Afin de mieux appréhender les phénomènes astronomiques abordés précédemment dans le blog, il m'a semblé important de revenir sur la théorie de la Relativité Générale formulée en 1915 par Einstein (la même approche paraît nécessaire pour la mécanique quantique, voir sujet mécanique quantique). J'ai longtemps hésité pour choisir le chapitre dans lequel faire figurer ce sujet : la physique ou l'astronomie ? En définitive, puisque la théorie de la Relativité Générale permet de comprendre et d'expliquer nombre de phénomènes astronomiques, j'ai retenu l'astronomie bien que, stricto sensu, cette théorie relève en réalité de la physique fondamentale. Il va de soi que je n'aborderai pas ici l'aspect mathématique de la question (j'en serais bien incapable) et c'est essentiellement son aspect applicatif que je vais m'efforcer de résumer.
origine de la théorie
Nous connaissons tous le phénomène de la gravitation qui nous permet – c'est l'exemple le plus simple – de rester soudés à notre bonne vieille Terre. C'est également cette « force » qui explique que les planètes tournent autour des étoiles ; elle qui attire les galaxies pour peu qu'elles soient suffisamment proches et elle encore qui, d'une manière plus générale, permet l'expansion de l'univers. Dès la fin du XVIIème siècle, Newton, on le sait, proposa une explication au phénomène. Il bâtit une théorie de la mécanique qui, au lieu de s'appuyer exclusivement sur la vitesse comme ses prédécesseurs, se fondait sur l'accélération. Il spécula sur l'existence d'une force agissant à distance entre deux objets, par exemple entre la Terre et la Lune ; il affirma que cette force résultait de la position relative, à un instant donné, des deux intervenants et qu'elle dépendait de leurs propriétés sur le moment, cela quelle que soit la distance les séparant. La gravitation, selon Newton, était donc une force instantanée, se propageant à une vitesse infinie. C'est ce caractère instantané, immédiat qui rebutait Einstein : pour lui, aucune information ne pouvait se propager à une vitesse supérieure à celle de la lumière et c'est ce qu'il chercha à démontrer des 1905 dans sa théorie de la Relativité Restreinte. Sa théorie stipule que la simultanéité ne peut pas être définie puisqu'elle diffère d'un observateur à l'autre si ceux-ci sont animés d'une vitesse non nulle. Problème : comment dès lors intégrer la notion de gravitation ? Dès l'énoncé de sa loi de Relativité Restreinte, Einstein s'acharna à trouver une explication de la gravitation coïncidant avec sa théorie et cela l'amena, une dizaine d'années plus tard, à présenter une extension de sa première théorie afin de passer à un échelon plus vaste : c'est la théorie de la Relativité Générale.
relativité restreinte
Commençons tout d'abord par la Relativité Restreinte. Pour résumer, on peut distinguer dans la théorie les principes fondamentaux suivants :
* dans le vide, la vitesse de la lumière est constante et approximativement égale à 300 000 km par seconde. Elle est toujours la même et cela ne dépend pas des observateurs, que ceux-ci soient ou non en mouvement.
* il existe une stricte équivalence matière-énergie, cette équivalence étant résumée dans la formule célèbre : E = mc2 où E représente précisément l'énergie et m la masse, c correspondant à la vitesse de la lumière. On peut le dire d'une autre façon : l'énergie (E) d'une molécule libre et au repos est égale à sa masse (m) que multiplie dans le vide le carré de la vitesse de la lumière (c).
* l'espace et le temps sont indissociables : l'univers, que l'on pensaitjusque là à trois dimensions, en compte en réalité quatre puisqu'on doit y intégrer le temps.
On vient de dire que le temps et l'espace sont indissociables et que la vitesse de la lumière est constante dans tous les référentiels inertiels, c'est à dire par rapport à des points de référence qui ne subissent aucune accélération. On peut donc en déduire que, si la vitesse de la lumière est en tout point constante, c'est le temps qui varie. Le temps peut donc ralentir, « se dilater » ou au contraire s'accélérer, « se contracter » et être donc « différent » d'un endroit à un autre, passant plus vite ici ou plus lentement ailleurs.
