Comme toute théorie scientifique, la théorie de l'Evolution est une théorie en ce sens qu'il s'agit d'une tentative quantifiée de rapprocher et d'expliquer un certain nombre de faits restés autrement orphelins. Elle s'appuie, entre autres, sur des observations directes (par exemple, le voyage de Darwin à bord du Beagle), sur des expériences reproductibles qui la confortent et sur l'apport d'autres disciplines qui la complètent, telles, pour ne citer que celles-là, la génétique et l'éthologie.
Puisqu'il s'agit d'une théorie scientifique, elle évolue constamment et, au contraire des dogmes, notamment religieux, ne reste jamais figée. En somme, elle évolue au fur et à mesure qu'évoluent les connaissances humaines... Et, vous savez quoi ?, plus ces connaissances et les moyens techniques d'investigation avancent, plus la théorie se complète et, contrairement à ce que prétendent les esprits chagrins, prend encore plus de consistance. Vous voulez un exemple ? Prenons l'indispensable apport de la génétique à l'Evolution.
Évolution et génétique
Lorsque Darwin pensa et publia la théorie qui le rendit universellement célèbre, on ne savait rien de la génétique (qui ne fut redécouverte qu'au début du XXème siècle). Une partie de son observation reposait donc sur des faits qu'il ne pouvait pas expliquer. Plus tard, la génétique progressant, les trous furent progressivement comblés tant et si bien que, dans les années 1940, le russe Theodosius Dobzhansky et l'allemand Ernst Mayr élaborèrent la "théorie synthétique de l'Evolution" qui mariait le génétique de l'époque, encore balbutiante, avec la théorie darwinienne de l'Evolution. Du coup, un certain nombre de points d'interrogation tombèrent. Toutefois, on pensait - et beaucoup pensent encore - que les mutations génétiques n'étaient dues qu'au fruit du pur hasard. Un certain nombre de généticiens se posèrent alors cette question : pourquoi l'unique mécanisme de l'Evolution échappant à la sélection naturelle était-il celui qui engendrait les variations héréditaires ? Ainsi, la sélection naturelle aurait abouti à l'oeil du lynx, au cou de la girafe, au cerveau de l'homme mais il n'y aurait aucun mécanisme particulier à l'apparition de mutations héritables et profitables aux organismes ?
Génétique et épigénétique
C'est ainsi que, sous l'influence du prix Nobel de physiologie et de médecine, l'américaine Barbara McClintock, on arriva à une lecture plus approfondie de la transmission génétique dite "épigénétique" : des organismes possédant des ADN identiques peuvent avoir des phénotypes (voir glossaire) différents. Comment cela est-il possible ? Eh bien, à ADN identique, grâce aux modifications de l'activité d'un ou plusieurs gènes, des changements deviennent permanents à la suite d'un évènement particulier comme un stress persistant, la modification de l'environnement, etc. On parle alors d'épimutation, c'est-à dire la transmission de différences, non sur l'ADN lui-même, mais sur des groupements chimiques qui lui sont attachés. (Il est à noter que cette transmission n'existe pas seulement au niveau cellulaire mais concerne aussi le comportement de l'individu à travers l'apprentissage comme l'a montré l'éthologie). Revenons un instant au niveau cellulaire.
On sait bien que, lorsqu'une cellule osseuse se divise, elle donne un autre cellule osseuse, une cellule pancréatique, une autre cellule pancréatique, et ainsi de suite, alors que le patrimoine génétique de ces cellules relève du même ADN. Comment ? On possède quelques pistes parmi lesquelles les mieux connues concernent en effet les profils d'expression des gènes qui induisent des modifications perdurant même lorsque les stimuli qui les ont mis en place ont disparu. Or, chez les organismes pluricellulaires, ce mécanisme existe également dans leurs cellules sexuelles et permet la transmission d'une génération à l'autre. Par exemple, l'inactivation permanente d'un gène peut conduire deux individus de même génotype à avoir deux phénotypes différents : c'est le cas chez la fleur Linaria vulgaris mais a aussi été trouvé chez la souris. Etonnant, non ?
La théorie de l'Évolution "évolue" sans cesse
L'exemple que nous venons de résumer et qui, bien entendu, fait le cas de vérifications encore en cours d'analyse, démontre, s'il en était besoin, la plasticité de la théorie de l'Evolution, jamais figée, jamais définitive, mais dont les piliers (sélection naturelle, transmission génétique des caractères, hasard dirigé par les changements du milieu) restent toujours des quasi-certitudes.
On le comprend bien, il n'est nul besoin du "dessein intelligent" (voir article), dernière illusion à la mode des créationnistes. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
Sources : Eva Jablonka (in la Recherche, n° 27, mai-juillet 2007)
Glossaire
génotype : un génotype est le patrimoine héréditaire, génétique propre à un individu. Tous les individus d'une même espèce possèdent le même nombre de chromosomes (23 paires chez l'espèce humaine; notation : 2N=46) transmis par les cellules sexuelles et disponibles en une ou plusieurs copies (ploïdie). Chacun des chromosomes est composé de gènes (environ 30 à 35000 chez l'homme) qui sont eux mêmes composés d'allèles (version différente d'un même gène). On appelle génotype l'ensemble des allèles d'un individu portés par l'ADN d'une cellule vivante. L'interaction du génotype d'un individu avec son environnement détermine son phénotype qui peut être modifié par mutation.
phénotype : le phénotype est l'ensemble des traits observables (caractères anatomiques, morphologiques, moléculaires, physiologiques, éthologiques) caractérisant un être vivant donné (ex: couleur des yeux, des cheveux, phénylcétonurie...). Le phénotype est dépendant du génotype ou plus précisément de l'identité des allèles portés par chaque individu sur une ou plusieurs positions des chromosomes, mais l'influence du milieu peut également être importante. De nombreux phénotypes sont dépendants de multiples gènes et influencés par certaines conditions spécifiques du milieu.
épimutation : transmission héréditaire des différences, non sur l'ADN lui-même, mais sur des groupements chimiques qui lui sont attachés.
Images:
1. division cellulaire (sources : www.mpl.ird.fr)
2. Ernst Mayr (sources : harvardsquarelibrary.org)
3. mécanisme épigénétique de la régulation transcriptionnelle par l’acétylation ou la déacétylation des histones. L’histone acétyltranférase (HAT) est impliquée dans l’activation transcriptionnelle et l’HDAC est impliquée, avec les MBD, dans la répression transcriptionnelle (Nakao 2001). (source : archimede.bibl.ulaval.ca)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-clés : - Charles Darwin - théorie de l'évolution - voyage du Beagle - génétique - éthologie - Theodosius Dobzhansky - Ernst Mayr - théorie synthétique de l'évolution - sélection naturelle - épigénétique - épimutation - Barbara McLintock
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI
l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK
Mise à jour : 28 mars 2023