la Pangée (supercontinent de l'époque permienne)
La vie de notre planète s’est étalée sur des centaines de millions d’années au cours desquels l’aspect de la croûte terrestre s’est profondément modifié au point qu’il serait impossible de reconnaître les contours actuels des continents dans ceux prévalant à des époques plus anciennes. Quand on sait l’aspect apparemment immuable des limites continentales actuelles qui ne varient que de quelques centimètres par an, on comprend que les millions d’années que nous évoquons représentent des durées de temps impossibles à concevoir réellement par le cerveau humain. C’est au cours de ces mêmes millions d’années que l’évolution des êtres vivants s’est faite et, là aussi, ces incroyables durées de temps expliquent comment les transformations successives des unes et des autres espèces ont abouti, à partir de quelques cellules rudimentaires, à la diversité actuelle.
Souvent lorsqu’on évoque le mot évolution, plus ou moins inconsciemment, on pense à une amélioration, à un « progrès » : il s’agit là d’une idée fausse ; grâce à la sélection naturelle, l’évolution permet seulement la transformation des espèces par une adaptation permanente à des conditions de milieu qui changent sans cesse, par hasard et sans but précis. La dérive des continents participe à ces transformations en modifiant géographiquement les niches géologiques. En modelant les paysages, elle permet – ou non – le développement et l’évolution des espèces vivantes. Longtemps ignorée, voire raillée par certains, cette notion fondamentale est la découverte d’un seul homme - on pourrait dire aussi d’un homme seul - : l’Allemand Wegener. Evoquons un peu sa vie avant d’aborder ses théories.
Alfred Wegener (1880-1930)
Fils d’un pasteur allemand, Alfred Wegener s’intéressa précocement à l’astronomie, une discipline qui lui permit de soutenir sa thèse. Toutefois, il se tourna assez rapidement vers une science nouvelle à cette époque : la météorologie. Désirant prospecter et expérimenter « sur le terrain », il s’obligea à suivre un entrainement physique intensif, notamment dans les sports nordiques (ski, patin à glaces, raquettes). En 1906, il battit d’ailleurs le record du monde de vol en ballon tandis qu’il participa la même année à une première expédition d’exploration et d’étude au Groenland qu’il retrouvera quelques années plus tard lors d’une seconde expédition (1912). A partir de 1908, il commença à donner des cours à l’université de Marbourg (où il a passé son doctorat), en Hesse, ce qui lui permit de réfléchir à la météorologie et aux conditions de son développement, encore balbutiant à l’époque. En 1915, il publia son livre sur la dérive des continents (qui lui vaudra, comme nous le verrons par la suite, de très nombreuses critiques de la part de la communauté scientifique). Il maintint néanmoins ses positions et accepta sa nomination en tant que professeur de météorologie à Graz (Autriche) en 1924 où il lui sembla être mieux accueilli. En 1930, il repartit pour une troisième expédition, toujours à caractère météorologique, mais celle-ci se termina mal : on récupéra son cadavre gelé dans son sac de couchage tandis que son compagnon d’infortune, Rasmus Willumsen, demeura introuvable. Wegener avait à peine cinquante ans et n’aura pas vu le triomphe de sa théorie…
L’hypothèse de Wegener
Pour asseoir sa théorie, Wegener affirmait qu’il avait « des preuves » indirectes très sérieuses mais on devrait plutôt dire qu’il s’agissait de déductions fondées sur l’observation. Le point de départ probable de sa réflexion a dû être (comme elle le fut pour beaucoup d’autres scientifiques qui ne s’aventurèrent pourtant pas plus loin) cette observation, cette constatation presque, qui frappe toute personne observant de près un globe terrestre (par exemple un de ceux que l’on offre aux enfants afin d’éclairer doucement leur table de travail tout en les habituant à la carte de la Terre) : on remarque effectivement un parallélisme troublant entre les côtes nord et sud-américaines et celles de l’Europe et de l’Afrique, comme s’il s’agissait de deux morceaux d’une même terre qui aurait été brisée en deux… Troublant, certes, mais insuffisant : il n’y a bien sûr pas que cela et les arguments de Wegener sont en fait au nombre de quatre.
a. la similitude du découpage des côtes entre continent américain et européen/africain
On vient de l’évoquer et il faut reconnaître que les cartes parlent d’elles-mêmes. Pour Wegener, il n’y a pas de doute : ces terres étaient jadis réunies ; il évoque un « supercontinent », la Pangée, qui sous l’effet d’une « force » qui reste à déterminer s’est scindée en ces différents blocs continentaux que l’on connait aujourd’hui.
b. Les variations climatiques anciennes se retrouvent de part et d’autre
Il s’agit essentiellement des glaciations passées. Jusqu’à Wegener, il existait des incohérences : on avait trouvé des traces de glaciations vieilles de 250 millions d’années dans des endroits se trouvant sous les tropiques et cela posait problème. En revanche, si les continents « bougent », qu’ils migrent tout au long du globe, on peut alors supposer que certaines régions actuellement en zone tropicale ont pu se trouver au niveau des pôles par le passé.
