"There are Americans who believe that the earth is only about 6,000 years old; that human beings and all other species were brought into existence by a divine Creator as eternally separate variations of beings; and that there has been no evolutionary process.
They are creationists—they call themselves "scientific" creationists—and they are a growing power in the land, demanding that schools be forced to teach their views. State legislatures, mindful of the votes, are beginning to succumb to the pressure. In perhaps 15 states, bills have been introduced, putting forth the creationist point of view, and in others, strong movements are gaining momentum."
(Isaac Asimov, The "Threat" of Creationism, New York Times Magazine, June 14, 1981)
"Certains américains pensent que la Terre est seulement âgée de 6000 ans, que les êtres humains et toutes les autres espèces ont été engendrés par un Créateur divin en tant que groupes d'êtres différents et éternels et qu'il n'y a jamais eu de processus évolutif.
Ce sont des créationnistes – ils se nomment eux-mêmes créationnistes scientifiques - et ils possèdent un grand pouvoir dans le pays, exigeant que les écoles soient obligées d'enseigner leurs vues. Les autorités des états, soucieuses des votes, commencent à succomber à la pression. Dans peut-être 15 états, des lois ont été promulguées pour imposer le point de vue créationniste tandis que dans d'autres de puissants mouvements se renforcent."
(Isaac Asimov, la « menace » du créationnisme, New York Times Magasine, 14 juin 1981)
(voir glossaire)
Nombre de fondamentalistes religieux, nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer dans d'autres sujets, contestent formellement certaines avancées scientifiques, notamment en ce qui concerne la théorie de l'Évolution, leur bête noire depuis les travaux de Darwin. Si quelques uns des arguments avancés semblent puérils aux yeux de l'homme informé, d'autres sont plus subtils et, parfois, il faut bien réfléchir pour comprendre où se trouvent les pièges dans le discours tenu. Dans ce sujet, je me propose de passer en revue quelques uns des arguments avancés et les réponses possibles, étant entendu que, dans un tel contexte, l'on ne saurait être exhaustif. Il va de soi – mais il est toujours préférable de le préciser – qu'il ne s'agit nullement pour moi d'ouvrir un quelconque débat destiné à opposer science et religion (ce qui m'a été parfois reproché) mais de répondre à ceux que leur foi égare dans des directions insoutenables car définitivement obscurantistes.
Souvent appuyés sur une mauvaise compréhension de la théorie de l'évolution, voire totalement spécieux, ces arguments créationnistes peuvent faire douter : ne nous laissons ni impressionner, ni manipuler car tous sont réfutables. Florilège :
1. la théorie de l'évolution n'est qu'une théorie, pas un fait scientifique
Il est complètement impossible de séparer les faits de la théorie et c'est justement l'observation des faits qui fait évoluer la théorie de l'évolution. Rappelons que la théorie de l'évolution a été bâtie à partir de faits patiemment observés, les premiers par Darwin lors de son périple à bord du Beagle, notamment aux îles Galápagos. C'est à partir de ces faits scientifiques qu'il a bâti la théorie qui le rendit célèbre. D'autres scientifiques lui ont succédé et ont apporté leur pierre à l'édifice. Alors oui, certains aspects de la théorie de l'évolution ont été réinterprétés, d'autres modifiés, d'autres encore abandonnés et c'est précisément l'extraordinaire faculté de cette théorie à pouvoir être complétée qui en fait une construction purement scientifique.
2. la théorie de l'évolution explique tout par le hasard mais les choses se dégradent toujours quand on les laisse à l'abandon
Le hasard joue effectivement un rôle important dans la théorie de l'évolution si l'on songe aux mutations, forcément aléatoires, et à la contingence (voir sujet le schiste de Burgess) mais la théorie s'appuie également sur la sélection naturelle qui, elle, ne doit rien au hasard, puisque ce sont les qualités intrinsèques d'un individu (ou d'une espèce) qui lui permettent de s'adapter.
3. les mutations sont toutes nocives : elles n'ont donc pas pu faire évoluer les espèces
C'est un argument fallacieux : on sait que les mutations peuvent être avantageuses ou néfastes mais surtout (c'est le cas le plus fréquent) neutres.
Lors du changement du milieu où vivent des individus jusque là bien adaptés, c'est l'apparition d'individus mutants qui permet à l'espèce de se maintenir : cela a été prouvé bien des fois pour, par exemple, les bactéries mais c'est également vrai pour des organismes plus élaborés. Je ne peux m'empêcher de penser au cas des malades atteints de drépanocytose : il s'agit d'une mutation qui transforme les globules rouges normalement sphériques de l'individu en globules en forme de faucille (d'où l'autre nom de la maladie : l'anémie falciforme). Du coup, le porteur de l'anomalie devient résistant à certaines complications du paludisme. En pareil cas, le fait d'être porteur de la mutation permet donc de mieux résister à la maladie et de se reproduire plus facilement que les sujets normaux (évidemment, en milieu non impaludé, l'avantage se transforme en handicap puisque les globules rouges falciformes sont de moins bonne qualité).
