Dans les années 20, un cataclysme considérable bouleversa le petit monde jusque là protégé de la physique fondamentale : l’irruption de la mécanique quantique. De quoi s’agissait-il ? Tout simplement de la remise en cause du caractère déterministe des phénomènes physiques avec l’introduction dans le domaine subatomique du hasard pur et dur. En d’autres termes, alors que dans le monde physique du visible (le nôtre de tous les jours) chaque action est connue pour être produite et déterminée par une action préalable, on affirmait tout à coup que dans le domaine de l’infiniment petit (à l’échelle de l’atome), c’était le seul hasard qui régissait la succession des événements… Impossible à croire ? Pourtant, les équations étaient formelles et jamais la mécanique quantique n’a depuis été prise en défaut ; plus encore, elle a contribué à la réalisation d’extraordinaires outils tout en décryptant certains phénomènes jusque là inexplicables… (voir le sujet : mécanique quantique). Aujourd’hui, plus aucun scientifique ne remet en cause cette physique bien particulière et cela même si on a du mal à l’accorder avec la théorie de la relativité générale d’Einstein.
Or, en ce début de siècle (ou de nouveau millénaire, c’est comme on voudra), voilà que la question semble à son tour se poser… pour la biologie. Quoi, la science du vivant serait, elle aussi, sous le joug – au moins partiellement – du pur hasard ? Faut-il voir dans cette affirmation une provocation de quelques scientifiques en mal de notoriété ou, au contraire, d’une piste sérieuse pour expliquer les mécanismes régissant la Vie ? Explication.
Retour (rapide) sur la physique fondamentale
Eh bien, certains scientifiques se demandèrent aussitôt s’il était possible d’appliquer cette notion de « comportement aléatoire » aux molécules du vivant, ou plutôt à leurs constituants. Puis, après avoir bien réfléchi, tous conclurent que cela n’était pas possible parce que la génétique nous apprend qu’il n’existe, par exemple chez l’Homme, que 46 chromosomes, un nombre bien trop petit pour que des comportements « aléatoires » deviennent par la suite probabilistes… Quelques années passèrent… jusqu’à ce qu’on reconsidère la génétique cellulaire.
La compréhension de la génétique cellulaire progresse
A y bien réfléchir, toutefois, la description de ce type d’action cellulaire est forcément déduite d’un ensemble de cellules puisque les techniques ne sont pas assez précises (du moins jusqu’à peu) pour examiner ce qui se passe dans une seule. De ce fait, ce que l’on observe est considéré comme représentatif de chacune des cellules auxquelles on attribue donc un mode d’action forcément identique mais est-ce bien la réalité ? Car, lorsqu’on examine avec attention les protéines régulatrices que l’on vient d’évoquer, on se rend compte qu’elles ne se déplacent que par leur seule diffusion, de façon désordonnée et aléatoire, et que, de plus, elles sont plutôt en nombre restreint : comment peuvent-elles bien rencontrer à chaque fois la copie du gène présente dans la cellule ? La réponse est simple : la rencontre – quand elle a lieu – relève du hasard ! Et pour une cellule donnée, impossible de prévoir ce qui va se passer : action complète, partielle ou pas d’action du tout… Pourtant, on sait bien que les actions biologiques ont lieu, que l’embryogénèse, pour reprendre cet exemple, suit un ordre bien précis, alors ? Nous revenons à ce que nous a appris la physique fondamentale : les cellules agissent de façon aléatoire à leur échelle individuelle mais leur très grand nombre rend parfaitement plausible la probabilité de l’action considérée… Mais… n’a-t-on pas dit, avec les physiciens, en début de sujet, que 46 chromosomes (pour l’Homme), c’était insuffisant pour permettre notre calcul probabiliste ? Voyons cela de plus près.
Richesse des constituants biologiques
Comme pour la physique subatomique qui concerne des particules aussi nombreuses que variées, on peut décrire à présent un « infiniment petit » biologique également fort riche en entités diverses. C’est vrai, la cellule humaine ne contient dans son noyau que 46 chromosomes constitués d’ADN enroulé en double hélice. Toutefois, cet ADN est lui-même composé de corps simples appelés bases (puriques ou pyrimidiques) au nombre de quatre : cytosine, guanine, thymine et adénosine. Leur agencement et leur répétition dans un ordre précis va composer une espèce de code (le code génétique) qui, lu par des organites spécialisés tels que les ARN, va induire la formation de telle ou telle protéine. Chaque fragment indépendant de code est un gène. Soit mais encore ? Chez l’Homme, il existe environ 25 000 à 30 000 gènes actifs ce qui représente une moyenne d’un peu moins de 1000 gènes par chromosome (inégalement répartis en quantité puisque certains chromosomes sont plus gros que d’autres). On estime que ces gènes dits codants (puisqu’ils peuvent être « lus » et donc entraîner une action) représentent à peu près 3 à 5 % de l’ADN humain ; disons-le autrement : 95 % des chromosomes de l’Homme sont constitués de « gènes illisibles », les bases se succédant dans un désordre qui ne veut rien dire, en tout cas pour les cellules humaines présentes. Nous avons donc dit environ 25 000 gènes actifs susceptibles d’être codés par un ARN. Or, cet ARN peut subir à son tour un épissage (des remaniements) aboutissant à la fabrication de plusieurs ARN différents donc de plusieurs protéines… On le voit, au niveau cellulaire, beaucoup d’intervenants et beaucoup de mécanismes différents… et on s’étonne presque, si l’on est un déterministe farouche, qu’il n’y ait pas plus d’erreurs dans ces milliards de cellules qui vivent en symbiose.