Il existait aussi une autre bizarrerie : certaines des traces de l’écoulement de ces glaces anciennes se dirigent vers l’intérieur des continents ce qui n’est pas logique ; toutefois, si ces terres se trouvaient jadis au pole, leur migration expliquerait alors le sens de ces écoulements glaciaires en périphérie de l’ancienne calotte polaire
c. L’observation de la faune fossilisée
Antérieurement et jusqu’à la jonction du paléozoïque (ou ère primaire) et du mésozoïque (ou ère secondaire) et plus précisément entre permien et trias, vers -250 millions d’années, une faune bien particulière a vécu, laissant enfouis dans les strates correspondantes de nombreux fossiles. On trouve ce type de fossiles (ainsi que des plantes de cette époque) de part et d’autre de l’océan tandis que – étrange hasard – les différentes lignées d’animaux commencent à diverger à partir de cette date pour se différencier ensuite fortement de part et d’autre de l’Atlantique : cela ne veut-il pas dire qu’il y a eu séparation de ces terres à partir de ce moment-là ?
d. Similitude des ensembles géologiques
Lorsqu’on compare les couches géologiques des continents situés en regard, de part et d’autre de l’océan atlantique, on retrouve les mêmes ensembles géologiques, les mêmes répartitions de roches, les mêmes couches sédimentaires. Plus encore, ce qui est vrai pour les côtes l’est aussi pour l’intérieur des terres ce qui argumente fortement en faveur de la Pangée, le supercontinent cher à Wegener.
Eh bien, allez-vous me dire, la cause semble relativement facile à défendre et la démonstration plutôt concluante ; du coup, on comprend mal que Wegener n’ait pas été suivi par la communauté scientifique internationale. Mais c’est qu’il existe un écueil de taille pour ses opposants : le scientifique allemand peine à expliquer comment un phénomène de dérive si considérable (rien de moins que l’ensemble des terres émergées de la planète !) a pu se produire : quelle force colossale, quel phénomène gigantesque pourrait-il être impliqué dans tout cela ? Au fond, disent les détracteurs de Wegener, cette théorie repose sur des observations en définitive assez grossières, des supputations, des spéculations, des hypothèses mais on n’y trouve guère de preuves tangibles et surtout pas d’explication crédible de l’origine du phénomène…
Wegener va donc s’acharner à trouver une interprétation logique mais la science de l’époque n’a pas encore les moyens de l’explication car on y ignore tout de la convection magmatique (dont on parlera un peu plus tard). Dès lors, il doit se rabattre sur des mécanismes plus ou moins vraisemblables : finalement, il impute cette dérive aux cycles lunaires et plus précisément à leurs marées. Les scientifiques qui étudient sa théorie – notamment le géophysicien britannique Harold Jeffreys, une des références de l’époque - n’ont aucun mal à réfuter son explication en démontrant qu’elle est physiquement impossible.
La mort de Wegener survenant tôt dans sa carrière scientifique fait oublier sa théorie et il faudra attendre presque 40 ans pour qu’elle refasse surface.
La tectonique des plaques
C’est Arthur Holmes, en 1945, qui avancera enfin une explication plausible à la dérive des continents : il parle pour la première fois de mouvements de convection dans le manteau terrestre. Toutefois, il faudra attendre encore un peu pour emporter la conviction des différents acteurs : en 1962, l’officier de marine américain Harry Hess (explication par le « double tapis roulant »), puis un peu plus tard l’américain Morgan, le britannique McKenzie et le français Le Pichon permettent de finaliser ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie synthétique de la tectonique des plaques.
Plusieurs modèles successifs ont été avancés dont le principe commun est assez voisin. Résumons en quelques lignes le modèle actuel (probablement assez proche de l’éventuel modèle définitif).
Les terres émergées sont évidemment solidaires de leur sous-sol immédiat et forment avec eux des plaques dites tectoniques qui fluctuent en fonction des mouvements du manteau terrestre, c’est-à dire de la couche intermédiaire entre la croûte terrestre et le noyau de la planète. Ces plaques vont donc interagir avec le manteau et on décrit trois types principaux de mouvements :
* des divergences : on appelle ainsi le mouvement de plaques s’éloignant les unes des autres et c’est à leur point de contact que se trouvent les dorsales (sortes de rides ou de plis de la croute terrestre), lieux propices à de grandes éruptions volcaniques ;
* des convergences : c’est le phénomène inverse, à savoir l’écrasement d’une plaque contre une autre (phénomène évidemment compensateur d’un élargissement des océans à un autre endroit du globe). On distingue alors des zones de subduction (une plaque « plonge » sous une autre comme, par exemple, la côte occidentale de l’Amérique du sud), des zones de collision (deux plaques se heurtent de plein fouet comme pour l’Himalaya) et des zones d’obduction mais il n’y a pas de zones de ce type actuellement actives.
