Rappelons tout d'abord ce que l'on nomme communément une « espèce » : c'est l'ensemble des populations capables de se reproduire entre elles. A partir du moment où des êtres vivants, même très proches d'apparence, ne peuvent plus donner de descendants susceptibles d'être féconds, on dit qu'ils appartiennent à deux espèces différentes. En systématique qui est la science du dénombrement et du classement des différentes lignées d'être vivants, l'espèce est l'unité de base (on parle alors de taxon).
L'extinction d'une seule espèce est un drame pour la biodiversité. Elle se produit lorsque son dernier représentant a disparu mais elle est prévisible bien avant, lorsque l'espèce n'est plus représentée que par un nombre insuffisant d'individus devenus incapables, pour de multiples raisons, de se reproduire : il s'agit le plus souvent d'un phénomène progressif, plus ou moins rapide. On sait bien, surtout actuellement avec la domination sans partage des humains qui transforment la planète selon leur bon plaisir, qu'il existe nombre d'espèces, animales et végétales, menacées. Toutefois, il a existé des moments de la vie de la Terre où un nombre considérable d'espèces ont disparu de manière concomitante : il s'agit des extinctions de masse.
Les extinctions dites « de masse »
Quand ont-elles eu lieu ?
a. à l'ordovicien pour la plus ancienne, vers -440 millions d'années (Ma), époque qui est la deuxième du paléozoïque ou ancienne ère primaire. Pour mémoire, rappelons que la première période de ce paléozoïque était le cambrien, celle-là même qui a vu « l'explosion de la Vie » (voir sujet le schiste de Burgess). Un peu moins de la moitié de tous les organismes marins disparaissent à l'ordovicien et les fameux trilobites qui ont laissé de nombreux fossiles regroupant plus de 10 000 espèces différentes, sont presque totalement détruits : ils arriveront pourtant à surmonter la crise, en tout cas temporairement.
b. au dévonien vers -367 Ma, une époque qui a connu un effet de serre important au point qu'on l'a appelée le temps des fougères. Sur Terre, il existe, outre les algues et les bactéries présentes depuis longtemps, des plantes primitives, notamment les fougères géantes aux troncs aussi épais que ceux d'un arbre, dans lesquelles vivent des arthropodes comme les scorpions mais c'est en mer qu'une immense barrière de récifs érigés par des algues calcaires retient l'attention. Ce sont ces récifs qui vont disparaître lors de cette extinction avec une grande partie des poissons de mer (les poissons d'eau douces semblent avoir été moins touchés). Les trilobites perdent encore une grande partie de leurs représentants. On estime que plus de 70% des espèces vivantes ont été détruites à cette époque.
c. au permien vers -245 Ma : à cette période les surfaces émergées de la Terre sont représentées par un supercontinent, la Pangée, entourée par un océan unique. La vie sur ce continent, probablement parsemé de grands déserts, comprend, pour les plantes, des gymnospermes (dont les éléments reproducteurs sont protégés par des capsules), des fougères et les premiers arbres, essentiellement des conifères. Les amphibiens, les arthropodes et les ancêtres des grands reptiles du secondaire constituent l'essentiel des espèces animales. La vie marine est également bien représentée mais les derniers trilobites ont déjà commencé à disparaître. C'est à ce moment que survient la plus grande des extinctions de masse qui touche près de 95% de la faune marine et pas loin de 70% de la faune terrestre. On trouvera une étude plus détaillée de cette extinction dans le sujet qui lui a été consacré ICI.
d. à la fin du trias vers -208 Ma : nous sommes à présent au mésozoïque (ancienne ère secondaire) qui a débuté, on vient de le voir, par la plus grande extinction de masse de l'histoire. A partir de cette date et pendant environ 150 millions d'années, la vie va reprendre et se diversifier à nouveau. Dans la mer, les récifs vont revenir et ce sont les coraux dits modernes qui se taillent la part du lion. Ailleurs, toutefois, les ammonites qui furent durement touchés au cours de l'extinction permienne, pullulent à nouveau à partir de la seule lignée survivante tandis que les poissons, peu atteints par l'extinction, se développent. Les reptiles marins profitent également de l'espace libéré pour représenter des formes géantes à la fin du trias. Sur Terre, la vie poursuit sa progression, notamment la flore avec les conifères, les plantes à graines, les ginkphyta (dont le Ginko biloba est le dernier représentant actuel), etc. Les reptiles s'adaptent assez bien tandis que les premiers ancêtres des mammifères apparaissent. Nouvelle extinction massive à la fin de cette période touchant principalement certains groupes comme les nautiles et les ammonites mais elle est moins importante que la précédente.
e. à la fin du crétacé vers - 66 Ma : c'est l'extinction la mieux connue et probablement aussi la mieux étudiée avec la disparition des grands sauriens. Le supercontinent précédent s'est scindé en plusieurs morceaux qui donneront les continents actuels. Durant cette période qui s'étend sur environ 70 millions d'années, on se rapproche de l'époque moderne avec une transformation de la flore qui, encore très jurassique au début (le jurassique est la période précédente), voit naître les premiers représentants des arbres modernes (figuiers, magnolias, etc.) tandis que les plantes à fleurs sont bien représentées.
