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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

ethologie

Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie

 

      lion mange

 

 

 

 

 

     Une chaîne alimentaire est un ensemble d’êtres vivants de niveaux différents au sein duquel chacun se nourrit des organismes de niveau inférieur dans le but de se développer. On comprend donc que le premier niveau de cette chaîne est toujours un organisme de base qui transforme de la matière inorganique en matière organique : c’est, par exemple, le cas chaine-alimentaire.jpgdu phytoplancton en milieu maritime ou des bactéries dites thermophiles  dans les profondeurs abyssales où ne pénètre pas la lumière du Soleil. En réalité, il existe de nombreuses chaînes alimentaires différentes selon les milieux et, au total, on devrait plutôt parler de « réseau trophique » pour caractériser l’ensemble des relations existant entre différents organismes dans un espace défini, le biotope. Quoiqu’il en soit, il existe une sorte d’interaction pyramidale entre les différents intervenants d’un même milieu, la base étant constituée par l’organisme le plus simple et le sommet par des « superprédateurs » en principe à l’abri des autres organismes  (l’Homme est souvent ce superprédateur).

 

     Lorsqu’on considère une chaîne alimentaire donnée, l’idée couramment admise est que, en supprimant le superprédateur, on permet un plus grand développement de tous les animaux de niveau inférieur. Par exemple, on avance souvent que pour permettre la survie d’une espèce comme les castors, il suffit de limiter (ou d’éliminer) son superprédateur, le loup. En fait, rien n’est plus faux et c’est sur ce point bien particulier que j’aimerais revenir aujourd’hui.

 

 

 

Quelques idées reçues sur les chaînes alimentaires

 

 

     Durant des siècles, on a pensé qu’une pyramide alimentaire se comprend dans le sens ascendant : par exemple, les plantes nourrissent les herbivores ; les herbivores nourrissent à leur tour les carnivores au sommet desquels les superprédateurs règnent en maîtres. Dès lors, supprimer le prédateur situé au sommet de la pyramide permet de « libérer » toutes les catégories situées en dessous de lui, catégories qui peuvent alors prospérer. Il s’agit à l’évidence d’une approche très intuitive, d’ailleurs devenue l’idée couramment admise, mais est-elle vraiment exacte ?

 

     Au début du XXème siècle, certains scientifiques de l’écologie commencent à se poser des questions : et si le sommet de la pyramide, le prédateur suprême, par sa présence régulait harmonieusement tout l’ensemble ? En d’autres termes, se pourrait-il que la pyramide alimentaire ne soit plus viable si l’on fait disparaitre les animaux occupant son sommet ? Question difficile à trancher car ces grands prédateurs sillonnent des étendues immenses et leur disparition peut éventuellement mettre des années avant de se faire sentir. Comment alors procéder pour comprendre ces interactions ? Il faudra attendre l’heure de l’informatique pour colliger les observations et effectuer des simulations « grandeur nature » pour en savoir plus.

 

 

 

Trois exemples concrets

 

 

     Trois exemples permettent de mieux comprendre ce paradoxe, trois situations, pourtant fort différentes, qui devraient nous faire réfléchir sur les conséquences d’une intervention extérieure à un écosystème.

 

 

* Le corail hawaïen

 

     Les récifs de corail sont un bon exemple d’une chaîne alimentaire au sommet de laquelle on trouve un superprédateur, le requin-tigre. Desrequin-tigre.jpg scientifiques américains ont donc procédé à une simulation informatique dans laquelle ils retirent le requin-tigre de l’écosystème. Au début, tout se passe comme prévu : les victimes potentielles se mettent à prospérer en l’absence du grand prédateur ; les phoques et les tortues de mer prolifèrent de même que les oiseaux de mer habituellement victimes du grand squale. Tout est donc parfait pour la théorie acceptée jusque là ? Non justement car, rapidement, on voit s’effondrer les populations de thons pourtant également chassées par le requin-tigre (elles devraient prospérer !). Dans le même temps, les poissons des profondeurs – qui ne sont pourtant jamais victimes du requin-tigre – augmentent leur population… L’explication ? Les oiseaux de mer qui peuvent à présent chasser en toute tranquillité deviennent les prédateurs du thon d’où sa quasi-disparition… le thon qui, jusque là, régulait les populations des poissons des profondeurs. L’équilibre qui était de mise avec la présence du requin-tigre est rompu et toute la hiérarchie alimentaire est remise en cause jusqu’à provoquer une désorganisation complète du milieu…

 

 

* Les pumas de l’Utah

 

    Un autre exemple des effets de la disparition d’un superprédateur a été observé dans un grand parc naturel de l’Utah, aux USA. Ici, ce sont les pumas qui sont en haut de l’échelle. Avec l’apparition du tourisme de masse, pumaces animaux ont progressivement abandonné les canyons de la rivière locale. Du coup, leur victime habituelle, une variété de cerf, a pu prospérer. Ce qui a été une catastrophe pour tout l’écosystème. En effet, les cerfs revenus en masse (puisque non chassés leur population a fortement progressé) ont commencé à détruire la végétation locale (jeunes arbres, arbustes, etc.) avec pour principale conséquence l’impossibilité du renouvellement de cette végétation et donc moins de racines pour retenir la terre. A chaque inondation nouvelle (et habituelle), les berges de la rivière se sont effritées, l’eau s’étendant sur une plus grande surface forcément moins ombragée… et sa température s’est élevée en conséquence. Au total, ce sont les plantes immergées qui ont disparu, les poissons et les batraciens s’éteignant à leur tour. Seule solution pour rétablir l’équilibre ainsi rompu : faire revenir les pumas !

 

 

* Le rôle bénéfique des coyotes

 

       Le grand tétra est un gros gallinacé appelé également coq de bruyère. tetra-des-armoises.jpgDans l’ouest des Etats-Unis, il en existe une variété, le tétra des armoises ainsi nommé parce qu’il vit dans un habitat bien spécifique, celui où se trouve la sauge buissonnante (de la famille des armoises), une plante aux feuilles vertes toute l’année  qui lui fournit nourriture et couvert pour sa protection. Or cet oiseau est en voie de disparition. Comment enrayer ce phénomène ? Eradiquer son prédateur, le coyote, semblait être la réponse appropriée. Bien entendu, la solution n’est pas aussi simple… En chassant systématiquement les coyotes jusqu’à les faire disparaître de l’habitat du tétra, les hommes ont ouvert la boîte de Pandore. En effet, ce sont les corbeaux et les blaireaux, grands consommateurs d’œufs de notre volatile en danger qui ont prospéré… sans oublier les renards qui mangent les petits de ces volatiles. Autre conséquence désastreuse, la disparition des coyotes a permis le développement d’une autre de ses victimes, le lièvre qui, du coup, s’est miscoyote.jpg à détruire les feuilles d’armoise. Chassé encore plus que du temps des coyotes tandis que son plat préféré devenait plus rare, le tétra a accéléré son déclin. Ajoutons pour être complet que la prolifération des lièvres a attiré un autre superprédateur, l’aigle royal… qui s’est empressé d’attaquer les tétras adultes survivants ! Que faire ? Réintroduire le coyote afin de réguler la pyramide alimentaire… On le voit ici aussi : le remède était pire que le mal.

 

 

 

Le rôle indispensable du prédateur

 

 

     Le superprédateur (ou prédateur alpha), une fois adulte, se retrouve au sommet d’une chaîne alimentaire et son rôle est crucial pour la régulation de toute la pyramide. Cette régulation – et on retrouve ici les lois darwiniennes de l’Evolution – répond au mécanisme universel de la sélection naturelle.

 

     Chaque écosystème représenté par une chaîne alimentaire possède donc un superprédateur à son sommet et dans chaque biotope on peut constater la présence d'un équilibre, équilibre finalement fragile que la disparition d’un de ses éléments – a fortiori l’élément suprême du haut de l’échelle – suffit à perturber et, dans certains cas, à totalement détruire. La présence d’une telle hiérarchie se retrouve aussi bien en milieu marin (le sommet de la pyramide est alors occupé par des mammifères comme les cachalots ou les orques, ailleurs par des poissons comme le grand requin-marteau ou, comme on l’a déjà dit, le requin-tigre) que sur terre. Dans cette dernière éventualité, il peut s’agir d’oiseaux comme les aigles ou les hiboux ou de mammifères comme les loups, les ours, les lions, etc. Dans tous les cas, la présence de ces superprédateurs est indispensable à l’équilibre de l’ensemble. Notons au passage que, s’ils sont à l’abri des représentants des segments inférieurs de leur pyramide, ces superprédateurs peuvent être victimes à leur tour de parasites, de virus, de bactéries ce qui confère à leur « immunité » un aspect relativement théorique.

 

    Un superprédateur est, comme on vient de le voir, indispensable à la régulation d’un écosystème. Prenons, par exemple, l’exemple du loup. Voilà un animal qui – en milieu naturel – se nourrit plutôt de petits ou de jeunes loup-3.jpganimaux (volailles, marcassins, renardeaux, reptiles, etc.) mais qui, notamment en cas de disette, n’hésite pas à attaquer des proies plus conséquentes comme les cerfs ou les chevreuils. La sélection naturelle étant à l’ouvrage, ce sont surtout les individus affaiblis qu’il attaque (animaux malades ou âgés et donc plus faciles à attraper). La présence du loup permet toujours une régulation des populations concernées (voire une sorte « d’eugénisme naturel ») et, de plus, il contribue également à maintenir l’équilibre écologique de son milieu en le préservant des éventuels dégâts causés par la surpopulation de ses victimes.

 

     J’ai jusqu’à présent évoquer le milieu naturel du loup or on vient de voir que cet animal a tendance à chasser ce qui lui est le plus accessible, par exemple un enclos rempli de brebis sans défense, en énergie moins coûteux à attaquer que la longue traque d’un chevreuil : il se confronte alors à son superprédateur, l’Homme.

 

 

 

L’Homme, un superprédateur très spécial

 

 

     Par sa multiplication (presque) sans contrôle et son interventionnisme constant sur son propre écosystème… qui représente – directement ou indirectement – l’ensemble de la planète, l’Homme modifie considérablement et de façon permanente l’environnement de toutes les espèces vivantes. Non seulement par la pêche (intensive) et l’élevage maisLA-la-nuit.jpg également par la pollution chimique de tous les biotopes et surtout l’urbanisation progressive du milieu, l’Homme – dont le seul prédateur efficace semble être lui-même – est un prédateur ultime, celui qui menace tous les autres, superprédateurs ou non. Par sa seule présence, il a contribué à faire disparaître des milliers d’espèces vivantes (surtout depuis une cinquantaine d’années et à un rythme qui s’accélère). Son insatiable soif de toujours plus de biens matériels, fut-ce au détriment de son avenir personnel, en a fait ce que l’on pourrait appeler un « hyperprédateur ». Jusqu’où ira-t-il ? Quelques voix, ici ou là, s’élèvent pour, sinon arrêter, du moins ralentir cette mégalomanie. On lutte contre un pesticide nocif ou une pollution industrielle ; on réintroduit telle ou telle espèce « naturelle » injustement éradiquée pour plus de confort. Efforts louables, évidemment, mais tellement insignifiants face au désastre qui s’annonce. Car, il faut nous en convaincre, la Nature est indifférente et, pour elle, seuls les faits comptent. Or, on l’a vu, si un superprédateur est indispensable pour réguler sa propre pyramide vitale, l’inverse est également vrai. Que restera-t-il à l’Homme lorsqu’il aura détruit l’essentiel de son propre univers de vie ?

 

   

Brêve :  les cervidés manquent de prédateurs

      Faute de grands prédateurs carnivores, comme le loup ou l'ours, les populations de cerfs et de rennes ont atteint des niveaux record et menacent les écosystèmes dans les forêts boréales et tempérées de l'hémisphère nord. C'est ce qui ressort de la compilation par William Ripple et Robert Beschta (université de l'Orégon, Etats-Unis) d'une quarantaine d'études réalisées au cours des 50 dernières années. Ainsi, dans les régions où le loup est absent, les cervidés sont jusqu'à six fois plus nombreux. Les chercheurs notent qu'en contribuant à la déforestation, ces derniers ont un impact sur la capacité de la forêt à séquestrer du carbone et donc sur le changement climatique. Les scientifiques plaident donc pour la préservation ou la réintroduction des grands prédateurs, qui permettrait selon eux une régulation des populations d'herbivores et contribuerait ainsi au maintien de la biodiversité.

(in revue Science & Vie, n° 1137, pp 30 et 31, juin 2012)

 

 

Sources

.  Wikipédia France

. www.oiseaux-birds.com/fiche-tetras-armoises.html

. Science & Vie, n° 1133, fév. 2012

baladesnaturalistes.hautetfort.com/archive/2011/07/25/strategie-de-predation-chez-le-lo.html

 

 

Images

 

1. le repas du lion (sources :  veganaporamoraosanimais.blog.terra.com.br)

2. chaîne alimentaire en milieu maritime (sources : cotebleue.org)

3. requin-tigre (sources : unrequindanslebocal.blogspot.com)

4. puma (sources : natural-wild-life.blogspot.com)

5. tétra des armoises (sources : lesoiseauxetimbres.free.fr)

6. coyote (sources : true-wildlife.blogspot.com)

7. urbanisation (sources : leroadtripdesfilles.wordpress.com)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

  

 

Mots-clés : phytoplancton - biotope - bactéries thermophiles - réseau trophique - requin-tigre - puma - tétra des armoises - coyote - sélection naturelle - loup

 les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires

  

 

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Mise à jour : 10 mars 2023

 

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                          Platon-et-Aristote

     

 

     Dans la première partie de ce sujet (voir inné et acquis chez l’animal), nous avions cherché à définir ce qui, chez l’animal, pouvait relever de l’inné – c'est-à-dire de la génétique – et de l’acquis, essentiellement par apprentissage. Une notion importante semble avoir émergé de notre propos : plus un organisme vivant est neurologiquement complexe, plus ses facultés d’acquisition paraissent développées et donc plus élevées ses possibilités de modérer ce qui relève de l’inné. L’Homme est certainement le mammifère le mieux loti de ce point de vue : est-ce à dire que chez lui, l’acquis (expérimental, culturel, sociologique, etc.) a gommé toutes traces de comportements instinctifs régis par la transmission génétique ? Ce serait, comme on va le voir, aller un peu vite en besogne…

 

 

 

Retour sur les définitions

 

     Au préalable, et pour les lecteurs qui n’auraient pas eu la possibilité (ou la patience) de lire la première partie de ce sujet, il convient de bien repréciser ce que nous évoquons :

 

* l’inné : il s’agit d’un comportement qui se retrouve chez tous les individus d’une même espèce, comportement déterminé génétiquement et ne nécessitant pas d’apprentissage préalable. Jadis, on utilisait l’appellation de comportement instinctif qui veut dire la même chose.

 

* l’acquis : à l’inverse, il s’agit là d’un comportement secondairement construit à partir d’informations, d’expériences et, d’une manière plus générale, d’un apprentissage. Ce comportement est emmagasiné dans la mémoire individuelle de l’individu et ne concerne que lui.

 

     La question est donc toujours la même : quelle est la part de l’un ou de l’autre de ces mécanismes chez l’individu, ici l’Homme ?

 

 

 

Quelques exemples de comportements innés chez l’Homme

 

     Il est assez facile de trouver chez l’Homme des comportements qui ne relèvent que de la génétique ou, pour dire autrement, chez lesquels aucune acquisition par apprentissage ne peut être mise en évidence. En voici quelques uns, choisis parmi bien d’autres :

 

 

          L’expression des émotions

 

 

     Dès 1872, Darwin expliquait que les émotions étaient les mêmes chez l’Homme et les grands singes : l’expression de la peur, de la surprise et de la tristesse, par exemple, se retrouvent bien chez tous les primates. Il ajoute même que le sourire se rapproche probablement d’un comportement de défiance puisqu’il consiste à montrer les dents (il existe d’après lui une relation réelle entre le rire et l’agressivité)…

 

     Les ethnosociologies ont par ailleurs bien démontré que ces expressions faciales « innées » se retrouvent chez tous les peuples de la Terre et on sait à présent que des centres nerveux bien précis sont responsables de ces attitudes (formation réticulée et ganglions de la base).

 

 

          Le comportement instinctif du bébé

 

     Tout étudiant en médecine, dès lors qu’il aborde la pédiatrie, sait reconnaître ce qu’on appelle les « réflexes archaïques » témoignant chez le tout petit d’un développement harmonieux. C’est, par exemple, le réflexe de Moro (en redressant

réflexes archaïques
marche automatique du nourrisson

vivement la tête d’un nouveau-né, on observe de sa part une manœuvre d’embrassement puisqu’il écarte d’abord les bras en ouvrant les mains avant de les fléchir sur ses avant-bras, le tout se terminant par un cri), la marche automatique (en plaçant un nouveau-né verticalement et en lui faisant toucher un plan dur avec ses pieds, on le voit « emjamber » l’obstacle et débuter quelques mouvements de marche) ou le « grasping » qui voit le bébé agripper fortement (au point qu’on peut le soulever) la main de l’examinateur qui a stimulé sa surface palmaire. Il en existe bien d’autres (réflexe de succion automatique, de nage, etc.) …

 

     Ces mouvements sont très instructifs car, disparaissant spontanément après quelques mois, ils relèvent d’une activité « réflexe » du tronc cérébral alors que la maturation du système nerveux n’est pas encore achevée.

 

 

          La marche

 

     La marche est un phénomène automatique, apprise tôt chez l’enfant, qui ne demande aucune capacité particulière bien qu’il s’agisse finalement d’un mouvement relativement complexe. Dès qu’il s’agit de modifier ce mouvement, l’exercice devient très difficile car le sujet doit constamment lutter contre la coordination "naturelle". Il n’existe que deux aspects de l’activité humaine où la marche est réellement modifiée : la guerre et la danse. Tous les militaires, par exemple, savent marcher « au pas » et il existe des variations culturelles à cette marche (le pas de l’oie allemand, la marche « glissée » des armées britanniques, le pas ralenti de la Légion Etrangère française) mais il s’agit presque toujours de l’exagération de la marche naturelle, un exercice qui demande un long apprentissage spécifique. De la même façon, la danse demande à l’élève un long travail de formation. Ces éléments laissent supposer que la marche est bel et bien un comportement héréditaire (voit le sujet : la bipédie, condition de l’intelligence ?).

 

 

          Les reconnaissances sociales de base

 

     Lorsque deux individus se rencontrent, ils reproduisent un comportement qui échappe à tout apprentissage : on se salue du regard en haussant les sourcils durant une fraction de seconde avant d’ébaucher un sourire et un hochement de la tête. C’est seulement ensuite que les appris culturels entrent en jeu (inclinaison du buste, salut du chapeau, génuflexion, mains croisées en signe de soumission, main levée, etc.). C’est tellement vrai que les médecins s’occupant de sujets atteints, par exemple, d’un stade avancé de démence sénile de type Alzheimer, savent bien que l’un des derniers comportements sociaux présentés par ces malades est précisément le premier, le plus ancien.

 

 

           Les comportements de communication

 

     Nombre de nos gestes qui relèvent de comportements innés nous sont parfaitement naturels : tendre le bras main à plat pour signifier à quelqu’un d’arrêter son mouvement, mettre un doigt devant sa bouche pour demander le silence, faire de rapides flexions des doigts avec la main tournée vers soi pour demander à quelqu’un d’avancer, etc. Il ne s’agit pas de gestes conscients, ni appris mais des automatismes propres à notre espèce dont certains sont parfois partagés avec d’autres primates.