4. la fréquence des mutations est insuffisante pour expliquer la diversité des espèces
Il s'agit là d'une approche simplificatrice : une certaine variabilité résulte bien des mutations mais pas seulement car il existe également de nombreuses recombinaisons se produisant, sans modification des gènes, au cours de la reproduction. Ce qui importe, c'est l'expression des caractères lors de la régulation des gènes et leur interaction avec ce système de régulation, phénomène extrêmement variable. Des espèces totalement différentes peuvent avoir un patrimoine génétique très proche : par exemple, l'homme partage 99% de ce patrimoine avec certains grands singes. L'important ici est l'évolution des parties codantes (une petite partie seulement du potentiel génétique), évolution soumise à la sélection naturelle et celle-ci agit surtout au niveau épigénétique (voir sujet évolution de l'Evolution)
Puisque l'argument sur la seule nocivité des mutations commence à se révéler insuffisant (voir paragraphe 3), les créationnistes ont avancé cette nouvelle idée mais elle est également fausse. Ils prétendent à présent que jamais une « nouvelle information » n'a vu le jour au cours de l'évolution : ils veulent dire ici l'apparition de gènes codants pour de nouveaux caractères, comme, par exemple, de nouveaux organes. C'est pourtant ce qui s'est passé au cours de l'évolution. On sait qu'il est parfaitement possible – et cela a été observé – que, lors de la duplication de gènes préexistants, une des copies soit sensiblement différente de l'originale et c'est même un mécanisme important de l'évolution (c'est ce qui explique, par exemple, les différents groupes sanguins chez l'homme).
Dans le même ordre d'idée, un autre mécanisme, quoique rare, est la fusion de deux organismes distincts (endosymbiose) qui ne deviennent plus qu'un seul, avec l'augmentation du matériel génétique qui en résulte. On explique ainsi la présence des mitochondries dans nos cellules : ces petits organites indispensables à la bonne marche cellulaire sont en fait d'anciennes bactéries incorporées il y a très longtemps en une sorte d'association bénéfique pour les deux partis.
On peut également citer l'épigénèse qui permet aux cellules totipotentes de l'embryon (voir glossaire et le sujet cellules souches) de se « spécialiser » peu à peu afin de créer des lignées de cellules de plus en plus différenciées avec augmentation de l'information génétique.
6. les partisans de la théorie de l'évolution font des erreurs parfois grossières
Il est exact que les chercheurs évolutionnistes ont parfois fait des erreurs : par exemple, en attribuant à un ancêtre de l'Homme des squelettes fossiles qui, par la suite, se sont révélés appartenir à des animaux n'ayant rien à voir avec lui. Comme l'a fait remarquer le paléontologue S. J. Gould dans plusieurs de ses articles scientifiques, il s'agit là d'un argument pour le moins surprenant de la part des créationnistes puisque, en somme, cela revient à reconnaître les ressemblances existant entre les anatomies humaines et animales... Mais on a surtout affaire ici à de la mauvaise foi : on sait bien que la science procède par tâtonnements et que c'est un de ses grands atouts que de savoir se remettre en question. Au contraire des créationnistes pour lesquels leur dogme est acquis une fois pour toutes et n'est jamais modifié, les évolutionnistes reconnaissent volontiers leurs erreurs et leurs approximations : c'est en soumettant une théorie à la lumière de nouvelles découvertes et à de nouvelles preuves expérimentales qu'il est possible de la faire progresser. On peut même avancer que c'est probablement là que se situe le cœur de la recherche scientifique...
7. la théorie de l'évolution ne peut expliquer la naissance de la vie
Certes, la science ne peut pas encore expliquer de manière définitive l'apparition de le Vie sur Terre (encore que l'on ait de bonnes pistes comme les sources sous-marine hydrothermales, les travaux de Miller reconstituant l'atmosphère primitive (voir le sujet origine de la Vie sur Terre) et y faisant apparaitre des acides aminés, etc.). Toutefois, seule la théorie de l'évolution permet d'expliquer l'extraordinaire diversité de la Vie, présente et surtout passée : il faut se souvenir que 99% des espèces ayant un jour vécu sur notre planète ont aujourd'hui disparu (voir sujet les extinctions de masse). Cette diversité cadre effectivement assez mal avec l'idée d'une Terre créée une fois pour toute il y a 6000 ans...
