Notre quotidien est fait de toutes ces informations provenant du monde entier qui peignent souvent nos contemporains sous un aspect peu flatteur : guerres, attentats, crimes (particuliers ou d'État), intolérance, jalousies, cruauté, violences en tous genres (de préférence envers les plus faibles), une liste qui ne pourra jamais être réellement exhaustive. L'Histoire regorge également de telles atrocités accomplies par l'Homme dans le passé, ce qui tendrait à prouver que cette propension à la violence semble inhérente à sa nature. Alors hérédité ? Culture insuffisamment assimilée ? Les deux à la fois ? Autre chose encore ? Quelles sont les raisons de tels comportements chez un primate qui veut se croire le plus intelligent de tous les êtres vivants et qui prétend dominer sans partage la planète qu'il habite ?
Une partie de la réponse réside dans l'étude des comportements animaux, c'est à dire l'éthologie. Je me propose de revenir sur les travaux de l'un des fondateurs de cette discipline scientifique souvent mal connue, Konrad LORENZ, dont les recherches sur l'agression animale restent parfaitement d'actualité.
l'éthologie
L'éthologie est une discipline scientifique relativement récente, même si le mot à été créé par Geoffroy SAINT-HILAIRE dès 1854. Elle s'intéresse à l'étude des comportements des animaux de la façon la plus objective possible, de préférence en situation naturelle (c'est à dire en situation de non captivité). C'est Konrad LORENZ (1903-1989), déjà cité, et Nikolaas TINBERGEN (1907-1988) qui lui donnèrent ses lettres de noblesse au milieu du XXème siècle. Signalons au demeurant que s'appuyant sur la biologie pour expliquer les comportements, l'éthologie est également appelée biologie du comportement.
De quoi s'agit-il ? Lorenz se proposa de faire une étude anatomique comparée des comportements animaux, constatant alors que les différences et/ou similitudes existant entre les diverses espèces se distribuent de façon assez semblable à leurs caractères morphologiques. Il en conclut logiquement que bien des comportements sont instinctifs et, en réalité, de nature génétique. Il parla alors (avec Tinbergen) de mécanismes innés de déclenchement qui sont la conséquence d'une excitation interne activée par un stimulus externe particulier, excitation apparaissant lors du franchissement d'un seuil d'activation (pouvant être modulé par l'apprentissage). Ces comportements qui se produisent de manière quasi-mécanique d'une espèce à l'autre ne peuvent être expliqués que par une origine commune ancestrale. On en revient à la théorie de l'évolution...
Intéressons nous aujourd'hui à l'un des comportements les plus répandus chez les êtres vivants : l'agressivité et sa conséquence, l'agression.
l'agression
On définit classiquement l'agression comme recouvrant tous les comportements ayant pour but d'infliger un dommage à un autre être vivant dès lors que ce dernier ne souhaite pas subir un tel traitement. Il s'agit donc d'un acte social intentionnel dirigé contre une victime identifiée, dont le dessein principal est de la blesser (voire plus) et qui entraîne chez celle-ci un désir d'évitement.
Précisons-le d'emblée tout net : l'agression n'est pas ce que l'on croit. Elle est généralement vécue comme un mal absolu, la survivance d'un monde non civilisé, à peine suffisante pour expliquer les comportements de certains animaux sauvages (on parle même parfois de comportements « bestiaux »). Rien n'est plus faux : il s'agit en réalité, et comme on va le voir, d'un élément fondamental, presque constitutionnel, de la Vie. C'est un moyen, peut-être le principal, trouvé par l'Evolution pour permettre le développement de la pression de sélection, c'est à dire la transformation (et la meilleure adaptation) des espèces. Ces affirmations demandent évidemment à être expliquées, en précisant notamment ce que l'on doit comprendre par le terme "d'agression" et en en différenciant les différentes variétés.