 

     On pourrait poursuivre cette énumération longtemps tant il existe de situations où nos agissements ne relèvent pas – au moins au début – de notre conscience. Je pense au baiser amoureux, au baiser sur le corps (avatar chez l’Homme du geste d’épouillage chez certains animaux), à la caresse (qui relève d’un mécanisme voisin, même si ce geste est grandement modifié culturellement ensuite), l’enlacement (geste de consolation), le rire déjà évoqué, etc. Des comportements encore plus basiques pourraient également être rappelés comme la peur, la faim, la soif, le désir sexuel, d’autres encore. On le voit, nous ne sommes effectivement pas que de « purs esprits ».

 

 

 

L’apport de la génétique

 

     Avec l’avènement de la génétique et le rôle important attribué aux gènes et à l’ADN, on a un temps pensé qu’il serait possible de caractériser les comportements (et les maladies) en fonction de notre patrimoine génétique. Concernant les maladies, s’il est vrai que certaines d’entre elles sont parfaitement en rapport avec une anomalie ou un déficit génétique (par exemple la chorée de Huntington ou la mucoviscidose), ces dernières restent en fait assez rares. Souvent, s’il peut exister une dimension génétique relativement bien individualisée (diabète, cancer du sein, cancer du colon, etc.) et on parle alors de gènes de prédisposition, il est sûr qu’interviennent d’autres facteurs dont certains sont clairement culturels. Pour nos comportements, c’est encore plus flou et la part de notre ignorance quant à la réalité des agents en cause reste considérable.

 

     On sait par ailleurs que, même quand on les identifie à peu près, les effets des gènes varient singulièrement en fonction de l’environnement où se situe le sujet. Par exemple, dans un environnement spécifique, la part de l’inné pourra représenter 50% mais 10% ou 80% dans un autre. Outre notre méconnaissance complète de nombreux facteurs, l’influence génétique est donc variable et rend toute tentative d’apprécier la part inné/acquis pratiquement impossible à déterminer (du moins, en l’état actuel de nos connaissances) dès que l’on s’intéresse à un comportement quelque peu élaboré.

 

 

 

L’Homme est un être de culture

 

     L’Homme est un être biologique et, à ce titre, un animal comme tous les autres mais un animal doué de culture. Une culture bien plus développée que chez nos cousins, les grands primates, où elle existe certes également mais de façon comparativement embryonnaire.

 

     L’exemple des « enfants sauvages » nous rappelle tout le poids de notre progressif acquis culturel. Il s’agit d’enfants élevés en dehors de toute intervention humaine, le plus souvent par des loups ou des ours, et n’ayant rencontré la « civilisation » que

enfant livré à lui même
l'enfant sauvage (film de François Truffaut, 1970)

tardivement (on en rapporte une cinquantaine de cas dans l’Histoire). Leur éventuelle réintégration dans l’Humanité, toujours partielle dans le meilleur des cas, dépend de l’âge de leur rencontre avec les hommes. En effet, un enfant livré à lui-même ne peut se développer harmonieusement. Boris Cyrulnik, l’ethnopsychiatre bien connu, nous rappelle que si l’enfant n’a pas, dès son plus jeune âge, été mis en contact avec la parole des autres, il ne pourra acquérir un langage. Il en est de même pour tous les comportements dits humains qu’il ne saurait obtenir réellement. Tout se passe comme si l’acquis culturel devait « imprégner » le jeune enfant avant que son système nerveux ne soit définitivement figé.

 

     On peut donc avancer que, à sa naissance, l’Homme n’a presque pas d’humain en lui et que cette humanité il l’acquiert au fur et à mesure de son éducation… forcément variable d’une société humaine à une autre. On peut dire autrement : au départ, l’Homme possède un « fond biologique » qui est toujours le même et restera en lui à jamais. C’est l’éducation - son contact avec les autres hommes – qui lui permettra d’acquérir son humanité, c'est-à-dire dépasser sa part innée pour acquérir un statut complet d’humain.

 

     L’inné fait partie de nous mais contrebalancé par l’acquis. Ce qui ne nous en dit pas plus sur la part de l’un ou de l’autre.

 

 

 

Le Darwinisme social

 

     Au XIXème siècle, la théorie de l’intelligence innée était très à la mode. On se souvient, par exemple, de la théorie plutôt fumeuse des bosses de l’intelligence (phrénologie) où l’on observait la configuration craniale d’un individu pour déterminer s’il était doué pour telle ou telle discipline (d’où l’expression encore employée de nos jours : avoir la bosse des maths). De façon bien plus artistique, Zola, dans sa fameuse série de livres des Rougon-Macquart, insistait sur la prépondérance de l’hérédité dans le comportement humain (il suffit de relire « la bête humaine » pour s’en persuader). Cette notion du « tout génétique » fut progressivement abandonnée à mesure que progressaient nos connaissances de la génétique mais aussi d’une certaine évolution des mœurs.

 

     Récemment, la position innéiste a été remise au goût du jour par les sociobiologistes partisans de ce que l’on appelle le « darwinisme social » (ce qui n’aurait probablement pas plu à Darwin). En 1994, deux chercheurs américains, Charles Murray et Richard Hernstein ont jeté un pavé dans la mare avec leur livre « the Bell Curve » (la courbe en cloche) où ils tentent de démontrer, statistiques à l’appui, que les noirs ont en général un QI inférieur à la moyenne des autres communautés ce qui expliquerait, selon eux, leur moindre réussite socio-économique. De ce fait, puisque l’intelligence pour ces deux auteurs est innée, il est impératif d’arrêter la politique de discrimination positive poursuivie par l’état fédéral, politique coûteuse qui ne sert à rien. Je ne cite évidemment ces travaux que pour expliquer que la bataille inné-acquis est loin d’être terminée et qu’elle divise toujours autant la communauté scientifique… et que, de plus, elle n’est pas exempte d’a priori philosophiques, d’un côté comme de l’autre !

 

 

 

L’Homme aux deux cerveaux

 

     Chez l’Homme (et les primates), on peut très schématiquement opposer deux parties de notre cerveau : le néocortex et le paléocortex (ou cerveau reptilien). C’est ce dernier qui est apparu en premier dans l’évolution des espèces tandis que le second s’est développé progressivement au fur et à mesure de l’accession des individus à une certaine « conscience » : l’Homme (avec quelques primates « supérieurs ») est le Terrien qui possède le néocortex le plus vaste tandis que les animaux moins développés intellectuellement n’en possèdent que de petits, des embryonnaires (certains reptiles) ou pas du tout (poissons, amphibiens). Dès lors, comment ne pas opposer

                                cerveau_triunique.png

un paléocortex, siège des comportements instinctifs et un néocortex (80% de l’ensemble tout de même chez l’Homme) qui, lui, serait l’endroit où s’élaboreraient les conduites apprises élaborées ? Disons le tout net : les choses sont certainement bien plus compliquées mais pour notre approche cette distinction assez grossière peut convenir.

 

     Discuter de la part qui revient à l’acquis et à l’inné chez l’Homme paraît assez stérile dans la mesure où l’état de notre ignorance dépasse certainement celui de nos connaissances. Cela n’empêche pas de comprendre que ces deux entités coexistent bien dans notre cerveau et donc dans nos comportements et c’est peut-être là que se situe le problème le plus aigu.

 

     En effet, si l’Homme est la créature la plus intellectuellement développée c’est qu’il a certainement réussi à « gommer » - ou du moins à relativiser – un certain nombre de comportements liés à la génétique. Certes. Il n’en reste pas moins que, comme nous l’avons vu, nous ne sommes pas de purs esprits et que bien des comportements, des attitudes, des réactions qui nous semblent naturelles et réfléchies échappent en réalité à notre volonté consciente. C’est cette remarque qui fait l’objet de l’angoisse de nombreux philosophes. Konrad Lorenz, pour reprendre les interrogations d’un éthologue déjà évoqué, au crépuscule de sa vie, se posait la question du décalage existant entre notre cerveau (dans son intégralité), de nature forcément biologique et donc n’évoluant que lentement au fil des millions d’années et l’extraordinaire explosion technologique que nous avons acquise depuis quelques décennies (voir le sujet : l’agression). Pour lui, il existe une distorsion de plus en plus grande entre nos possibilités techniques et notre intellect encore trop marqué par notre passé : du coup, il s’interrogeait sur notre capacité à dominer ces possibilités techniques ainsi décuplées en si peu de temps. Il est vrai que lorsqu’on voit les potentialités de destruction de nos sociétés, par la guerre sans doute, mais aussi et surtout par la mise sous tutelle d’une Terre que nous n’hésitons pas à saccager, on peut s’inquiéter. Saurons-nous dominer notre cerveau reptilien ou nous conduira-t-il à notre perte ? Question légitime et, pour l’instant, semble-t-il sans réponse.

 

 

Sources

1. Wikipedia.org (instinct, inné)

2. Henri Atlan : (www.philomag.com/fiche-philinfo.php?id=37)

3. nature et culture : (www.sayomar.tice-burkina.bf/01SAYOCOURS/cours1/08.htm)

4. darwinisme social :

(www.doctissimo.fr/html/sante/mag_2002/sem01/mag0524/dossier/sa_5529_inne_acquis.htm)

 

 

Images

 

1. Platon et Aristote (sources : daminhvn.net)

2. le rire (sources : alexishayden.over-blog.com)

3. marche automatique (sources : infobebes.com)

4. chut ! (sources : fr-fr.facebook.com)

5. l'enfant sauvage, film de truffaut (sources : www.toutlecine.com)

6. paléo et néocortex (sources : ien-versailles.ac-versailles.fr)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : Charles Darwin - réflexes archaïques du nouveau-né - maladie d'Alzheimer - automatismes de communication - gènes de prédisposition - enfants sauvages - Boris Cyrulnik - théorie innée de l'intelligence - phrénologie - Emile Zola - sociobiologie - néocortex - paléocortex, cerveau reptilien

 

 

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     Définir la part de l’inné et de l’acquis chez les êtres vivants : vaste programme aurait sûrement déclaré un personnage politique célèbre ! Il est vrai que le problème divise depuis toujours scientifiques, écrivains, philosophes, politiques, etc. et ce n’est certainement pas ici que l’on trouvera une réponse définitive… s’il en existe une. Ce qui ne doit pas nous empêcher de réfléchir sur la question et chercher à faire un point, même s’il ne peut être que partiel et provisoire…

 

     Pour cela, puisque ne se conçoit bien que ce qui s’énonce clairement, il nous faut d’abord définir ce que sont ces deux aspects, apparemment antagonistes mais en réalité complémentaires, de la plupart des formes de vie.

 

 

 

L’inné et l’acquis

 

        * l’inné : il s’agit d’un comportement qui se retrouve chez tous les individus d’une même espèce, comportement déterminé génétiquement et ne nécessitant pas d’apprentissage préalable. Jadis, on utilisait l’appellation de comportement instinctif qui veut dire la même chose.

 

         * l’acquis : à l’inverse, il s’agit là d’un comportement secondairement construit à partir d’informations, d’expériences et, d’une manière plus générale, d’un apprentissage. Ce comportement est emmagasiné dans la mémoire individuelle de l’individu et ne concerne que lui.

 

     Il paraît donc clair que le comportement d’un individu est un mélange de ces deux facteurs mais la question essentielle – qui fait toujours débat – reste : jusqu’à quel point ? Et quelles sont les parts respectives de l’un ou de l’autre…

 

 

 

Quelques exemples de comportements innés

 

     Observés depuis la nuit des temps mais singulièrement avec les débuts de l’éthologie (par Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen dans les années 1930), les exemples de comportements innés sont légion : nous en sélectionnerons quelques uns pour illustrer ce propos.

 

 

          1. la parade nuptiale du canard colvert

 

     Pour séduire la femelle, le colvert use d’un ballet étrange pour qui n’en connait pas la signification : l’animal se jette hors de l’eau en sifflant, canard_colvert.jpgretombe en grognant puis se redresse en se raccourcissant avant de contempler sa future conquête ; il se met alors à nager autour d’elle, se dresse le plus qu’il le peut et lui présente les plumes de son arrière-tête avant de se baisser et de se redresser plusieurs fois tout en émettant d’étranges vocalises. Il est impératif que le canard mâle suive la procédure dans l’ordre précis, sans rien n’omettre, sinon la femelle ne lui attachera aucune importance…

 

     Tous les mâles intéressés par cette femelle suivront le même protocole, évidemment « instinctif ».

 

     Il existe des parades nuptiales, parfois fort compliquées, chez presque tous les animaux, depuis l’araignée jusqu’aux mammifères bien plus complexes comme le chien.

 

 

          2. la technique de construction des castors

 

     En dehors de l’Homme, le castor est probablement l’hydrographe animal le plus accompli. On sait que cet animal préfère de loin nager plutôt que se déplacer à terre : il va donc aménager des plans d’eau extrêmement élaborés, barrant des rivières par d’immenses digues (2 m de haut, plus decastor-construction.jpg cent mètres de long pour les castors américains) qu’il construit à l’aide de matériaux divers trouvés sur place (branches, pierres, boue) en n’omettant jamais de consolider son ouvrage en aval par des branches servant d’arcs-boutants, elles-même calées par de grosses pierres. Un processus compliqué s’il en est. On sait aussi qu’il apprécie parfaitement le poids des pièces de bois qu’il utilise : après avoir abattu un arbuste, il le débite en tronçons d’autant plus courts qu’ils sont larges de façon à en conserver le poids…

 

 

          3. l’épinoche

 

     L’épinoche est un petit poisson particulièrement bien étudié par l’éthologue Tibergen, déjà cité. Habituellement terne et nageant en bancs serrés, les mâles de cette espèce changent de couleur à l’approche du printemps : leur ventre devient rouge tandis que leur dos se pare d’une jolie couleur bleu-argenté. Ainsi transformé le poisson se met en quête d’un territoire où il construira un nid avec divers ingrédients, principalement des epinoche.jpgalgues. Dès lors, il défendra son territoire contre tous les intrus. Si l’un d’eux se présente, notre petit poisson se positionne tête en bas et fait mine de creuser. L’intrus est toujours là ? Il l’attaque sauvagement. C’est ainsi que Tibergen observa la scène suivante : il avait placé un aquarium contre une fenêtre et s’aperçut que, à la vision d’un camion postal rouge, le petit poisson entrait dans une rage absolue. Il comprit alors que c’était la couleur rouge (et non la forme ou l’éventuelle odeur) qui faisait réagir son petit pensionnaire. Il le démontra formellement en présentant au poisson des leurres : celui qui ressemblait parfaitement à un mâle épinoche mais sans coloration rouge était ignoré tandis que des leurres grossiers mais colorés en rouge entraînaient sa fureur…

 

 

          4. migration et hivernation

 

     A l’approche des frimas, certains animaux (notamment beaucoup d’oiseaux) migrent vers des cieux plus propices : ils retrouvent sans peine ces lieux plus cléments parfois très éloignés de leur villégiature d’été ; il s’agit à l’évidence d’un comportement génétiquement programmé et c’est le cas bien connu des hirondelles dont la sagesse populaire dit, lorsqu’elles reviennent,  « qu’une seule ne fait pas (encore) le printemps ».

 

     D’autres restent sur place, une migration leur étant impossible ou trop coûteuse en dépenses d’énergie. Ceux-là se préparent alors à l’hivernation qui consiste en un abaissement modéré de leur température corporelle (hypothermie) et d’une somnolence interrompue par de nombreux réveils (lorsqu’il existe une diminution très importante de la température interne de l’animal accompagnée d’une véritable léthargie, on parle alors d’hibernation).  Quel que soit le degré de léthargie, l’animal se prépare à l’épreuve du froid (sa fourrure ou son pelage s’étant épaissis à l’automne) en construisant un refuge souvent très élaboré tandis qu’il accumule des réserves de nourriture. C’est le cas bien connu de l’ours qui hiverne, n’interrompant pas tous ses mécanismes physiologiques (il peut donner naissance à des petits) tandis que la marmotte hiberne véritablement en ce sens qu’elle entre dans une profonde torpeur avec ralentissement de ses rythmes cardiaques et respiratoires et une température interne qui peut descendre jusqu’à 4°. Dans ce dernier cas, la marmotte a eu soin de construire son abri souterrain composé de pierres, de terre, de poils déglutis, etc., abri parfaitement clos – qu’on appelle hibernaculum – où plusieurs individus s’entassent bien serrés les uns contre les autres.

 

 

          5. la reconnaissance des oiseaux de proie

 

     Certaines espèces d’oiseaux reconnaissent immédiatement la silhouette d’un oiseau de proie planant dans le ciel SANS JAMAIS  l'avoir vu oiseau-de-proie.JPG auparavant (K. Lorenz) : cette information ne peut donc être transmise que par l’hérédité. Elle peut d’ailleurs rester cachée toute la vie de l’animal si ce dernier n’est jamais mis en présence de son prédateur. On comprend alors toute la difficulté de savoir ce qui revient à l’acquis ou à l’inné !

 

 

          6. d’autres exemples…

 

     … il en existe presque autant que d’espèces animales. J’ai déjà eu l’occasion d’en rapporter quelques uns dans un sujet précédent (voir comportements animaux et évolution) comme, par exemple, celui de la guêpe fouisseuse observée par l’entomologiste Fabre. Ici, la guêpe revient vers son trou avec sa proie mais, avant d’y pénétrer, abandonne sa victime et entre dans sa cache pour s’assurer que nul intrus n’y a pénétré. On déplace le butin de la guêpe de quelques cm et celle-ci n’a aucun problème pour le retrouver ; toutefois, elle recommence son manège de vérification de son trou comme si c’était la première fois et répétera ce manège autant de fois qu’on aura déplacé sa proie…

 

     De tels comportements sont innés, génétiquement transmis au fil des générations. C’est peut-être ce qui avait fait dire à René Descartes que les animaux (en tout cas dits « inférieurs ») ne sont que des mécaniques (il évoquait des « animaux-machines ») : erreur évidente car de nombreuses adaptations comportementales sont possibles et c’est bien là toute l’importance de l’acquis.

 

 

 

L’acquis tempère l’inné

 

     Plus un animal sera doté d’un système nerveux central développé, plus ses possibilités d’adaptation seront élevées ou, dit autrement, plus ses moyens de compléter l’inné seront importants : on parle alors d’apprentissage et on en distingue plusieurs formes :

 

 

   * le premier et le plus courant (au sein de la nature « sauvage » bien sûr) est la formule essais-erreurs. Confronté à un problème inopiné, l’individu va répondre au hasard : il ne retiendra que la procédure lui ayant permis d’atteindre son but et, parfois, il lui faudra bien des essais… mais, une fois le résultat obtenu, il conservera à titre individuel le « bon » moyen.

 

     On peut en rapprocher ce qu’on appelle l’accoutumance lorsqu’une situation se répète régulièrement. C’est, par exemple, le cas des pigeons qui viennent en masse dans un jardin public lorsqu’ils ont « compris » qu’une personne leur distribue à heure fixe de la nourriture.

