En dépit de l’intitulé de l’article, nous ne parlerons bien sûr pas du pasteur incarné par Robert Mitchum dans le film du même titre et de son angoissante poursuite à travers les USA des deux enfants dont il a assassiné la mère. En fait, nous allons nous intéresser à d’autres chasseurs de la nuit, ceux de la prédation nocturne (assez différente comme on le verra de celle, mieux connue, qui se déroule en plein jour) ou, pour être plus précis, nous allons essayer d’identifier les contraintes de milieu et les solutions trouvées par les animaux ayant fait leur spécialité d’une vie dans l’obscurité. Poussés par des obligations géographiques, climatiques, de pure concurrence ou d’adaptation à une niche écologique, certains de ces animaux ont été amenés au cours de l’Évolution à trouver des solutions parfois très astucieuses. Bien entendu et comme toujours, cela leur a pris des centaines de milliers d’années pour, grâce à la sélection naturelle, déterminer la réponse appropriée à leurs problèmes spécifiques.
la prédation nocturne
Par définition, il s’agit de l’action des prédateurs durant la nuit. Toutefois, il en existe bien des nuances. On oppose ainsi la prédation strictement nocturne (action dans l’obscurité complète) à la prédation crépusculaire (fort variable en durée selon les latitudes) puisque certains animaux chassent préférentiellement au lever du jour et à la tombée de la nuit. La prédation nocturne complète peut être induite par un milieu (poissons des profondeurs marines, animaux vivant en permanence dans des grottes sans lumière et géographiquement isolées) ou par un comportement (animaux dormant le jour et chassant la nuit). De la même façon, il convient de distinguer la prédation nocturne permanente de certains animaux par rapport à celle qui varie selon les saisons (ours blanc en milieu polaire) ou les conditions locales (dans cette catégorie signalons, par exemple, la prédation nocturne du loup lorsqu’il y a présence humaine alors que, naturellement, cet animal est un prédateur diurne). Et, bien sûr, il existe des prédateurs « mixtes » comme la musaraigne, aussi active de jour que de nuit.
Quoi qu’il en soit et contrairement à ce que croient beaucoup de gens, la prédation nocturne est très répandue et est pratiquée par la presque totalité des rongeurs, les trois-quarts des marsupiaux et la grande majorité des 1200 espèces de chauve-souris dont on a déjà dit qu’il s’agissait des mammifères les plus nombreux sur notre planète. Les primates ne rechignent pas à ce type de chasse (1 sur 5 environ) et même quelques oiseaux en sont adeptes comme on le verra par la suite. Rappelons pour mémoire que les premiers mammifères étaient tous des prédateurs nocturnes, un état qui ne cessa pour la plupart d’entre eux qu’avec la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années !
Quelles peuvent donc être les raisons de ce choix en apparence plus difficile à assumer ? La première explication tombe sous le sens : vivre la nuit, c’est échapper… à ses propres prédateurs, l’obscurité permettant (en principe) de mieux se cacher. Mais ce n’est pas tout : choisir la nuit, c’est également fuir certains milieux particulièrement éprouvants de jour et on pense alors à l’écrasante chaleur du désert qui explique la prédation nocturne du scorpion. C’est aussi – et peut-être surtout – le souci de limiter la compétition avec les espèces diurnes pour l’eau et les territoires de chasse : un partage de raison en somme…
Selon le type de prédation nocturne choisi par un animal, il lui est indispensable, pour repérer et se saisir de ses proies, de disposer d’armes spécifiques et on verra que certaines d’entre elles sont tout à fait étonnantes.
Différents types d’adaptation
L’Évolution a permis l’apparition de multiples adaptations pour une prédation nocturne maximisée et on peut dire que, quelle que soit la niche écologique envisagée, il existe toujours une réponse. Bien sûr, pour chacun des cinq sens connus, des solutions adaptées ont été trouvées pour survivre la nuit mais pas seulement puisque nous verrons également, développées par certains animaux, des facultés réellement étranges… mais tout aussi efficaces !
