Depuis qu’ils ont une conscience, rien n’a plus préoccupé les Hommes que l’explication du début de la Vie sur notre planète et donc la révélation de leur propre origine. Les religions ont cherché des réponses, variables selon les latitudes, mais il s’agissait alors plus d’un acte de foi que d’une approche scientifique rationnelle. La science a également longtemps hésité et s’il lui est encore impossible de trancher de façon définitive, elle a permis de tracer quelques pistes : voyons cela de plus près.
Des interrogations historiques
L’explication de l’origine de la vie sur Terre occupe les esprits depuis toujours, en tout cas depuis plus de 2500 ans. Au début et en l’absence de toute étude scientifique crédible, hors de portée des savants de l’époque, la majorité des philosophes de l’antiquité proposèrent la notion de « génération spontanée » : Aristote, par exemple, imaginait que les êtres vivants, notamment les espèces dites « inférieures », sont la résultante d’une coagulation de terre et d’eau sous l’influence de la chaleur, celle du soleil notamment. Il pensait que « des forces » en sont responsables mais sans en expliquer ni l’origine, ni la nature. Cette notion de force sera secondairement reprise, notamment en Occident, par l’Eglise qui y verra un « élan vital », c'est-à-dire un principe d’inspiration divine qui, seul, peut transformer de la matière inanimée en êtres vivants. Durant des siècles on en restera là et il faudra attendre les travaux de Pasteur pour réfuter définitivement cette notion d’une création à partir de rien.
Il faut dire que, quelques années auparavant, Darwin avait jeté un véritable pavé dans la mare avec sa théorie de l’évolution qui stipulait que tous les êtres vivants proviennent d’un ancêtre unique et ce grâce à la sélection naturelle, une théorie clairement mécaniciste guidée par la nécessité et, en fin de compte, par le hasard. Dès lors, les premières idées cohérentes sur l’origine de la Vie purent commencer à voir le jour.
L’anglais John Haldane (1892-1964), ayant remarqué qu’un mélange d’eau, de gaz carbonique et d’ammoniac placé dans un milieu riche en rayons ultraviolets produit de la matière organique, propose alors une « soupe primitive prébiotique ». Pour lui, les radiations ultraviolettes provenant du Soleil (ou de décharges électriques des volcans ou de la foudre) cassent les molécules simples de l’atmosphère primitive et permettent ainsi la libération de radicaux qui se combinent rapidement pour former des molécules plus complexes et plus lourdes.
Le russe Alexandre Oparine (1894-1980) lui emboîte le pas quelques années plus tard en expliquant que l’agrégation de molécules en molécules de plus en plus complexes finit par aboutir à une structure susceptible de se fermer par une membrane devenant ainsi une espèce de cellule primitive. En somme, on a affaire à une complexification progressive, la sélection naturelle se chargeant de conserver les structures les plus stables.
Il faudra néanmoins attendre 1953 - et sa fameuse expérience - pour que l’américain Stanley Miller permette une avancée conceptuelle véritable.
L’expérience de Stanley Miller
Dans les années 50, Stanley Miller (1930-2007) est un jeune étudiant qui prépare sa thèse de doctorat. Le scientifique s’intéresse à l’origine de la Vie sur Terre et aux conditions dont on supposait qu’elles prévalaient sur notre planète à son tout début. Il cherche donc à recréer ces conditions en construisant un dispositif comprenant deux grands ballons réunis par des tubulures de verre. Dans le premier, il met de l’eau chauffée sensée représentée l’océan primitif et dans le second un mélange de vapeur d’eau et de gaz parcouru par des décharges électriques (l’atmosphère primitive).
Surprise : après environ une semaine, 2% du carbone du premier ballon ont été transformés en acides aminés qui, on le sait, sont les constituants indispensables à la matière vivante… Troublant ! D’autant que, cette même année 1953, Watson et Crick décrivent la structure en double hélice de l’ADN qui permet de comprendre enfin la transmission de l’information génétique. L’expérience de Miller est évidemment répétée par de nombreux scientifiques et l’un d’entre eux, en 1961, aboutit à la synthèse d’adénine, une des quatre bases constituant l’ADN !