A notre échelle, les dimensions étant très petites, ces différences ne nous sont pas perceptibles mais c'est une toute autre affaire dès que l'on s'intéresse, comme en astronomie, aux grands espaces. C'est la raison pour laquelle la physique newtonienne a paru longtemps parfaitement exacte tant qu'elle s'intéressait aux phénomènes terrestres mais apparemment légèrement imprécise dès que l'on regardait vers le système solaire et les étoiles : il s'agissait d'une espèce d'approximation des lois physiques.
En fait, la Relativité Restreinte ne s'applique qu'aux phénomènes utilisant des vitesses constantes. Elle ne restait qu'une approche locale des phénomènes physiques tant que n'y était pas intégrée l'explication de la gravitation : c'est ce qu'Einstein s'ingénia à mettre en équations pour finalement aboutir à la généralisation de sa théorie.
relativité générale
La théorie de la Relativité Générale est, on vient de le dire, une généralisation de la théorie de la Relativité Restreinte puisqu'elle intègre la gravitation qui y était absente. Résumons-là brièvement :
* l'espace est déformable : toute masse peut le courber autour d'elle en formant ce que l'on appelle une géodésique, c'est à dire le chemin le plus court qui relie deux points d'une surface. Si l'espace est courbé par une masse, la liaison entre deux points ne sera évidemment pas une ligne droite mais l'adaptation d'une ligne droite à un espace courbe (on peut en voir un exemple sur l'image d'introduction). Imaginons pour mieux comprendre un tapis élastique épais sur lequel se trouve une balle de tennis. Si un petit chien vient s'allonger près d'elle, celui-ci va déformer légèrement le tapis et la balle va rouler vers lui. Le maître vient à son tour s'asseoir près de son chien et, cette fois-ci, le poids étant bien plus élevé et la déformation plus importante, c'est le chien qui risque de glisser vers lui avec la balle. Les objets de l'univers déforment donc l'espace et ce d'autant plus que leurs masses sont importantes : c'est ainsi que le Soleil déforme l'espace obligeant la Terre à tourner autour de lui, ce que fait d'ailleurs la Terre avec son satellite.
* les objets qui se trouvent dans l'espace courbe créé par un objet plus volumineux s'approchent de lui en suivant des géodésiques mais comme il s'agit justement de géodésiques ils ne tombent jamais vers l'élément le plus massif mais se mettent en orbite autour de lui.
* la courbure engendrée par une masse plus importante ne se propage pas vers les objets plus légers de manière instantanée mais à la vitesse de la lumière.
* il s'ensuit de ces phénomènes que l'espace ne peut pas être quelque chose d'absolu et fixé une fois pour toutes : tout objet transforme l'espace en fonction de sa propre masse et crée donc des conditions locales particulières. L'espace est la résultante de l'ensemble de toutes les déformations et se modifie sans cesse.
Restait à valider tout cela car les équations aussi remarquables soient-elles ne suffisaient pas et c'est Einstein lui-même qui suggéra trois expériences susceptibles de démontrer le bien-fondé de sa théorie.
preuves de la théorie de la relativité générale
Einstein proposa trois expériences sur des phénomènes qui n'avaient jamais pu être expliqués par la théorie de la gravitation de Newton.
* la première concernait un problème qui agaçait depuis des lustres la communauté astronomique : l'anomalie de l'avance du périhélie de Mercure (voir glossaire) ou, pour le dire plus simplement, l'existence d'un léger décalage dans la trajectoire de cette planète, une observation qui échappait à la physique newtonienne. En 1915, Einstein, calculs à l'appui, démontra que sa théorie correspondait parfaitement aux observations.
* la deuxième, fondée sur l'aspect relativiste de sa théorie, postulait l'existence de mirages gravitationnels : la masse du Soleil courbe l'espace autour de lui ce qui entraîne la déviation des rayons lumineux des étoiles situées derrière lui. En absence du Soleil, la position apparente des étoiles sera strictement identique à leur position réelle. En revanche, la présence du Soleil donnera l'impression que les étoiles sont plus écartées qu'en réalité puisque les rayons lumineux provenant d'elles suivront la courbure accentuée de l'espace autour de lui. Pour pratiquer l'expérience, il faut donc des étoiles dont la position est parfaitement documentée, une éclipse de soleil... et un beau temps sans nuages. En 1919, Eddington observa ce mirage gravitationnel comme le prévoyait la théorie. Ce fut, on s'en doute, un énorme émoi dans la communauté scientifique que d'obtenir un tel résultat.