 

 

   * l’imitation est un autre moyen qui concerne plutôt les individus disposant d’un système nerveux complexe comme les mammifères. Mais, même pour mésangedes animaux moins « développés neurologiquement » on peut se poser la question. L’éthologue américain Donald Griffin rapporte ainsi que les mésanges anglaises commencèrent dans les années 1930 à percer les capsules de bouteilles de lait abandonnées sur les pas de portes des maisons pour en boire le contenu. Comme il est peu probable que ce comportement se soit répété par hasard des milliers de fois, on peut facilement imaginer que certaines d’entre elles ont appris à imiter leurs congénères…

 

 

     *  l’apprentissage par empreinte

     Il s’agit ici d’une capacité d’acquisition rapide par un jeune qui s’attache à un individu précis. On parle alors d’imprégnation. Konrad Lorenz a pulorenz et ses oies montrer cet intéressant phénomène grâce à ses oies : il avait, en effet, remarqué, que les poussins s’attachent au premier objet mobile qu’ils voient à leur naissance (leur mère en principe, mais également un chien ou une simple balle de couleur). Dès lors, il entreprit d’être pour certaines de ses oies le « premier objet » visible par elles dès la naissance. L’image de l’éthologue suivi à la trace par toute une théorie de ces volatiles est restée célèbre…

 

 

     * le conditionnement

     Il y a en pareil cas le plus souvent intervention humaine : le dauphin qui fait des tours pour avoir une récompense ou l’animal de cirque qui « obéit » au dresseur en effectuant des exercices compliqués pour (hélas !) éviter le fouet…

 

 

     * le raisonnement

Il est à l’évidence réservé à l’Homme et à certains primates supérieurs puisqu’il faut marquer un temps d’arrêt et réfléchir afin de trouver la solution au problème posé. Nous y reviendrons ultérieurement.

 

 

 

L’acquis et l’inné s’interpénètrent… plus ou moins

 

     Konrad Lorenz fut accusé de faire une distinction trop franche entre inné et acquis : il faut dire qu’alors on ne comprenait guère de quelle façon un comportement pouvait être uniquement déterminé par des gènes. Il s’agissait là d’un mauvais procès car Lorenz était loin d’être aussi caricatural. Il s’en expliqua d’ailleurs longuement dans un livre paru en 1965 « essai sur le comportement animal et humain » (aux éditions du Seuil pour la version française) : il était persuadé qu’il existe à la fois des facteurs génétiques et environnementaux et qu’ils sont parfaitement intriqués. Pour cet éthologue, le comportement est adaptatif en ce sens que, face à un problème, l’animal « sait » ce qu’il convient de faire. Ce qu’il importe donc de connaître, c’est d’où vient l’information et là, d’après lui, il n’y a que deux possibilités : a. une acquisition au cours de la phylogénèse (on l’a déjà évoqué : il s’agit du développement des espèces), donc d’ordre génétique et régi par la sélection naturelle ou b. de l’ontogénèse (le développement de l’individu y compris dans l’œuf) donc apprise, notamment par l’apprentissage. Il ne voyait pas d’autre source d’information pour l’animal et on ne saurait lui donner tort.

 

     Reste qu’il est bien difficile d’apprécier la part de l’un et de l’autre chez un individu donné et c’est là toute la profondeur (et l’intensité) du débat entre inné et acquis car il est malaisé pour chacun d’entre nous de ne pas privilégier l’un ou l’autre… selon nos préférences philosophiques.

 

     Reposons-nous la question : peut-on appréhender les parts respectives de l’inné et de l’acquis chez un individu donné ? Il paraît impossible de répondre positivement tant il existe encore de zones d’ombre… Car, au fond, que sait-on vraiment d’un individu, d’une espèce ? Comment faire la part de l’apprentissage et du génétiquement transmis sinon à étudier en permanence les représentants d’une espèce animale bien définie durant toute leur existence et, bien sûr, en milieu dit « naturel » ? L’éthologie essaie de tenir ce pari presque impossible mais nous sommes encore loin du compte…

 

     On peut toutefois avancer quelques idées dont la première est qu’il semble que la part de l’acquis augmente (ou est susceptible d’augmenter) au fur et à mesure du développement cérébral de l’individu étudié. Il est certain qu’un apprentissage reste peu probable chez des êtres vivants élémentaires comme une paramécie ou un ver de terre (et encore ! Certaines études nous font douter d’une telle affirmation). En revanche, pour un système nerveux central plus complexe, la possibilité d’acquisitions comportementales nouvelles est certaine. Jusqu’à quel point ? Mystère. Du moins pour le moment…

 

     Comme le lecteur l’aura remarqué, nous n’avons pas encore évoqué le cas de l’Homme, notre cas. C’est que le cerveau humain est infiniment plus complexe que celui de la plupart des espèces animales que nous venons de citer. Plus complexe, certes, mais l’inné, chez nous, est également totalement présent. Dans quelle proportion ? Dans un prochain sujet, nous essaierons d’y voir un peu plus clair sur cette question… polémique s’il en est ! (voir le sujet : l'inné et l'acquis chez l'Homme)

 

  

Images

 

1.  la parade du dindon (sources : ca-photostyle.e-monsite.com)

2. canard colvert (sources : alpesoiseaux.free.fr)

3. barrage édifié par des castors (sources :/www.loup-ours-berger.org)

4. épinoche (sources : www.pescofi.com)

5. oiseau de proie (sources : fr.mongabay.com/travel/malaysia/)

6. mésange (sources :duboisyves.free.fr/)

7. Konrad Lorenz et ses oies (sources : lecerveau.mcgill.ca/)

 

 

 Mots-clés : apprentissage - Konrad Lorenz - Nikolaas tibergen - parade nuptiale - canard col-vert - castor - épinoche - hivernation - hibernation - Jean-Henri Fabre - René Descartes - Donald Griffin - mésanges anglaises - imprégnation en éthologie - phylogénèse - ontogénèse

 

 

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 Mise à jour : 7 mars 2023

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Dans un sujet précédent (voir le propre de l'Homme), nous évoquions le fait que, contrairement à ce qui avait été longtemps pensé, le « rire n’est pas le propre de l’Homme » puisque certains animaux peuvent également user de cette émotion, notamment par dérision. Pour nous différencier de nos amies les bêtes ne restait alors plus que cette antienne : « l’Homme, seul, est capable de concevoir qu’il est mortel et que, un jour, le monde continuera à tourner sans lui… » L’animal, même le plus évolué (en dehors de l’Homme, évidemment) ne serait donc pas capable d’utiliser cette anticipation, probablement par manque de pouvoir d’abstraction : c’est, en tout cas, l’idée défendue par beaucoup. Toutefois, certains comportements animaliers, certaines attitudes peuvent laisser croire le contraire… Proposons-nous, aujourd’hui, de nous pencher sur cette intéressante – et angoissante – question mais en convenant, au préalable, de bien faire la distinction entre deux aspects fort différents du problème chez les animaux : le suicide et l’anticipation de leur propre mort.

 
 

 

Le suicide des animaux

 

La littérature abonde en signalements de « suicides » chez les scorpion.jpganimaux. Qui n’a pas entendu parler du scorpion qui, cerné par les flammes, préfère se piquer avec son dard ? Ailleurs, on évoque le chien qui meurt de chagrin sur la tombe de son maître ou les bancs de baleines s’échouant en un ensemble parfait et donc probablement volontaire. Ailleurs encore, on décrit les grandes migrations de lemmings suivies de « suicides collectifs »…

 

Pour chaque exemple étudié, une explication bien plus simple peut être retrouvée : pour le scorpion, par exemple, il a été démontré que, entouré par les flammes, il meurt en réalité d’une déshydratation provoquée par la chaleur et si, parfois, son dard semble vouloir le piquer, il ne s’agit que d’un mouvement spasmodique et involontaire dû à son  agonie (de plus, on sait que le scorpion est immunisé contre son propre venin). Les baleines ? Ici aussi, la théorie du suicide collectif a du plomb dans l’aile : les scientifiques avancent des causes bien différentes comme la baleine bleue échouéedésorientation du meneur du groupe (la baleine dominante) qui entraîne les autres sur une plage ou la présence de parasites qui prolifèrent dans l’oreille et le cerveau de ces animaux, parfois avec une rapidité terrible, déréglant leur système d’écholocation. Voire une pollution sonore ou des perturbations météorologiques intenses. Ou plusieurs de ces causes à la fois.

 

Le cas des lemmings a été élucidé récemment, en 2003. Ces petits rongeurs de Scandinavie sont connus pour leur explosion démographique tous les quatre ans environ, surpopulation suivie par une disparition massive et immédiate (les studios Disney ont même popularisé ce « suicide » dans un documentaire intitulé « le désert de l’Arctique », en 1958, contribuant ainsi à la diffusion de cette sorte de légende urbaine). Disney avait tort, on le sait à présent. Si les lemmings disparaissent soudainement et qu’on retrouve leurs cadavres par dizaines dans les étangs et les cours d’eau, c’est la conséquence d’une classique compétition prédateurs-proies : victimes de quatre prédateurs spécifiques (renard polaire, hermine, chouette et un oiseau de mer, le labbe), les lemmings prolifèrent jusqu’à Lemming.jpgêtre considérablement chassés ; le nombre des proies diminuant, les prédateurs quittent alors les lieux… et il faudra environ quatre ans pour que la population de lemmings explose à nouveau, cette surpopulation générant parfois des bousculades entraînant une partie des individus vers la mort, certes, mais une mort involontaire.

 

De nombreux autres exemples de « suicides animaliers » sont ainsi rapportés de temps en temps : chaque fois, une explication éthologique est retrouvée (quand on la cherche !). Si l’on admet que le suicide est un acte volontaire, une décision délibérée de terminer sa vie en pleine connaissance de cause (comme chez l’Homme), il semble évident que l’animal n’est jamais confronté à une telle situation. Un chien qui se laisse mourir à la suite de la disparition de son maître ou d’un compagnon de vie ne semble pas relever d’une stratégie volontaire : en pareil cas, on doit plutôt se référer à une perte de ses repères d’appartenance puisque, animal social, disparaît alors pour lui celui qu’il considère comme le chef de la meute.

 

En revanche, les « suicides collectifs » ne dépendent pas de cette logique ; comme on vient de le voir, il s’agit plus d'accidents en relation avec une perturbation du milieu dans lequel vivent les individus.

 

Le suicide des animaux, qu’il soit collectif ou encore plus individuel, relève certainement du mythe et, d’une façon plus générale, fait partie de cet anthropomorphisme qui dort en nous, nous poussant à prêter aux autres acteurs de la Nature nos propres sentiments.

 

D’un point de vue plus théorique, il est clair que, pour adopter des comportements suicidaires, il est impératif qu’existe chez les animaux une base génétique de l’autodestruction : on voit mal comment celle-ci pourrait se transmettre de génération en génération du point de vue strict de la sélection naturelle pour laquelle le « suicide » est forcément une impasse.

 

Il se trouve toutefois un certain nombre de situations dans lesquelles des individus – parfois en nombre – disparaissent au profit de leur communauté mais il ne s’agit pas de suicides : chez les insectes sociaux, par exemple, des individus peuvent être amenés à se sacrifier pour le bien-être de tous. J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer dans un sujet précédent (voir : insectes sociaux et comportements altruistes). J’avais alors souligné qu’il s’agissait de sacrifices entraînant la survie d’individus génétiquement très proches des sacrifiés, permettant ainsi ce qui semble être le point le plus important de l’Évolution : la transmission du code génétique de l’individu et de son espèce. Ce qui, au passage, remet singulièrement en perspective le soi-disant « altruisme » des animaux…

 

Toutefois, bien différente du « suicide » est la notion de mort, imminente ou non, chez l’animal et c’est cette notion que je souhaiterais à présent aborder.

 

 

La notion de mort chez les animaux

 

Enfant, je vivais dans un pavillon de banlieue, à Courbevoie (92). La famille possédait alors une chatte dont la grande spécialité était la capture de rats qu’elle dénichait près d’une usine voisine. Elle les chassait pour les acculer dans un recoin sombre du jardinet mais elle prenait grand soin de ne pas les mettre à mort immédiatement : j’ai toujours en mémoire les cris épouvantables (et très caractéristiques) des rats ainsi promis à une fin certaine et, encore aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de penser que les rongeurs savaient parfaitement ce qui les attendait…

 

Certains animaux réagissent de façon parfois spectaculaire lorsqu’ils sont confrontés à la mort. J’ai déjà eu l’occasion de citer le cas très spécial des éléphants : on dit que les grands mâles vieillissants s’écartent elephants-02.jpgdu troupeau lorsqu’ils sentent « venir » leur propre fin et qu’ils rejoignent alors ce qu’on appelle le « cimetière des éléphants », un endroit spécifique de la savane où, avant eux, d’autres individus sont venus mourir. Légende ? On connait pourtant l’attitude singulière de ces animaux face à la mort de l’un d’entre eux : ils recouvrent de branchages et de terre le cadavre à la façon d’un linceul, veillant parfois toute une nuit le défunt, et se lancent même dans des processions, emportant avec eux une défense ou des os de leur mort. Comment expliquer une telle attitude ?

 

Chez les grands singes, les femelles confrontées à la mort de leur enfant continuent de s’occuper du petit cadavre en l’emmenant partout femelle-chimpanze-et-son-petit.jpgavec elles durant plusieurs semaines comme s’il leur fallait ce temps pour s’adapter à ce deuil, comme si, les jours passant, elles arrivaient enfin à se « séparer » de leur petit. Est-ce si différent de l’attitude des humains qui, eux, n’ont plus le corps de leur enfant mais doivent parfois attendre des années avant de faire leur deuil ?

 

Ailleurs, dans un zoo écossais, un psychologue a assisté (par enregistrements vidéo) à la mort d’une femelle chimpanzé de 50 ans ; très calmes, les autres singes usèrent d’attitudes typiquement humaines : les jours précédant la mort, ils l’entourèrent étrangement en la toilettant et en restant auprès d’elle durant la nuit ce qu’ils ne faisaient jamais auparavant. Enfin, au moment de sa mort, ils l’examinèrent sous toutes les coutures, la stimulant et lui soulevant la tête, comme pour s’assurer de l’inéluctabilité de la situation avant de décider collectivement qu’il n’y avait plus rien à faire. Durant les semaines qui suivirent, les chimpanzés furent différents, s’alimentant bien moins que d’habitude. Il est certain que la constatation de la mort n’est pas son anticipation mais il reste difficile, me semble-t-il de savoir où commence l’une et où finit l’autre…

 

 

 La mort, une notion universelle ?

 

Il est certainement malaisé d'appréhender ce que représente la réalité de l’idée de mort chez l’animal. Bien des études restent à faire et il convient d’être terriblement prudent. Même chez l’Homme dont la conscience et la faculté d’anticipation sont considérables, il est certainement compliqué pour chacun d’entre nous de comprendre – et d’accepter - ce que signifie notre propre disparition. Difficile, en effet, de se faire à l’idée que le monde qui fut le nôtre continuera d’exister exactement comme du temps où nous en étions le spectateur plus ou moins passif, mais sans nous.

 

Chez l’animal dont les possibilités cognitives sont moins développées, il existe probablement des embryons de compréhension d’un tel phénomène. l-homme-et-l-animal.jpgIl s’agit d’une idée certes personnelle mais je reste persuadé que, entre nous et les autres animaux, il n’existe pas de différence de nature mais seulement de degrés.

 

 

Les animaux, selon le développement plus ou moins important de leurs capacités mentales, vivent leur vie « au jour, le jour », dans une ambiance plutôt mécaniciste régie par une configuration instinctuelle génétiquement héritée mais tempérée par un apprentissage glané au fil de l’expérience. Ils possèdent, comme tous êtres vivants, un instinct de conservation intense qui leur permet de subsister dans un environnement forcément hostile. L’instinct de conservation n’est bien sûr pas superposable à la compréhension vraie de la mort mais il s’en approche. Qui nous dit que la notion de mort, au moins dans les derniers instants, ne fait pas partie de leur patrimoine existentiel ? Pour ma part, je suis persuadé que, chez certains d’entre eux au moins, cette « conscience » de leur propre disparition existe, fut-elle rudimentaire. Je ne peux bien sûr pas le prouver : il ne s’agit donc que d’une intime conviction.

 

 

 Photos :

1. le rire n'est pas le propre de l'Homme (sources : http://blonville.unblog.fr/2008/11/)

2. deathstalker scorpion (Leiurus quinquestriatus) ou scorpion jaune de Palestine (sources : newsblaze.com)

3. baleine bleue échouée sur une plage (sources : www.ccdmd.qc.ca )

4. lemming (sources : http://www.systemwissenschaft.de)

5. éléphant (sources: pinku-natural-scens.blogspot.com)

6. femelle chimpanzé et son petit (sources : http://booguie.unblog.fr)

7. un homme et une hyène (source : forum.pvtistes.net)

  (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

Mots-clés : lemmings - Dysney : le désert de l'Artique - compétition prédateurs/proies - sélection naturelle - comportements altruistes - instinct de conservation

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

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1. l'agression

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4. l'inné et l'acquis chez l'animal

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 Mise à jour : 5 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #éthologie

 

    

                                  tropidoderus-childrenii

 

 

 

 

     Beaucoup de nos contemporains – et pas forcément les moins avertis – n’arrivent pas à comprendre comment l’œil, organe complexe, a pu se constituer de façon progressive au fil des âges alors que, d’après eux, cet organe ne peut être fonctionnel que dans sa forme définitive : comment l’évolution aurait-elle pu retenir « des organes visuels incomplets et donc fonctionnellement impropres », argumentent-ils en souriant. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce (faux) problème dans un précédent sujet (voir l’œil, organe-phare de l’évolution).

 

     De la même façon, bien des gens n’arrivent pas à saisir l’origine des morphologies végétales ou des comportements animaux en apparence extraordinaires, de ces cas que l’on appelle volontiers « des merveilles ou des miracles de la nature ». A partir de quelques exemples, je vais essayer d’expliquer pourquoi la sélection naturelle, et elle seule, est ici à prendre en compte. Il va de soi que, au-delà des quelques modèles retenus, l’approche est bien entendu partout la même.

 

 

 

Des exemples étranges mais édifiants

 

 

     Observons dans un premier temps quelques cas de comportements surprenants glanés dans la littérature éthologiste puis, dans un second temps, nous essaierons de trouver une explication à ces « merveilles de la Nature », explications qui, comme on le verra, sont pratiquement toujours les mêmes.

 

 

·         l’orchidée « trompe-insectes »

 

     Les orchidées ont une stratégie bien particulière pour se reproduire : elles se servent d’insectes venus se repaître de leur nectar pour les enduire de pollen qui sera alors transporté vers une autre orchidée. Sauf orchidee-trompe-abeille.jpgque l’orchidée ne possède pas de nectar et, pour attirer par exemple une guêpe, elle secrète une phéromone précise, c'est-à-dire une odeur identique à celle de la guêpe femelle. Plus encore, certaines orchidées vont jusqu’à posséder une lèvre inférieure (le labelle) identique en forme et en texture au corps de l’insecte femelle (poilue si la fleur cherche à tromper une abeille, glabre pour une guêpe). L’illusion est presque totale : certains naturalistes ont déclaré qu’il leur avait fallu se pencher de près pour s’assurer qu’il s’agissait bien d’une excroissance de l’orchidée qu’ils apercevaient et non véritablement d’une guêpe. C’est ce que l’on appelle du mimétisme. De fait, la fleur trompe vraiment l’insecte qui « croit » avoir affaire à une femelle de son espèce : il va chercher à copuler en se frottant sur l’orchidée et, ce faisant, se barbouille de pollen… qu’il ira déposer sur une autre orchidée prise là aussi, pour quelqu’un d’autre ! Cette « pseudo-copulation », une trouvaille vraiment performante de la Nature pour les orchidées, a évolué de façon indépendante sur trois continents. La question qu’on se pose immédiatement est la suivante : il paraît difficile de croire qu’un mécanisme aussi compliqué, alliant morphologie mimétique (le labelle de l’orchidée) et chimie (la phéromone trompeuse), se soit constitué progressivement : en effet, comment expliquer que la sélection naturelle – qui ne laisse subsister que les éléments favorables – ait pu permettre le maintien d’étapes intermédiaires, forcément inabouties, et, du coup, très désavantageuses pour les orchidées « incomplètes » ? Au premier abord, on pense à l’agencement d’un procédé d’emblée fonctionnel : on se retrouve donc proche du créationnisme… et loin de la réalité, comme on le verra plus tard.