On ne peut évidemment s’empêcher de repenser à la théorie de Darwin pour qui le point de départ aurait pu être « un marais d’eau chaude contenant des sels d’ammoniac et de phosphore ayant conduit à la formation des premières molécules organiques grâce à l’action conjuguée de chaleur et d’électricité ». Si l’on ajoute à cela que c’est à peu près à cette époque qu’on commence à décrire des roches très anciennes ayant une origine biologique, les stromatolithes, on comprend qu’on puisse tenter d’imaginer sérieusement le cheminement de la Vie.
Les différentes étapes
La Terre, comme l’ensemble du système solaire, s’est formée il y a environ 4,5 milliards d’années mais, au tout début, elle était impropre à l’apparition de la Vie : nous sommes encore dans un système instable avec des agrégations de roches (ayant conduit à la formation des planètes) et donc la présence de beaucoup d’objets errants. Notre planète est alors bombardée sans discontinuer par une foule de météorites plus ou moins grosses et le siège d’une importante activité sismique et volcanique : il faudra attendre 500 millions d’années pour que la situation se stabilise. Nous savons par ailleurs (les fameux stromatolithes déjà évoqués) qu’une vie rudimentaire était déjà présente vers – 3,5 milliards d’années. On peut donc en déduire que c’est un peu avant cette période que la Vie est apparue, finalement assez tôt dans l’histoire de notre globe.
• La Terre d’origine, vers – 4 milliards d’années
Les précipitations de météorites se sont raréfiées et les volcans quelque peu calmés. L’atmosphère de cette époque est composée principalement de méthane, donc irrespirable, mais elle est riche en eau et en hydrogène. La température de surface a diminué et le jeune Soleil brille moins qu’aujourd’hui, ses rayons étant filtrés par une atmosphère lourde et pesante. Toutefois, un élément fondamental est présent, le carbone, dont les quatre liaisons atomiques en font un candidat irremplaçable pour la formation de molécules susceptibles de donner des êtres vivants. Les océans sont par ailleurs un endroit idéal pour la solubilisation des molécules et l’apparition des premières briques chimiques du vivant, les acides aminés (voir plus haut l’expérience de Miller).
• Les acides aminés
Ce sont eux qui sont le fondement de toutes les protéines existant sur notre planète. Associés à certaines molécules comme des acides gras (qui ont la particularité de former des gouttes, puis des vésicules), ils peuvent conduire tout naturellement à la formation de véritables protocellules (cellules primitives) sous certaines conditions de chaleur et de pression, peut-être à proximité de ces fameux « fumeurs noirs » encore présents au fond de nos océans et dont on sait qu’ils favorisent grandement la synthèse biochimique. Mais exister une fois ne suffit pas : pour survivre, un être vivant doit se dupliquer en transmettant à ses descendants les informations – son adaptation au milieu – qui lui ont permis d’exister. Il faut donc qu’apparaisse aussi une certaine forme de codage.
• Apparition de la duplication : le monde de l’ARN
La majorité des scientifiques d’aujourd’hui pensent que le codage primitif des premières protocellules est passé par l’ARN, plus simple que l’ADN (qui compose le code génétique du vivant actuel). Plus simple - et pouvant donc permettre les premiers échanges codés entre les structures qui deviendront de vraies cellules - mais également moins stable car il ne comprend qu’un seul filament, forcément fragile. Atout toutefois primordial : ce filament peut se répliquer par simple contact. A l’inverse, ce n’est pas le cas de l’ADN, composé de deux filaments collés l’un à l’autre (la double hélice), qui est infiniment plus stable mais incapable de se répliquer seul puisqu’il faut « l’ouvrir, le lire et copier l’information génétique ». L’association des deux types d’acides nucléiques conduit à ce que l’on sait de nos jours de la transmission génétique : le « code du vivant » est stocké dans l’ADN qui varie très peu et est lu par des ARN (« messagers », « de transfert », etc.) qui permettent la transformation de l’information en molécules très précises, toujours les mêmes.
