois problématique tant les prédateurs (belettes, renards, rats, etc.) sont nombreux. La dinde a recours à un comportement très primaire mais également très efficace : elle attaque tout ce qui bouge et ne crie pas comme ses petits. Un éthologue célèbre se rendit compte un jour qu’une de ses dindes avait massacré tous ses petits. Intrigué, il se pencha sur ce problème très spécial et s’aperçut tout bêtement que la dinde en question était sourde ! Pour une dinde, voir quelque chose qui bouge, qui ressemble à ses petits, qui vient en toute confiance se protéger auprès d’elle, ne peut être qu’un ennemi si elle n’entend pas aussi les piaillements accompagnateurs de sa marmaille…

 

 

     Tous ces exemples, choisis parmi tant d’autres, ne sont destinés qu’à montrer qu’il n’existe pas dans la Nature (sauf chez l’Homme et certains primates) de comportements qui ne soient pas génétiquement acquis, et donc ne tombant pas sous le poids de l’évolution. J’ajoute que, bien sûr, l’apprentissage est certainement possible chez l’animal mais il s’agit alors d’un autre contexte. La construction de ces processus est par ailleurs forcément progressive, jamais aboutie du premier coup, nous en reparlerons. Je voudrais à présent terminer ce chapitre par une autre « merveille de la Nature » qui a fait souvent parler d’elle chez les créationnistes ébahis face à cette perfection, la danse des abeilles.

 

 

·         La danse des abeilles

 

     Karl Von Frisch qui fut avec Konrad Lorenz un des fondateurs de l’éthologie moderne rapporte qu’il fut un jour intrigué par le manège étrange d’une abeille : après avoir repéré un peu d’eau sucrée, cette abeille (que Frisch avait préalablement marquée) retourna à sa ruche pour y effectuer une « danse en rond » qui attira immédiatement l’attention de ses congénères. Tous s’envolèrent alors vers la source d’eau sucrée… On sait à présent que cette danse en rond se rapporte à des cibles situées relativement près de la ruche (une trentaine de mètres) mais que pour des distances plus importantes, il existe un autre type de communication codée appelée « danse frétillante ». Cette danse est effectuée à l’intérieur de la abeilles-danse.jpgruche, sur la face verticale du rayon, c'est-à-dire dans l’ombre, sans que les autres abeilles puissent la voir. Ce sont en fait les petits bruits cadencés accompagnant la danse qui sont perçus par les autres insectes : l’abeille informatrice effectue un parcours en huit sans cesse répété et c’est la portion rectiligne au sein de ce mouvement qui indique la direction à suivre. En réalité, les abeilles perçoivent le soleil (même caché par des nuages) grâce à la direction de la polarisation de la lumière… et transcrivent l’information dans leur petit manège. Plus encore, au moyen d’une « horloge interne », l’insecte « dansant » fait subir une rotation à la fraction rectiligne de sa danse de façon à rester en phase, au fil des heures, avec le mouvement du soleil. D’ailleurs, les abeilles de l’hémisphère sud font exactement la même chose mais en sens contraire comme il se doit ! Ce moyen de communication inné permet donc aux abeilles d’indiquer à leurs congénères non seulement la distance mais aussi la direction de l’endroit à explorer. Il s’agit d’un mode de transmission de l’information très rare chez les animaux et il est vraisemblable que, apportant un avantage évolutif certain, il a alors été retenu par la Nature. Cette découverte et les travaux s’y rapportant valurent d’ailleurs en 1973 le prix Nobel de physiologie à Von Frisch. Il semble difficile en première analyse de croire qu’un processus aussi extraordinaire et élaboré ait pu être progressivement sélectionné par l’évolution et pourtant…

 

 

 

 

L’orgueil de l'Homme, encore et toujours

 

 

 

* Le temps

 