Il faut, en effet, tout d'abord s'entendre sur le terme lui-même : l'agression N'EST PAS l'attaque du prédateur sur sa proie car il s'agit en pareil cas d'une recherche simple de nourriture qui peut effectivement se traduire par une attaque violente mais – et c'est fondamental – sans aucune forme de colère. Il n'y a donc pas ici d'agressivité mais le seul souci de la survie immédiate. Non, l'agression dont nous parlons est la violence exercée par un animal sur un autre sans autre bénéfice immédiat que le désir d'écarter le gêneur. Il en existe deux types :
a. l'agression interspécifique (entre deux espèces différentes) : on imagine que c'est la plus fréquente mais elle est en fait rare et ce pour deux raisons au moins :
. d'une part, les animaux concernés vivent dans des niches écologiques différentes et n'entrent, dans les conditions normales de la Nature, presque jamais en compétition. Il peut arriver que deux animaux d'espèces différentes en viennent à se battre mais cela est exceptionnel et presque uniquement dû à un hasard malheureux, une rencontre fortuite ;
. d'autre part, les sujets d'espèces différentes ne possèdent pas dans leurs gènes les moyens de reconnaissance et d'identification d'une autre espèce (à l'exception – capitale - du couple spécifique prédateur-proie) ;
b. l'agression intraspécifique (entre deux individus d'une même espèce) : elle est, de loin la plus fréquente. C'est la plus importante au plan de l'évolution puisqu'elle permet l'amélioration de l'espèce par sélection des femelles (exceptionnellement l'inverse) et accessoirement la conquête du plus grand territoire de chasse. Toutefois, pour éviter « des morts inutiles », cette agression passe par la ritualisation des comportements qui permet :
. à l'agresseur de se faire reconnaître si c'est le cas comme l'élément dominant
. et à l'agressé de faire dévier le comportement agressif de son adversaire au moyen également d'un rituel qui lui vaudra d'être épargné puisqu'il reconnaît son infériorité (Je pense ici tout particulièrement aux combats « naturels » de chiens où le vaincu offre la vision de sa gorge découverte à son agresseur, un geste qui désarme immédiatement ce dernier. Le vaincu peut alors s'enfuir puisque son agresseur l'y autorise en détournant son regard).
Ainsi, pas de morts inutiles puisque ces phénomènes d'inhibition sélective permettent de chasser le plus faible sans le tuer. La Nature est économe de la Vie et autorise ainsi à moindre frais une sélection naturelle permettant aux gènes du plus apte de se reproduire à un plus grand nombre d'exemplaires ce qui est en dernier ressort favorable à l'amélioration de l'espèce.
Il en est exactement de même en cas de mutation naturelle bénéfique (voir sujet mécanismes de l'évolution) qui permet alors au plus adapté de survivre. Toutefois, cette dernière éventualité est excessivement rare et peut être ici considérée comme négligeable.
Ainsi, explique Lorenz, dans les rapports existant entre deux individus d'une même espèce mais de sexe différent, l'agression est un composant essentiel de l'amitié et de l'amour. Chez la plupart des animaux, lors de la pariade (voir glossaire et le sujet reproduction sexuée et sélection naturelle), le rituel de séduction est en effet toujours une déviation du rituel de combat. Les espèces qui possèdent une agressivité intraspécifique faible (comme, par exemple, les bancs de petits poissons) sont également celles dans lesquelles les relations interindividuelles sont les plus faibles. En revanche, chez les loups ou les rats dont l'agressivité intraspécifique est élevée, les relations de fidélité entre individus sont très fortes.
Or, et c'est là que ces constatations prennent tout leur intérêt, l'homme est un animal (en tous cas en ce qui concerne ses origines) et il est intéressant de s'interroger sur ce qui reste chez lui de ces comportements innés. C'est certainement le moyen, que cela plaise ou non, d'expliquer certaines réactions individuelles ou comportements collectifs surprenants.
l'explication de certains comportements humains
Pour illustrer ce qui vient d'être dit et surtout pour, autant que faire se peut, en tirer quelque enseignement adaptable à l'homme, je vais me permettre de citer quelques pages d'un ouvrage à mes yeux fondamental de Konrad Lorenz, « l'agression, une histoire naturelle du mal » (Flammarion, 1969). On y trouvera, bien mieux que je ne pourrais l'exprimer, l'essentiel de son sentiment sur ce sujet passionnant.