* la troisième expérience était plus difficile à mettre en œuvre car un peu trop complexe pour les outils de l'époque. Il s'agissait de montrer un décalage dans la fréquence des atomes en fonction de la masse d'une étoile. C'est en 1960 seulement que l'expérience fut réalisée et couronnée de succès.
Ces trois tests emblématiques ont définitivement validé la théorie.
pour quelles conséquences ?
La première observation que l'on peut faire est que, en introduisant dans le corps de la théorie le principe dit de relativité (voir glossaire), Einstein a pu démontrer que, toutes conditions étant par ailleurs les mêmes, les lois de la physique sont applicables à l'ensemble de l'univers et qu'elles aboutiront par conséquent à des mesures identiques. C'est la raison pour laquelle on parle pour la Relativité Générale d'une théorie universelle. Du coup, l'espace lointain nous devient compréhensible, à l'exception notable du tout début, la singularité du Big Bang (voir sujets fond diffus cosmologique et matière noire et énergie sombre) où la gravitation n'existe plus (ou n'existe pas encore). Des phénomènes jusque là mystérieux ont pu commencer à recevoir un début d'explication. En effet, si la théorie newtonienne restait suffisante pour décrire la plupart des phénomènes observés à l'échelle des étoiles ainsi qu'au niveau du système solaire (sauf, comme on l'a vu plus haut, l'avance de la trajectoire de Mercure), pour certains objets observés, la théorie d'Einstein était absolument nécessaire. On peut en citer quelques uns :
* les mirages gravitationnels :
Comme on l'a déjà dit, un mirage gravitationnel est une déformation de l'image provenant d'une source lointaine à la suite de la présence entre cette source et l'observateur d'un objet très massif (par exemple un groupe de galaxies) qui modifie l'espace-temps. Depuis la première expérience de 1919, le phénomène a été identifié à de nombreuses reprises (notamment par le télescope spatial Hubble) dès lors que l'on étudie l'univers lointain et il sert même à la détection de la matière noire. On trouvera une illustration récente de ces mirages gravitationnels dans la note située en fin de cet article.
* les étoiles à neutrons :
Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce stade terminal de la vie de certaines étoiles (voir sujet mort d'une étoile). Rappelons brièvement qu'il s'agit de la mort d'étoiles massives sous l'effet de leur gravité propre, une fois qu'elles ont épuisé leur combustible nucléaire. Après avoir explosé en supernova, l'étoile ne se présente plus que sous la forme de son noyau extrêmement dense qui peut se mettre à tourner à grande vitesse sur lui-même en émettant un champ magnétique puissant : on parle alors de pulsar. Le plus souvent, les étoiles à neutrons, en raison de leur très petite taille, restent invisibles.
* les trous noirs :
Il s'agit ici d'objets supermassifs possédant un champ gravitationnel si intense que rien ne peut s'en échapper. C'est ce à quoi conduit la mort des très grosses étoiles puisque le noyau résiduel est ici si massif qu'il ne peut même pas conduire à une étoile à neutrons. Prédits par la théorie de la Relativité Générale, les trous noirs ne peuvent évidemment pas être observés (ils sont « noirs » puisque aucune matière ne s'en échappe, pas même la lumière) mais soupçonnés par leur action sur leur environnement (par exemple, une quantité importante de rayons X provoquée par la surchauffe de la matière avant d'être engloutie). Leur existence est à présent une certitude pour la communauté scientifique.
La théorie de la Relativité Générale est donc, comme on vient de le voir par ces quelques exemples, l'outil idéal pour expliquer de nombreux phénomènes cosmiques. Elle donne une excellente explication de la gravitation, même pour l'univers lointain difficilement déchiffrable, et elle n'a jamais été prise en défaut. Pour autant, la situation n'est pas parfaite car jamais on n'a pu faire coexister cette théorie avec la mécanique quantique, seule à même d'expliquer les phénomènes subatomiques. Et cela fait désordre.