8. la théorie de l'évolution explique peut-être de petites variations chez certaines espèces mais pas l'apparition de nouvelles espèces
Il n' y a pas de différence entre les « petites variations » intraspécifiques et les « grandes » variations interspécifiques : elles sont toutes gouvernées par des modifications du code génétique, c'est à dire par les mutations chromosomiques. Le temps passant, les différences au sein d'une même espèce peuvent entraîner des spéciations : à partir de populations appartenant à une même espèce, on arrive, entre autre par isolement géographique, à aboutir à des populations non-interfécondes et donc à de nouvelles espèces.
Il en va de même pour les grands plans d'organisation du vivant qui sont régis par certains gènes appelés hox. Toutefois, ces mutations sont globalement le plus souvent défavorables et ne sont donc pas retenues par la sélection naturelle. Ceci explique pourquoi il y a finalement peu de modifications des grands schémas d'organisation de la Vie.
9. certaines espèces n'évoluent jamais
Les espèces évoluent à des rythmes différents et certaines d'entre elles en apparence pas du tout (?). Cette stabilité de certaines espèces est parfaitement conforme à la théorie de l'évolution mais est-elle réelle ? Il faut en effet se rappeler que nous ne disposons, dans la majorité des cas, que de quelques os fossiles et il est alors bien difficile de savoir si une modification a pu avoir lieu pour les éléments non conservés.
10. l'homme est différent des animaux et il est impossible de les relier, notamment au niveau spirituel
L'homme est un primate dont les capacités cognitives sont certainement les plus développées du monde vivant mais il n'existe pas de différence de nature entre lui et les animaux. D'ailleurs, l'éthologie (voir glossaire) a démontré depuis longtemps que les animaux, notamment les plus proches de nous, possèdent également une certaine conscience de soi, une capacité d'abstraction plus ou moins développée, un langage symbolique, etc. Le rire lui-même, on le sait à présent, n'est pas le propre de l'homme (voir les sujets l'âme et le propre de l'Homme).
11. impossible pour l'homme de descendre du singe
L'idée que l'homme « descendrait » du singe est aussi vieille que l'opposition des créationnistes à la théorie de l'évolution (voir l'article le dernier ancêtre commun). En fait, l'homme ne descend pas du singe mais partage avec l'un d'entre eux, le chimpanzé, un dernier ancêtre commun, les branches s'étant séparées il y a des millions d'années. Ceci explique d'ailleurs pourquoi on ne peut pas parler d'évolution linéaire, les différentes lignées représentant au contraire une sorte de buisson assez touffu. Il n'y a donc pas de hiérarchie de l'évolution mais une coévolution.
12. la science ment pour défendre des hypothèses discutables
La science souhaite avant tout connaître la Nature, le monde dans lequel nous vivons. Elle ne cherche pas à « asséner des vérités » mais à expliquer à partir d'observations des phénomènes naturels, d'où des regroupements sous forme de modèles, de lois et de théories explicatives. Avec l'avancée de nos connaissances, les modèles sont affinés, les théories complétées, certaines explications abandonnées. On l'a déjà dit, la science progresse à petits pas entrecoupés d'avancées plus importantes : elle ne « ment » pas, elle cherche.
Cher ami lecteur, j'ai souhaité passer en revue quelques unes des principales idées antiscientifiques avancées par les adversaires de la théorie de l'évolution. Bien sûr, il reste de nombreux points qui, faute de place ou de temps, n'ont pas pu être abordés dans ce sujet. Si d'aventure, il vous arrivait au fil de vos lectures ou de vos discussions d'en trouver, n'hésitez surtout pas à me le faire savoir : nous essaierions alors de décrypter et de répondre. Sans préjugés mais sans complaisance.
Glossaire (in Wikipedia France)
* Asimov, Isaac (1920-1992) est connu comme étant un des plus grands écrivains de science-fiction (les Robots, Fondation, etc.). Docteur en chimie, il écrivit de nombreux ouvrages et articles de vulgarisation scientifique et fut un ardent défenseur de la théorie de l'évolution. Son combat anti-créationniste est demeuré célèbre.
* cellules totipotentes ou cellules souches : une cellule souche est une cellule indifférenciée se caractérisant par sa capacité à engendrer des cellules spécialisées en se différenciant et sa capacité à se multiplier quasi infiniment à l'identique (autorenouvellement), notamment en culture.
* éthologie : classiquement, il s'agit de l'étude du comportement animal tel qu'il peut être observé en milieu naturel. De nos jours le sens donné à l'éthologie est plus restreint : il s'agit de l'étude objective et scientifique des comportements animaux inspirée notamment par les travaux de Konrad Lorenz (1903-1989) et Nikolaas Tinbergen (1907-1988) dans la première moitié du XXe siècle. Il faut de plus inclure dans cette signification l'étude comportementale des êtres humains et des relations homme-animal. Le principe de base de l'éthologie étant d'utiliser une perspective biologique pour expliquer le comportement, cette science est aussi appelée « biologie du comportement ».
Adam et Ève, les premiers humains ? Vraiment ?