• Le monde de l’ADN et l’arbre de l’évolution
Du fait de cette association ADN/ARN, une information génétique invariable (moins les inévitables « mutations », voir le sujet les mécanismes de l'évolution) peut se transmettre et permettre l’organisation d’un être vivant qui sait se reproduire. Ensuite, l’Evolution n’a plus qu’à se faire – avec le temps, beaucoup de temps – vers une complexification progressive, le tout sous l’emprise de la sélection naturelle, un mécanisme automatique… On peut résumer cette avancée de la façon suivante :
* entre – 4 et – 3 milliards d’années : apparition des cellules procaryotes (c'est-à-dire sans noyau) où l’information génétique encore rudimentaire est emmagasinée dans une simple enveloppe lipidique qui contient les enzymes nécessaires au fonctionnement cellulaire ;
* entre – 3 et – 1,5 milliards d’années : apparition des cellules eucaryotes qui comprennent non seulement une enveloppe externe séparant la cellule de son milieu mais également une deuxième enveloppe, interne et constituant le noyau, qui protège l’information génétique du cytoplasme où se font les réactions cellulaires ;
* entre – 2 et – 1 milliard d’années : certaines cellules accueillent des organites, c'est-à-dire de petites structures spécialisées (comme les mitochondries) dont on pense aujourd’hui qu’elles sont issues d’une association (une symbiose) entre les cellules eucaryotes et des bactéries archaïques ;
* vers – 1 milliard d’années : des cellules, toutes semblables, s’organisent pour former des structures plus grandes et plus complexes sous forme de filaments organiques ;
* vers – 500 millions d’années : apparition des tissus qui, peu à peu, comprennent des cellules de plus en plus spécialisées. On aboutit alors à la formation d’organismes pluricellulaires. La suite est connue… Précisons quand même que, si la vie est apparue relativement tôt dans l'histoire de la Terre, il aura fallu attendre plus de 3 milliards d'années pour voir exploser la biodiversité !
Le point de départ
• L’atmosphère
J’ai déjà longuement évoqué l’expérience de Miller qui orientait l’apparition de la Vie vers un point de départ atmosphérique. Malheureusement, on sait à présent que l’atmosphère primitive n’était probablement pas celle que le scientifique avait retenue : l’atmosphère primitive était plus composée de dioxyde de carbone et d’azote que de méthane et d’ammoniac. Or le mélange azote/dioxyde de carbone est moins propice à la formation des acides aminés. Pour compenser cette relative limitation, il faut ajouter la présence d’une assez grande quantité d’hydrogène ce qui est finalement loin d’être impossible : comme on le verra, ce dernier aurait pu se former autour des sources hydrothermales. Une autre objection souvent avancée est la durée : pour que ces mécanismes s’enclenchent, il est nécessaire que cette atmosphère un peu particulière reste stable sur une plutôt longue période. Combien de temps ? Cela reste encore à déterminer. Quoi qu’il en soit, l’apparition de la Vie sur Terre à partir d’une atmosphère plus ou moins enrichie en hydrogène et parcourue de décharges électriques est assez bien acceptée par les scientifiques actuels. Ce mécanisme n’est bien sûr pas le seul retenu.
• Les océans
Dans un sujet précédent (voir sujet vie extraterrestre - 2), j’évoquais une des conditions semble-t-il indispensable à l’émergence du vivant : l’eau liquide. Dès lors, comment ne pas penser aux océans, présents très tôt sur notre planète ? A vrai dire, jusque dans les années 70, on voyait assez mal comment ceux-ci auraient pu intervenir (un échange de surface ?) mais, à cette époque, pour la première fois, sont décrites les sources hydrothermales profondes, les « fumeurs noirs ». Riches en ressources minérales, ces fumeurs sont également une importante source d’énergie provenant des entrailles de la Terre et on peut imaginer assez facilement que ce soit dans leur environnement qu’apparurent les premiers acides aminés : certains scientifiques en sont convaincus.
