La pandémie de grippe A avance à son rythme, qui est rapide : on en parle tous les jours à la télévision et dans les journaux. Certains de nos compatriotes semblent par avance terrorisés, d’autres affectent de traiter l’affaire par le mépris, d’autres encore hésitent, doutent, s’interrogent. La cacophonie atteint son paroxysme lorsqu’on évoque l’éventuelle vaccination : s’agit-il d’une étape indispensable dans l’éradication du virus ou d’une opération de marketing sciemment organisée par l’industrie pharmaceutique ? Les Pouvoirs publics s’impliquent-ils autant parce qu’ils possèdent des informations tenues secrètes ou, suite à l’effet canicule de 2003, « ouvrent-ils le parapluie » pour se protéger d’éventuelles critiques à venir ? Face à tant d’incertitude, voire d’incohérence, sur un problème pourtant sérieux, essayons d’y voir un peu plus clair.
Intérêt et limites de la vaccination en pathologie virale
Fabrication d’un vaccin : le cas de la grippe A
Dans une vaccination, le but est d’obtenir une certaine quantité d’antigènes dont l’innocuité est certaine mais qui, injectée à un organisme vivant, est susceptible d’entraîner de sa part une réaction de rejet par son système immunitaire ; dès lors, lorsque l’organisme sera en contact avec le vrai virus, l’organisme « reconnaîtra » l’élément étranger et s’en débarrassera avant que ce dernier ne cause de dégâts. Voilà pour la théorie. Cette approche s’est trouvée légitimée dans bien des maladies, soit non virales comme le tétanos ou la diphtérie, soit virales comme la rage ou la grippe saisonnière (dite grippe habituelle car nous la voyons se manifester chaque année au début de l’hiver). On sait par ailleurs qu’il faut plusieurs mois pour fabriquer un vaccin de qualité (c'est-à-dire efficace et sans danger) et, dans le cas de la grippe saisonnière, c’est bien ce qu’il se passe habituellement puisque le vaccin est fabriqué durant les 6 mois de période chaude de l’hémisphère considérée.
La donne est différente avec la grippe A puisque nous nous trouvons ici dans l’urgence (la pandémie est en marche) pour fabriquer un vaccin pour la première fois avec ce type de souche virale. Et ce d’autant que ce n’est pas aussi simple qu’avec la grippe habituelle. En effet, selon les souches incriminées, la réaction du système immunitaire est variable : par exemple, pour la grippe habituelle, pas de problème et il ne faut qu’une toute petite quantité d’antigènes pour obtenir la réaction de défense de l’organisme (probablement parce que des souches voisines ont déjà circulé les années précédentes). C’est tout le contraire avec la grippe aviaire H5N1 (ou la souche H7N9 qui frappe la Chine en 2013) : ce virus entraîne très peu de réactions de défense de la part du système immunitaire, un peu comme s’il n’était pas reconnu pour ce qu’il est ; or, il s’agit d’un tueur impitoyable puisqu’il entraîne la mort plus d’une fois sur deux. Il est donc impératif pour une vaccination efficace de rendre le système immunitaire « sensible » au virus H5N1 et, pour ce faire, on doit le « stimuler » avec des produits appelés adjuvants : nous y reviendrons. Et la grippe A(H1N1) dans tout ça ? Elle occupe, semble-t-il, une position intermédiaire. Au début de l’épidémie, on a eu l’impression que son immunogénicité ressemblait à celle de la grippe aviaire (c'est-à-dire très faible) puis, au fur et à mesure qu’on en a su un peu plus, on s’est rendu compte que cette immunogénicité devait être meilleure que supposée au début et que, en définitive, la reconnaissance du virus (ou de sa fraction antigènes) était nettement plus forte que pour la grippe aviaire. Dès lors, on peut se poser la question de la nécessité de renforcer la reconnaissance du virus par le système immunitaire, donc de l’utilité d’adjuvants dans le vaccin. Deuxième interrogation.
Les adjuvants sont-ils indispensables dans le vaccin contre la grippe A ?
