Du début de mes études secondaires il y a, hélas, fort longtemps, je me souviens des cours d’histoire où, durant quelques brèves journées, un professeur fort patient cherchait à nous expliquer les prémices des civilisations humaines. On évoquait alors « les hommes de Cro-Magnon » et autres pithécanthropes. Je ne sais pas pour mes autres compagnons d’infortune mais, quant à moi, cette période de notre protohistoire m’ennuyait passablement car, comme bien des enfants d’aujourd’hui, je ne m’intéressais vraiment qu’aux dinosaures ou à la rigueur au tigre à dents de sabre (ou smilodon que j'appelais - je ne sais pourquoi - machairodus). A cette époque, il est vrai, la recherche sur le paléolithique n’en était qu’à ses débuts et on sortait à peine des préjugés des décennies précédentes : aujourd’hui, bien des idées préconçues ont été battues en brèche et on a complètement repensé les rapports de sapiens avec son environnement au point qu’on sait à présent que notre illustre ancêtre n’était pas seul à peupler le monde et que son ascension n’était certainement pas inévitable.
Homo sapiens, le survivant
Apparu il y a environ 125 000 ans, homo sapiens est aujourd’hui le seul représentant du genre homo encore présent (et même bien présent…). Ce ne fut pas toujours le cas puisque jusqu’à il y a une quarantaine de milliers d’années plusieurs espèces d’homo coexistaient. Les récentes prospections (et, surtout, les analyses génétiques) l’affirment : à cette époque pas si lointaine en terme d’évolution, il semblerait que quatre espèces différentes d’homo aient vécu en même temps.
On situe le plus souvent l’origine de l’humanité sur la terre africaine, plusieurs « migrations » ayant ensuite peuplé les autres continents, notamment Europe et Asie. Avant, et durant des millions d’années, il y eut des dizaines de précurseurs – de façon parfois concomitante - dont certaines caractéristiques relevaient encore des ancêtres communs avec les grands singes tandis que d’autres annonçaient déjà l’homme dit moderne (voir le sujet : le dernier ancêtre commun) ce qui, disons-le au passage, rend illusoire la recherche d’un unique ancêtre commun des hommes actuels.
Reste le fait que ne subsiste plus aujourd’hui que sapiens et qu’on ne peut pas ne pas se demander quelles sont les raisons de la disparition des autres : ne serait-ce pas tout simplement l’action prédatrice de nos ancêtres directs qui en serait responsable ? Après tout, qu’on le veuille ou non, la Vie est avant tout une compétition et il est certain que, en ces temps anciens, il ne tombait probablement pas sous le sens de partager les territoires et leurs multiples ressources : la disparition ou l’assimilation, en quelque sorte. Et probablement beaucoup de la première et un tout petit peu de la seconde pour Néandertal.
Neandertal, un cousin proche ?
Vers le milieu du XIXème siècle, tandis qu’on s’intéressait surtout aux premiers squelettes réellement exploitables de « grands sauriens », on mit à jour dans la petite vallée allemande de Néandertal, une sorte « d’homme primitif » dont les caractéristiques très simiesques semblaient toutefois partiellement « humaines ». Combattue par certains, l’appartenance de Néandertal au genre homo était peu contestable mais on voyait alors en lui une espèce de primate rudimentaire (silhouette trapue, faciès grossier, intelligence évidemment réduite), archaïque pour les uns, dégénéré pour les autres. La paléontologie moderne a rendu à Néandertal sa place qui est celle d’un contemporain de sapiens, probablement aussi évolué que lui à cette époque. J’ai longuement eu l’occasion d’évoquer dans un sujet précédent (voir le sujet : sapiens et Néandertal, une quête de la spiritualité) ce que nous comprenons aujourd’hui de cette autre espèce d’homme, notamment quant à sa dimension culturelle.