* et des transcurrences (ou coulissage) : ici, deux plaques glissent l’une contre l’autre.
Bien entendu, à chaque type de contact correspondent des failles, c’est-à dire des zones de rupture, des lignes de fracture parfois immenses entre deux masses rocheuses. Une des plus célèbres est la faille de San Andreas, à la jonction des plaques du Pacifique et de l’Amérique qui a déjà provoqué des séismes dévastateurs en Californie (d’ailleurs, les habitants de Los Angeles et de San Francisco s’attendent en permanence au « tremblement de terre suprême », le Big Earthquake, dont on pense qu’il a plus de 99% de se produire dans les 30 ans à venir).
La Terre n’est donc certainement pas statique ; bien au contraire, elle est le lieu de nombre de phénomènes majeurs qui bouleversent considérablement son écologie générale : je pense, par exemple, au récent tremblement de terre de Haïti – Haïti se trouve à la jonction des plaques tectoniques nord-américaine et caraïbe – qui fit tant de morts il y a quelques semaines. Or ce n’est pas le seul tremblement de terre (ou éruption volcanique) majeur survenu ces dernières années : on comprend donc les modifications considérables subies par la croûte terrestre durant tous ces millions d’années. La connaissance du phénomène de la tectonique des plaques couplée aux moyens d’observation de la science moderne dans différentes disciplines nous permet à présent de reconstituer l’aspect de notre planète durant les ères géologiques précédentes.
Reconstitution du passé
Pour revenir à l’époque où la Terre ne recélait qu’un seul immense continent, la Pangée, il faut remonter à la fin du permien (qui est la dernière époque du paléozoïque ou ère primaire) : on se trouve alors vers - 250 millions d’années par rapport à aujourd’hui ; remarquons qu’il s’agit d’un temps très très ancien puisque, par exemple, l’Amérique et l’Afrique sont à cette époque encore soudées l’un à l’autre (or, nous l’avons déjà dit, les mouvements concernés ne représentent que quelques cm par an). Pourtant, il faut ramener cette durée de temps (250 millions d’années) à l’âge de la Terre qui est de 4,5 milliards d’années, soit environ 18 fois plus…
La Pangée est bien entendu le fruit de regroupements antérieurs de plusieurs masses continentales qui se sont rapprochées et éloignées durant les millions d’années précédents en une sorte de ballet incessant depuis le refroidissement de surface définitif de notre planète.
Nous sommes donc au permien et il existe un supercontinent, la Pangée, entouré d’un océan gigantesque, le Panthalassa (qui deviendra bien plus tard l’océan pacifique) et d’un autre océan à l’est, Thétys, formé dans le creux de la Pangée elle-même puisque celle-ci forme une sorte d’énorme croissant. Bien que progressif et lent, ce mouvement de formation du supercontinent ne peut pas être sans conséquence sur la Vie : la longueur des bandes côtières va diminuer de façon importante or c’est à cet endroit que se concentrent beaucoup d’espèces marines ; inversement, le centre du supercontinent, loin des côtes, voit se développer d’immenses déserts plutôt hostiles. Troublante coïncidence : c’est à la fin du permien que survint une des plus terribles extinctions de masse : 90% de la vie marine et 70% des espèces terrestres furent anéanties (voir le sujet : extinctions de masse). Comme dans ces films policiers qu’on voit à la télévision, les coïncidences en sont rarement et, ici aussi, il y a gros à parier que la formation de la Pangée fut pour beaucoup dans l’évolution de la Vie sur Terre.
