Dans un article précédent, nous avions évoqué la stratégie d’adaptation fort répandue dans le domaine du vivant qu’est le parasitisme (voir le sujet : parasitisme et évolution). Il existe, nous l’avons donc vu, de nombreuses formes de parasitismes dont certaines sont très élaborées mais l’une des plus surprenantes est celle développée par l’un des hôtes de nos bois, l’emblématique coucou. Arrêtons-nous un instant sur les agissements de ce sympathique (?) parasite.
La stratégie du coucou
Lors d'une promenade en forêt, il arrive qu'on découvre un nid avec un petit oiseau occupé à nourrir sa progéniture. Sauf qu’il arrive parfois que le rejeton affamé soit deux fois plus gros que la petite femelle vouée à tarir son féroce appétit. En réalité, l’oiseau dispense ses soins à un oisillon qui n’est pas de sa lignée puisqu’il s’agit d’un bébé coucou (il existe toutefois d’autres oiseaux pratiquant ces subterfuges). La mère coucou a pondu son œuf dans un nid destiné à une autre espèce de manière à s’épargner l’effort de nourrir son petit mais l’histoire ne s’arrête pas là : le bébé coucou se
retrouve en concurrence avec les oisillons « légitimes » de l’espèce parasitée et il va faire tout son possible pour se débarrasser de ses rivaux. Il n’est ainsi pas rare de voir le bébé coucou, encore aveugle, portant les autres œufs sur son dos afin de les expulser du nid et rester seul à profiter des largesses de sa mère adoptive…
Charles Darwin en son temps s’était interrogé sur ce curieux comportement et il avait conclu que l’économie de temps et d’énergie ainsi réalisée permettait aux parents coucous de mieux se consacrer à la conception d’une plus importante progéniture.
Reste à savoir pourquoi les oiseaux parasités ne semblent pas se révolter devant cette indéniable agression mais on verra qu’en fait ils cherchent bien à réagir ce qui entraîne de la part du coucou une série de contremesures aboutissant à une véritable « course aux armements ».
Le coucou commun de nos régions
Le parasitisme de couvée est en définitive peu fréquent chez les oiseaux (1 % environ) bien qu’il concerne plusieurs espèces comme les pinsons parasites, les carouges américaines, etc. Concernant les coucous, il en existe des dizaines de variétés mais le plus étudié est le coucou gris (cuculus canorus). Migrateur, son arrivée en mars en Europe signe le retour du printemps. Discret, il est repérable par son chant caractéristique qui lui a donné son nom. Comme il mesure 30 cm
environ, il a la taille d’un épervier auquel il ressemble, notamment en vol. Le coucou est doté d’une vue perçante qui lui permet de se nourrir de chenilles ou de vers de terre. En somme, un oiseau presque comme un autre… si ce n’est ce parasitisme de couvée qui l’a rendu célèbre. Il ne faut néanmoins pas s’y tromper : cette sorte de parasitisme n’est pas si aisée à assumer en termes d’évolution. En effet, le coucou doit constamment s’adapter aux stratégies défensives de ses victimes… Par ailleurs, une telle attitude pose un autre problème théoriquement difficile à résoudre : le pique-assiette doit s’assurer que ses rejetons identifieront formellement les représentants de leur espèce alors qu’ils ont été élevés par d’autres.
Une course aux armements
L’hôte et le parasite luttent en fait à chaque moment du parasitage : à chaque action de l’un s’oppose une contre-mesure de l’autre dans ce qui est un combat réel pour la survie des uns et des autres. On peut schématiquement découper cette lutte en quatre stades chronologiques.
* étape de la ponte
- D’instinct, l’hôte (qui a peut-être déjà été parasité) va cacher son nid du mieux possible mais le coucou possède ici une très efficace mémoire spatiale qui lui permet généralement de localiser le nid convoité. Ailleurs, certaines espèces se défendent en avançant le début de la ponte ce qui prend le parasite de vitesse : découvrant un état d’incubation trop avancé, il arrive alors que le pillard saccage le nid d’où une nouvelle ponte de l’hôte permettant enfin au parasite de déposer son œuf…
- la stratégie de la défense à tout prix peut se révéler efficace : le couple hôte attaque le coucou qui va, ensuite, se faire très discret, presque furtif, ou, au contraire, exhiber son ventre qui ressemble à celui de l’épervier et ce afin de terroriser ses victimes. Des scientifiques ont également rapporté un comportement bien particulier de certains coucous dont le mâle « attaque » le nid et se laisse poursuivre par l’hôte tandis que la femelle coucou en embuscade en profite pour pondre son œuf dans le nid : il ne lui faut que deux à trois secondes !