(...) Imaginons, écrit Lorenz, un observateur impartial sur une autre planète, par exemple Mars, examinant le comportement social de l'homme à l'aide d'un télescope dont le grossissement ne serait pas suffisant pour permettre de reconnaître les individus et de suivre le comportement de chacun d'eux, mais permettrait d'observer les grands évènements tels que batailles, migrations de peuples, etc. Jamais cet observateur n'aurait l'idée que le comportement humain pourrait être dirigé par la raison, et encore moins par une morale responsable. S'il était, comme nous voulons le supposer, un être de pure raison, dépourvu d'instincts et ignorant complètement comment les instincts en général, et notamment l'agression, peuvent échouer, il serait absolument incapable de trouver une explication à l'Histoire. En effet, les phénomènes de l'Histoire, tels qu'ils se répètent toujours, n'ont pas de causes raisonnables. Dire, comme on le fait d'habitude, qu'ils sont causés par la « nature humaine » revient à un lieu commun. Ce sont la déraison et la déraisonnable nature humaine qui font que deux nations entrent en compétition, bien qu'aucune nécessité économique ne les y oblige ; ce sont elles qui amènent deux partis politiques ou deux religions aux programmes étonnamment similaires à se combattre avec acharnement ... Nous sommes habitués à nous soumettre à la sagesse politique de nos dirigeants et tous ces phénomènes nous sont tellement familiers que la plupart d'entre nous ne se rendent absolument pas compte combien le comportement des masses humaines, au cours de l'histoire, est stupide, répugnant et indésirable.
Même lorsque nous nous en rendons compte, la question reste ouverte : pourquoi des êtres doués de raison se comportent-ils de manière aussi peu raisonnable ? Sans doute doit-il y avoir des facteurs d'une puissance extraordinaire pour que les hommes soient capables d'outrepasser si complètement les commandements de la raison individuelle et restent si réfractaires à l'expérience et à l'enseignement (...).
Tous ces paradoxes étonnants s'expliquent cependant aisément et se rangent à leur place comme les pièces d'un puzzle, dès que l'on admet que le comportement de l'homme, et tout particulièrement son comportement social, loin d'être uniquement déterminé par la raison et les traditions culturelles, doit encore se soumettre à toutes les lois prédominantes dans le comportement instinctif adapté par la phylogenèse (voir glossaire). Nous avons de ces lois une assez bonne connaissance grâce à l'étude des instincts chez les animaux. En fait, si notre observateur extra-terrestre était un éthologue bien informé, il conclurait inévitablement que l'organisation sociale des hommes ressemble beaucoup à celle des rats qui, eux aussi, sont, à l'intérieur de la tribu fermée, des êtres sociables et paisibles mais se comportent en véritables démons envers des congénères n'appartenant pas à leur propre communauté. Si notre observateur martien avait en outre connaissance de l'augmentation explosive de la population, de la terreur grandissante des armes et des divisions des êtres humains en très peu de camps politiques, il n'augurerait pas, pour l'humanité, un avenir beaucoup plus rose que celui de quelques clans de rats sur un bateau aux cales presque vides. Et ce pronostic serait même optimiste car, chez les rats, la procréation s'arrête automatiquement dès qu'est atteint un certain degré de surpeuplement, tandis que l'homme n'a pas encore trouvé un système efficace pour empêcher ce qu'on appelle les explosions démographiques. D'autre part, il est probable qu'il resterait chez les rats après le massacre assez d'individus encore pour perpétuer l'espèce. On n'a point la même certitude en ce qui concerne l'homme, après usage de la bombe H (...).