Comme on vient de le voir, pour certains virus particulièrement mal reconnus par l’organisme, il est nécessaire de renforcer leur détection par des éléments complémentaires qu’on nomme adjuvants (un adjuvant, en pharmacologie, est un « additif » sans effet thérapeutique dont le seul rôle est de renforcer l’action du principe actif). Les plus utilisés aujourd’hui sont les sels d’aluminium et des émulsions à base de squalène (tandis que ceux à base de mercure sont abandonnés). Cela présente-t-il un problème ? Eh bien, d’une certaine façon, oui : ces adjuvants renforcent bien l’action des vaccins mais ils ont été accusés de provoquer des effets indésirables parfois plus graves que la maladie elle-même… Par exemple, il y a quelques années, la vaccination contre l’hépatite B a, en France, été vécue comme susceptible d’entraîner l’apparition de scléroses en plaques. En Grande-Bretagne, c’est le vaccin contre la rougeole (une maladie mortelle chez nos amis britanniques) dont on a prétendu qu’il pouvait induire l’apparition de symptômes autistiques. Précisons que les liens statistiques n’ont jamais pu être prouvés entre les vaccinations et ces maladies mais la méfiance règne (attisée par les opposants aux vaccinations dont les buts ne sont d’ailleurs pas forcément médicaux).
Y a-t-il donc réellement un avantage à fabriquer un vaccin complété avec des adjuvants pour la grippe A(H1N1) ? On a dit que le taux global de reconnaissance du virus par le système était quand même plus faible que celui de la grippe habituelle ; en l’occurrence, si le vaccin ne contient pas d’adjuvants, il faudra certainement procéder à une double vaccination à trois semaines d’intervalle… alors qu’on manque de temps ! Ce temps qui passe trop vite et dont on a parfois si cruellement besoin ! A ce propos, parlons chiffres un instant : nous sommes à présent fin novembre et la vaccination est entrée dans sa phase active depuis près de 3 semaines, avec un peu de retard sur le programme prévu (mais, compte-tenu du temps assez clément, la grippe A, elle-aussi, est un peu en retard). Les personnes "à risques" ont été appelées en premier, suivies des femmes enceintes et, actuellement des élèves et lycéens. Il est encore néanmoins trop tôt et donc difficile d'évaluer l'impact réel de la campagne. Un grand nombre de personnes refusent toujours la vaccination (mais cela varie selon les jours et... les infos à la télé !). A l'inverse, j'ai parmi ma clientèle un nombre non négligeable de malades avec une lourde polypathologie qui attendent encore de recevoir leur convocation ; ailleurs, des centres sont tantôt déserts, tantôt pris d'assaut. En somme, quelques dysfonctionnements mais une avancée certaine. Tout cela suffira-t-il alors qu'une deuxième vague de l'épidémie est prévue au premier trimestre 2010 et que l'actuelle n'a pas encore atteint son pic maximal ? L'avenir le dira mais je rappelle qu’une épidémie - et c’est d’ailleurs bien ce qu’il se passe avec la grippe habituelle – commence à décliner lorsque 50 % de la population environ a été soit vaccinée, soit malade. On voit donc que, au-delà des cas strictement individuels (faut-il ou non se faire vacciner ?), il existe un enjeu de santé publique…
Revenons au problème des éventuels adjuvants. L’immunogénicité plus faible de la grippe A(H1N1) oblige également à utiliser des quantités d’antigènes plus importantes or c’est cette fraction du vaccin qui est la plus longue à produire. Toujours le facteur temps ! La présence d’adjuvants permettrait donc une réponse vaccinale plus précoce mais à quel prix ? Dans le doute, certains pays ont décidé de ne pas employer de tels vaccins : c’est, par exemple, le cas des États-Unis qui, échaudés par une politique vaccinale douteuse lors d’une épidémie sur leur territoire en 1976, ont décidé de ne pas utiliser de vaccins avec adjuvants contre le virus H1N1, une réserve que ne partagent pas les autorités européennes et donc françaises. Pour être complet – et pour la petite histoire – l’épidémie de grippe porcine qui, en 1976, aux États-Unis, a laissé un si mauvais souvenir (des effets indésirables furent rapportés… mais sans toujours de relation évidente avec la vaccination) avait été anticipée par des vaccins… sans adjuvants !
Faut-il se faire vacciner ?
Disons le d’emblée : la vaccination n'est pas obligatoire et l’attitude adoptée sera certainement fonction de l’état de santé de chacun mais aussi – et peut-être surtout – des croyances et préjugés personnels…
Il existe toutefois quelques éléments d’ordre général qui permettent d’engager une réflexion plus rationnelle :
· D’abord et on l’a déjà dit, la vaccination n’est pas qu’un simple geste individuel puisque intervenant à l’échelle de la population pour peu qu’elle soit suffisamment importante…
· Pour les individus à risques (insuffisants respiratoires, immunodéprimés, etc. voir le sujet : grippe A(H1N1), inquiétudes et réalités), il paraît logique de fortement conseiller une vaccination car pour ces personnes, le syndrome grippal clinique pourrait se révéler très dangereux.