* étape de l’œuf
- L’hôte qui a repéré l’œuf parasite peut adopter trois parades : il peut décider de s’en débarrasser en l’éjectant. Il peut également enfouir sa propre couvée avec l’œuf parasité avant de produire une nouvelle couvée superposée à la précédente qui sera du coup détruite. Enfin, une réponse plus radicale est tout simplement d’abandonner le nid. Pour ne pas « troubler » l’hôte et le pousser à adopter des mesures radicales, le coucou répond souvent par anticipation en pondant des œufs qui, au fil du temps, sont devenus pratiquement identiques à ceux de l’hôte par une sorte de mimétisme empirique. En Europe, le coucou gris parasite plus d’une dizaine d’espèces ayant chacune des œufs spécifiques d’où l’apparition de coucous quasi-spécialisés avec des œufs d’aspect différent…
- Face à cette menace, l’hôte malgré lui va avoir recours à la différenciation de ses œufs (polymorphisme). Certains hôtes (Chine, Afrique) dotent leurs œufs de caractéristiques qui les rendent très difficiles à imiter, en modifiant par exemple leur couleur ou en incorporant des marbrures sur la coquille. Hélas pour eux, il a été constaté que les parasites ont rapidement fait évoluer leurs œufs pour qu’ils ressemblent à ceux de leurs hôtes…
- Dans certains cas, l’hôte ne cherche tout simplement pas à se débarrasser de l’œuf parasite. Cette attitude peut sembler paradoxale mais elle s’explique. En effet, en cherchant à expulser l’œuf incongru, l’hôte peut blesser sa propre couvée, voire éjecter le mauvais œuf. Ou pire : s’exposer à une attitude belliqueuse de la part du coucou qui, face à l’expulsion de son œuf, vient tout simplement ravager le nid et la couvée de l’hôte. Ce comportement quasi-maffieux du parasite explique pourquoi il peut sembler plus rentable pour l’hôte d’accepter l’œuf parasite en faisant bien attention de nourrir également sa propre progéniture.
* étape de l’oisillon
Nous avons déjà mentionné que, afin d’être seul à bénéficier des largesses de sa mère adoptive, l’oisillon coucou élimine les œufs de l’hôte. Cette stratégie révèle toutefois ses limites lorsque le parent hôte arrive à « reconnaître » le survivant comme un étranger qu’il
décide alors de ne plus nourrir, voire de carrément éliminer en le jetant hors du nid. Comment peut alors réagir l’oisillon parasite ? Eh bien par une sorte de mimétisme qui consiste à imiter les vocalises des petits de l’hôte afin de tromper ce dernier… Il a même été rapporté, pour certains oiseaux parasites voisins du coucou, l’apparition d’une étape supplémentaire : l’oisillon parasite présente des motifs colorés inspirés de ceux que présentent les petits légitimes lorsqu’ils ouvrent le bec pour quémander la nourriture.
* étape de l’envol
Lorsque l’oisillon coucou est élevé avec des oisillons légitimes, les parents adoptifs finissent par le reconnaître après qu’il a quitté le nid et refusent de le nourrir durant le temps encore nécessaire à acquérir son indépendance complète. Le jeune coucou est alors livré à lui-même mais, au contraire de certains autres oiseaux parasites, il ne meurt pas forcément car il part aussitôt à la recherche d’autres nids à parasiter qu’il trouve assez souvent : il se fait alors nourrir par d’autres mères-hôtes…
L'Évolution, à la suite d'essais plus ou moins réussis et sans doute répétés presque à l'infini au fil du temps, a permis au coucou d'adopter une stratégie quasi-unique chez les oiseaux qui consiste à profiter de l'autre, à lui faire faire l'effort à votre place. Un comportement probablement dangereux mais qui, chez lui, a réellement porté ses fruits.
L’Évolution est une longue aventure
Le coucou (et quelques autres oiseaux du genre) est un bon exemple de ce que l’Évolution peut produire au fil de millions d’années. Nous avions vu dans le sujet précédent consacré au parasitisme qu’il arrivait que certaines espèces fassent preuve d’une ingéniosité particulière pour utiliser des ressources qui appartiennent à d’autres. Ainsi nous avions par exemple évoqué la guêpe fouisseuse qui sait exactement où piquer le cafard pour l’immobiliser mais en le maintenant en vie afin qu'il serve de garde-manger pour ses petits. Ou le protozoaire toxoplasma gondi qui modifie le comportement des rats, son hôte intermédiaire, en les faisant se jeter dans la gueule d’un chat dont le tube digestif est son hôte final. De tels comportements interpellent tant ils semblent si complexes à mettre en place qu’on peut parfois être saisi d’un « vertige finaliste », solution facile qui n’est nullement nécessaire. La saga du parasitisme de couvée nous montre combien des attitudes en apparence finalisées ne sont que la succession d’étapes acquises au cours du temps. Il s’agit en réalité de compétitions entre espèces qui se jouent au gré de mesures et contre-mesures complexifiant progressivement le comportement de chacun.
On ne peut comprendre l’Évolution que si l’on songe au temps considérable (en millions d’années et donc en générations d’individus) nécessaire pour aboutir aux comportements existant aujourd’hui et bien sûr toujours en transformation.
Sources :
- Wikipédia France
- encyclopaedia britannica
- revue Pour La Science, 519, janvier 2021
Images :
- coucou gris d'Europe (sources : salamandre.net)
- une mère abusée (sources : screenville.blogspot.com)
- oisillon coucou détruisant un oeuf rival (dailymail.co.uk)
- coucou perché (sources : fr.wiktionary.org)
- oeuf de coucou parasitant un nid (sources : flickr.com)
- premier servi ! (sources : the-ethologist.blogspot.com)
Mots-clés : parasitisme - contre-mesures et stratégies de défense - théorie de l'Évolution
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Mise à jour : 24 mars 2023