Dans mon chapitre sur les mécanismes de comportement fonctionnellement analogues à la morale, j'ai parlé d'inhibition contrôlant l'agression chez différents animaux sociaux et les empêchant de blesser ou de tuer leurs frères de race. J'ai expliqué que ces inhibitions sont de la plus grande importance et, partant, très différenciées surtout chez les animaux capables de tuer des créatures d'à peu près leur taille. Un corbeau peut arracher d'un seul coup de bec l'œil d'un autre corbeau ; un loup peut ouvrir d'une seule morsure la veine jugulaire d'un autre loup. Il n'y aurait plus depuis longtemps ni corbeaux, ni loups, si des inhibitions sûres et éprouvées n'empêchaient pas cela. Le pigeon, le lièvre et même le chimpanzé ne peuvent pas tuer un de leurs congénères d'un seul coup. Par dessus le marché, les animaux possédant des armes relativement faibles par rapport aux autres, ont de meilleures capacités de fuite, leur permettant d'échapper même aux « prédateurs de métier », bien plus capables de chasser, d'attraper et de mettre à mort que le plus qualifié de leurs congénères. Dans la nature libre, il est donc rarement possible qu'un tel animal cause des dommages sérieux à un autre de la même espèce ; en conséquence, aucune pression de la sélection n'est à l'œuvre pour faire évoluer des inhibitions anti-meurtres. L'éleveur d'animaux se rend compte - à ses dépens et à ceux des animaux - de l'absence de ces inhibitions s'il ne prend pas au sérieux les combats intraspécifiques entre animaux complètement « inoffensifs ». Dans les conditions artificielles de la captivité où le vaincu ne peut pas échapper au vainqueur par une fuite rapide, il arrive toujours que ce dernier le tue cruellement et laborieusement. Même la colombe, symbole de la paix, n'est gênée par aucune inhibition pour torturer une de ses sœurs jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Les anthropologues qui étudient les australopithèques ont souvent souligné que ces chasseurs, précurseurs de l'homme, nous ont légué ce dangereux héritage qu'ils appellent une « mentalité de carnivore ». Or, cette constatation confond les concepts de carnivore et de cannibale qui, pourtant, dans une large mesure, s'excluent mutuellement. En définitive, il faut plutôt déplorer que l'homme ne possède pas de mentalité de carnivore. Tout le malheur vient précisément du fait qu'il est au fond une créature inoffensive et omnivore, ne possédant pas d'arme pour tuer de grandes proies et, par conséquent, dépourvu de ces verrous de sécurité qui empêchent les carnivores « professionnels » de tuer leurs camarades de même espèce. Il arrive qu'un loup ou un lion en tue un autre, dans de très rares cas, par un geste de colère. Mais, tous les carnivores bien armés possèdent des inhibitions fonctionnant avec une sécurité suffisante pour empêcher l'autodestruction de l'espèce.
Dans l'évolution de l'homme, de tels mécanismes inhibiteurs étaient superflus ; de toute façon, il n'avait pas la possibilité de tuer rapidement ; la victime en puissance avait maintes occasions d'obtenir la grâce de l'agresseur par des gestes obséquieux et des attitudes d'apaisement. Pendant la préhistoire de l'homme, il n'y eut donc aucune pression de la sélection qui aurait produit un mécanisme inhibiteur empêchant le meurtre des congénères, jusqu'au moment où, tout d'un coup, l'invention des armes artificielles troubla l'équilibre entre les possibilités de tuer et les inhibitions sociales. A ce moment, la situation de l'homme ressemblait beaucoup à celle d'une colombe que quelque farce contre nature de la Nature aurait muni d'un bec de corbeau. On frémit à l'idée d'une créature aussi irascible que le sont tous les primates pré-humains, brandissant maintenant un coup de poing bien tranchant. L'humanité se serait, en effet, détruite elle-même par ses premières inventions, sans ce phénomène merveilleux que les inventions et la responsabilité sont l'une et l'autre les résultats de la même faculté, typiquement humaine, de se poser des questions.
Ce n'est pas que notre ancêtre humain fut, même à un stade encore dépourvu de responsabilité morale, une incarnation du mal. Il n'était pas moins pourvu d'instincts sociaux et d'inhibitions qu'un chimpanzé qui après tout - nonobstant son irascibilité - est une créature sociable et aimable. Mais quelles que puissent avoir été ses normes innées de comportement social, elles devaient nécessairement se détraquer par l'invention des armes (...).