     Imaginons un homme vivant, disons, en 1925 qui, grâce à une machine à voyager dans le temps, serait brusquement projeté de nos jours. A part quelques inévitables différences culturelles et sociétales, cet homme, biologiquement et intellectuellement parlant, est tout à fait semblable à n’importe lequel de nos contemporains. Présentons lui, par exemple, un de ces petits organiseurs informatiques que beaucoup d’entre nous possèdent : ne serait-il pas éberlué de voir le concentré de technologie mis à sa portée ? Quoi, cette petite machine tenant dans le creux d’une main est capable d’afficher des photos ou des films pris par lui-même ou par d’autres, de restituer des musiques, de traduire des textes, de prendre etiphone.jpg rappeler des rendez-vous, de posséder une bibliothèque de plusieurs centaines de livres et, plus encore, de communiquer en temps réel avec le reste du monde par le biais d’Internet ? Notre homme de 1925 serait stupéfait, incrédule et soupçonnerait, pourquoi pas ?, quelque diablerie. Comment pourrait-il comprendre – à moins qu’on lui explique le cheminement intellectuel et industriel de la chose – qu’il s’agit d’un objet ayant été le centre de milliers d’agencements successifs, d’erreurs, d’impasses technologiques, de petites et grandes découvertes, tout cela mis bout à bout : face à l’objet fini que représente l’organiseur électronique qu’on lui présente, il se trouverait dans la même situation que le créationniste confondu par la complexité et la haute spécificité de la danse des abeilles ou du mimétisme de l’orchidée…

 

     Il existe toutefois ici deux différences fondamentales avec l’œuvre de la Nature. D’abord, la complexification technologique progressive de l’organiseur est le fruit du travail minutieux et mille fois répété des hommes : à la différence de l‘évolution, il ne s’agit pas de transformations dues au hasard et à la pression de sélection mais bel et bien d’un cheminement intellectuel et conceptuel.  Ensuite, cette (apparente) extraordinaire fabrication s’est faite en peu de temps, en quelques dizaines d’années, ce qui est normal puisque due à l’intelligence dirigée des hommes. Voilà le point sur lequel, je souhaitais insister : dans la Nature, les « objets finis » que nous observons ne se sont constitués qu’au long de millions d’années, après des millions de générations d’êtres vivants nous ayant précédés. L’évolution, la sélection naturelle, ont permis cette progression, non sans erreurs, non sans retours en arrière ou changements multiples de milieux et donc de conditions de sélection, le tout au rythme des mutations génétiques, forcément peu fréquentes pour celles qui ont été retenues. Des mutations, des aménagements qui ont été sélectionnés par l’environnement et la compétition entre les différentes espèces vivantes selon un principe immuable : le hasard qui a permis à telle ou telle mutation de s’exprimer selon les circonstances, à certaines de disparaître, à d’autres de prospérer.

  

 

* La progressivité

  

     Il faut donc du temps, beaucoup de temps pour qu’apparaisse un caractère favorable à une espèce et susceptible d’être intégré à tous ses descendants. C’est encore plus vrai pour un ensemble de caractéristiques conduisant à un organe complexe ou à l’acquisition d’une procédure ou d’un comportement. Cette acquisition se fait petit à petit, à la suite de modifications le plus souvent minimes au point qu’elles peuvent presque passer inaperçues. Oui mais, disent les créationnistes, comment expliquer les étapes intermédiaires durant lesquelles la fonction n’est pas encore apparue ; pourquoi l’évolution les retiendrait-elles puisqu’elles n’apportent rien (ou handicapent) l’individu qui en est porteur ? Tout  a forcément été créé d’un seul coup ! Eh bien les créationnistes ont tort car les étapes intermédiaires « peuvent apporter quelque chose » qui n’est pas (encore) le bénéfice d’arrivée mais suffisant néanmoins pour ne pas être éliminé et oublié. L’organe (ou le processus) incomplet a une fonction encore embryonnaire, archaïque (parfois totalement différente de celle d’arrivée) mais conférant dans tous les cas un avantage sélectif au porteur.

 

     Les orchidées primitives n’avaient pas de nectar et étaient confrontées au problème de la diffusion de leur pollen. Une modification est un jour survenue sur l’une d’entre elles qui a permis, en trompant plus facilement un insecte, de permettre à cette orchidée d’avoir plus de descendants que les autres. La compétition engagée entre les orchidées a fait s’améliorer peu à peu le « piège » qui, au départ, était loin d’être parfait et ne fonctionnait peut-être qu’avec quelques rares insectes, seulement sous certaines conditions d’éclairage, de température, etc. Ce que nous observons aujourd’hui, c’est le résultat de cette évolution, c'est-à-dire un piège bien plus élaboré… et sa complexité peut étonner des esprits peu scientifiques.

 

     Certains éthologistes contemporains de Von Frisch acceptaient bien l’idée que la danse des abeilles existait et même qu’elle pouvait contenir des indications mais ils refusaient absolument de penser que les autres abeilles étaient capables de déchiffrer, de comprendre l’information ainsi délivrée. Il fallut attendre les remarquables expériences de Jim Gould (un peu longues et complexes à décrire ici) pour apporter la preuve qu’ils se trompaient : les abeilles « comprennent » bien les indications de la danse et s’en servent ensuite pour le ravitaillement de l’ensemble de la ruche.