 

 

·         la guêpe fouisseuse

 

     J’ai évoqué dans le sujet « indifférence de la Nature » et à la suite des travaux du formidable entomologiste que fut Jean-Henri Fabre, le comportement bien spécifique de la guêpe fouisseuse dont l’indifférence pour la douleur de ses proies peut sembler de la cruauté à un œil non averti. Fabre imagina avec cet insecte une expérience devenue classique. Il avait remarqué que lorsqu’elle revient vers son trou avec une proie qu’elle a paralysée, la guêpe fouisseuse dépose d’abord sa victime à proximité de son antre puis pénètre dans cette celle-ci afin, semble-t-il, de vérifier queguepe-fouiseuse-Sceliphron-caementarium.jpg tout y est normal et qu’il n’y a aucun danger pour elle, que, par exemple, nul intrus n’y a pénétré en son absence. C’est seulement après s’être ainsi rassurée que la guêpe tire sa victime dans le trou pour la faire dévorer vivante par ses larves. Voilà un comportement bien singulier qui pourrait démontrer une certaine forme d’intelligence. Difficile en effet de croire à première vue qu’une telle attitude ne s’est pas imposée à la guêpe en une seule fois et que ce n’est que progressivement avec le temps qu’elle y a eu recours. Fabre eut donc l’idée de déplacer de quelques cm la proie pendant l’inspection de son domicile par l’insecte. Face à ce changement et une fois ressortie, la guêpe se met normalement en quête de sa proie et la retrouve facilement. Elle la ramène donc mais, bizarrement, repart inspecter son trou comme la première fois. Une troisième tentative donnera les mêmes résultats. On pourra déplacer cinquante fois la proie, chaque fois la guêpe la retrouvera mais recommencera immuablement son manège d’inspection : tout se passe comme si, tel un programme d’ordinateur, l’attitude de l’insecte avait été « réinitialisée », l’obligeant indéfiniment à repasser par les mêmes séquences… La guêpe est facile à tromper et il n’y a ici nulle intelligence...

 

     Mais, me direz-vous, il existe peut-être une autre explication : la vue de la guêpe serait éventuellement approximative, de mauvaise qualité, ce qui guepe-fouisseuse-3.jpgexpliquerait ses « erreurs » (mais pas le soin apporté par l’orchidée déjà citée pour mimer parfaitement le corps de la femelle, on y reviendra). L’explication ne tient pas. En effet, avec le même insecte, l’éthologiste (et prix Nobel) Nicolaas Tinbergen procède de la façon suivante : après avoir repéré le trou d’une guêpe fouisseuse (ici de la variété Philantus, chasseuse d’abeilles), il attend que la guêpe soit dans sa cachette et dispose quelques repères visuels autour d’elle tels une pierre, des brindilles, etc. avant de disparaître. La guêpe sort, décrit trois ou quatre cercles comme pour visualiser mentalement le lieu et s’envole, parfois loin et longtemps, pour trouver une proie. Tinbergen déplace alors les brindilles de quelques mètres. Invariablement, à son retour, la guêpe manque son trou et plonge dans la partie du sol où, d’après ses repères, il aurait dû se trouver. L’insecte a donc une excellente vue (ainsi qu’une très bonne mémoire photographique) mais son comportement est automatique et irréfléchi. Il s’agit à l’évidence d’un comportement génétiquement acquis et il est peu vraisemblable que cela se soit fait en une fois.

 

 

·         La mouette commune

 

     Prenons à présent l’exemple d’un oiseau, la mouette. Pourrait-on trouver chez elle des comportements relevant d’une « intelligence » réfléchie ? Celle-ci a une réaction très caractéristique lorsqu’elle s’aperçoit qu’un de ses œufs a roulé hors du nid (qui est situé à même le sol) : elle s’étire afin d’attraper l’œuf pour le faire avancer sous son bec vers le nid. Comportement remarquable prouvant que l’oiseau, à l’instinct maternel exacerbé, est capable de comprendre que son (futur) petit est en danger ? Certainement pas puisque les éthologues ont pu montrer qu’un tel geste se produit également en présence d’un œuf de poule, d’une pelote de ficelle ou d’une canette de bière.

 

     Concernant toujours la mouette (mais les exemples foisonnent dans toutes les espèces), on sait que les jeunes mouettes mangeuses d’anchoismouette-a-bec-rouge.jpg quémandent de la nourriture à leurs parents et toujours de la même façon : en cognant avec leurs becs sur le point rouge du bec parental. Substituons une forme en carton ressemblant vaguement à une mouette adulte mais porteuse d’un point rouge : les petits cognent dessus et ouvrent leurs becs ; chez les mouettes tout se passe comme si les oisillons ne voyaient de leurs parents qu’un point rouge…

 

 

·         La dinde meurtrière

 

     Dans son livre « Qu’est-ce que l’évolution ? » (Hachette, collection Pluriel), Richard Dawkins rapporte une anecdote étrange concernant cette fois-ci la dinde. Cette dernière, on le sait, est féroce pour tout ce qui concerne la survie de ses petits qui, il est vrai, est parfois problématique tant les prédateurs (belettes, renards, rats, etc.) sont nombreux. La dinde a recours à un comportement très primaire mais également très efficace : elle attaque tout ce qui bouge et ne crie pas comme ses petits. Un éthologue célèbre se rendit compte un jour qu’une de ses dindes avait massacré tous ses petits. Intrigué, il se pencha sur ce problème très spécial et s’aperçut tout bêtement que la dinde en question était sourde ! Pour une dinde, voir quelque chose qui bouge, qui ressemble à ses petits, qui vient en toute confiance se protéger auprès d’elle, ne peut être qu’un ennemi si elle n’entend pas aussi les piaillements accompagnateurs de sa marmaille…

 

 

     Tous ces exemples, choisis parmi tant d’autres, ne sont destinés qu’à montrer qu’il n’existe pas dans la Nature (sauf chez l’Homme et certains primates) de comportements qui ne soient pas génétiquement acquis, et donc ne tombant pas sous le poids de l’évolution. J’ajoute que, bien sûr, l’apprentissage est certainement possible chez l’animal mais il s’agit alors d’un autre contexte. La construction de ces processus est par ailleurs forcément progressive, jamais aboutie du premier coup, nous en reparlerons. Je voudrais à présent terminer ce chapitre par une autre « merveille de la Nature » qui a fait souvent parler d’elle chez les créationnistes ébahis face à cette perfection, la danse des abeilles.

 

 

·         La danse des abeilles

 

     Karl Von Frisch qui fut avec Konrad Lorenz un des fondateurs de l’éthologie moderne rapporte qu’il fut un jour intrigué par le manège étrange d’une abeille : après avoir repéré un peu d’eau sucrée, cette abeille (que Frisch avait préalablement marquée) retourna à sa ruche pour y effectuer une « danse en rond » qui attira immédiatement l’attention de ses congénères. Tous s’envolèrent alors vers la source d’eau sucrée… On sait à présent que cette danse en rond se rapporte à des cibles situées relativement près de la ruche (une trentaine de mètres) mais que pour des distances plus importantes, il existe un autre type de communication codée appelée « danse frétillante ». Cette danse est effectuée à l’intérieur de la abeilles-danse.jpgruche, sur la face verticale du rayon, c'est-à-dire dans l’ombre, sans que les autres abeilles puissent la voir. Ce sont en fait les petits bruits cadencés accompagnant la danse qui sont perçus par les autres insectes : l’abeille informatrice effectue un parcours en huit sans cesse répété et c’est la portion rectiligne au sein de ce mouvement qui indique la direction à suivre. En réalité, les abeilles perçoivent le soleil (même caché par des nuages) grâce à la direction de la polarisation de la lumière… et transcrivent l’information dans leur petit manège. Plus encore, au moyen d’une « horloge interne », l’insecte « dansant » fait subir une rotation à la fraction rectiligne de sa danse de façon à rester en phase, au fil des heures, avec le mouvement du soleil. D’ailleurs, les abeilles de l’hémisphère sud font exactement la même chose mais en sens contraire comme il se doit ! Ce moyen de communication inné permet donc aux abeilles d’indiquer à leurs congénères non seulement la distance mais aussi la direction de l’endroit à explorer. Il s’agit d’un mode de transmission de l’information très rare chez les animaux et il est vraisemblable que, apportant un avantage évolutif certain, il a alors été retenu par la Nature. Cette découverte et les travaux s’y rapportant valurent d’ailleurs en 1973 le prix Nobel de physiologie à Von Frisch. Il semble difficile en première analyse de croire qu’un processus aussi extraordinaire et élaboré ait pu être progressivement sélectionné par l’évolution et pourtant…

 

 

 

 

L’orgueil de l'Homme, encore et toujours

 

 

 

* Le temps

 

     Imaginons un homme vivant, disons, en 1925 qui, grâce à une machine à voyager dans le temps, serait brusquement projeté de nos jours. A part quelques inévitables différences culturelles et sociétales, cet homme, biologiquement et intellectuellement parlant, est tout à fait semblable à n’importe lequel de nos contemporains. Présentons lui, par exemple, un de ces petits organiseurs informatiques que beaucoup d’entre nous possèdent : ne serait-il pas éberlué de voir le concentré de technologie mis à sa portée ? Quoi, cette petite machine tenant dans le creux d’une main est capable d’afficher des photos ou des films pris par lui-même ou par d’autres, de restituer des musiques, de traduire des textes, de prendre etiphone.jpg rappeler des rendez-vous, de posséder une bibliothèque de plusieurs centaines de livres et, plus encore, de communiquer en temps réel avec le reste du monde par le biais d’Internet ? Notre homme de 1925 serait stupéfait, incrédule et soupçonnerait, pourquoi pas ?, quelque diablerie. Comment pourrait-il comprendre – à moins qu’on lui explique le cheminement intellectuel et industriel de la chose – qu’il s’agit d’un objet ayant été le centre de milliers d’agencements successifs, d’erreurs, d’impasses technologiques, de petites et grandes découvertes, tout cela mis bout à bout : face à l’objet fini que représente l’organiseur électronique qu’on lui présente, il se trouverait dans la même situation que le créationniste confondu par la complexité et la haute spécificité de la danse des abeilles ou du mimétisme de l’orchidée…

 

     Il existe toutefois ici deux différences fondamentales avec l’œuvre de la Nature. D’abord, la complexification technologique progressive de l’organiseur est le fruit du travail minutieux et mille fois répété des hommes : à la différence de l‘évolution, il ne s’agit pas de transformations dues au hasard et à la pression de sélection mais bel et bien d’un cheminement intellectuel et conceptuel.  Ensuite, cette (apparente) extraordinaire fabrication s’est faite en peu de temps, en quelques dizaines d’années, ce qui est normal puisque due à l’intelligence dirigée des hommes. Voilà le point sur lequel, je souhaitais insister : dans la Nature, les « objets finis » que nous observons ne se sont constitués qu’au long de millions d’années, après des millions de générations d’êtres vivants nous ayant précédés. L’évolution, la sélection naturelle, ont permis cette progression, non sans erreurs, non sans retours en arrière ou changements multiples de milieux et donc de conditions de sélection, le tout au rythme des mutations génétiques, forcément peu fréquentes pour celles qui ont été retenues. Des mutations, des aménagements qui ont été sélectionnés par l’environnement et la compétition entre les différentes espèces vivantes selon un principe immuable : le hasard qui a permis à telle ou telle mutation de s’exprimer selon les circonstances, à certaines de disparaître, à d’autres de prospérer.

  

 

* La progressivité

  

     Il faut donc du temps, beaucoup de temps pour qu’apparaisse un caractère favorable à une espèce et susceptible d’être intégré à tous ses descendants. C’est encore plus vrai pour un ensemble de caractéristiques conduisant à un organe complexe ou à l’acquisition d’une procédure ou d’un comportement. Cette acquisition se fait petit à petit, à la suite de modifications le plus souvent minimes au point qu’elles peuvent presque passer inaperçues. Oui mais, disent les créationnistes, comment expliquer les étapes intermédiaires durant lesquelles la fonction n’est pas encore apparue ; pourquoi l’évolution les retiendrait-elles puisqu’elles n’apportent rien (ou handicapent) l’individu qui en est porteur ? Tout  a forcément été créé d’un seul coup ! Eh bien les créationnistes ont tort car les étapes intermédiaires « peuvent apporter quelque chose » qui n’est pas (encore) le bénéfice d’arrivée mais suffisant néanmoins pour ne pas être éliminé et oublié. L’organe (ou le processus) incomplet a une fonction encore embryonnaire, archaïque (parfois totalement différente de celle d’arrivée) mais conférant dans tous les cas un avantage sélectif au porteur.

 

     Les orchidées primitives n’avaient pas de nectar et étaient confrontées au problème de la diffusion de leur pollen. Une modification est un jour survenue sur l’une d’entre elles qui a permis, en trompant plus facilement un insecte, de permettre à cette orchidée d’avoir plus de descendants que les autres. La compétition engagée entre les orchidées a fait s’améliorer peu à peu le « piège » qui, au départ, était loin d’être parfait et ne fonctionnait peut-être qu’avec quelques rares insectes, seulement sous certaines conditions d’éclairage, de température, etc. Ce que nous observons aujourd’hui, c’est le résultat de cette évolution, c'est-à-dire un piège bien plus élaboré… et sa complexité peut étonner des esprits peu scientifiques.

 

     Certains éthologistes contemporains de Von Frisch acceptaient bien l’idée que la danse des abeilles existait et même qu’elle pouvait contenir des indications mais ils refusaient absolument de penser que les autres abeilles étaient capables de déchiffrer, de comprendre l’information ainsi délivrée. Il fallut attendre les remarquables expériences de Jim Gould (un peu longues et complexes à décrire ici) pour apporter la preuve qu’ils se trompaient : les abeilles « comprennent » bien les indications de la danse et s’en servent ensuite pour le ravitaillement de l’ensemble de la ruche.

 

     Mais comment expliquer une telle évolution, forcément progressive ?  Cette question passionna Von Frisch qui se mit à étudier tous les insectes proches des abeilles, espérant trouver chez eux des caractéristiques anciennes. Le scientifique mit effectivement en évidence un certain nombre de caractères archaïques existant encore dans la délivrance de l’information chez de lointains cousins des abeilles : il s’agissait là de quelques unes des étapes ayant conduit aux extraordinaires ballets informatifs des abeilles d’aujourd’hui qui, par leur élégance et leur complexité, peuvent induire en erreur ceux qui ne regardent que « le produit fini » sans songer au cheminement qui a été nécessaire pour y parvenir.

 

 

* L’anthropomorphisme

 

     L’Homme a longtemps été comme un enfant de un an contemplant le univers-infini.jpgmonde minuscule de sa chambre et qui, au-delà de ses peluches, ne connaît que ses parents et sa nounou. Il se voit le centre d’un univers qui gravite autour de sa présence et de ses caprices. Comme il ne connaît rien d’autre, l’enfant est le centre de l’Univers dans son intégralité. Les connaissances humaines ont singulièrement progressé et nous savons qu’il existe, au-delà de notre douce Terre, un univers démesuré au sein duquel notre présence est moins que celle d’un grain de sable dans le désert du Sahara : l’Homme sort enfin de l’enfance.

 

     L’abeille voit le monde en ultra-violet et les fleurs qui cherchent à les attirer se parent de courbes et de formes qui nous sont totalement inconnues : nous discernons de façon si différente ! La guêpe croit apercevoir, dans une excroissance de l’orchidée de mieux en mieux imitée au fil du temps, la compagne qu’elle recherche mais que savons-nous des perceptions de l’insecte ? Comment comprendre ce qu’il voit ou ressent ? C’est la raison pour laquelle, nous préférons souvent la facilité qui consiste à prêter nos propres sentiments, nos propres sensations à ce monde animal si étrange. Voir les autres formes de vie à travers le prisme déformant de nos pensées et de nos préjugés s’appelle l’anthropomorphisme.

 

     Certains phénomènes naturels semblent échapper à notre compréhension immédiate : la danse des abeilles – pour reprendre cet exemple – est si ingénieuse, si complexe, si particulière qu’il est tentant d’y voir plutôt du créationnisme que la lente et laborieuse transformation d’une espèce par la sélection naturelle, bras armé de l’évolution. Cette erreur se fonde sur l’orgueil de se croire « à part », d’être le centre de l’Univers, et elle s’appuie sur l’anthropomorphisme pour tenter d’interpréter le vivant qui nous entoure. C’est un mirage qu’il faut absolument éviter : seule une approche objective permet d’y voir un peu plus clair et c’est ce que, heureusement, offre la Science.

 

 

 

 

Images

 

1. mimétisme : tropidoderus childrenii (sources : tpe.mimetisme.e-monsite.com)

2. orchidée trompe-abeille (sources : docroger.over-blog.com)

3 guêpe fouisseuse Scheliphron (sources : www.insectesjardins.com)

4. guêpe fouisseuse entraînant sa proie dans son nid (sources :   jsbouchard.com )

5. mouette à bec rouge (sources : flickr.com)

6. danse des abeilles (sources : tecfa.unige.ch)

7. I.Phone (sources :  syl112002.wordpress.com/)

8. l'univers, infini, hors de portée (sources : toocharger.com)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : évolution - sélection naturelle - orchidées - mimétisme - créationnisme - Jean-Henri Fabre - guêpe fouisseuse - Nicolaas Tinbergen - mouette à bec rouge - danse des abeilles - Karl Von Fritsch - hasard génétique - anthropomorphisme

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires) 

 

 

 

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mise à jour : 2 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie, #Évolution

 

 

 

                 une fourmi soldat de l'espèce Atta laevigata (image de A. Wild de myrmecos.net)

 

 

  

     En évoquant dans un précédent sujet l’indifférence de la Nature (voir sujet indifférence de la Nature) et puisque j’avais souligné le caractère toujours utilitaire des comportements animaux (excluant toute notion de bien et de mal, de pitié ou de vengeance), je m’étais interrogé sur certaines attitudes en apparence paradoxales : les conduites altruistes parfois observées dans certaines situations. J’aimerais revenir aujourd’hui sur cet aspect étrange de la vie naturelle qui, au premier abord, peut paraître contradictoire avec la théorie de l’évolution, celle-ci stipulant en effet que seuls les comportements égoïstes - et donc la défense de ses intérêts propres - peuvent permettre au plus apte de l’emporter.

 
     Commençons toutefois par préciser ce qu’est l’altruisme. Si l’on s’en réfère à la définition du dictionnaire, il faut y voir « une tendance à s’occuper plutôt des autres que de soi-même ». C’est cette notion qui peut, en effet, paraître singulière dans le cadre de la théorie de l’évolution. Pourtant, avant de discuter de ce sujet passionnant, il est fondamental d’identifier et de quantifier l’importance de l’environnement au sein duquel cet altruisme peut se manifester : ce faisant, nous sommes donc obligés d’aborder au préalable l’organisation sociale des individus.

 

 

 

 

organisation sociale des différentes espèces d’animaux

 

 
     A l’exception de quelques cas particuliers, il est clair que la vie d’un individu d’une espèce donnée est régie par son rapport aux autres et cela de façon plus ou moins marquée. Ces rapports sociaux ont pour but évident la mise en commun de connaissances ou d’automatismes aboutissant à la survie et à la progression de l’espèce. Or, qui dit rapports dit obligatoirement rapports de force : c’est ainsi que, dans toutes les espèces (à quelques exceptions notables près), il existe une hiérarchisation marquée par la prédominance d’un individu sur les autres, un fait partout constaté dans la Nature. Nous connaissons par exemple tous la notion d’individus dominants chez les canidés : les loups, pour ne citer qu’eux, se regroupent en meutes sous la direction d’un chef (presque toujours un mâle qu’on appelle l’animal alpha) plus fort ou plus intelligent que la moyenne et qui imprime sa domination en se réservant les femelles. En vérité, le constat d’une organisation hiérarchique, fondement de la socialisation, s’impose pour la plupart des espèces (les rongeurs tels les rats, les animaux marins – otaries, phoques -, les ruminants « sauvages », les oiseaux, etc.).