• Les solutions alternatives
* la panspermie : formulée au début du 20ème siècle, cette hypothèse envisage l’apport de molécules organiques venues d’ailleurs que de la Terre, au moyen de certaines météorites qui, ainsi, pourraient faire transiter ces premières briques du vivant d’une planète à l’autre. Voire, pourquoi pas ?, de bien plus loin, d’au-delà du système solaire, en une sorte de gigantesque « pollinisation » de la Vie dans l’espace interstellaire… Tombée en désuétude depuis les années 1950 (Miller, toujours lui !), elle possède encore certains partisans mais notons au passage que la théorie ne fait que repousser le problème : il faut bien qu’il y ait eu quelque part un début…
* les autres planètes : on sait que certaines météorites retrouvées sur le sol de notre planète sont d’origine extra-terrestre : quelques unes d’entre elles proviennent de la Lune mais il s’agit là de notre proche banlieue et d’un astre certainement stérile. En revanche, les météorites d’origine martienne témoignent de relations certaines entre les deux planètes : dès lors, pourquoi ne pas imaginer que… C’est tout l’enjeu de l’exploration de Mars, actuellement en cours, mais qui, jusqu’à présent, ne nous a pas révélé grand-chose et, de toute façon, là aussi on repousse le problème.
Il existe dans le reste du système solaire des planètes – notamment certains satellites des géantes gazeuses – qui ont été proposées. Encelade, par exemple, un satellite de Saturne, sur lequel les scientifiques ont cru déceler des geysers d’eau liquide et quelques composés organiques, ou Titan, une autre lune de Saturne. Ailleurs, c’est Europe, satellite de Jupiter, qui est appelé à la rescousse car on soupçonne que cette planète recèle peut-être un océan d’eau salée… mais recouvert d’une couche de glace de 100 km d’épaisseur ! Bref, on cherche.
Au bout du compte, quand on souhaite comprendre l’origine de la Vie, on s'aperçoit que la science actuelle suit des pistes sérieuses. Il est probable que l’apparition des premières cellules, puis leur réplication, a dû se faire – à certaines possibles nuances près – comme cela vient d’être sommairement décrit dans ce sujet. Il paraît par contre plus malaisé de savoir avec certitude si cette première manifestation de la Vie s’est effectivement faite sur Terre et si oui, dans quel milieu plus spécifique. Peut-être, d’ailleurs, cette certitude nous échappera-t-elle toujours mais une chose semble certaine à mes yeux : compte-tenu du nombre incroyable de planètes existant dans l’Univers (il y en a des milliards de milliards, dans notre Galaxie et ailleurs), il semble évident à tout homme de bonne foi comprenant les statistiques les plus élémentaires que cette « émergence » du vivant que l’on commence à peine à comprendre s’est forcément déjà produite ailleurs. Et se produira encore. C’est la raison qui le veut.
Images
1. la création d’Adam, Michel Ange, chapelle Sixtine (sources : : www.svt.ac-versailles.fr/)
2. Louis Pasteur (sources : fr.wikivisual.com)
3. expérience de Stanley Miller (sources : : planete-terre.tripod.com/)
4. la double hélice d'ADN (sources : www.ogm.gouv.qc.ca)
5. un "fumeur noir" (sources : www.ifremer.fr)
6. ciel lointain (sources : irfu.cea.fr)
Brêve : l'ARN peut s'aurorépliquer
Des chercheurs de l'Institut Scripps Research en Californie ont réussi à répliquer de l'ARN sans l'aide de protéines. Ils ont associé deux ARN dont chacun assure la réplication de l'autre. Le système s'autoréplique ainsi indéfiniment à l'identique. Avec parfois des erreurs, sources de mutations et donc de diversité, comme avec l'ADN. Voilà qui renforce l'hypothèse que les prémisses de la vie reposent sur des ARN jouant tous les rôles nécessaires à la vie.
(Science & Vie, 1098, mars 2009)
Mots-clés : Aristote - génération spontanée - Pasteur - Darwin - John Haldane - Alexandre Oparine - Stanley Miller - ADN - double hélice - ARN - stromatolithes - fumeurs noirs - cellule procaryote - cellule eucaryote - mitochondrie - sources hydrothermales - panspermie
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Sujets apparentés sur le blog :
1. les mécanismes de l'Evolution
3. pour une définition de la Vie
4. le rythme de l'évolution des espèces
5. le hasard au centre de la Vie
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Mise à jour : 2 mars 2023