Une question restait toutefois en suspens : sapiens et Néandertal ont-ils pu s’accoupler et avoir des descendants ? En d’autres termes ces deux homo étaient-ils suffisamment proches pour se métisser et, si oui, a-t-on encore le droit d’évoquer des espèces différentes ? Un nouvel élément de réponse vient de nous être apporté par la génétique : alors que celle-ci, jusqu’à présent, évoquait une non-fécondabilité entre les deux espèces, une étude récente affirme le contraire. Bien que la concordance génétique entre sapiens et Néandertal soit de 99,7%, les auteurs ont cherché une correspondance génétique plus fine entre le génome d’un néandertalien (difficilement obtenu à partir de quelques os) et ceux d’un Européen, d’un Asiatique, d’un papou de Nouvelle-Guinée et d’un Africain : les résultats montrent que le patrimoine génétique de Néandertal est plus proche de celui de l’Asiatique, de l’Européen et du papou que de celui de l’Africain. Pour les auteurs, il ne peut y avoir qu’une explication possible : il y a eu des croisements entre sapiens et Néandertal après que le premier soit sorti d’Afrique. Ces auteurs estiment que de 1 à 4% - non codant - de notre patrimoine génétique actuel provient de Néandertal…
On doit donc aujourd’hui penser (mais cette étude demande à l’évidence d’autres confirmations) que sapiens et Néandertal n’étaient pas si éloignés que cela l’un de l’autre : plutôt deux sous-espèces que deux espèces distinctes d’où, pour certains scientifiques, la nécessité de revenir à l’ancienne classification « homo sapiens neanderthalensis ». Cela dit, le « métissage » sapiens-Néandertal reste toutefois marginal et la disparition de notre cousin vers 30 000 ans avant JC, un mystère.
L’Homme de Florès, toujours une énigme
Au début des années 2000, une publication jeta l’émoi chez les scientifiques : on avait découvert en Indonésie, dans une grotte de l’île de Florès, une nouvelle espèce d’homme ! Il s’agissait d’un bipède, mesurant environ 1 mètre de hauteur pour un poids d’une vingtaine de kg. Il était capable de fabriquer des outils (retrouvés avec les squelettes), outils de l’époque acheuléenne (environ 500 000 ans avant JC) mais, fait totalement troublant, la datation des squelettes les faisait remonter à seulement 18 000 ans avant JC. Les spécialistes sont comme à l’habitude partagés et si l’on a pratiquement rejeté l’hypothèse d’un nanisme médical acquis (microcéphalie carentielle), bien des scientifiques restent encore sceptiques…
Il n’en reste pas moins que l’on s’oriente plutôt vers un descendant local d’homo erectus ou d'homo habilis, « épargné » en quelque sorte par son insularité. Une insularité qui explique également sa petite taille : on sait en effet que, en l’absence de prédateurs, les espèces ont tendance à voir leur taille diminuer, du moins ceux ayant une taille supérieure à celle d’un chien, alors que les plus petites ont tendance à grandir, tout cela en une sorte de compétition vers une taille médiane… Quoi qu'il en soit, cet homo était si petit que, par référence aux livres de Tolkien actuellement bien en vogue grâce au cinéma, on le présente à présent souvent au grand public sous l'appellation de "hobbit"...
Cette découverte amène plusieurs réflexions :
* d’abord, les ancêtres de sapiens – ici homo erectus – ont réussi à coloniser la planète jusqu’à fort loin de leur base de départ (Afrique) ;
* ensuite, l’homme de Florès aurait continué à survivre alors que sapiens avait déjà colonisé le globe et, notamment, cette même île de Florès ;
* enfin, l’homme de Florès existait encore alors que Néandertal avait disparu depuis des millénaires…
Comme si cette découverte ne suffisait pas, voilà qu’à présent on parle d’une troisième espèce d’homme ayant coexisté avec sapiens : sa découverte étant trop récente, il n’a pas encore de dénomination scientifique et on l’appelle l’homme de Sibérie.
L’Homme de Sibérie (Denisova), le quatrième homo
Habituellement, on identifie une nouvelle espèce par ses fossiles. Pour l’homme de Sibérie, pour la première fois, il s’agit d’une découverte purement génétique faite il y a quelques mois (mars 2010). C’est, en effet, en étudiant l’ADN mitochondrial de l’auriculaire d’un enfant d’environ 7 ans découvert à Denisova, dans les monts de l’Altaï, au sud de la Sibérie, que les chercheurs ont mis en évidence qu’il s’agissait bien d’un primate du genre homo. On sait que l’ADN mitochondrial de sapiens et de Néandertal diffère sur 202 points : l’homme de Denisova a un ADN différant de celui de sapiens sur 385 points… La conclusion est évidente : notre ancêtre commun avec l’homme de Sibérie/Denisova remonte à environ 1 million d’années tandis que notre ancêtre commun avec Néandertal vivait il y a 500 000 ans… S’agit-il ici d’une espèce réellement différente de sapiens – et ne pouvant donc se reproduire avec lui – ou d’une sous-espèce au sein de laquelle s’exprimerait une certaine variabilité génétique ? Il est encore trop tôt pour le dire mais ce qui est certain, c’est que cet homme « différent » vivait en Sibérie il y a 40 000 ans, en même temps que sapiens, Néandertal et Florès. Diversité humaine !