 

     Comme toujours, il existe des exceptions : les félins, par exemple, sont des animaux très peu grégaires et donc peu sociaux. En haut ( ?) de l’échelle animale, les grands primates ont certes des comportements grégaires mais permettant des approches individuelles, aboutissant de ce fait à des types de sociétés moins rigides que celles, par exemple, des insectes dont nous parlerons plus loin. Dans ce type de sociétés animales, en effet, la hiérarchisation existe toujours mais on pourrait avancer qu’elle est raisonnablement tempérée par une certaine dose d’individualisme. Même chez l’Homme, ces pulsions grégaires (qui, rappelons-le, relèvent de programmes génétiques innés) existent et ce sont elles qui, conduisant à une socialisation poussée, ont permis à Sapiens de faire les progrès que l’on sait.

 
     On comprend donc bien qu’il existe une antinomie entre socialisation et individualisme et que, selon les sociétés considérées, il existe une sorte de balancier, d’équilibre, entre les deux concepts. Dans certaines espèces, l’individualisme est poussé à l’extrême (comme chez les chats, animaux volontiers solitaires) tandis que pour d’autres l’organisation sociale devient si prépondérante – j’allais dire si prégnante – que toute existence individuelle est abolie au profit de la communauté (insectes sociaux). Chez l’Homme, on l’a déjà mentionné, il existe un réel compromis entre ces deux extrêmes puisque si une organisation sociale lui est indispensable, celle-ci permet à certaines initiatives personnelles de s’exprimer.

 
     Afin de mieux cerner selon quels critères se font jour des comportements altruistes, sujet de notre propos, revenons sur quelques exemples d’organisations sociales rigides (ou dites « fermées ») des animaux.

 

 

 

 
les insectes sociaux

 

 

           

 

 
     La plupart des insectes se répartissent en sociétés grégaires, fortement socialisées, et en populations où l’individu est plus indépendant, voire réellement isolé : c’est, par exemple, le cas des arachnides dont la majorité d’entre elles sont strictement solitaires, bien tapies au fond de leur toile ou de leur antre (même s’il peut exister des relations d’entraide), mais chez lesquelles existent aussi des populations très socialisées regroupant des centaines, voire des milliers d’individus se partageant une même toile (qui peut alors s’étendre sur une grande surface, parfois plusieurs arbres, comme le montre la photo ci-dessus d'araignées sociales en Guyane) avec les contraintes en rapport.  On retrouve ce même phénomène (isolement/grégarité) chez les guêpes et les abeilles.

 

 

 

 
          Les abeilles

 

 

     On pense qu’il existe plus de 20 000 espèces différentes d’abeilles dont près de 90 % sont solitaires. Même parmi les abeilles dites « sociales », l’organisation est variable, allant d’une simple mise en commun de quelques actions communautaires à une réelle complexité organisationnelle mais sans jamais atteindre toutefois l’ordre quasi-militaire des fourmis (que nous verrons ensuite), voire même des termites. Nous connaissons bien ces abeilles sociales puisqu’il s’agit d’Apis mellifica, l’abeille des ruches à miel cultivées par les Hommes.
 
     La ruche est un ensemble social où coexistent un certain nombre de type d’individus aux rôles parfaitement définis. Il y a évidemment la Reine, l’abeille responsable des naissances et donc garante de l’avenir de la ruche toute entière, gardée jalousement par ses assistantes qui lui permettent de pondre chaque jour plus d’un millier d’œufs. Ce sont les ouvrières – stériles et il s’agit là d’une notion fondamentale – qui effectuent le travail d’entretien et de défense de la ruche : on y trouve les nourrices qui s’occupent des larves, les nettoyeuses qui assurent la propreté de l’ensemble, les ventileuses chargées, par leurs mouvements permanents des ailes, d’assurer la température adéquate, les cirières qui construisent les rayons, les butineuses qui récoltent le pollen, les sentinelles qui défendent les accès à la ruche. Tout ce petit monde communique par des  phéromones (voir glossaire) ce qui permet l’indispensable reconnaissance des individus entre eux mais aussi de façon gestuelle (voir nota : la danse des abeilles).
 
     Il s’agit d’un univers bien organisé et indispensable à chacun de ses habitants puisque si, d’aventure, un sujet devait s’égarer loin de la ruche, il ne lui faudrait pas plus d’un jour ou deux pour mourir, aurait-il suffisamment de quoi pour se nourrir. Pourtant, cette organisation déjà bien hiérarchisée est loin d’égaler les sociétés de fourmis, autres hyménoptères (et même les termites qui, eux sont des isoptères, catégorie d’insectes plus ancienne dans l’échelle de l’évolution).

 

 

 

 
          Les fourmis

 

 
     Il s’agit du stade ultime de l’insecte social. Bien qu’il existe des milliers d’espèces différentes de fourmis (variant par la taille, la couleur ou les comportements), on n’en connait aucune qui soit solitaire. Est-ce cela qui explique leur indéniable succès adaptatif puisqu’on les trouve dans toutes les parties du monde ? Quoi qu’il en soit, certaines colonies s’étendent sur des centaines de km comme la colonie originaire d’Amérique du sud (et qui a supplanté les variétés autochtones) qui peuple à présent et d’un seul tenant la côte nord de l’Espagne, le sud de la France et le nord de l’Italie. Comment expliquer un tel succès ? Eh bien probablement par la rigueur de l’implacable organisation de l’ensemble. Chez les fourmis, les individus comptent encore moins qu’ailleurs.

 
     Plus ou moins agressives envers les êtres vivants « extérieurs », les fourmis se déplacent en colonnes de millions d’individus, colonnes dont les flancs sont impitoyablement gardés par les soldates, souvent dotées d’énormes pinces et/ou mandibules, comme le montre la photo d'introduction. (J’ai encore en mémoire ce documentaire que, enfant, j’avais regardé à la télé en noir et blanc de l’époque : on y voyait la progression inexorable de milliards de fourmis dans un pays d’Afrique dont je n’ai pas retenu le nom et qui dévastaient absolument tout sur leur passage, allant jusqu’à submerger et tuer un fourmilier, pourtant un de leurs prédateurs locaux). Contrairement aux abeilles, les fourmis sont de morphologie différente selon les fonctions qu’elles exercent au sein de la communauté mais ce qui retient surtout l’attention, c’est la complexité de leur habitat, le plus souvent souterrain (mais pas toujours) : on se trouve face à une profusion de couloirs, corridors, tunnels, salles et cul-de-sac, chacun de ces endroits ayant sa fonctionnalité propre, depuis les « appartements » de la Reine jusqu’aux pouponnières, aux chambres de stockage des réserves ou aux salles d’élevage. Car les fourmis élèvent des pucerons, des champignons… ou maintiennent en esclavage d’autres variétés de fourmis (comme le font certaines espèces de fourmis rouges avec des fourmis noires capturées sous forme de larves et qui ne se révoltent jamais).

 

     Cette extraordinaire organisation a évidemment un corollaire que nous fourmis-rouges.jpgavons déjà évoqué : en pareil cas, il n’est pas possible que l’individu puisse exister séparément ; ce dernier n’est plus qu’une infime partie d’un ensemble pour lui immense, la fourmilière, et pour sauver cette dernière – ou simplement la protéger – il est parfaitement envisageable de sacrifier des milliers d’individus (même les reines qu’il est toujours possible de remplacer). C’est dans ce contexte ultra-utilitariste, où chaque chose, chaque comportement à sa place sans que jamais il n’y ait la moindre fantaisie, que l’on peut se poser la question qui nous occupe aujourd’hui : comment est-il possible que l’on puisse observer chez ces animaux des comportements que l'on qualifiera d'altruistes ?

 

 

 

 

 
comportements dits altruistes de certains animaux

 

 

 
     On vient de voir que chez les insectes sociaux, les rôles sont parfaitement distribués et toujours reproduits à l’identique. Comment donc expliquer le sacrifice de certains individus composant la communauté (ici fourmis sentinelles ou ouvrières) qui meurent au combat ou à la tâche pour protéger les autres ? L’instinct, me direz-vous, puisque ces comportements sont tout simplement inscrits dans les gènes de ce type de fourmis. Oui, mais affirmer cela pose une question : dans la théorie darwinienne de l’évolution, c’est la sélection naturelle qui permet le maintien de tels comportements (en d’autres termes, les conduites apportant un avantage sélectif à des individus sont retenues par la nature puisqu’elles leur permettent une meilleure survie). Problème : les fourmis ouvrières, celles qui se sacrifient, sont, on l’a déjà dit, stériles et ne peuvent donc pas se reproduire.

 
     Darwin n’a pas ignoré ce problème et a longtemps réfléchi sur la question. Dans son livre princeps, « l’origine des espèces », il en a conclu que la sélection se faisait sur les reines, les seules au demeurant susceptibles de se reproduire et donc de transmettre un comportement génétiquement déterminé. Pour lui, les reines ayant, au fil du temps, incorporé dans leurs gènes les comportements sociaux des fourmis ouvrières les mieux adaptés – des comportements « altruistes » - se sont retrouvées à la tête des ruches les plus productives d’où la diffusion progressive de ce patrimoine génétique. De nombreux chercheurs essaieront par la suite de revenir sur la question mais sans trouver mieux.

 
     C’est en 1975 que paraît un ouvrage fondamental qui va relancer les spéculations sur le problème. L’auteur en est un biologiste d’Harvard, spécialiste des fourmis, Edward. O. Wilson. Ce scientifique va essayer d’expliquer les sociétés animales (et aussi humaines) par une étude darwinienne des évolutions collectives, la seule explication, pense-t-il, pour justifier précisément les comportements altruistes de certains individus. Il baptisera cette approche sociobiologie.

 

 

 
          La sélection de parentèle

 

 
     Dans son étude, Wilson reprend les conceptions d’un précurseur, William D. Hamilton, qui avait défendu à peu près ceci : si des individus font preuve d’altruisme, s’ils acceptent (évidemment sans le savoir) de se sacrifier, c’est parce que, au bout du compte, ce  sacrifice permet la transmission de leurs gènes à des descendants plus complètement que s’ils avaient eux-mêmes procréé. Et cela peut être mathématiquement calculé. Ainsi, en raison de la spécificité de la détermination du sexe chez les hyménoptères, une fourmi ouvrière possède les 3/4 de ses gènes en commun avec les larves pondues par la reine alors que si elle avait elle-même eu des descendants, elle n’aurait eu que la moitié de gènes en commun avec ses enfants. De ce fait, renoncer à une (potentielle) descendance devient plus compréhensible. Ce calcul fonctionne aussi avec les abeilles, les guêpes, etc.

 
     Il subsiste néanmoins un problème : les comportements altruistes s’observent également chez les termites qui ne sont pas des hyménoptères et n’ont donc pas ce système si particulier de transmission des gènes. Ce qui amena Hamilton à revenir sur la notion de bénéfice non pas uniquement pour la simple parentèle mais aussi pour le groupe auquel il appartient, reprenant en quelque sorte approximativement l’approche de Darwin en son temps.

 

 

 
          L’altruisme est-il désintéressé ?

 

 
     Les spécialistes de l’évolution sont à peu près d’accord sur un point : pour qu’il y ait renoncement d’un individu à sa propre survie, il faut qu’il en tire bénéfice d’une manière ou d’une autre. Ce bénéfice est génétique et passe par la transmission d’un certain nombre de ses gènes (ce qui valut à Richard Dawkins un beau succès de librairie avec son livre « le gène égoïste »). Nul besoin, semble-t-il, que cette transmission soit abondante : il suffit que le bénéfice existe, si faible soit-il. L’individu compte bien moins que les gènes qu’il transmet.

 

 

 
        • Les comportements altruistes existent dans toutes les espèces

 

 
     Afin de comprendre le mieux possible cette notion d’altruisme dans la nature, j’ai pris l’exemple le plus emblématique, celui des insectes sociaux, parce que la rigidité de ces sociétés permet le mieux l’application de modèles mathématiques (c’est d’ailleurs historiquement chez eux que les études ont été les plus poussées) mais, dans toutes les espèces, de tels comportements existent : le rongeur qui signale en criant à ses congénères l’apparition d’un prédateur au risque de se faire immédiatement repérer, l’oiseau femelle qui attire sur elle l’agresseur pour l’éloigner de son nid, le lion qui tue les lionceaux issus du mâle qu’il vient d’évincer (il pourrait perdre leur mère qu’il vient de conquérir), etc. Autant de cas d’altruisme, autant d’explications diverses qui vont toujours dans la même direction : la recherche d’un bénéfice secondaire à l’insu de l’acteur lui-même, ce bénéfice étant la transmission d’une partie la plus importante possible de son patrimoine génétique.

 

 

 


l'altruisme, terme ambigu

 

 

     L’altruisme proprement dit n’existe donc pas dans la Nature. Ou plutôt il n’est pas ce que l’on croit. Les conduites, les attitudes qui aboutissent au sacrifice d’un individu isolé afin de permettre la survie d’autres individus du groupe font partie d’une stratégie sélectionnée par l’évolution et dont le but en est toujours le même : permettre à l’espèce de progresser en reproduisant le plus grand nombre de gènes d’une génération donnée, quitte d’ailleurs à ce que, en raison de mutations diverses, certains d’entre eux (apportant un avantage évolutif) soient pérennisés par l’évolution au détriment des autres.

  
     Et, me direz-vous, l’Homme dans tout ça ? Puisqu’il est un animal comme les autres (hormis son intellect certainement plus développé), est-il lui aussi soumis à ces comportements innés ? Il est certain que, animal social, l’Homme a besoin d’une société pour survivre et d’une hiérarchisation des individus pour progresser. Mais l’altruisme dont il fait parfois preuve peut-il être envisagé uniquement d’un point de vue fonctionnel, du seul point de vue d’une recherche de bénéfices secondaires à ses actions ?

 

     C’est ici que les avis divergent. Pour une part des sociobiologistes c’est à l’évidence le cas et les tentatives de justification de l’altruisme humain sont identifiées par eux comme la rationalisation a posteriori de la recherche inconsciente d’un bénéfice pour l’espèce : une fourmi humaine en quelque sorte. Pour d’autres sociobiologistes, s’ils reconnaissent volontiers que cet état était effectivement celui de l’Homme des débuts de l’Humanité, ils pensent que la civilisation et ses facteurs normalisants ont certainement gommé cette part strictement génétique : la raison dominant les automatismes si l’on peut dire. D’autres enfin se situent entre ces deux approches et parlent d’une atténuation plus ou moins importante de ces comportements innés.

 

 
     Comme on peut le constater, les considérables différences d’appréciation de ce problème par les scientifiques prouvent qu’il reste encore beaucoup à observer et à décrypter dans cette science qui n’en est encore qu’à ses débuts.

 

 

 

 

 

Nota : la danse des abeilles

 

      Karl von Frisch qui fut avec Konrad Lorenz un des fondateurs de l’éthologie moderne rapporte qu’il fut un jour intrigué par le manège étrange d’une abeille : après avoir repéré un peu d’eau sucrée, cette abeille (que Frisch avait préalablement marquée) retourna à sa ruche pour y effectuer une « danse en rond » qui attira immédiatement l’attention d’autres abeilles. Toutes s’envolèrent alors vers la source d’eau sucrée… On sait à présent que cette danse en rond se rapporte à des cibles situées relativement près de la ruche (une trentaine de mètres) mais que pour des distances plus importantes, il existe un autre type de communication codée appelée « danse frétillante ». Ce moyen de communication inné permet aux abeilles d’indiquer à leurs congénères non seulement la distance mais aussi la direction de l’endroit à explorer. Il s’agit d’un mode de transmission de l’information très rare chez les animaux et il est vraisemblable que, apportant un avantage évolutif certain, il a alors été retenu par la Nature. Cette découverte et les travaux s’y rapportant valurent en 1973 le prix Nobel de physiologie à Von Frisch.

(voir également le sujet : comportements animaux et évolution )

 

 

 

 

Glossaire

 

* phéromones : en physiologie, sécrétion chimique émise par un animal provoquant une modification du comportement chez un individu de la même espèce (Encyclopædia Universalis) 

 

 

 

Images

 

1. fourmi soldat (sources : myrmecos.net)

2. araignées sociales (sources : metalogie.blog.lemonde.fr)

3. abeilles attaquant un frelon :  ne pouvant tuer ce type de prédateurs (qui les déchiquètent pour s'en nourrir) car leur cuticule est souvent trop dure pour leurs dards, elles l'étouffent en bloquant sa respiration et en occultant tous ses orifices de respiration. Beaucoup d'individus meurent dans ce combat. (sources : www.notre-planete.info/)

4. fourmis rouges : l'individu n'a aucune importance (sources : www.lefigaro.fr/ )

5. Edward Wilson (sourcces : greensource.construction.com)

  (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 

Mots-clés : altruisme, évolution, avantage évolutif, sélection naturelle, individualisme, socialisation, hiérarchisation, insectes sociaux, arachnides, araignées sociales, abeilles, fourmis, E O Wilson, W. D. Hamilton, sociobiologie, sélection de parentèle, sélection de groupes

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 

Sujets connexes sur le blog :

 

 1. indifférence de la Nature

 2. les mécanismes de l'Evolution

 3. reproduction sexuée et sélection naturelle

 4. le rythme de l'évolution des espèces

 5. comportements animaux et Evolution

 6. le mimétisme, une stratégie d'adaptation

 7. superprédateurs et chaîne alimentaire

 8. parasitisme et Evolution

  9. l'intelligence animale collective

 

 

 

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Mise à jour : 26 février 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie

 

                   

 

  

    Au tout début de l’Humanité et jusqu’à il y a encore peu, la Terre, pour l’Homme, était le centre du Monde (voir l'article la Terre, centre du monde) et lui-même se jugeait son habitant privilégié, pour ne pas dire élu. Mais, la connaissance venant, il dût se rendre à l’évidence : non seulement la Terre, comme toutes les autres planètes du système, tourne autour du Soleil mais, fait encore plus troublant, notre étoile est elle-même très insignifiante, tant par sa taille, sa position ou son devenir. Située à l’écart du centre de la galaxie qui l’abrite (voir l'article place du Soleil dans la Galaxie), le Soleil est une naine jaune comme il en existe des milliards. Pire encore : notre Galaxie est de dimension moyenne, d’aspect banal, et l’on sait aussi depuis le siècle dernier que, des galaxies, il en existe des milliards (voir article les galaxies).

 

     Voilà une accumulation de faits qui donne à réfléchir et renvoie l’espèce humaine à un destin moins glorieux qu’elle ne l’espérait. Homines quod volunt credunt (Les hommes croient ce qu'ils veulent croire).

 

     De ce fait, l’Homme cherche à se consoler en se disant qu’il est le maître incontesté de la planète sur laquelle il vit tant il se croit différent des autres habitants, tant il se juge « supérieur » aux animaux. Seulement voilà : est-ce si certain ? L’Homme est-il un être à part, une créature privilégiée, ou seulement un animal doué d’un cerveau lui ayant permis de progresser plus vite ? En quoi, au bout du compte, se distingue-t-il de la Vie qui l’entoure ? Quelles sont donc ces caractéristiques particulières qui le rendent si fier de lui ? Quel est, au fond, le propre de l’Homme ? Je me propose d’explorer cette question à l’aide des différentes disciplines scientifiques concernées et sans jamais vouloir ouvrir la moindre polémique philosophique, domaine que je laisse à des penseurs bien plus instruits que moi.
 