 

     Mais comment expliquer une telle évolution, forcément progressive ?  Cette question passionna Von Frisch qui se mit à étudier tous les insectes proches des abeilles, espérant trouver chez eux des caractéristiques anciennes. Le scientifique mit effectivement en évidence un certain nombre de caractères archaïques existant encore dans la délivrance de l’information chez de lointains cousins des abeilles : il s’agissait là de quelques unes des étapes ayant conduit aux extraordinaires ballets informatifs des abeilles d’aujourd’hui qui, par leur élégance et leur complexité, peuvent induire en erreur ceux qui ne regardent que « le produit fini » sans songer au cheminement qui a été nécessaire pour y parvenir.

 

 

* L’anthropomorphisme

 

     L’Homme a longtemps été comme un enfant de un an contemplant le univers-infini.jpgmonde minuscule de sa chambre et qui, au-delà de ses peluches, ne connaît que ses parents et sa nounou. Il se voit le centre d’un univers qui gravite autour de sa présence et de ses caprices. Comme il ne connaît rien d’autre, l’enfant est le centre de l’Univers dans son intégralité. Les connaissances humaines ont singulièrement progressé et nous savons qu’il existe, au-delà de notre douce Terre, un univers démesuré au sein duquel notre présence est moins que celle d’un grain de sable dans le désert du Sahara : l’Homme sort enfin de l’enfance.

 

     L’abeille voit le monde en ultra-violet et les fleurs qui cherchent à les attirer se parent de courbes et de formes qui nous sont totalement inconnues : nous discernons de façon si différente ! La guêpe croit apercevoir, dans une excroissance de l’orchidée de mieux en mieux imitée au fil du temps, la compagne qu’elle recherche mais que savons-nous des perceptions de l’insecte ? Comment comprendre ce qu’il voit ou ressent ? C’est la raison pour laquelle, nous préférons souvent la facilité qui consiste à prêter nos propres sentiments, nos propres sensations à ce monde animal si étrange. Voir les autres formes de vie à travers le prisme déformant de nos pensées et de nos préjugés s’appelle l’anthropomorphisme.

 

     Certains phénomènes naturels semblent échapper à notre compréhension immédiate : la danse des abeilles – pour reprendre cet exemple – est si ingénieuse, si complexe, si particulière qu’il est tentant d’y voir plutôt du créationnisme que la lente et laborieuse transformation d’une espèce par la sélection naturelle, bras armé de l’évolution. Cette erreur se fonde sur l’orgueil de se croire « à part », d’être le centre de l’Univers, et elle s’appuie sur l’anthropomorphisme pour tenter d’interpréter le vivant qui nous entoure. C’est un mirage qu’il faut absolument éviter : seule une approche objective permet d’y voir un peu plus clair et c’est ce que, heureusement, offre la Science.

 

 

 

 

Images

 

1. mimétisme : tropidoderus childrenii (sources : tpe.mimetisme.e-monsite.com)

2. orchidée trompe-abeille (sources : docroger.over-blog.com)

3 guêpe fouisseuse Scheliphron (sources : www.insectesjardins.com)

4. guêpe fouisseuse entraînant sa proie dans son nid (sources :   jsbouchard.com )

5. mouette à bec rouge (sources : flickr.com)

6. danse des abeilles (sources : tecfa.unige.ch)

7. I.Phone (sources :  syl112002.wordpress.com/)

8. l'univers, infini, hors de portée (sources : toocharger.com)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : évolution - sélection naturelle - orchidées - mimétisme - créationnisme - Jean-Henri Fabre - guêpe fouisseuse - Nicolaas Tinbergen - mouette à bec rouge - danse des abeilles - Karl Von Fritsch - hasard génétique - anthropomorphisme

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires) 

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. l'oeil, organe-phare de l'Evolution

2. les mécanismes de l'Evolution

3. indifférence de la Nature

4. le rythme de l'évolution des espèces 

5. le mimétisme, une stratégie d'adaptation 

6. l'inné et l'acquis chez l'animal

7. parasitisme et Evolution

 

 

 

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mise à jour : 2 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

 

baleine3

 

 

 

 