* la vue : à tout seigneur, tout honneur, il s’agit à l’évidence du sens auquel, nous autres humains, pensons en premier parce que nous sommes particulièrement mal adaptés à la vie nocturne. Éliminons d’emblée les sites à obscurité totale et permanente (nous y reviendrons) puisque leurs habitants n’ont pas besoin d’yeux (source de fragilité et d’infection, ils sont volontiers recouverts d’une épaisse membrane quand ils n’ont pas tout simplement disparu), des yeux qui, de toute façon, ne pourraient pas capter de lumière d’où leur involution presque généralisée conduisant à des espèces aveugles compensant par d’autres moyens…
A l’extérieur, en revanche, la nuit, l’obscurité n’est jamais totale : lune, étoiles, réverbérations diverses font qu’il peut être très intéressant pour un prédateur de disposer d’un organe visuel performant. Le champion toutes catégories est ici un petit animal appelé tarsier qui est le plus petit primate du monde, pas plus haut qu’une main d’adulte : ses yeux sont énormes par rapport à sa taille (5% de son poids total) et peuvent donc capter bien plus de lumière, d’autant qu’il ne voit plus vraiment les couleurs, cette « régression » lui permettant de mieux distinguer la nuit ses proies, les insectes.
Plusieurs espèces animales ont évolué dans ce sens (certaines araignées, la chauve-souris roussette) : citons le hibou grand-duc qui, avec une taille de moins de 75 cm, a des yeux aussi gros que les humains mais voit bien mieux qu’eux. Ses yeux sont si volumineux pour sa taille qu’il ne peut les faire bouger dans leurs orbites mais, heureusement pour lui, il possède un cou si flexible qu’il peut voir à 270° : malheur à la souris qui se faufile entre les herbes !
D’autres moyens d’adaptation à la vision nocturne ont été trouvés par les prédateurs. Certains, comme le chat, le loir, plusieurs espèces de renards ont des pupilles verticales. L’intérêt ? Dilatée dans l’obscurité, ce type de pupille se referme en pleine lumière, évitant l’éblouissement et permettant une meilleure perception des détails en plein jour.
Ailleurs, certaines espèces ont sacrifié une bonne perception des couleurs en développant surtout leurs bâtonnets, ces cellules de la rétine, afin de retenir essentiellement les nuances de gris : c’est un type de vision qui convient le mieux aux animaux comme le chat (ou la chauve-souris roussette) traquant le mouvement, par opposition à ceux qui cherchent à repérer des objets fixes (comme une cerise dans un arbre) nécessitant alors une bonne discrimination des couleurs (oiseaux).
Enfin, signalons, dans ce paragraphe consacré à la vision, la présence d’une membrane oculaire spéciale chez le chien, le loup, le hibou, le dauphin, etc. qui amplifie la lumière : c’est la raison pour laquelle, sur une photo, les yeux d’un chien brillent comme des phares ! Le chat possède aussi cette membrane : associée aux caractères nocturnes déjà évoqués pour lui, on comprend pourquoi ce félin est un chasseur redoutable la nuit.
* le toucher est également important pour celui qui ne peut pas bien voir : le scorpion, par exemple, est pratiquement aveugle et sourd mais il possède une arme redoutable. Cet animal peut en effet détecter les vibrations même infimes du sol car les extrémités de ses pattes sont garnies de petits organites sensoriels ; il effectue alors une sorte de triangulation avec ses membres et repère l’endroit d’où provient le mouvement (sensibilité jusqu’à 20 cm en surface et 50 cm en profondeur). Il se jette ensuite sur sa proie avec une précision démoniaque. Les mygales procèdent d’une façon identique (enregistrant de plus les déplacements d’air), héritières qu’elles sont des araignées à toiles qui enregistrent les vibrations de leurs pièges mortels. La guêpe d’Amérique du sud le sait d’ailleurs bien, elle qui va « piétiner » devant l’antre de la mygale pour la faire sortir et l’immobiliser avec son dard (si elle est assez rapide) pour qu’elle serve ensuite de repas progressif à ses petits…
Une variante de cette sensibilité du toucher concerne les rongeurs, le cheval, le phoque, les félins (et donc encore le chat) : des moustaches extraordinairement sensibles, au toucher bien sûr mais aussi aux mouvements de l’air… dus au déplacement d’une proie potentielle.
* l’ouïe : « quand on ne sait pas voir, il faut écouter » dit le bon sens populaire. De nombreux animaux ont mis en pratique cet adage. La chouette, par exemple, bien qu’elle ait de grands yeux, se sert essentiellement de son ouïe pour repérer ses proies : celle-ci est si aiguisée que l’oiseau peut localiser une souris se faufilant dans des herbes hautes au cœur de la nuit la plus noire. De plus, ses oreilles, cachées sous un lit de plumes, sont asymétriques, la droite étant située plus haut que la gauche permettant ainsi une sorte de triangulation sommaire bien utile. Son cousin le hibou possède la même faculté ainsi que nombre d’insectivores à la vue basse (taupe, hérisson)… de même que le renard, ce qui explique pourquoi ce dernier est si difficile à attraper par l’homme.