     Plusieurs affirmations péremptoires sont censées évoquer le destin notable de l’espèce humaine qui serait une forme de vie « à part ». Revenons sur les principales d’entre elles.
 
 
 
      
 
 
l’homme est le seul représentant de son genre ce qui est une exception remarquable
 

     C’est la paléontologie qui répond le mieux à cette approche. Le genre homo, c’est vrai, n’est plus représenté que par homo sapiens. Exit les homo erectus, homo neandertalensis, etc. Cela veut-il dire que sapiens est forcément une lignée évolutive ayant conduit à l’apparition du plus doué ? Non, justement, car il faut bien l’avouer, nous avons de fortes raisons de soupçonner que c’est sapiens lui-même qui, consciemment ou non, a évincé ses proches parents (voir sujet le dernier ancêtre commun). Nulle progression irrévocable dans tout cela mais une compétition, âpre et cruelle, comme il en existe chez tous les êtres vivants. Comme je l’évoquais dans un article précédent, il n’est peut-être même pas certain que si, aujourd’hui, nous cohabitions encore avec les Néandertaliens, l’inévitable face-à-face se serait résolu à notre avantage.
 
     
 
                                           
 
 
     Il serait, par ailleurs, erroné de croire que l’Homme est le seul à être l’uniquereprésentant de sa lignée : l’ornithorynque, par exemple, est la seule espèce survivante de la famille des Ornithorhynchidae et du genre Ornithorhynchus bien qu'un grand nombre d'espèces fossiles de cette famille et de ce genre aient été découvertes. De la même manière, le ginkgo biloba est la seule espèce actuelle de la famille des Ginkgoaceae. Mieux, il est la seule espèce survivante de la division des Ginkgophyta. On en connaît sept autres espèces maintenant fossiles et le Ginkgo est souvent qualifié de « fossile vivant ». L'espèce est la plus ancienne espèce d'arbre connue puisqu'il serait apparu il y a plus de 270 Ma. Il est donc apparu avant les dinosaures et a survécu à tous les bouleversements climatiques de notre planète (sources Wikipedia).
 
     Le fait d’être l’unique représentant d’une lignée évolutive est certainement le cas le moins fréquent mais, comme on vient de le voir, l’homme n’est pas le seul dans cette situation.
 
 
 
 
 
 
L’homme possède des caractéristiques morphologiques qui le rendent différent de toutes les autres espèces vivantes
 
 
     Durant des siècles, les hommes se sont acharnés à trouver à l’espèce humaine une caractéristique particulière qui la distinguerait des autres espèces vivantes : Linné, Buffon et bien d’autres ont étudié sa physiologie, la forme de sa boîte crânienne, le volume de son cerveau, sa faculté d’utiliser la station debout, etc., avec l’espoir d’identifier une caractéristique spécifique sans jamais y arriver. Il faut s’y résoudre : l’Homme est un animal, un primate qui s’inscrit de façon claire dans la longue lignée de l’Evolution. Il est bien sûr différent des autres – comme le zèbre l’est des autres équidés – mais, d’un point de vue évolutif, cette « différence » ne révèle aucun caractère particulier.
 
 
 
 
Le code génétique de l’Homme est très spécial et explique sa supériorité
 
 
     Dès les débuts de la génétique moderne, une constatation s’imposa : notre plus proche « parent », le chimpanzé, est génétiquement éloigné ; il existe en effet 10 fois plus de différences entre les génomes (voir glossaire) d’un chimpanzé et d’un homme qu’entre ceux de deux hommes. Oui, mais la génétique ajoute : l’homme et le chimpanzé ont 99% de leur génome en commun et, dès lors, cet « éloignement » devient plus que relatif… En réalité, il s’agit, encore et toujours, de savoir de quel point d’observation on se place. Le fait est que plus des animaux sont morphologiquement et physiologiquement différents, plus leur patrimoine génétique diverge. On en revient, comme l’explique très bien la Théorie de l’Evolution, à des différences accumulées au gré des spéciations successives (voir glossaire et le sujet "spéciations et évolution des espèces"), le point de départ étant un « ancêtre commun » duquel tous sont issus. La preuve en est que, par exemple, l’Homme partage encore 35% de son génome… avec la mouche.
 
 
 
  
L’homme a inventé une culture qui lui est propre
 
 
     Depuis quelques millénaires (environ 10 000 ans), l’Homme s’est sédentarisé et, c’est vrai, il s’est inventé une culture, ou, plutôt des cultures. La construction de notre civilisation (et de ses variantes) passe par l’acquisition d’un certain nombre de propriétés indispensables. Essayons d’en identifier quelques unes.
 
 
 
         
a. La constitution d’un ordre social
 
 
                                     
 

      C’est une condition indispensable à l’édification d’une société. En existe-t-il des exemples chez l’animal ? A l’évidence oui si l’on se réfère à ces sociétésanimales organisées de façon à permettre une différenciation des tâches et des exécutants : on pense évidemment aux insectes justement nommés « sociaux » comme les abeilles, les fourmis, les termites, etc. Il s’agit toutefois de sociétés à l’aspect mécanique, aux actions répétitives, certes éloignées des sociétés humaines qui laissent plus d’initiatives aux actions personnelles.
 
     Mais cette distinction devient bien moins évidente dès que l’on s’élève dans la hiérarchie de l’évolution. Ainsi, les éthologues ont-ils pu mettre en évidence des comportements sociaux très subtils chez les chimpanzés : ces derniers sont capables d’élaborer des stratégies de chasse leur permettant d’explorer la forêt (afin, par exemple, de pourchasser un autre groupe) durant de longues heures, chacun des participants étant assigné à une tâche précise et ayant un rôle parfaitement identifié. La différence avec l’Homme se situe alors au niveau des moyens et des outils utilisés.
 
 
 
         
b. La maîtrise des outils
  
     Dans ce domaine également, l’Homme n’est pas le seul à pouvoir manier les objets. Les
grands singes sont connus pour pouvoir utiliser une cinquantaine d’outils comme, par exemple, de longues tiges en forme de cuillère spécialement agencées pour la récolte des termites ou du miel mais également des feuilles roulées de façon à former des chapeaux rudimentaires pour se protéger du soleil.
 
     Lorsqu’on redescend vers des lignées animales moins évoluées, on trouve également ce type de comportements. Nous connaissons tous le cas de la
mouette rieuse qui fracasse les coquillages qu’elle veut ingérer en les jetant depuis plusieurs mètres de hauteur allant même, parfois, jusqu’à utiliser des galets qu’elle projette alors sur son futur repas. Et il existe bien d’autres comportements de ce genre. Un corbeau de Nouvelle-Calédonie est, par exemple, capable de découper les bords dentelés d’une plante grasse locale pour s’en faire une sorte de hameçon (voire de fabriquer un authentique crochet) afin de le glisser dans les anfractuosités des arbres à la recherche des larves.
 
 
 
         
c. Le langage articulé
 
     Dans ce domaine également, la frontière n’est pas très précise : l’orang-outang, par exemple, est capable de maitriser plus d’un millier de signes qui ressemblent étrangement au langage des sourds-muets… Un chien peut reconnaître jusqu’à une cinquantaine de mots et comme disent les bonnes vieilles dames : il ne leur manque que la parole…
 
 

          d. L’élevage et l’agriculture
 
     Nous savons depuis longtemps que les fourmis – pour les citer à nouveau – sont capables d’élever, d’entretenir et de protéger des colonies de pucerons à leur avantage. Elles peuvent également faire de même avec des champignonnières…
 
     La complexité de nos grandes villes qui a succédé aux sociétés humaines purement agricoles se retrouve également chez l’animal : certaines
termitières sont extraordinairement compliquées et possèdent, elles aussi, des secteurs bien précis dévolus à des tâches très spécifiques.
 
 

          e. Reste la culture
 
     Il ne semble pas exister chez l’animal d’œuvres analogues aux peintures rupestres de sapiens (et de Neandertal) sans parler, évidemment, de l’art plus moderne tel que nous le connaissons. Ici, l’homme moderne a innové, certainement parce que son intellect plus développé le lui a permis, mais l’art ne saurait résumer à lui seul la culture.
 
 
 
 
La morale
 
     
                                                
 
 
 
    Les animaux peuvent-ils être porteurs de ce qui pourrait ressembler à une morale, même rudimentaire ? Ethologue et psychologues s’interrogent. Comment expliquer le comportement – ce n’est qu’un exemple – de ce bonobo (voir glossaire) découvrant par terre un oiseau assommé et qui s’empresse, après l’avoir délicatement ramassé, de monter dans l’arbre et d’ouvrir les ailes de la petite bête pour qu’elle puisse s’envoler ? Existe-t-il donc une empathie chez certains animaux ? Des comportements animaux peuvent-ils par l’apprentissage et des conquêtes évolutives dépasser le seul acquis génétique ? La majorité des éthologues le pense.
 
     De la même façon, la maitrise des concepts abstraits est très difficile à cerner. On pense évidemment en premier lieu (mais ce n’est pas la seule) à la
notion de mort que l’on pourrait croire intensément humaine : la projection d’un avenir où, en tant qu’individu, nous sommes absents est très complexe à saisir. Pourtant, certains animaux paraissent en disposer : l’exemple souvent rapporté du « cimetière des éléphants » est troublant puisque l’on dit que les vieux mâles, sentant leur fin proche, rejoignent ce lieu très particulier pour y mourir. Ailleurs, certains éléphants recouvrent de terre le cadavre d’une femelle et vont même y déposer une couverture de branchages et de feuilles qui ressemble à un linceul. Ils restent ensuite toute une nuit auprès de cet endroit comme s’il « veillaient leur défunte »… Quelle signification apporter à ces comportements étranges ?
 
 
     De quelque côté que l’on aborde ce type de problèmes, on s’aperçoit que, peu ou prou, les animaux possèdent, parfois potentiellement, des embryons d’attributs humains. On ne peut donc que constater que la différence entre l’Homme et les animaux n’est pas si simple à définir. En réalité, si cette différence existe – et on ne saurait la nier -, elle serait plutôt du domaine de l’Evolution, le grand cerveau du primate qu’est l’Homme lui ayant permis des avancées particulières. En somme, entre nous et nos amies les bêtes, il n’existe qu’une différence de degré mais pas de nature. Que cela nous rende modeste !
 
 
 
  
Le propre de l’homme
 
 
     Il existe néanmoins un domaine où l’Homme se distingue vraiment : c’est le seul habitant de la Terre qui a réussi en quelques siècles à transformer de manière certaine son environnement. Il a pu le faire en un temps record ce dont aucun autre animal n’a été capable. Le bilan de cette action est d’ailleurs discutable : si sa haute technologie a permis des avancées considérables (habitat, transports, recherche et diffusion de l’information, etc.), il existe des effets indésirables moins convaincants, le premier d’entre eux étant le réchauffement de la planète par effet de serre dont les conséquences sont plus qu’incertaines.
 

     Reste – et ce n’est certainement pas négligeable – cette incessante curiosité intellectuelle qui, peu à peu, permet à l’Homme de comprendre son environnement et de le modifier à son avantage. Alors, la Science est-elle le propre de l’Homme ?

 

 

  

Glossaire (in Wikipedia France)

 

     * génome : le génome est l'ensemble du matériel génétique d'un individu ou d'une espèce encodé dans son ADN (à l'exception de certains virus dont le génome est porté par des molécules d'ARN). Il contient en particulier toutes les séquences codantes (traduites en protéines) et non-codantes (transcrites en ARN, non traduites).

 

     * spéciation : en biologie, on nomme spéciation le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes apparaissent.

 

     * bonobo : le Bonobo (Pan paniscus), mot découlant de la déformation du nom de la ville de Bolobo (République démocratique du Congo), est une espèce de Paninés (genre Pan), membres de la famille des Hominidés et de l'ordre des primates. On l'appelle aussi chimpanzé nain.

 

 

 

Images :

1. de l'homo erectus à l'homo sapiens (sources : www.futura-sciences.com/)

2. ornithorynque (sources : naturendanger.canalblog.com/)

3. une termitière au Burkina Faso (sources : www.interet-general.info/)

4. bonobo (sources : www.wwf.be/)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : ornithorynque - ginko biloba - Linné - Buffon - génome - primate - théorie de l'évolution - mort - insectes sociaux - ordre social - langage articulé - agriculture - culture - peintures rupestres - bonobo - empathie - réchauffement planétaire

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 Sujets apparentés sur le blog

 

 

 1. l'âme

 2. Néandertal et sapiens, une quête de la spiritualité

 3. le dernier ancêtre commun

 4. les humains du paléolithique

 5. l'inné et l'acquis chez l'Homme

 6. la notion de mort chez les animaux

 7. l'apparition de la conscience

 8. spéciations et évolution des espèces

 

 

  

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Mise à jour : 28 février 2023

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Publié le par cepheides
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araignées sociales au Pakistan

 


 

 
     La quantité totale de souffrance qui est vécue chaque année dans le monde naturel défie toute observation placide : pendant la seule minute où j'écris cette phrase, des milliers d'animaux sont mangés vivants; d'autres, gémissant de peur, fuient pour sauver leur vie; d'autres sont lentement dévorés de l'intérieur par des parasites; d'autres encore, de toutes espèces, par milliers, meurent de faim, de soif ou de quelque maladie. Et il doit en être ainsi. Si jamais une période d'abondance survenait, les populations augmenteraient jusqu'à ce que l'état normal de famine et de misère soit à nouveau atteint.
     
Dans un univers peuplé d'électrons et de gènes égoïstes, de forces physiques aveugles et de gènes qui se répliquent, des personnes sont meurtries, d'autres ont de la chance, sans rime ni raison, sans qu'on puisse y déceler la moindre justice. L'univers que nous observons a très exactement les caractéristiques attendues dans l'hypothèse où aucune idée n'aurait présidé à sa conception, aucun objectif, aucun mal et aucun bien, rien d'autre qu'une indifférence excluant toute compassion.
     Comme l’écrivait ce poète malheureux que fut A. Housman :
                        La Nature, qui est sans cœur et sans esprit,
                        Ne veut ni se soucier ni connaître.


            (Richard DAWKINS, Pour la Science, HS janvier 1997)


     
     La pitié, l’idéal de justice, le pardon, l’amour altruiste mais également la colère, la haine, la vengeance, la cruauté gratuite sont, parmi bien d’autres, des notions essentiellement humaines qui n’existent pas dans la Nature sauvage. A l’exception de quelques grands primates, les animaux et les plantes vivent dans un monde sans pitié où seuls comptent les réflexes conditionnés et l’apprentissage instinctuel. Les animaux ne pensent pas – au sens humain du terme – mais réagissent en fonction de leur environnement selon des schémas génétiquement programmés par des millions d’années d’évolution. Toutefois, on est aujourd’hui assez loin de la conception purement mécaniciste qui prévalait du temps de Descartes. C’est en effet un des grands mérites de l’éthologue
Konrad LORENZ (1903-1989) que d’avoir le premier mis en lumière la complexité des comportements animaux : les réponses instinctuelles de ceux-ci sont bien plus nuancées, multiples et différenciées que ne le laisserait supposer une vision superficielle qui s’en tiendrait à une simple loi du tout ou rien. Pourtant, si, au fil des millions d’années, l’évolution et la génétique ont certainement complexifié ces comportements, il n’en reste pas moins que le degré de liberté de l’animal est faible et ses possibilités d’improvisation très limitées… Il faut dire que, au sein de la Nature, il n’existe qu’une seule règle fondamentale : survivre, c’est à dire manger ou être mangé comme le faisait si bien remarquer, il y a déjà longtemps, le journaliste-écrivain Jack LONDON.
  
     De la même façon, les plantes ne sont pas des objets passifs comme les voient le plus souvent nos yeux d’humains mais des êtres qui luttent également de manière acharnée pour survivre avec les armes que leur procure leur patrimoine génétique. Là aussi, la compétition est féroce et seul le plus apte est amené à se développer.
 
     Cependant, dans les films animaliers – et je n’évoque pas, bien sûr, les « films d’animaux » où ces derniers ne sont que des hommes en peluche – les commentaires donnent l’impression que la Nature est un immense théâtre où s’agitent des personnages certes plus ou moins sympathiques mais guidés par des sentiments qui, souvent, rappellent ceux des hommes. Il s’agit là d’une illusion (ou d’une erreur plus ou moins consciente) que l’on appelle
anthropomorphisme. Ailleurs, de doux esprits nous parlent d’écosystèmes « en harmonie » alors que ceux-ci ne sont qu’en équilibre et que la mort y est omniprésente. D’autres encore évoquent la « mère Nature » si bienveillante pour ses petits… Nous réagissons ainsi parce que cela nous ferait de la peine de reconnaître que la Nature dans laquelle nous vivons (de moins en moins, il est vrai) est cruelle et, souvent, sanguinaire. Pourtant, la Nature n’est pas cruelle : elle est seulement indifférente.

     Afin d’illustrer cette notion souvent méconnue (quand elle n’est pas combattue), j’ai choisi de m’attarder sur deux exemples emblématiques situés aux extrêmes de la vie animale, en insistant toutefois sur le fait que ces exemples, particulièrement significatifs, ne font en réalité que refléter le sort commun de notre monde.
 
 
 

la guêpe fouisseuse

 
 
     Jean-Henri FABRE (1823-1915) fut un scientifique français de grand talent, injustement méconnu en France (alors qu’il est célèbre en Russie, aux USA et presque adulé au Japon). Il s’intéressa tout particulièrement au monde des insectes et, à ce titre, il peut être perçu comme un précurseur de l’éthologie.
 
       Dans son oeuvre majeure « souvenirs entomologiques », il rapporte son étonnement face au comportement d’un animal bien connu de nos campagnes : la
 guêpe fouisseuse (sphex). La femelle de cette espèce capture en effet des insectes comme les coléoptères, les abeilles, etc., afin de les transporter, après les avoir paralysés, jusqu’à son nid, le plus souvent un trou dans le sol, dans de la boue ou dans quelque anfractuosité naturelle. Elle pond de un à trois œufs sur sa proie qui servira de garde-manger aux larves jusqu’à la formation des cocons. Dans certaines espèces, la guêpe possède plusieurs nids dans lequel se trouve un seul œuf, nids qu’elle réapprovisionne plusieurs fois en nourriture, ouvrant et refermant soigneusement sa cachette à chaque fois. FABRE explique que, avant de pondre son œuf dans, par exemple, une chenille, la guêpe passe un long moment afin d’introduire méticuleusement son aiguillon dans chacun des ganglions du système nerveux de sa proie de façon à la paralyser sans la tuer ; le but est évident : elle s’assure que la chair restera fraîche pour ses larves présentes et à venir. On ne sait toujours pas aujourd’hui si la guêpe anesthésie totalement la chenille ou si le venin, à la manière du curare, ne sert qu’à immobiliser sa victime. Cette deuxième hypothèse, toutefois, semble la plus probable parce que, de cette façon, la proie reste le plus près possible de son état naturel. En pareil cas, la chenille aura conscience d’être dévorée de l’intérieur sans avoir aucun moyen de s’y opposer. L’acte semble d’une cruauté absolue mais c’est raisonner selon notre propre code moral : il n’y a pas ici de cruauté mais simplement de l’indifférence. La guêpe ne poursuit qu’un dessein : assurer le développement et le bien-être de sa progéniture et tant pis pour l’individu qui se trouve alors sur sa route.
 