Au fil des millions d'années qui ont vu les espèces se transformer par sélection naturelle, certaines d'entre elles ont semblé faire demi-tour en revenant à un milieu qu'elles avaient abandonné longtemps auparavant. C'est, par exemple, le cas de la baleine qui, après avoir quitté, comme tous les mammifères, la mer pour la terre ferme, y est ensuite retournée : cela veut-il dire que la baleine d'aujourd'hui a ainsi retrouvé les caractéristiques de son lointain ancêtre ? Comment pourrait-on définir cette apparente régression ? Existe-t-il un « schéma » évolutif des espèces ? A-t-on le droit de dire que l'histoire du vivant peut se répéter, qu'elle peut réemprunter les étapes d'un passé qu'on croyait abandonné à jamais ?

 

 

 

Le pari de Darwin

 

Il y un siècle et demi, Darwin, par une observation minutieuse de la Nature, a posé les bases de la théorie de l'Évolution, jamais remise en cause depuis par les scientifiques, bien que souvent remaniée et réactualisée en fonction des connaissances nouvelles. Le naturaliste anglais ne connaissait pas la génétique - support de l'hérédité - mais il était convaincu que l'acquisition de nouveaux caractères et la perte des anciens était irréversible. C'était une conviction mais nullement une démonstration scientifique : après tout, pourquoi ne pas imaginer - même par hasard - qu'une espèce retrouve ses caractéristiques anciennes, archaïques, à la façon d'un film qu'on aurait repassé à l'envers ?

 

L’ADN est le support de l’hérédité : le code génétique qu’il contient – et ADN-3.jpgque nous avons déjà longuement évoqué (voir par exemple le sujet : le hasard au centre de la vie) – permet la transmission puis l’apparition des caractéristiques qui font appartenir un individu à une espèce donnée. Que ce code comporte une erreur de transcription et voilà le message génétique modifié : c’est cela qu’on appelle une mutation qui pourra être, selon les cas, favorable (pas très souvent), délétère (rarement) ou neutre (cas le plus fréquent). Ces mutations sont totalement indispensables à l’évolution adaptative des espèces mais on comprend que seules celles qui sont favorables seront conservées par la sélection naturelle puisqu’elles confèrent un avantage à leur porteur. Ce nouvel individu, favorisé par la mutation, développera une descendance plus robuste que les autres qui, au fil de quelques générations, en viendra à supplanter peu à peu la population d’origine. On comprend bien cette « avancée » dans le temps mais comment pourrait-il y avoir une « évolution à rebours » ?

 

Pour qu’une espèce voit réapparaître des caractéristiques de son passé, il est certainement nécessaire que : 1. les conditions de milieu aient à nouveau changé et surtout que : 2. l’ancienne formule du code génétique ait été conservée quelque part dans l’ADN transmis au fil du temps. Cela est-il oui ou non possible ? Ce n’est que récemment que la question a pu être tranchée.

 

 

 

L’irréversibilité de l’évolution

 

Des travaux sur l’inévitable mouche à vinaigre (drosophila melanogaster) ont, dans un premier temps, orienté les réflexions sur le problème. On sait que cette mouche est particulièrement intéressante pour drosophile-2.jpgla génétique (c’est d’ailleurs sur elle que les pionniers de la discipline comme Morgan dans les années 1930 ont le plus travaillé) car, à partir d’une souche d’origine dite « sauvage », il est possible d’observer une multitude de mutations qu’on pourra alors étudier en les sélectionnant : la drosophile se reproduit en effet facilement et surtout très vite ce qui permet à un observateur d’examiner des dizaines de générations en quelques semaines. La reproduction du vivant en accéléré en quelque sorte. Des scientifiques ont donc observé une colonie de drosophiles sur une cinquantaine de générations, en modifiant les conditions environnementales (nourriture, luminosité, température, etc.) de façon à faire apparaître un maximum de souches mutées. Chaque fois, ils ont noté les modifications permettant aux insectes de survivre. Dans un deuxième temps, ils ont replacé les mouches dans leur milieu d’origine, point de départ des premiers individus étudiés. Ils ont encore attendu une cinquantaine de générations et… observé que les mouches retrouvaient les caractéristiques de leurs ancêtres du point de départ : normal, me direz-vous, de voir réapparaître les caractères les mieux adaptés au milieu d’origine. Alors, retour en arrière ? Eh bien non ! Les caractères drosophile-mutee.jpgmorphologiques et adaptatifs ont bien reparu… mais avec un matériel génétique différent : les chromosomes des mouches portaient en effet de nombreuses variantes (des allèles) prouvant que l’évolution avait bel et bien continué d’avancer ; il s’agissait en l’occurrence d’une nouvelle adaptation à un milieu identique, donnant des réponses apparentes identiques… mais génétiquement différentes. Ici, l’évolution n’est donc pas revenue en arrière…