Capacité voisine de l’ouïe, l’écholocation est pratiquée par les chauves-souris insectivores ; elle consiste à émettre des ultra-sons et à en analyser l’écho : l’animal est alors instantanément capable de situer une proie même volante en estimant jusqu’à sa vitesse de progression. Certains cétacés et oiseaux (martinet) possèdent également cette faculté, quoique à un stade plus rudimentaire.
* autre sens hyperdéveloppé chez certains prédateurs nocturnes : l’odorat. Cette faculté concerne les amphibiens, les lézards et les reptiles. Un lézard venimeux d’Amérique du nord, le « monstre de Gila », lent et massif, vivant dans les déserts et les garrigues, est capable de sentir ses proies… avec sa langue. Son organe de l’odorat est en effet situé au bout de celle-ci ce qui lui permet de repérer ses proies, par exemple des œufs, jusqu’à 15 cm de profondeur et même de suivre leur trace s’ils ont été bougés. Un autre lézard, le varan géant appelé dragon de Komodo, est capable, lui, de repérer des proies jusqu’à 4 km parce qu’il avance en balançant la tête de droite et de gauche, langue tirée, pour étudier les molécules de l’air. On comprend que de telles techniques de chasse peuvent remplacer efficacement la vue ou l’ouïe !
* certaines adaptations sont très étonnantes
Au-delà de la transformation des organes sensoriels classiques, certaines espèces ont développé des facultés originales – et parfois même étranges – mais le but est toujours le même : disposer d’un avantage sur les autres créatures de la nuit.
. la thermoréception : grâce à des organes spécifiques, certains animaux sont capables de détecter des sources de chaleur dans la nuit totale. Cette capacité concerne certains serpents comme les boas, les pythons et le crotale mais aussi la chauve-souris vampire. La proie est ici repérée par des capteurs à infrarouge (sensibles au millième de degré près) et un animal à sang chaud, même tapi au fond d’un trou, ne peut échapper au serpent qui s’avance inexorablement vers lui. Notons que la chauve-souris vampire, quant à elle, se sert de ses détecteurs de chaleur pour identifier sur la proie la position exacte des vaisseaux sanguins et y planter ses crocs ce qui est son objectif final.
. L’électroluminescence : profiter de l’obscurité pour y briller semble le but de ces animaux. Sous nos climats existe la luciole dont on peut, par les belles nuits d’été, apercevoir dans les buissons la chaude lumière jaune-vert ; c’est grâce à cette luminescence, en fonction d’une intensité et d’un rythme donnés pour chaque espèce, que les femelles peuvent choisir un mâle. Attention toutefois : une espèce particulière de lucioles imite les clignotements d’autres espèces pour attirer leurs mâles et les dévorer. Comme quoi rien n’est jamais simple dans la Nature !
Ailleurs, l’électroluminescence sert réellement à tromper : un poisson des profondeurs océanes (-3000 m), Chaenophryne longiceps, en forme de boule et d’un noir de jais, possède un leurre luminescent qu'il brandit au bout d'une tige membraneuse devant sa gueule béante aux dents acérées ; les proies se précipitent vers ce phare dans la nuit noire sans voir la bouche du prédateur derrière. Ce poisson est d’ailleurs très spécial et je ne résiste pas à l’envie de vous raconter son mode de reproduction bien particulier. Le mâle est ici beaucoup plus petit que la femelle et il passe son temps à la chercher ; il la repère grâce à son odorat très développé et se colle à elle en la mordant et en libérant de ce fait une enzyme qui dissout sa bouche et la partie mordue de la femelle : les deux animaux fusionnent alors leurs systèmes sanguins et le mâle se met à mourir lentement en se dissolvant progressivement, d’abord les organes digestifs, puis le cerveau, les yeux, ne laissant au final qu’une paire de testicules qui libèrent alors le sperme. Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Le poisson hachette nage, quant à lui, vers 300 m de profondeur, limite de pénétration de la lumière naturelle. De ce fait, vu par en dessous, ce poisson expose sa silhouette et il pourrait alors être repéré par un prédateur. Pas de problème : des cellules spéciales appelées photophores « s’allument » sur son ventre et accommodent un éclairage identique à la lumière (presque résiduelle) qui vient de plus haut ; une illusion et une cachette parfaites !