Quelles en sont les causes ?
De nombreuses hypothèses ont été avancées et aucune (à part, peut-être, la dernière, au crétacé-tertiaire mais on y reviendra) n'a jusqu'à présent véritablement emporté la conviction. On s'accorde toutefois pour dire qu'il s'agit presque forcément de causes très générales. Les premières qui viennent à l'esprit sont évidemment des événements « extérieurs », c'est à dire des causes purement physiques, mais on peut aussi invoquer des causes liées à la vie elle-même (biologiques).
a. causes physiques : pour faire bref, on ne retiendra ici que les principales, à savoir :
* des variations climatiques : elles peuvent être dues à un phénomène de volcanisme extrême. C'est le cas à la fin du permien (2.c) avec l'apparition des « trapps de Sibérie » (voir glossaire). Il faut se rappeler que, à cette période, il n'existe qu'un seul supercontinent, la Pangée. Dès lors, tous les systèmes écologiques sont en contact et un cataclysme important a la possibilité de les toucher tous à la fois. Ca a peut-être été le cas avec cette extraordinaire éruption volcanique qui, en peu de temps (moins d'1 million d'années), va déposer une épaisseur de laves de près de 4 km d'épaisseur sur une surface grande comme les 2/3 de la France. L'émission de gaz toxiques en grande quantité, des pluies acides dévastant la végétation, un obscurcissement fréquent dû aux fumées ne peuvent pas ne pas avoir eu de conséquences. L'effet de serre résultant a dû être intense mais jusqu'à quel point a-t-il été nocif et fut-il suffisant pour expliquer la disparition de 95% des espèces présentes ? Ou bien s'agit-il d'un autre phénomène tel qu'une variation de la salinité de l'océan qui aurait affecté les organismes marins et par contrecoup toute la chaîne alimentaire ? Ou bien encore plusieurs causes à la fois ? La solution de l'énigme n'est pas très claire et les recherches actuelles n'ont pas encore tranché (voir complément en fin d'article).
* des modifications du niveau de la mer : elles peuvent être la conséquence, outre de phénomènes volcaniques intenses, d'un mouvement des plaques tectoniques ou d'une glaciation rapide. Par exemple, c'est cette dernière hypothèse qui a souvent été avancée pour l'extinction de l'ordovicien (2.a) : les plateaux continentaux, immenses à cette époque, abritent, au sein de mers péricontinentales, la majorité des êtres vivants de telle manière qu'une baisse du niveau des mers suite à un refroidissement intense peut toucher et détruire la majorité des niches écologiques.
* un événement extraterrestre comme la chute d'un astéroïde (nous y reviendrons à propos de l'extinction K-T (2.e) ou l'entrée du système solaire dans une zone de l'espace riche en matière interstellaire, hypothèse parfois évoquée mais jamais démontrée.
b. causes biologiques : on sait qu'un écosystème est fragile puisqu'il est la résultante d'un équilibre délicat entre les différents protagonistes de la chaîne alimentaire mais il reste assez difficile d'apprécier la conséquence de la disparition d'une seule espèce. Certains auteurs pensent qu'elle peut affecter l'ensemble des autres acteurs entraînant, selon la théorie des dominos, l'ensemble du système. En pareil cas, un événement finalement mineur peut être responsable de la catastrophe.
Cas particulier de l'extinction "crétacé-tertiaire"
C'est, nous l'avons déjà dit, l'extinction qui a fait disparaître les grands sauriens, permettant dans le même temps l'émergence des mammifères et donc de l'Homme. De nombreuses hypothèses ont été avancées : par exemple, la compétition entre les espèces vivantes (notamment la destruction des œufs de sauriens par les mammifères), l'apparition des plantes à fleurs contenant des substances toxiques pour les dinosaures, une épidémie fulgurante ou une élévation de la température qui aurait rendu ces derniers stériles. Mais, comme toujours en science, trop de coupables potentiels, trop de spéculations parfois antagonistes masquent surtout le fait que nous restons dans l'incertitude.