Cette Pangée va bientôt (?) se scinder à son tour : l’Amérique se sépare de l’Europe et de l’Afrique dans un grand mouvement qui entraîne les terres vers l’équateur et vers l’ouest. L’Australie (vers le Pacifique) et l’antarctique se détachent, suivis de Madagascar et de l’Inde qui effectue une remontée vers l’Asie à travers ce qui sera un jour l’océan indien. L’océan atlantique se forme puis s’élargit en raison de la migration plus rapide des plaques américaines. Peu à peu, les différentes migrations des continents finissent par former la configuration que nous connaissons aujourd’hui. Signalons le cas particulier de la mer Méditerranée qui, lors de la rencontre de l’Afrique et de l’Europe il y a 5 millions d’années, a été fermée ce qui a rendu le climat local extrêmement hostile avec un assèchement complet des eaux : une configuration anéantie quelques milliers d’années plus tard par l’ouverture du détroit de Gibraltar à partir duquel l’océan atlantique s’est à nouveau déversé sur ces terres arides… Ce n’était pas une évolution obligatoire et on peut se rendre compte de ce que l’éventualité de la non-ouverture du détroit de Gibraltar aurait coûté à nos civilisations humaines…
L’accélération du temps par l’Homme
En évoquant ces bouleversements de la configuration de notre bonne vieille Terre (en tout cas pour ce qui concerne sa surface), bouleversements qui, bien sûr, continuent (dans quelques millions d’années, par exemple, l’Afrique aura plongé sous l’Europe), j’ai souvent insisté sur les durées, immenses, qui ne sont guère à la portée du cerveau humain. Il est clair que, si par le moyen d’une machine à voyager dans le temps du type de celle de M. Wells, l’un d’entre nous se trouvait projeté dans une quelconque des époques que je viens d’évoquer (et qu’il puisse y survivre), il ne verrait évidemment aucun changement de son vivant : pour lui, les cartes terrestres qu’il dresserait seraient aussi
immuables que les nôtres le sont pour le temps présent. Cette vérité persiste même à l’échelle de quelques milliers d’années… Pourtant, Homo sapiens bouleverse la planète, non pas sur des milliers mais sur une ou deux centaines d’années ! Il déforeste, construit des barrages, des canaux, des villes immenses, multiplie inconsidérément sa population ce qui demande de plus en plus de surfaces cultivables, transforme les sous-sols pour toujours plus d’exploitation et de profit, pollue l’atmosphère, installe partout des machines et accumule les déchets. En quelques dizaines d’années. Où se situe le point de rupture ? A quel moment la Nature – qui n’est qu’indifférence – penchera-t-elle du mauvais côté ? Voilà d’angoissantes questions qu’il serait temps de prendre en compte, n’est-ce pas ?
Complément 1 : Fukushima
La catastrophe japonaise de mars 2011 nous le rappelle : la Terre bouge sans cesse et, de temps à autre, la tectonique des plaques vient perturber dangereusement une situation que nous pensons bien établie. D'où la nécessité absolue de tenir compte des données que nous possédons (nous connaissons assez bien les lignes de fracture terrestres) . En conséquence, les constructions humaines doivent nécessairement être adaptées à cet état de fait. Peut-être, par exemple, faut-il se résoudre à ne pas édifier de centrales nucléaires dans les pays à risques sismiques connus : les autorités de sûreté nucléaire avaient à plusieurs reprises alerté les autorités japonaises sur les risques encourus. Il n'en a apparemment pas été tenu compte...
Complément 2 : l'Amasie
La Pangée, supercontinent unique, occupait notre Terre il y a 250 millions d'années. Ce n'était pas le seul super continent à avoir été présent sur la planète : avant elle, il y avait eu Rodinia, et, encore avant, Nuna. Puis cette Pangée s'est fragmentée jusqu'à arriver à la géographie morcelée actuelle. Mais les mouvements tectoniques sont toujours à l'oeuvre. Dans un temps encore impossible à déterminer mais qui viendra inéluctablement, un nouveau supercontinent se formera qui regroupera les plaques américaine et eurasienne d'où son nom : l'Amasie. Cette fusion pourrait se produire par "introversion" (et donc à peu près au même endroit que l'ancienne Pangée) ou bien par "extroversion" ce que semblent démontrer les simulations informatiques. Dans cette dernière hypothèse, l'Amasie serait alors formée à partir de la jonction des plaques américano-eurasiennes et la fermeture de l'océan Arctique, approximativement au niveau du pôle nord.
Photos
1. La Pangée (sources : www.futura-sciences.com/)
2. Alfred Wegener (sources : www.iki.rssi.ru)
3. globe terrestre lumineux (sources : authentic-antiques.com)
4. cynognathus (sources : www.britannica.com)
5. shéma du phénomène de convection magmatique (sources : odyssespace.free.fr)
6. répartition des différentes plaques tectoniques (sources : apocalypse-quebec.com)
7. la Pangée au trias tardif (sources : forum.rpg.net)
8. le barrage géant des trois gorges en Chine (sources : www.aujourdhuilachine.com)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-Clés : théorie de l'Evolution - sélection naturelle - Alfred Wegener - Pangée - convection magmatique - plaques tectoniques - zones de subduction - zones de collisions - transcurrences - faille de San Andreas - Panthalassa - Thétys
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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2. les mécanismes de l'évolution
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Mise à jour : 3 mars 2023