La distance à laquelle les armes à feu sont efficaces est devenue suffisamment grande pour que le tireur soit à l'abri des situations stimulantes qui, autrement, activeraient ses inhibitions contre le meurtre. Les couches émotionnelles profondes de notre personne n'enregistrent tout simplement pas le fait que le geste d'appuyer sur la gâchette fait éclater les entrailles d'un autre humain. Aucun homme normal n'irait jamais à la chasse au lapin pour son plaisir s'il devait tuer le gibier avec ses dents et ses ongles et atteignait ainsi à la réalisation émotionnelle complète de ce qu'il fait en réalité.
Le même principe s'applique, dans une mesure encore plus grande, à l'usage des armes modernes commandées à distance. L'homme qui appuie sur un bouton est complètement protégé contre les conséquences perceptibles de son acte ; il ne peut ni les voir, ni les entendre. Donc, il peut agir impunément, même s'il est doué d'imagination. Ceci seulement peut expliquer que des gens, pas plus méchants que d'autres et qui ne donneraient même pas une gifle à un enfant peu sage, se sont montrés parfaitement capables de lancer des fusées contre des villes en sommeil ou de les arroser de bombes au napalm livrant ainsi des centaines ou des milliers d'enfants à une mort horrible dans les flammes. Le fait que ce sont des pères de famille bons et normaux qui ont agi ainsi rend ce comportement d'autant plus inexplicable.
J'ai écrit en 1955 : « Je crois que l'homme civilisé d'aujourd'hui souffre en général de l'incapacité d'abréagir ses pulsions d'agression. Il est plus que probable que les effets nocifs des pulsions agressives de l'homme que Freud voulait expliquer par une pulsion de mort spécifique proviennent tout simplement du fait que la pression de l'agression intraspécifique a fait évoluer dans l'homme, à l'époque la plus reculée, une quantité de pulsions agressives pour lesquelles il ne trouve pas de soupape adéquate dans la société actuelle. (...)
Il n'y a, par ailleurs, dans une communauté moderne aucune issue légitime au comportement agressif. La paix est le premier devoir du citoyen. Le village ennemi sur lequel il était autrefois permis de décharger son agressivité se trouve maintenant au loin, caché derrière un rideau, de fer si possible. Parmi les nombreux comportements sociaux de l'homme que la phylogenèse a fait évoluer, il n'y en a pratiquement pas un qui n'ait besoin d'être contrôlé et jugulé par une morale responsable. Là réside la vérité profonde contenue dans tous les sermons d'ascèse. La plupart des vices et des péchés mortels aujourd'hui condamnés correspondent à des inclinations qui, chez l'homme primitif, étaient simplement adaptatives ou du moins sans danger. Les gens du paléolithique avaient en général à peine de quoi manger ; si, pour une fois, ils avaient attrapé un mammouth, il était au point de vue biologique correct et normal que chaque membre de la horde s'empiffre autant que possible. La gloutonnerie n'était pas un vice. Une fois complètement rassasié, l'homme primitif se reposait de sa vie exténuante et se livrait à la paresse aussi longtemps que possible ; il n' y avait rien de répréhensible dans cette paresse. La vie était si dure que la saine sensualité ne risquait point de dégénérer en débauche. Chacun avait terriblement besoin de garder ses quelques biens : des armes et des outils et quelques noix pour le repas du lendemain. Bref, le nombre de type de comportements correspondait assez bien à la demande. Et la tâche de la morale responsable était relativement facile. Son seul commandement à cette époque était : tu ne frapperas pas ton prochain avec une hache même s'il provoque ta colère.
La tâche compensatrice incombant à la morale responsable s'accroit à mesure que les conditions écologiques et sociologiques dévient davantage de celles auxquelles la phylogenèse a adapté le comportement de l'homme. Cette déviation ne cesse d'augmenter et même le taux de l'augmentation s'accélère d'une manière vraiment effroyable (...).