Une théorie déjà plus réaliste concerne d'énormes éruptions volcaniques ayant eu lieu dans le Deccan (Inde) sur une durée estimée à un demi-million d'années : des couches de lave gigantesques ont été retrouvées dans cette région (Trapps du Deccan) pouvant atteindre jusqu'à deux kilomètres et demi d'épaisseur de basalte pour une surface de 500 000 km² (et probablement une surface d'origine trois fois supérieure). Comme pour les trapps de Sibérie, au permien, il est évident que les quantités de poussières, de cendres et de gaz carbonique rejetées ont dû avoir un effet très défavorable sur les écosystèmes.
Malgré tout, rien n'était réellement convaincant jusqu'à ce que des scientifiques, Walter et Alvarez père et fils, aient avancé quelque chose de plus crédible : la chute d'un astéroïde. Ils ont, en effet, étudié les schistes contenant les couches correspondant à la limite K-T. Grosse surprise : ces strates contiennent toutes de l'iridium, un élément rare sur Terre mais volontiersprésent dans les matériaux extra-terrestres. Il n'en fallait pas plus pour avancer que la chute d'une énorme météorite était la coupable... Dans un second temps, venant à l'appui des dires des trois scientifiques, un cratère fut mis à jour, à Chicxulub, au nord de la péninsule du Yucatan (Mexique). Selon divers scientifiques ce cratère aurait été provoqué par la chute d'une météorite de près de 10 kilomètres de diamètre qui se serait abattue sur la Terre il y a environ 65 millions d'années, c'est-à-dire à la fin du Crétacé (voir l'article la disparition des grands sauriens). L'impact de cette masse gigantesque, outre le raz-de-marée initial, aurait conduit à la projection dans l'atmosphère d'une énorme quantité de poussières et de cendres voilant la lumière du Soleil durant peut-être plusieurs années, avec les conséquences que l'on imagine : la disparition des dinosaures devenus incapables de trouver leur importante nourriture journalière et du plancton dépendant de la photosynthèse (et, par voie de conséquence, d'une partie de la faune marine).
Réalité des extinctions de masse
Elles ont eu lieu, c'est un fait acquis mais leurs causes sont plus sujettes à caution et, osons-le dire, nous ne sommes vraiment sûrs de rien. Cela provient vraisemblablement du fait qu'il nous est impossible de préciser, à partir d'archives fossiles souvent incomplètes, l'équilibre d'un écosystème sur quelques milliers ou même quelques millions d'années : si nous y arrivions (et ce sera peut-être le cas un jour), nous pourrions affirmer la disparition d'un ensemble d'espèces en quelques jours (météorite) ou sur plusieurs centaines de milliers d'années (trapps ou la conjonction de la chute d'une météorite et d'un volcanisme intense).
Il y a autre chose : on a jusqu'à présent évoqué les cinq grandes extinctions mais les archives fossiles nous apprennent qu'il y en a eu d'autres, quoique de bien moindre importance. Certains chercheurs ont même avancé une date de périodicité : tous les 26 millions d'années. D'où viendrait une telle périodicité ? Un mouvement cyclique du globe terrestre ? Quelque chose en rapport avec le Soleil ? Ou avec le déplacement du système solaire dans l'espace intergalactique ? Le mystère reste entier.
Peut-il y en avoir d'autres extinctions ?
A l'évidence, ce qui s'est déjà produit peut se reproduire : on peut même se demander si nous ne sommes pas en train de vivre la 6ème grande extinction de masse avec les transformations que font subir les hommes à notre pauvre planète. Depuis que les humains ont pris le dessus sur le monde dans lequel nous vivons – et singulièrement depuis l'ère industrielle – le processus de disparition de bien des espèces animales et/ou végétales s'accélère. Les média ne cessent de nous rappeler le délétère effet de serre qui nous menace dès les prochaines décennies.
Glossaire
* trapps : coulées de lave en escalier dont les « marches » (plateaux de basalte) peuvent être aussi hautes que des falaises. Les trapps de Sibérie sont souvent incriminés dans la survenue de l'extinction du permien tandis que ceux du Deccan, en Inde, sont suspectés dans l'extinction K-T (et donc des dinosaures) vers – 65 millions d'années. La théorie la plus courante concernant l'origine de ces derniers trapps les associe à un point chaud du manteau terrestre que l'on connaît sous le nom de point chaud de la Réunion.
5. carte de l'impact du météorite de Chicxulub (sources : www.mnhn.fr/)
Compléments : le Permien a été marqué par un empoisonnement massif