. l’électrosensibilité : ce phénomène existe surtout chez les poissons et consiste à générer un petit champ électrique qui permet de se guider dans les eaux obscures de la nuit ; le poisson repère alors les obstacles sur son chemin mais aussi les proies éventuelles qu’il va pouvoir chasser. Portée à son maximum, cette faculté est l’apanage du poisson trompette (Ramphichthys rostratus) qui émet de très brèves impulsions entrecoupées par des intervalles 10 fois plus longs ; il reçoit en retour les variations du champ électrique ambiant analysées par des cellules spéciales disposées sur l’ensemble de son corps et peut ainsi interpréter la présence de congénères… ou de proies. Près de 500 espèces de poissons sont connues pour posséder ainsi une sensibilité particulière aux variations de champ électrique.
. terminons cette énumération de tous les artifices inventés par l’Évolution pour permettre la survie en univers hostile (dans la Nature, il l’est toujours) par un petit animal qui vit dans les prairies de chez nous, le bousier. Ce coléoptère passe son temps à transporter des excréments dont il fait même son terrier. On peut voir les difficultés que cette petite bête a à transporter sa « boule » le plus souvent bien plus grosse que lui dans l’excellent film « Microcosmos » sorti sur les écrans il y a quelques années. Mais comment fait-il pour se diriger toujours en droite ligne ? Eh bien, il se fie aux étoiles ou plus exactement à la position de la Voie lactée. En effet, plusieurs études ont montré qu’il suivait sa route parfaite même en l’absence de la lune. Il faut un ciel particulièrement couvert pour que le bousier perde la régularité de son épopée nocturne. Ce n’est pas le seul animal à se servir du ciel pour se guider : les oiseaux migrateurs sont bien connus pour posséder cette capacité et, depuis peu, on sait que c’est également le cas des phoques.
On a pu constater au cours de ce petit tour d’horizon de la prédation nocturne combien la Nature est ingénieuse et a permis au fil du temps la juxtaposition de bien des techniques de chasse… ou de dissimulation car, bien sûr, les unes ne vont pas sans les autres.
Nocturne ou diurne, la prédation est le moteur de la Vie
La prédation est indispensable à la vie puisque celle-ci est une compétition permanente entre les différentes espèces d’êtres vivants. Dans la nature, il n’existe ni compassion, ni clémence, ni justice, jamais ! Ces « bons sentiments » ne sont que des notions spécifiquement humaines. En réalité, dans la Nature, c’est le mieux adapté ou le plus chanceux qui survit. La nuit n’échappe bien sûr pas à la règle et il s’y développe autant de luttes farouches que le jour : seules les techniques diffèrent quelque peu puisqu’il faut ici s’avoir s’adapter à l’obscurité. Puisque tout prédateur est celui d’un plus faible mais la victime potentielle d’un plus fort, les « solutions » trouvées par l’un ou par l’autre pour disposer d’un avantage évolutif sont chaque fois contrebalancées par des adaptations contraires, des sortes de « contre-mesures » naturelles qui permettent d’échapper autant que faire se peut à la prédation de l’autre. Des espèces qui ne se seraient pas soumises à cette course sans fin vers toujours plus d’armement ne sauraient survivre. D’ailleurs, lorsqu’on prend le temps d’y réfléchir, on comprend qu’elles ont déjà disparu : ne subsistent à ce jour que les mieux adaptées, le jour comme la nuit.
sources
1. Science & Vie, HS n° 266, mars 2014
2. www.oiseau-libre.net
3. Wikipedia.org
4. www.animaniacs.fr
5. www.linternaute.com
6. www.bestioles.ca
images
1. scorpion (source : one360.eu)
2. meute de loups (source : humour-canin.com)
3. forêt étoilée (source : blogdumoderateur.com)
4. tarsier (source : en.wikipedia.org)
5. chat (source : fremalo0680.canalblog.com)
6. chouette (source : carte-france.info)
7.varan (dragon de Komodo) (source : chloechappuis.blogspot.com)
8. crotale (source : jfbalaize.free.fr)
9. chaenophryne longiceps (source : en.wikipedia.org)
10. bousier (source : margincall.fr)
(pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
mots-clés : tarsier - électrolocation - dragon de Komodo - thermoréception - électroluminescence - sélection naturelle - avantage évolutif
(les mots en blanc renvoient à des sites d'information complémentaires)
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mise à jour : 13 mars 2023