     Cet exemple n’est pas isolé : on projette parfois à la télévision des reportages sur la même façon d’agir d’une
guêpe géante d’Amazonie qui, campée devant le nid d’une mygale, provoque suffisamment de vibrations pour faire sortir l’araignée. Le combat qui suit se termine souvent par la paralysie de la mygale qui, ici aussi, sera anesthésiée vivante pour servir de repas à répétition aux larves de la guêpe…
 
     Le monde des insectes est, on le voit, particulièrement féroce (il suffit de penser à une simple toile d’araignée ou aux combats sans merci des colonies d’insectes sociaux) et ce monde reflète assez bien la compétition engagée entre les différents individus d’un écosystème.

 
 
 
le lion et la gazelle
 
 
     Chez les mammifères, la situation n’est en définitive pas différente. Prenons l’exemple du lion, le roi des animaux, celui qui, dans la savane africaine, est au sommet de l’échelle alimentaire. Peut-on dire de lui qu’il (ou elle car c’est le plus souvent la lionne qui chasse) est cruel lorsque, après avoir pris par surprise une gazelle, il la dévore vivante, guetté par l’ensemble de sa tribu qui attend qu’il soit rassasié pour s’approcher. Il prend son temps, le lion ; il grogne, fait mine de vouloir attaquer un ou deux lionceaux trop entreprenants, secoue sa proie pour l’immobiliser un peu plus, contemple longuement son entourage pour faire valoir sa suprématie avant que de poursuivre son repas. Pendant tout ce temps, la gazelle agonise dans d’atroces souffrances. Si la Nature était concernée, qu’elle soit un tant soit peu bienveillante ou généreuse, elle aurait inventé un mécanisme pour abréger son supplice : un mécanisme qui, sous le coup de l’agression, aurait provoqué l’arrêt brutal de son cœur ou bien la sécrétion d’un anesthésique quelconque atténuant sa souffrance. Il n’existe rien de tel : le gène qui aurait peut-être permis cela n’a jamais été sélectionné par l’évolution parce que ce qui compte pour une gazelle, c’est de courir le plus vite possible et d’être toujours à l’écoute. Pas de ne pas souffrir. On peut même se demander si cette souffrance n’a pas été sélectionnée parce que, dans le fond, elle rend les gazelles encore plus sensibles et donc d’autant plus méfiantes et peureuses…
 
     La Nature n’a que faire des sentiments humains : on n’y retrouve ni bonté, ni pitié, ni même ce qui ressemblerait à un début de remords. Le
lion – toujours lui mais c’est également vrai pour d’autres animaux – ne supporte pas les enfants qui ne sont pas de lui. Ce que son instinct lui dicte, c’est de transmettre ses gènes, pas l’ADN d’un autre. C’est la raison pour laquelle, après avoir chassé le mâle ayant fécondé la lionne, il s’intéresse aux lionceaux qui gambadent près d’elle et qui lui sont étrangers. Il s’approche et fait mine de jouer avec eux. Quelques coups de patte pour obtenir la réaction du lionceau qui se prend au jeu. Mais le lion devient violent et le petit ne comprend pas et hésite. Alors, d’un seul coup, l’adulte lui brise la nuque. Il en fera de même avec tous les rejetons à ses yeux illégitimes, sous le regard de la lionne qui ne bouge pas. Ce qui compte, ce qui est inscrit dans son ADN, c’est que c’est sa propre descendance qu’il doit assurer. Celle du plus fort. Celle de celui qui a conquis la lionne. C’est cela la sélection naturelle. A nos yeux, cela paraît infiniment barbare mais c’est ainsi et l’a toujours été. Nature indifférente, vous disais-je.
 
 
 
présence de l'Homme
 

     Les hommes ont du mal à comprendre cette absence totale de compassion. Il leur est difficile de ne voir dans la Nature que la justification du vieil adage « la fin justifie le moyen ». Cela leur est pénible parce que leur intellect plus développé leur permet d’afficher un certain recul face à des situations conflictuelles, de défendre des attitudes morales qui échappent à la simple mécanique de la violence et du résultat immédiat. Je sais ce que certains vont me répondre : que je dresse un tableau trop noir de la Nature sauvage, qu’il existe également chez l’animal des comportements altruistes… J’ai pourtant bien peur qu’il s’agisse là encore d’une illusion : chaque fois que les scientifiques se sont penchés sur ces comportements, d’ailleurs plutôt exceptionnels, ils ont pu mettre en évidence la recherche d’un bénéfice secondaire pour celui qui en est l’auteur. Sans, bien sûr, que celui-ci en soit lui-même conscient… J'ai d'ailleurs consacré un article à ce sujet (voir insectes sociaux et comportements altruistes).
 
     L’Homme, selon la définition bien connue, est un « animal moral ». Il est même le seul à vrai dire qui soit ainsi dans la Nature, à
l’exception de certains grands primates comme les bonobos ou les chimpanzés (et ce n’est certainement pas un hasard si ces derniers, comme je l’expliquais dans un sujet précédent : le dernier ancêtre commun, sont nos plus proches parents). La civilisation, une certaine culture sont les conséquences de notre condition particulière. Mais l’homme est également encore proche de la vie naturelle et, à ce titre, il convient, me semble-t-il, de se méfier. L’organisation sociale qui est la nôtre et qui nous permet précisément de ne pas nous comporter en « animal sauvage » est fragile. Notre civilisation est fragile : il faut finalement peu de choses, on le sait bien, pour tout remettre en question. Au fond, entre nous et les animaux, il n’existe qu’une différence de degré, pas de nature. Un sujet à bien méditer.
 
 

Images :
 
photos 2 et 3 : guêpes fouisseuses (sources : loscoat.canalblog.com/)
photo 3 :
repas d'un lion (sources : www.rion-vanwetter.be)

photo 4 : Le portrait d'Edward James (1937) par Magritte (sources : fondation Magritte, Belgique)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : Richard Dawkins - Konrad Lorenz - Jean-Henri Fabre - guêpe fouisseuse - guêpe géante d'Amazonie - mygale - sélection naturelle - comportements altruistes

(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

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 1.  l'agression

 2. la notion de mort chez les animaux

 3. superprédateurs et chaîne alimentaire

 4. parasitisme et évolution

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Mise à jour : 24 février 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie

 

 

     Pour le trentième article du blog, il me paraît judicieux de revenir sur les commentaires les plus intéressants parus au fil des jours.  Au delà de la simple information, quelquefois passé inaperçue,  ils pourront peut-être permettre d'approfondir certaines idées... Aujourd'hui : l’éthologie.

Bonne lecture



                                  

 

 

                                                             Konrad LORENZ



 

 

Article : l’agression

 

Sujet : guerres et Histoire

 

Le 18 janvier 2008 (par defdef)

     Je viens de lire ton article et la longue citation de Lorenz qu'il contient. J'ai été particulièrement intéressé par l'hypothèse de l'observateur lointain (en général on dit : vu de Sirius plutôt que de Mars) qui ne comprendrait rien aux mouvements historiques. En tant qu'historien amateur, j'ai souvent réfléchi à cet aspect du problème mais en tant que cartésien, je crois que les conflits et les guerres (la forme la plus élaborée de l'agression) naissent de la raison, contrairement à ce que les philosophes soutiennent habituellement. La prétendue absurdité de la guerre est une idiotie, une illusion d'optique due à ce que des participants insuffisamment informés ou ayant un point de vue très restreint (je veux dire : ne voyant pas l'ensemble de l'enjeu) ont l'impression d'être embringués dans des actes complètement délirants où, de plus, leur survie n'est pas assurée. Mais en fait, chaque déclenchement de conflit relève, pour l'agresseur au moins, d'un calcul rationnel (qui peut être faux par erreur d'estimation des facteurs), tout comme symétriquement chaque capitulation est aussi un calcul rationnel. Tout plan de bataille, même celui qui s'avère le plus désastreux (mai 40, Dien Bien Phu) est aussi le produit d'un calcul parfaitement rationnel dont les facteurs ont été mal évalués. Il y a d'ailleurs longtemps que les grands chefs sont à l'abri des émotions, ce qui explique leurs ordres extrêmes (Lorenz parle de l'émotion comme facteur pacifiant dans ta citation).
     Il y a un autre facteur qui joue un rôle très important dans l'Histoire (et dans la Science) : le hasard.

 

Réponse (par cepheides)

     Je suis assez d'accord avec toi, mon cher defdef, lorsque tu nous dis que, chez l'Homme, la préparation d'un conflit - donc d'une agression - relève de la logique. Il existe assurément de nombreux éléments qui expliquent les sources d'un conflit et beaucoup d'identifiants peuvent être isolés : certains sont assez faciles à reconnaître, d'autres ne le seront que bien plus tard lorsque les observateurs auront eu assez de recul pour retrouver la sérénité, d'autres enfin ne seront sans doute jamais clairement définis et, peut-être, le hasard en a-t-il alors une part. Tous, en tout cas, relèvent de la logique (et pour les agresseurs, en effet, d'un calcul rationnel) pour peu qu'on veuille bien les étudier sereinement et je pense tout à fait comme toi qu'il est absurde de déclarer - avec le politiquement correct - que la guerre est une idiotie (ce qui n'empêche pas de la détester). Toute guerre, effectivement, est rationnelle. Ceux qui pensent le contraire ne sont que des individus qui, à leur échelle, ne possèdent qu'une vue partielle de la situation et là aussi je te rejoins. (Je pense souvent à Stendhal et à sa description par son héros, Fabrice del Dongo - dans la Chartreuse de Parme - de la bataille de Waterloo à laquelle il participe et à laquelle il ne comprend rien tant son observation est parcellaire).
Tout ce que je viens de dire ne me semble nullement contradictoire avec l'analyse des éthologues. Lorenz, par exemple, se contente de souligner qu'il existe chez tout individu des seuils d'activation à partir desquels une agression peut être déclenchée (ou dans le cas d'un conflit interhumain une "adhésion" à l'agression collective) et que cela relève en partie de la génétique. L'agression, individuelle ou collective, est probablement un moyen trouvé par l'Evolution pour permettre l'expression de la pression de sélection, seule à même d'assurer l'adaptation d'une espèce. Il n'y a rien là de bien nouveau. Ce qui est plus novateur, me semble-t-il, c'est de dire que ces réactions ne sont plus en rapport avec les dégâts entrainés du fait de l'avancée de la technologie. L'homme possède un cerveau  - notamment le paléocortex ou cerveau reptilien -  qui réagit encore en fonction de situations très anciennes datant d'un temps où il n'était qu'une créature plutôt faible (on sait à présent que nos ancêtres du paléolithique étaient plus des charognards que des chasseurs à l'image gratifiante). De ce fait, la possibilité de destruction d'une agression est sans commune mesure avec ce qu'elle fut par le passé. Surtout, la distanciation que l'homme moderne ressent par rapport aux conséquences de ses actes agressifs n'active plus vraiment les mécanismes inhibiteurs qu'il possède (des mécanismes inhibiteurs d'ailleurs moins développés, comme le souligne Lorenz, que ceux des grands carnivores puisque l'homme est avant tout un omnivore).
     Il s'agit en somme de deux approches parfaitement complémentaires, tout aussi logiques l'une que l'autre. Je reste persuadé que les actions humaines peuvent parfaitement s'expliquer mais que nombre d'entre elles nous sont encore mal connues. L'éthologie nous apprend ici que les comportements ne s'appuient pas seulement sur des situations bien précises et parfaitement avérées mais également sur des comportements liés à notre héritage biologique. Intéressant, non ?
     Enfin, dans ta dernière phrase, tu fais allusion au hasard, notamment en science. Il y aurait beaucoup à en dire mais il s'agit là d'un autre sujet. On peut néanmoins se poser la question suivante : le hasard n'est-il pas, au fond, que la somme de ce que nous ne pouvons ou ne savons pas décrypter ? L'Evolution, par exemple, avance "au hasard", certes, c'est à dire sans but prédéfini, mais si l'on connaissait TOUS les intervenants physicochimiques en jeu, ne pourrait-on pas prévoir cette évolution ? Vaste (et vieux) sujet...

 

 

Sujet : une illustration de l’agression

 

Le 20 janvier 2008 (par cepheides)

     Voici une anecdote qui va dans le sens de ce qu'écrit Lorenz. Mon ex-femme habite l'Ile de la Réunion et, comme elle a un grand jardin, elle possède 7 teckels des deux sexes. Justement, une des femelles est actuellement en chaleur et, avant-hier, le 18 janvier, le petit chien de ses voisins, attiré par l'odeur de la chienne en chasse, a réussi à pénétrer dans la propriété pourtant bien fermée. Il a immédiatement été attaqué par les teckels mâles. Cela a été plutôt difficile de séparer les protagonistes mais le petit chien a été finalement rendu à ses maîtres. Malheureusement, il est mort quelques heures plus tard de ses blessures... Ce qui m'amène faire deux remarques :
          1. les animaux en groupe - ici en meute - sont toujours plus violents sur un ennemi isolé : celui-ci ne peut pas montrer à tous ses attaquants en même temps sa soumission;
          2. dans un espace clos, la fuite est impossible et, comme le souligne Lorenz, cela se termine le plus souvent par la mort du plus faible. C'est d'ailleurs tout le problème des animaux en captivité.
     Les lois de la Nature sont immuables. Pourquoi ce qui est vrai pour tous les animaux ne le serait-il pas (au moins encore un peu) pour l'Homme ?

 

 

Sujet :  quelques références en éthologie


Le 20 janvier 2008 (par keno)

     Lectrice régulière de votre blog, j'admets être tout particulièrement intéressée par le sujet que vous abordez.
     Je pense qu'il est bien difficile de faire la part de ce qui est inhérent à la nature humaine.
     J'aimerais avoir plus d'informations. Pourriez vous m'indiquer quelques auteurs qui ont traité du sujet
     Merci d'avance.


 

Réponse (par cepheides)

     L'éthologie est une science complexe qui ne traite pas (loin s'en faut) du seul problème des comportements humains tels qu'on peut les déduire de l'observation animale  :  si vous souhaitez aborder cette discipline sans recourir d'emblée à des ouvrages trop spécialisés, je ne saurais trop vous recommander l'excellent petit livre de vulgarisation écrit par Lorenz  (ce scientifique fut le vrai codécouvreur de cette discipline et il est donc compréhensible de le retrouver ici un peu partout)  dont le titre est  "Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons", (Paris, Flammarion, 1968), paru également en livre de poche (dans la collection "j'ai lu" si j'ai bonne mémoire). Pour le sujet plus ciblé qui semble vous intéresser, ce même Lorenz a écrit un livre dans lequel il nous fait part de toute la méfiance que lui inspire l'avenir des sociétés humaines (il fut également un authentique "écologiste" avant l'heure). Son titre est : "l'Homme en péril ou la destruction de l'humain", paru chez Flammarion en 1985. Il existe bien sûr de nombreux travaux d'éthologie qu'il est facile d'identifier avec Internet sur les sites dédiés. En revanche, j'attire votre attention sur les méfaits de la médiatisation ambiante  :  on y cite souvent des auteurs comme, par exemple, Boris Cyrulnik, excellent au demeurant, mais qui est à mes yeux plus un psychiatre de tendance analytique qu'un véritable éthologiste. Il convient donc d'être vigilant sur ce que l'on appelle l'éthologie... Je vous souhaite une excellente lecture de ces ouvrages.

 

 

 

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie
 
 
 
 
 
 
 
     Notre quotidien est fait de toutes ces informations provenant du monde entier qui peignent souvent nos contemporains sous un aspect peu flatteur : guerres, attentats, crimes (particuliers ou d'État), intolérance, jalousies, cruauté, violences en tous genres (de préférence envers les plus faibles), une liste qui ne pourra jamais être réellement exhaustive. L'Histoire regorge également de telles atrocités accomplies par l'Homme dans le passé, ce qui tendrait à prouver que cette propension à la violence semble inhérente à sa nature. Alors hérédité ? Culture insuffisamment assimilée ? Les deux à la fois ? Autre chose encore ? Quelles sont les raisons de tels comportements chez un primate qui veut se croire le plus intelligent de tous les êtres vivants et qui prétend dominer sans partage la planète qu'il habite ?
 
     Une partie de la réponse réside dans l'étude des comportements animaux, c'est à dire
l'éthologie. Je me propose de revenir sur les travaux de l'un des fondateurs de cette discipline scientifique souvent mal connue, Konrad LORENZ, dont les recherches sur l'agression animale restent parfaitement d'actualité.
 
 
 
l'éthologie
 
 
     L'éthologie est une discipline scientifique relativement récente, même si le mot à été créé par Geoffroy SAINT-HILAIRE dès 1854. Elle s'intéresse à l'étude des comportements des animaux de la façon la plus objective possible, de préférence en situation naturelle (c'est à dire en situation de non captivité). C'est Konrad LORENZ (1903-1989), déjà cité, et Nikolaas TINBERGEN (1907-1988) qui lui donnèrent ses lettres de noblesse au milieu du XXème siècle. Signalons au demeurant que s'appuyant sur la biologie pour expliquer les comportements, l'éthologie est également appelée biologie du comportement.
 
     De quoi s'agit-il ? Lorenz se proposa de faire une étude anatomique comparée des comportements animaux, constatant alors que les différences et/ou similitudes existant entre les diverses espèces se distribuent de façon assez semblable à leurs caractères morphologiques. Il en conclut logiquement que bien des comportements sont
instinctifs et, en réalité, de nature génétique. Il parla alors (avec Tinbergen) de mécanismes innés de déclenchement qui sont la conséquence d'une excitation interne activée par un stimulus externe particulier, excitation apparaissant lors du franchissement d'un seuil d'activation (pouvant être modulé par l'apprentissage). Ces comportements qui se produisent de manière quasi-mécanique d'une espèce à l'autre ne peuvent être expliqués que par une origine commune ancestrale. On en revient à la théorie de l'évolution...
 
     Intéressons nous aujourd'hui à l'un des comportements les plus répandus chez les êtres vivants :
l'agressivité et sa conséquence, l'agression.
 
  
 
l'agression
 
 
     On définit classiquement l'agression comme recouvrant tous les comportements ayant pour but d'infliger un
dommage à un autre être vivant dès lors que ce dernier ne souhaite pas subir un tel traitement. Il s'agit donc d'un acte social intentionnel dirigé contre une victime identifiée, dont le dessein principal est de la blesser (voire plus) et qui entraîne chez celle-ci un désir d'évitement.
 
     Précisons-le d'emblée tout net : l'agression n'est pas ce que l'on croit. Elle est généralement vécue comme un mal absolu, la survivance d'un monde non civilisé, à peine suffisante pour expliquer les comportements de certains animaux sauvages (on parle même parfois de comportements « bestiaux »). Rien n'est plus faux : il s'agit en réalité, et comme on va le voir, d'un élément
fondamental, presque constitutionnel, de la Vie. C'est un moyen, peut-être le principal, trouvé par l'Evolution pour permettre le développement de la pression de sélection, c'est à dire la transformation (et la meilleure adaptation) des espèces. Ces affirmations demandent évidemment à être expliquées, en précisant notamment ce que l'on doit comprendre par le terme "d'agression" et en en différenciant les différentes variétés.
 