Raréfaction de la diversité
Stephen J. Gould le faisait remarquer : au temps du schiste de Burgess, il y a plus de 500 millions d'années, les genres d’animaux étaient bien plus nombreux et différents des uns des autres qu’aujourd’hui. Il y a eu bien sûr les multiples extinctions de masse qui ont détruit des catégories entières d’espèces animales (voir le sujet : les extinctions de masse) au point que l’on dit souvent que 99% des espèces animales ayant vécu un jour sur Terre ont à présent disparu. Mais cela n’explique pas tout. La compétition interspécifique et la sélection naturelle jouent également un rôle important dans l’amenuisement de la diversité du vivant.
Sapiens est l’héritier d’une gigantesque lignée d’ancêtres plus ou moins proches, plus ou moins humains. Dans la savane africaine d’il y a quelques millions d’années ont coexisté et se sont succédés des dizaines de formes d’hominidés qui, au fil du temps, ont acquis des caractères ayant conduit à l’Homme actuel. Il est probable – comme je l’ai déjà écrit – qu’il n’existe pas « d’ancêtre direct et unique » d’homo sapiens mais plutôt des lignées distinctes avec toutes leurs formes intermédiaires, issues de compétitions féroces pour la survie et de spéciations par isolement géographique. L’Homme actuel – homo sapiens – est l’unique survivant de cette guerre pour la continuation du plus apte qui s’est étendue sur des millions d’années et il est fascinant de constater qu’il y a peu, sapiens avait encore des concurrents du genre homo comme lui : 40 000 ans ne représentent rien à l’échelle de l’Évolution. Il est aujourd’hui le seul représentant de cette lignée de grands singes et la sélection naturelle l’a doté d’un cerveau qui lui permet – pour la première fois chez un être vivant sur cette planète - de transformer son environnement. Qu’en a-t-il fait jusqu’à présent? Qu’en fera-t-il à l’avenir ?
Note brêve : l'homme de Florès serait plus vieux qu'initialement pensé
Une relecture récente du site a permis de réévaluer la présence de l'homme de Florès dans les lieux et cette présence serait beaucoup plus ancienne qu'initialement admise. Le journal "le Monde" s'en est récemment fait l'écho comme en témoigne le texte qui suit, tiré de l'édition du 30 mars 2016 :
... Mais de nouvelles fouilles, conduites entre 2007 et 2014 par une équipe internationale, ont montré que la stratigraphie complexe de la grotte avait pu induire les chercheurs en erreur. « Nous n’avions pas réalisé, durant les premières fouilles, que les dépôts sédimentaires où les restes du Hobbit étaient présents, près de la paroi est de la grotte, étaient d’un âge similaire à ceux du centre de la grotte, que nous avions datés à 74 000 ans, indique Thomas Sutikna (université de Wollongong, Australie, centre archéologique de Jakarta). En avançant dans les fouilles, année après année, il est apparu de plus en plus clairement qu’une large part des dépôts anciens avait été érodée. ». Cette surface a ensuite été recouverte par de nouveaux sédiments au cours des derniers 20 000 ans, et malheureusement, ce sont ces strates qui avaient été retenues pour les datations initiales. ...
Sources : journal lemonde.fr ( paléontologie /article/2016/03/30)
Images
1. comparaison des crânes de sapiens, néandertal et florès (source : http://wingmakers.exprimetoi.net)
2. migration d'homo sapiens (source : www.u-picardie.fr)
3. enfant néandertalien (source : www.futura-sciences.com/)
4. l'homme (ou la femme) de Florès (source : www.7sur7.be )
5. le champ de fouilles de Denisova (source : www.planet-techno-science.com )
6. il y a 65 millions d'années, l'extinction de masse du crétacé (source : membres.multimania.fr)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-clés : homo sapiens - dernier ancêtre commun - homme de Néandertal - métissage génétique - homme de Florès - époque acheuléenne - homo erectus - homo abilis - nanisme insulaire - homme de Denisova - ADN mitochondrial - Stephen J. Gould - compétition interspécifique - sélection naturelle
(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Sujets apparentés sur le blog :
1. Néandertal et Sapiens, une quête de la spiritualité
5. East Side Story, la trop belle histoire
6. la bipédie, condition de l'intelligence ?
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Mise à jour : 6 mars 2023