 

Aller plus loin dans l’analyse de ce mécanisme d’irréversibilité, c’est chercher à en expliquer les raisons « biologiques ». C’est précisément ce qu’a fait un généticien américain, Joseph Thornton, de l’université de l’Oregon, travaux dont la presse spécialisée s’est récemment faite l’écho. De quoi s’agit-il ? Pour ne pas entrer dans des détails techniques bien trop complexes, essayons de les résumer succinctement. On a dit que des mutations apparaissent au fil du temps et des générations d’individus. De ce fait, puisque les paléontologues savent quand se sont différenciées les différentes lignées animales, il est possible de dater l’apparition des mutations pour, par exemple, une protéine bien précise et de remonter dans le temps jusqu’à la protéine de départ. Thornton  a étudié une protéine spécifique intervenant dans le système endocrinien mais peu importe : appelons-la « protéine GR ». Il est parvenu à récréer la protéineproteine-prostaglandines-copie-1.jpg GR « archaïque », celle qui existait il y a plus de 400 millions d’années et, surtout, il l’a comparée à la protéine GR actuelle. Bilan : 37 mutations successives dont seulement 7 peuvent expliquer les différences entre les deux versions. A quoi ont bien pu servir les 30 mutations inopérantes ? s’est demandé Thornton. Il a donc enlevé les 7 mutations « actives » en pensant obtenir une protéine à nouveau archaïque : surprise, le produit obtenu était complètement inactif, incapable d’entraîner une quelconque action métabolique. La conclusion tombe sous le sens : les mutations « neutres », sans conséquences apparentes, sont en réalité quand même fort importantes puisqu’elles empêchent la protéine de retrouver ses caractéristiques d’origine… Mais pourquoi ?

 

L’explication est la suivante : les modifications neutres n’entraînent aucune action et, du coup, la sélection naturelle ne les enlève pas puisqu’elles n’avantagent, ni ne désavantagent la molécule qui en est porteuse. L’évolution ne les « voit » même pas. Oui mais elles existent, ces mutations neutres, et empêchent la molécule de retrouver sa forme d’origine… et donc ses fonctions. Pour qu’elle redevienne opérationnelle comme au départ, il faudrait que la protéine en question subisse à nouveau les mêmes mutations naturelles, dans le même ordre évolutif mais inversé : il s’agit là d’une éventualité dont, on le comprend aisément, la probabilité est voisine de zéro.

 

Ce qui est valable pour une protéine, l’est a fortiori pour un individu entier, bien plus complexe. On peut donc aujourd’hui affirmer que, non, décidément, l’évolution ne rebrousse pas chemin et que la transformation des êtres vivants – comme l’Histoire – ne repasse pas les plats. On savait depuis le siècle dernier que les nageoires de la baleine n’étaient pas les mêmes que celles de son ancêtre marin : on comprend à présent pourquoi.

 

 

 

Les moteurs de l’évolution

 

L’évolution va toujours de l’avant et ce qui est perdu l’est définitivement. J’ai écrit quelque part dans un autre sujet que 99% des espèces vivantes ayant un jour existé sur notre planète ont disparu pour toujours – après avoir souvent vécu bien plus longtemps que l’Homme ne le pourra jamais - et que l’évolution ne pourra plus les récréer (que l’Homme puisse le faire à partir de quelques brins d’ADN est une autre histoire hors de notre propos d’aujourd’hui). Les êtres vivants se transforment au fil du temps, en fonction des variations du milieu où ils se trouvent, selon des mécanismes complexes que l’on commence à décrypter et dont on sait que le hasard est le grand ordonnateur (ce qui est logique si c’est le milieu qui commande). Quatre moteurs principaux sont aujourd’hui retenus par les spécialistes :

 

les mutations dont on vient de parler et qui représentent la source de nouveauté véritable de l’évolution ;

 

la sélection naturelle qui permet de sauvegarder ou non tel ou tel caractère en fonction de ce qu’il peut apporter à un individu confronté à un milieu donné ;

 

les mécanismes de brassage, c’est à dire tout ce qui permet la diversification des espèces (reproduction sexuée, isolement géographique, grandes migrations, etc.) 