     Il faut, en effet, tout d'abord s'entendre sur le terme lui-même : l'agression migale.jpgN'EST PAS l'attaque du prédateur sur sa proie car il s'agit en pareil cas d'une recherche simple de nourriture qui peut effectivement se traduire par une attaque violente mais – et c'est fondamental – sans aucune forme de colère. Il n'y a donc pas ici d'agressivité mais le seul souci de la survie immédiate. Non, l'agression dont nous parlons est la violence exercée par un animal sur un autre sans autre bénéfice immédiat que le désir d'écarter le gêneur. Il en existe deux types :
 
 
          a. l
'agression interspécifique (entre deux espèces différentes) : on imagine que c'est la plus fréquente mais elle est en fait rare et ce pour deux raisons au moins :
 
     . d'une part, les animaux concernés vivent dans des niches écologiques différentes et n'entrent, dans les conditions normales de la Nature,
presque jamais en compétition. Il peut arriver que deux animaux d'espèces différentes en viennent à se battre mais cela est exceptionnel et presque uniquement dû à un hasard malheureux, une rencontre fortuite ;
 
     . d'autre part, les sujets d'espèces différentes ne possèdent pas dans leurs gènes les moyens de reconnaissance et d'identification d'une autre espèce (à
l'exception – capitale - du couple spécifique prédateur-proie) ;
 
 
          b.
l'agression intraspécifique (entre deux individus d'une même espèce) : elle est, de loin la plus fréquente. C'est la plus importante au plan de l'évolution puisqu'elle permet l'amélioration de l'espèce par sélection des femelles (exceptionnellement l'inverse) et accessoirement la conquête du plus grand territoire de chasse. Toutefois, pour éviter « des morts inutiles », cette agression passe par la ritualisation des comportements qui permet :
 
        . à l'agresseur de se
faire reconnaître si c'est le cas comme l'élément dominant
 
          . et à l'agressé de faire
dévier le comportement agressif de son adversaire au moyen également d'un rituel qui lui vaudra d'être épargné puisqu'il reconnaît son infériorité (Je pense ici tout particulièrement aux combats « naturels » de chiens où le vaincu offre la vision de sa gorge découverte à son agresseur, un geste qui désarme immédiatement ce dernier. Le vaincu peut alors s'enfuir puisque son agresseur l'y autorise en détournant son regard).
 
     Ainsi, pas de morts inutiles puisque ces
phénomènes d'inhibition sélective permettent de chasser le plus faible sans le tuer. La Nature est économe de la Vie et autorise ainsi à moindre frais une sélection naturelle permettant aux gènes du plus apte de se reproduire à un plus grand nombre d'exemplaires ce qui est en dernier ressort favorable à l'amélioration de l'espèce.
 
     Il en est exactement de même en cas de mutation naturelle bénéfique (voir sujet
mécanismes de l'évolution) qui permet alors au plus adapté de survivre. Toutefois, cette dernière éventualité est excessivement rare et peut être ici considérée comme négligeable.
 
     Ainsi, explique Lorenz, dans les rapports existant entre deux individus d'une même espèce mais de sexe différent, l'agression est un
composant essentiel de l'amitié et de l'amour. Chez la plupart des animaux, lors de la pariade (voir glossaire et le sujet reproduction sexuée et sélection naturelle), le rituel de séduction est en effet toujours une déviation du rituel de combat. Les espèces qui possèdent une agressivité intraspécifique faible rats.jpg(comme, par exemple, les bancs de petits poissons) sont également celles dans lesquelles les relations interindividuelles sont les plus faibles. En revanche, chez les loups ou les rats dont l'agressivité intraspécifique est élevée, les relations de fidélité entre individus sont très fortes.
 
     Or, et c'est là que ces constatations prennent tout leur intérêt, l'homme est un animal (en tous cas en ce qui concerne ses origines) et il est intéressant de s'interroger sur ce qui reste chez lui de ces comportements innés. C'est certainement le moyen, que cela plaise ou non, d'expliquer certaines réactions individuelles ou comportements collectifs surprenants.
 
 
 
 
l'explication de certains comportements humains
 
 
 
     Pour illustrer ce qui vient d'être dit et surtout pour, autant que faire se peut, en tirer quelque enseignement adaptable à l'homme, je vais me permettre de citer quelques pages d'un ouvrage à mes yeux fondamental de Konrad Lorenz, «
l'agression, une histoire naturelle du mal » (Flammarion, 1969). On y trouvera, bien mieux que je ne pourrais l'exprimer, l'essentiel de son sentiment sur ce sujet passionnant.
 
(...) Imaginons, écrit Lorenz, un observateur impartial sur une autre planète, par exemple Mars, examinant le comportement social de l'homme à l'aide d'un télescope dont le grossissement ne serait pas suffisant pour permettre de reconnaître les individus et de suivre le comportement de chacun d'eux, mais permettrait d'observer les grands évènements tels que batailles, migrations de peuples, etc. Jamais cet observateur n'aurait l'idée que le comportement humain pourrait être dirigé par la raison, et encore moins par une morale responsable. S'il était, comme nous voulons le supposer, un être de pure raison, dépourvu d'instincts et ignorant complètement comment les instincts en général, et notamment l'agression, peuvent échouer, il serait absolument incapable de trouver une explication à l'Histoire. En effet, les phénomènes de l'Histoire, tels qu'ils se répètent toujours, n'ont pas de causes raisonnables. Dire, comme on le fait d'habitude, qu'ils sont causés par la « nature humaine » revient à un lieu commun. Ce sont la déraison et la déraisonnable nature humaine qui font que deux nations entrent en compétition, bien qu'aucune nécessité économique ne les y oblige ; ce sont elles qui amènent deux partis politiques ou deux religions aux programmes étonnamment similaires à se combattre avec acharnement ... Nous sommes habitués à nous soumettre à la sagesse politique de nos dirigeants et tous ces phénomènes nous sont tellement familiers que la plupart d'entre nous ne se rendent absolument pas compte combien le comportement des masses humaines, au cours de l'histoire, est stupide, répugnant et indésirable.
 
     Même lorsque nous nous en rendons compte, la question reste ouverte : pourquoi des êtres doués de raison se comportent-ils de manière aussi peu raisonnable ? Sans doute doit-il y avoir des facteurs d'une puissance extraordinaire pour que les hommes soient capables d'outrepasser si complètement les commandements de la raison individuelle et restent si réfractaires à l'expérience et à l'enseignement (...).
 
     Tous ces paradoxes étonnants s'expliquent cependant aisément et se rangent à leur place comme les pièces d'un puzzle, dès que l'on admet que le comportement de l'homme, et tout particulièrement son comportement social, loin d'être uniquement déterminé par la raison et les traditions culturelles, doit encore se soumettre à toutes les lois prédominantes dans le comportement instinctif adapté par la phylogenèse (voir glossaire). Nous avons de ces lois une assez bonne connaissance grâce à l'étude des instincts chez les animaux. En fait, si notre observateur extra-terrestre était un éthologue bien informé, il conclurait inévitablement que l'organisation sociale des hommes ressemble beaucoup à celle des rats qui, eux aussi, sont, à l'intérieur de la tribu fermée, des êtres sociables et paisibles mais se comportent en véritables démons envers des congénères n'appartenant pas à leur propre communauté. Si notre observateur martien avait en outre connaissance de l'augmentation explosive de la population, de la terreur grandissante des armes et des divisions des êtres humains en très peu de camps politiques, il n'augurerait pas, pour l'humanité, un avenir beaucoup plus rose que celui de quelques clans de rats sur un bateau aux cales presque vides. Et ce pronostic serait même optimiste car, chez les rats, la procréation s'arrête automatiquement dès qu'est atteint un certain degré de surpeuplement, tandis que l'homme n'a pas encore trouvé un système efficace pour empêcher ce qu'on appelle les explosions démographiques. D'autre part, il est probable qu'il resterait chez les rats après le massacre assez d'individus encore pour perpétuer l'espèce. On n'a point la même certitude en ce qui concerne l'homme, après usage de la bombe H (...).
 
     Dans mon chapitre sur les mécanismes de comportement fonctionnellement analogues à la morale, j'ai parlé d'inhibition contrôlant l'agression chez différents animaux sociaux et les empêchant de blesser ou de tuer leurs frères de race. J'ai expliqué que ces inhibitions sont de la plus grande importance et, partant, très différenciées surtout chez les animaux capables de tuer des créatures d'à peu près leur taille. Un corbeau peut arracher d'un seul coup de bec l'œil d'un autre corbeau ; un loup peut ouvrir d'une seule morsure la veine jugulaire d'un autre loup. Il n'y aurait plus depuis longtemps ni corbeaux, ni loups, si des inhibitions sûres et éprouvées n'empêchaient pas cela. Le pigeon, le lièvre et même le chimpanzé ne peuvent pas tuer un de leurs congénères d'un seul coup. Par dessus le marché, les animaux possédant des armes relativement faibles par rapport aux autres, ont de meilleures capacités de fuite, leur permettant d'échapper même aux « prédateurs de métier », bien plus capables de chasser, d'attraper et de mettre à mort que le plus qualifié de leurs congénères. Dans la nature libre, il est donc rarement possible qu'un tel animal cause des dommages sérieux à un autre de la même espèce ; en conséquence, aucune pression de la sélection n'est à l'œuvre pour faire évoluer des inhibitions anti-meurtres. L'éleveur d'animaux se rend compte - à ses dépens et à ceux des animaux - de l'absence de ces inhibitions s'il ne prend pas au sérieux les combats intraspécifiques entre animaux complètement « inoffensifs ». Dans les conditions artificielles de la captivité où le vaincu ne peut pas échapper au vainqueur par une fuite rapide, il arrive toujours que ce dernier le tue cruellement et laborieusement. Même la colombe, symbole de la paix, n'est gênée par aucune inhibition pour torturer une de ses sœurs jusqu'à ce que mort s'ensuive.
 
     Les anthropologues qui étudient les australopithèques ont souvent souligné que ces chasseurs, précurseurs de l'homme, nous ont légué ce dangereux héritage qu'ils appellent une « mentalité de carnivore ». Or, cette constatation confond les concepts de carnivore et de cannibale qui, pourtant, dans une large mesure, s'excluent mutuellement. En définitive, il faut plutôt déplorer que l'homme ne possède pas de mentalité de carnivore. Tout le malheur vient précisément du fait qu'il est au fond une créature inoffensive et omnivore, ne possédant pas d'arme pour tuer de grandes proies et, par conséquent, dépourvu de ces verrous de sécurité qui empêchent les carnivores « professionnels » de tuer leurs camarades de même espèce. Il arrive qu'un loup ou un lion en tue un autre, dans de très rares cas, par un geste de colère. Mais, tous les carnivores bien armés possèdent des inhibitions fonctionnant avec une sécurité suffisante pour empêcher l'autodestruction de l'espèce.
 
     Dans l'évolution de l'homme, de tels mécanismes inhibiteurs étaient superflus ; de toute façon, il n'avait pas la possibilité de tuer rapidement ; la victime en puissance avait maintes occasions d'obtenir la grâce de l'agresseur par des gestes obséquieux et des attitudes d'apaisement. Pendant la préhistoire de l'homme, il n'y eut donc aucune pression de la sélection qui aurait produit un mécanisme inhibiteur empêchant le meurtre des congénères, jusqu'au moment où, tout d'un coup, l'invention des armes artificielles troubla l'équilibre entre les possibilités de tuer et les inhibitions sociales. A ce moment, la situation de l'homme ressemblait beaucoup à celle d'une colombe que quelque farce contre nature de la Nature aurait muni d'un bec de corbeau. On frémit à l'idée d'une créature aussi irascible que le sont tous les primates pré-humains, brandissant maintenant un coup de poing bien tranchant. L'humanité se serait, en effet, détruite elle-même par ses premières inventions, sans ce phénomène merveilleux que les inventions et la responsabilité sont l'une et l'autre les résultats de la même faculté, typiquement humaine, de se poser des questions.
 
     Ce n'est pas que notre ancêtre humain fut, même à un stade encore dépourvu de responsabilité morale, une incarnation du mal. Il n'était pas moins pourvu d'instincts sociaux et d'inhibitions qu'un chimpanzé qui après tout - nonobstant son irascibilité - est une créature sociable et aimable. Mais quelles que puissent avoir été ses normes innées de comportement social, elles devaient nécessairement se détraquer par l'invention des armes (...).
 
     La distance à laquelle les armes à feu sont efficaces est devenue suffisamment grande pour que le tireur soit à l'abri des situations stimulantes qui, auchar_leclerc-2.jpgtrement, activeraient ses inhibitions contre le meurtre. Les couches émotionnelles profondes de notre personne n'enregistrent tout simplement pas le fait que le geste d'appuyer sur la gâchette fait éclater les entrailles d'un autre humain. Aucun homme normal n'irait jamais à la chasse au lapin pour son plaisir s'il devait tuer le gibier avec ses dents et ses ongles et atteignait ainsi à la réalisation émotionnelle complète de ce qu'il fait en réalité.
 
     Le même principe s'applique, dans une mesure encore plus grande, à l'usage des armes modernes commandées à distance. L'homme qui appuie sur un bouton est complètement protégé contre les conséquences perceptibles de son acte ; il ne peut ni les voir, ni les entendre. Donc, il peut agir impunément, même s'il est doué d'imagination. Ceci seulement peut expliquer que des gens, pas plus méchants que d'autres et qui ne donneraient même pas une gifle à un enfant peu sage, se sont montrés parfaitement capables de lancer des fusées contre des villes en sommeil ou de les arroser de bombes au napalm livrant ainsi des centaines ou des milliers d'enfants à une mort horrible dans les flammes. Le fait que ce sont des pères de famille bons et normaux qui ont agi ainsi rend ce comportement d'autant plus inexplicable.
 
     J'ai écrit en 1955 : « Je crois que l'homme civilisé d'aujourd'hui souffre en général de l'incapacité d'abréagir ses pulsions d'agression. Il est plus que probable que les effets nocifs des pulsions agressives de l'homme que Freud voulait expliquer par une pulsion de mort spécifique proviennent tout simplement du fait que la pression de l'agression intraspécifique a fait évoluer dans l'homme, à l'époque la plus reculée, une quantité de pulsions agressives pour lesquelles il ne trouve pas de soupape adéquate dans la société actuelle. (...)
 
     Il n'y a, par ailleurs, dans une communauté moderne aucune issue légitime au comportement agressif. La paix est le premier devoir du citoyen. Le village ennemi sur lequel il était autrefois permis de décharger son agressivité se trouve maintenant au loin, caché derrière un rideau, de fer si possible. Parmi les nombreux comportements sociaux de l'homme que la phylogenèse a fait évoluer, il n'y en a pratiquement pas un qui n'ait besoin d'être contrôlé et jugulé par une morale responsable. Là réside la vérité profonde contenue dans tous les sermons d'ascèse. La plupart des vices et des péchés mortels aujourd'hui condamnés correspondent à des inclinations qui, chez l'homme primitif, étaient simplement adaptatives ou du moins sans danger. Les gens du paléolithique avaient en général à peine de quoi manger ; si, pour une fois, ils avaient attrapé un mammouth, il était au point de vue biologique correct et normal que chaque membre de la horde s'empiffre autant que possible. La gloutonnerie n'était pas un vice. Une fois complètement rassasié, l'homme primitif se reposait de sa vie exténuante et se livrait à la paresse aussi longtemps que possible ; il n' y avait rien de répréhensible dans cette paresse. La vie était si dure que la saine sensualité ne risquait point de dégénérer en débauche. Chacun avait terriblement besoin de garder ses quelques biens : des armes et des outils et quelques noix pour le repas du lendemain. Bref, le nombre de type de comportements correspondait assez bien à la demande. Et la tâche de la morale responsable était relativement facile. Son seul commandement à cette époque était : tu ne frapperas pas ton prochain avec une hache même s'il provoque ta colère.
 
     La tâche compensatrice incombant à la morale responsable s'accroit à mesure que les conditions écologiques et sociologiques dévient davantage de celles auxquelles la phylogenèse a adapté le comportement de l'homme. Cette déviation ne cesse d'augmenter et même le taux de l'augmentation s'accélère d'une manière vraiment effroyable (...).
 

Konrad Lorenz, extraits de son livre « l'agression, une histoire naturelle du mal » (Flammarion, 1969)

 

     J'espère que le lecteur (et l'éditeur) me pardonnera ce long emprunt mais il me paraissait impossible de résumer ou transcrire la pensée de l'auteur sans la dénaturer. Comme on peut le soupçonner après cette lecture, il paraît possible d'expliquer certains comportements humains à la lumière de l'éthologie. Il ne s'agit certes pas d'en tirer une « bible » fixée une fois pour toutes mais reconnaissons qu'il existe dans tout cela des éléments qui demandent à ce que l'on s'y arrête un temps.
 
     Je ne sais pas pour vous mais, pour moi, Lorenz (et d'une manière plus générale les éthologues) me donne à réfléchir sur la nature humaine. Nous savons grâce à la théorie de l'Évolution que l'être humain est le fruit d'un long chemin qui l'a amené depuis l'ancêtre commun qu'il possède avec les grands primates jusqu'à aujourd'hui où, fier de son intellect, il domine le monde. En tout cas le monde macroscopique qui nous entoure. Ce n'est certainement pas un animal comme les autres mais il reste néanmoins un mammifère dont le degré d'évolution demeure difficile à cerner. Quels sont le nombre et l'importance des mécanismes innés sélectionnés au fil de millions d'années d'évolution qui subsistent en lui ? Le vernis culturel que l'Homme croit posséder, acquis en quelques millénaires au plus, a-t-il une importance si considérable au regard de tout le temps écoulé depuis qu'il apparut en tant que créature réellement différente des autres ?
 
     On me répondra que le cerveau de l'Homme lui donne à présent cette caractéristique fondamentale qu'est la curiosité intellectuelle et que, par voie de conséquence, celle-ci ne peut que déboucher sur son intérêt pour le monde, un monde qui l'abrite et dont il arrive, peu à peu, à prendre connaissance. Cela l'amène tout naturellement à se situer dans l'Univers, à comparer, à chercher, à Auguste_empereur.gifcomprendre : c'est ainsi le seul animal, pense-t-on, qui a la notion de sa propre mort longtemps avant qu'elle ne survienne. Or le savoir, on le sait, est le début de la sagesse... Pourtant, certains auteurs – dont Konrad Lorenz mais il est loin d'être le seul – prétendent que les connaissances de l'Homme sont trop récentes, d'acquisition trop rapide pour compenser les centaines de siècles qui ont façonné ses comportements instinctuels. Au fond, c'est toujours la même histoire : le lecteur optimiste pensera que l'acquis, notamment culturel, si difficilement accumulé, permettra à l'espèce humaine de s'extirper de la gangue des automatismes façonnée par l'Évolution alors que le pessimiste trouvera dans l'éthologie un argument supplémentaire pour douter des vertus civilisatrices de l'Humanité.
 
 

 
 
Glossaire
  
     * pariade : formation des couples qui précède la période de reproduction. (in Futura-sciences)
 
     *
phylogénèse : la phylogénie est l'étude de la formation et de l'évolution des organismes vivants en vue d'établir leur parenté. La phylogenèse est le terme le plus utilisé pour décrire la généalogie d'une espèce, d'un groupe d'espèces mais également, à un niveau intraspécifique, la généalogie entre populations ou entre individus. (in Wikipedia France)

 
 
Images
 
1. panthère noire (sources : scharlette.centerblog.net)
2. mygale (sources : tmigeon.free.fr)
3. rats (sources :  www.hat.net/)
4. char Leclerc (sources : www.fncv.com)
4. l'empereur Auguste : les Romains avaient exactement la même configuration cérébrale que l'homme d'aujourd'hui mais leurs capacités de nuisance étaient certainement moindres. (sources de l'image : www.histoire-fr.com)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)


 
 

Mots-clés : Konrad Lorenz - Nikolas Tinbergen - déclenchement - apprentissage - pression de sélection - agression interspécifique - couple prédateur/proie - agression intraspécifique - ritualisation des comportements - mutation génétique - pariade - vernis culturel
(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)
 
 
 
 
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Mise à jour :22 février 2023

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