· Cas particulier des personnes à risques pour la grippe A(H1N1) : à la suite du (léger) recul épidémiologique qu’on a sur cette maladie, on sait que certains groupes d’individus sont particulièrement menacés (ce qui n’est pas le cas avec la grippe habituelle), à savoir les femmes enceintes, notamment lors de leur troisième trimestre de grossesse, les enfants surtout en bas-âge et, d’une manière plus générale, les personnes jeunes. La vaccination est donc proposée au cas par cas, avec le vaccin sans adjuvants pour les femmes enceintes, certes moins actif mais aussi potentiellement moins agressif. A ce propos, cassons-le cou à une vieille rengaine : le vaccin avec adjuvants n'est pas proposé aux femmes enceintes parce qu'il est "plus dangereux" mais parce que, pour des raisons éthiques, il n'a jamais pu être testé chez elles. Ce qui est d'ailleurs également le cas de tous les médicaments du marché avec comme effet pervers de disposer de moins en moins de traitements pour les femmes enceintes, au fur et à mesure du retrait des "anciens "médicaments (qui avaient été jadis utilisé chez elles sans précautions particulières).
· Concernant la population « en bonne santé » : c’est ici que l’interrogation est la plus forte car il convient de savoir si la vaccination peut ou non être utile chez le « malade de base » ; en effet, après tout, un syndrome grippal ne dure que quelques jours durant lesquels seule une partie des personnes atteintes est réellement alitée tandis que pour beaucoup le tableau sera celui d’un gros rhume (en tout cas, si l’on en juge par ce que l’on sait aujourd’hui de la maladie). Bon, alors, ce n’est pas si grave, Docteur ? Non ce n’est pas si grave… sauf que, pour quelques personnes apparemment bien portantes, la grippe peut tuer sans qu’on sache vraiment pourquoi. C’était déjà vrai avec la grippe habituelle et ça l’est encore plus avec cette grippe A. Il est assurément difficile de se faire une idée : certaines études parlent d’un taux de mortalité de 1 pour mille (quand même pas loin de 35 000 morts rien qu’en France en pareil cas !) tandis que d’autres avancent le chiffre plus rassurant (et plus probable) de 1 pour 100 000. Les personnes touchées par ce qu’on appelait jadis une forme de grippe dite « maligne » seraient, selon l’OMS, plutôt jeunes (moins de 35 ans) et 40% d’entre elles n’auraient jamais eu la moindre maladie grave. Peu de morts en somme par rapport au nombre important de malades mais quand ça concerne directement quelqu'un chez vous… Le vaccin peut en principe empêcher cela mais qu’en est-il alors des risques à long terme que nous évoquions plus haut ? Comme souvent en médecine, il n’y a pas de réponse univoque et ce sera donc à chacun d’apprécier.
Quelles sont les propositions des Pouvoirs publics ?
Les pouvoirs publics - d'ailleurs critiqués par certains mais c'est toujours ainsi en pareil cas - ont été résolument interventionnistes (un souvenir de la canicule de 2003 ?) et, en France, alors que notre pays ne représente que 1% de la population mondiale, on a commandé plus de 10% des vaccins disponibles. Comme je l'ai déjà dit, la vaccination n'est pas obligatoire. Les différentes catégories à risques ont donc d'abord été appelées et on va tout prochainement proposer le vaccin à l'ensemble de la population avec un succès qu'il est difficile de prévoir : faible s'il existe des nouvelles alarmantes sur le vaccin (comme récemment au Canada) et surtout si elles sont attisées par les ligues antivaccination, plus important au fur et à mesure que les médias rapporteront le nombre forcément progressif des décès.
Pour le reste de cette histoire, il faudra attendre de voir comment la pandémie évolue : elle-seule nous dictera l’attitude finale à adopter… et ce qu'il conviendra de faire l'année prochaine. Parce que, à moins d'une grosse surprise, le virus de la grippe A nous accompagnera encore quelque temps... non sans avoir muté et donc nécessité une revaccination annuelle.
Images :
1. masques (sources : www.corsematin.com/)