 

et la dérive, facteur moins connu (qu’on appelle aussi le hasard d’échantillonnage) : puisque les parents n’ont forcément qu’une descendance limitée, il ne peut exister qu’une très faible partie des combinaisons génétiques possibles (leur nombre potentiel est en effet immense et seules quelques rares d’entre elles voient le jour) et c’est le hasard - et lui seul - qui permet l’apparition de l’une ou l’autre.

 

     Au bout du compte, le grand mouvement de l’évolution des êtres vivants est donc conditionné par le hasard puisqu'une mutation sera ou non maintenue en fonction d’un milieu précis, d’un échantillonnage particulier, hasard.vaguesld’un brassage opérant ou non… C’est la raison pour laquelle j’insiste souvent sur le fait qu’on ne peut pas parler de progrès (les rats musqués sont-ils mieux adaptés, plus « évolués » que les velociraptors ? Tout dépend du temps et du lieu dont on parle). Il ne faut pas parler de progrès mais d’une évolution adaptative. Le « progrès » si cher à certains n’est qu’une vue de l’esprit qui relève peut-être de la philosophie mais certainement pas de la science : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Darwin avait ce mot en horreur. Et cela mettait en rage ses détracteurs qui, eux, positionnaient l’Homme en haut de l’échelle du vivant, l’Homme but ultime d’une évolution universelle qui n’aurait été créée que pour lui. Egocentrisme et vanité, quand vous nous tenez…

 

Dans son remarquable livre « la vie est belle », le paléontologue mondialement reconnu que fut Stephen Jay Gould écrivit quelques lignes que je ne peux m’empêcher, pour terminer ce sujet, de citer ici tant elles résument bien le sens de mon propos : « … Chaque fois que l’on redéroule le film, l’évolution prend une voie différente de celle que nous connaissons. Mais si les conséquences qui en découlent sont tout à fait différentes, cela ne veut pas dire que l’évolution est absurde et dépourvue de tout contenu signifiant : quand on redéroule le film, on s’aperçoit que chaque nouvelle voie empruntée est tout aussi interprétable, tout aussi explicable a posteriori que celle qui a été réellement suivie et que nous connaissons. Mais la diversité des itinéraires possibles montre à l’évidence que les résultats finaux ne peuvent être prédits au départ. Chacune des étapes a ses propres causes mais on ne peut dire quels états finaux seront réellement atteints ; et aucun de ceux-ci ne sera à nouveau obtenu lorsqu’on redéroulera le film, parce que chacune des nouvelles voies de l’évolution se réalise par l’enchaînement de milliers d’étapes imprévisibles. Changez faiblement les événements initiaux, si faiblement que cela peut paraître sur le moment n’avoir qu’une minime importance, et l’évolution se déroulera selon une direction toute différente. » Stephen J. Gould, in « la vie est belle, les surprises de l’évolution » Edition du Seuil, collection Sciences).

 

 

 

 

Images

 

1. baleines (sources : regional02.ca)

 

     2. l'ADN et sa double hélice (sources : nature-biodiversite.forumculture.net)

 

3. drosophiles dont l'importance en génétique n'est plus à démontrer (sources :www.pbase.com)

 

4. drosophile mutée : ici, l'individu a deux paires d'ailes mais ce pourrait-être une patte surnuméraire, des ailes vestigiales, l'absence des yeux, etc. (sources : www.inrp.fr)

 

5. représentation 3D d'une protéine (prostaglandine). Une mutation peut modifier la dimension spatiale d'une molécule ce qui la rend incapable de reconnaître secondairement un transmetteur métabolique (sources : www.astrosurf.com)

 

6. le hasard est partout et nulle part (sources : ossiane.blog.lemonde.fr)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 

 Mots-clés : baleine (évolution) - Charles Darwin - génétique - théorie de l'évolution - ADN - mutation - sélection naturelle - mouche drosophile - Joseph Thornton - hasard - brassage - dérive ou hasard d'échantillonnage - Stephen J. Gould

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 

 Sujets apparentés sur le blog :

 

1. les mécanismes de l'Evolution

2. reproduction sexuée et sélection naturelle

3. le hasard au centre de la Vie

4. la notion d'espèce

 

 

 

 

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Mise à jour : 3 mars 2023

 

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La mort et autres voyages, recueil de nouvelles (djeser2.over-blog.com)

 

 

 

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