la théorie du tout
Pour résumer l'étendue du problème qui se pose aux scientifiques, rappelons qu'il existe dans l'univers quatre forces fondamentales : la gravitation qui concerne tout l'univers visible, et trois autres – électromagnétisme, interaction faible et interaction forte – qui concernent le monde de l'atome et sont expliqués par la mécanique quantique (voir aussi le sujet constituants de la matière). Impossible jusqu'à présent d'unifier ces quatre forces : on a eu beau faire – Einstein le premier - la gravitation ne peut pas être décrite dans un cadre quantique. Il est certain que, quelque part, une pièce du puzzle est absente... à moins qu'une erreur ne se soit glissée quelque part, soit dans la Relativité Générale, soit dans la mécanique quantique. Mais cette éventualité est finalement peu probable, ni l'une, ni l'autre des deux approches n'ayant jamais été prises en défaut alors que toutes deux ont considérablement fait avancer nos connaissances théoriques et se sont prolongées dans une foule d'applications pratiques.
Les scientifiques sont donc toujours à la recherche d'une « théorie du tout » qui unifierait Relativité Générale et mécanique quantique. Il existe des pistes mais essentiellement théoriques et qui demandent à être approfondies : je pense à la « théorie des cordes » qui permettra peut-être d'intégrer la gravitation à l'univers des quanta. Pour le moment, cette approche reste du domaine de la recherche pure. Une chose est néanmoins sûre : la Relativité Générale nous a permis de commencer à comprendre comment s'organisait et interagissait l'univers immense qui nous entoure : ce n'est déjà pas si mal.
Glossaire (in Wikipedia France)
* périhélie : le périhélie est le point de l'orbite d'un corps céleste (planète, comète, etc.) qui est le plus rapproché du Soleil. Cela se dit aussi de l'époque où l'objet a atteint ce point. La Terre décrit une orbite elliptique dont le Soleil occupe un des foyers. Elle est au périhélie vers le 3 janvier, à une distance de 0,983 ua (nota : une unité astronomique ou ua correspond à la distance moyenne entre la Terre et le Soleil)
* principe de relativité : dans son expression moderne, le principe de relativité affirme que les lois physiques sont les mêmes pour tous les observateurs. Cela ne signifie pas que les événements physiquement mesurables dans une expérience sont les mêmes pour les différents observateurs, mais que les mesures faites par les différents observateurs vérifient les mêmes équations. Toutefois, pour deux expériences préparées de manière identique dans deux référentiels distincts soumis aux mêmes contraintes gravitationnelles (tous les deux inertiels par exemple) les lois sont rigoureusement identiques et donnent des mesures identiques dans leurs référentiels respectifs. On dit que les lois sont « invariantes par changement de référentiel », ou encore qu'elles sont « covariantes ».
Images :
1. il s'agit d'une représentation bidimensionnelle de la distorsion spatio-temporelle. La présence de matière modifie la géométrie de l'espace-temps. De ce fait, la ligne qui unit deux objets est adaptée à la courbure de l'espace : ce n'est plus une ligne droite comme dans la géométrie classique mais une géodésique. (sources : www.arcanes.org/)
2. Albert Einstein (source : www.futura-sciences.com)
3. lentille gravitationnelle (source : wikipedia.org)
Note brève : la plus lointaine des galaxies naines (in Science & Vie, n° 1083, décembre 2007)
En orbite et à Hawaï, le 4 octobre. Une équipe d'astronomes de l'université de Californie a réussi à observer une galaxie naine 100 fois moins massive que la Voie lactée, à 6 milliards d'années-lumière de nous ! Jamais un objet aussi petit n'avait été vu à une telle distance. Coup de chance : une galaxie massive située entre la galaxie naine et nous a déformé son image, la rendant 10 fois plus brillante et plus grosse. A partir de ce « mirage gravitationnel » en forme d'anneau recueilli par les télescopes Hubble et Keck, les astronomes ont pu reconstituer l'aspect que devait avoir la petite galaxie. Il s'agit du premier portrait d'une très vieille galaxie naine à l'époque où l'univers avait la moitié de son âge. V.G.
Mots-clés : Albert Einstein - Isaac Newton - mécanique quantique - gravitation - relativité restreinte - espace-temps - géodésique - courbure de l'espace - périhélie de Mercure - mirage gravitationnel - étoile à neutrons - supernova - pulsar - trou noir - théorie du tout - théorie des cordes
(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Sujets apparentés sur le blog :
2. les constituants de la matière
3. matière noire et énergie sombre
5. la théorie des cordes ou l'Univers repensé
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Mise à jour de l'article : 19 février 2023