Hasard et sélection naturelle
C’est vrai : il est très difficile de s’imaginer que les mécanismes ultra précis et si élaborés de la vie cellulaire puissent relever du seul hasard… Et pourtant ! De plus en plus de scientifiques ont la certitude que c’est bien lui qui ordonne le domaine biologique de base. Comme pour les protéines inductrices déjà citées, l’essentiel des opérations biologiques se déroule au hasard, un hasard qui est partout présent au niveau moléculaire. Pourquoi ? Parce que les actions moléculaires dépendent de facteurs changeants et imprévisibles comme le cheminement des molécules au sein d’un milieu variable et dans des endroits divers, la modification des facteurs environnementaux, l’état général de l’organisme dans son ensemble, etc. Et, pensent certains, c’est la sélection naturelle qui va écarter ou retenir telle ou telle molécule en fonction du lieu, de son action favorable ou non, de la période de temps considérée, etc.
Le hasard, donc, est ici omniprésent mais un hasard plus ou moins organisé selon le niveau où on l’observe : total pour la molécule individuelle… mais prédictible à l’échelon cellulaire. Et on pense réellement que c’est vraiment possible, ça ? Sans aucun doute. Je repense au célèbre exemple de la pièce de monnaie ; on la lance une fois en l’air et il est impossible de savoir avec certitude de quel côté elle tombera : vous aviez parié sur pile ? Eh bien, vous avez une chance sur deux de gagner… ou de vous tromper. A présent, lançons la pièce plusieurs centaines de fois et c’est tout l’inverse : on s’aperçoit qu’elle tombe à peu près 50% des fois sur pile et 50% des fois sur face, un phénomène parfaitement prévisible. Transposons-le, ce phénomène, en biologie : une molécule seule ne permet pas de savoir ce qui va se passer mais s’il existe beaucoup de molécules – comme dans une cellule – eh bien on peut deviner à quoi on peut s’attendre ! Fort bien mais a-t-on des preuves de tout ça ?
Que disent les observations récentes ?
Depuis une vingtaine d’années, on commence à comprendre que le hasard intervient dans le fonctionnement cellulaire et de nombreux articles scientifiques s’en font l’écho. Par ailleurs, les observations de l’activité individuelle des cellules se multiplient parce que, à présent, nous possédons la technique qui les autorise. Or, les résultats sont formels : pour l’expression d’un gène donné, certaines cellules vont le synthétiser parfaitement, d’autres pas du tout et d’autres partiellement : en réalité, tous les intermédiaires existent… Le gène sera finalement actif si, à l’échelle de la population des cellules, l’action conjuguée de beaucoup d’entre elles atteint un certain seuil, le seuil de déclenchement.
Qu’en conclut la communauté scientifique ?
Comme toujours – et j’oserai dire que c’est tant mieux – les scientifiques sont divisés : au fond, il n’y a finalement rien de pire qu’un avis unanimement partagé et que nul ne peut remettre en cause. Pour une majorité de biologistes, s’il est incontestable que le hasard intervient dans la grande machinerie du vivant, celui-ci reste pour eux finalement marginal. Il est vrai qu’il semble a priori difficile de remettre en cause le caractère déterministe des phénomènes biologiques. Pour d’autres, encore minoritaires, le hasard a une place
bien plus importante qu’on veut bien le reconnaître et, pour eux, nombre de phénomènes en apparence parfaitement organisés sont plus le résultat d’actions probabilistes, la conséquence d’une sorte de hasard organisé. Cette situation, en apparence contradictoire, n’est pas sans rappeler les années 1920 lorsque, comme je l’ai déjà mentionné, la mécanique quantique envahissait une partie de la physique fondamentale jusqu’alors terriblement déterministe… En réalité, les scientifiques ne sont peut-être pas si éloignés qu’ils le croient les uns des autres car si l’on y réfléchit vraiment, le fait qu’un événement se produise avec certitude (déterminisme) peut être également décrit comme une chance de probabilité toute proche de 1 : en pareil cas, le déterminisme ne serait qu’un cas particulier du probabilisme…
Images
1. table de roulette (sources : www.animationcasino.com/)
2. le chat de Schrödinger (sources : www.astrosurf.com/)
3. duplication de l'ARN - image Wikipedia (sources : www.colvir.net/)
4. cellule embryonnaire humaine se développant sur une couche de fibroblastes (sources : www.maxisciences.com/)
5. calculer une probabilité : la machine de Babbage au XIXème siècle, ancêtre de l'ordinateur (sourvces : impromptu.artblog.fr/)
6. le hasard... mais organisé ! (sources : sleemane-plat-tunisien.blogspot.com/)
Sources et documents
* Wikipedia France (http://www.wikipedia.fr/index.php)
* La Recherche (http://www.larecherche.fr/)
* Science & Vie (http://www.science-et-vie.com/)
* CNRS (http://www.cnrs.fr/)
* INSERM (www.inserm.fr/ )
Mots-clés : hasard - déterminisme - mécanique quantique - relativité générale - principe d'incertitude de Heisenberg - Erwin Schrödinger - ARN messager - cellule - bases puriques et pyrimidiques - gène codant - épissage - sélection naturelle - probabilisme scientifique
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Sujets apparentés sur le blog :
2. pour une définition de la Vie
4. la mort est-elle indispensable ?
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Mise à jour : 4 mars 2023