Konrad Lorenz, extraits de son livre « l'agression, une histoire naturelle du mal » (Flammarion, 1969)
J'espère que le lecteur (et l'éditeur) me pardonnera ce long emprunt mais il me paraissait impossible de résumer ou transcrire la pensée de l'auteur sans la dénaturer. Comme on peut le soupçonner après cette lecture, il paraît possible d'expliquer certains comportements humains à la lumière de l'éthologie. Il ne s'agit certes pas d'en tirer une « bible » fixée une fois pour toutes mais reconnaissons qu'il existe dans tout cela des éléments qui demandent à ce que l'on s'y arrête un temps.
Je ne sais pas pour vous mais, pour moi, Lorenz (et d'une manière plus générale les éthologues) me donne à réfléchir sur la nature humaine. Nous savons grâce à la théorie de l'Évolution que l'être humain est le fruit d'un long chemin qui l'a amené depuis l'ancêtre commun qu'il possède avec les grands primates jusqu'à aujourd'hui où, fier de son intellect, il domine le monde. En tout cas le monde macroscopique qui nous entoure. Ce n'est certainement pas un animal comme les autres mais il reste néanmoins un mammifère dont le degré d'évolution demeure difficile à cerner. Quels sont le nombre et l'importance des mécanismes innés sélectionnés au fil de millions d'années d'évolution qui subsistent en lui ? Le vernis culturel que l'Homme croit posséder, acquis en quelques millénaires au plus, a-t-il une importance si considérable au regard de tout le temps écoulé depuis qu'il apparut en tant que créature réellement différente des autres ?
On me répondra que le cerveau de l'Homme lui donne à présent cette caractéristique fondamentale qu'est la curiosité intellectuelle et que, par voie de conséquence, celle-ci ne peut que déboucher sur son intérêt pour le monde, un monde qui l'abrite et dont il arrive, peu à peu, à prendre connaissance. Cela l'amène tout naturellement à se situer dans l'Univers, à comparer, à chercher, à comprendre : c'est ainsi le seul animal, pense-t-on, qui a la notion de sa propre mort longtemps avant qu'elle ne survienne. Or le savoir, on le sait, est le début de la sagesse... Pourtant, certains auteurs – dont Konrad Lorenz mais il est loin d'être le seul – prétendent que les connaissances de l'Homme sont trop récentes, d'acquisition trop rapide pour compenser les centaines de siècles qui ont façonné ses comportements instinctuels. Au fond, c'est toujours la même histoire : le lecteur optimiste pensera que l'acquis, notamment culturel, si difficilement accumulé, permettra à l'espèce humaine de s'extirper de la gangue des automatismes façonnée par l'Évolution alors que le pessimiste trouvera dans l'éthologie un argument supplémentaire pour douter des vertus civilisatrices de l'Humanité.
Glossaire
* pariade : formation des couples qui précède la période de reproduction. (in Futura-sciences)
* phylogénèse : la phylogénie est l'étude de la formation et de l'évolution des organismes vivants en vue d'établir leur parenté. La phylogenèse est le terme le plus utilisé pour décrire la généalogie d'une espèce, d'un groupe d'espèces mais également, à un niveau intraspécifique, la généalogie entre populations ou entre individus. (in Wikipedia France)
Images
1. panthère noire (sources : scharlette.centerblog.net)
2. mygale (sources : tmigeon.free.fr)
3. rats (sources : www.hat.net/)
4. char Leclerc (sources : www.fncv.com)
4. l'empereur Auguste : les Romains avaient exactement la même configuration cérébrale que l'homme d'aujourd'hui mais leurs capacités de nuisance étaient certainement moindres. (sources de l'image : www.histoire-fr.com)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-clés : Konrad Lorenz - Nikolas Tinbergen - déclenchement - apprentissage - pression de sélection - agression interspécifique - couple prédateur/proie - agression intraspécifique - ritualisation des comportements - mutation génétique - pariade - vernis culturel
(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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Mise à jour :28 septembre 2024