la conférence de Solvay (1927)
Une des plus légendaires photos de l'histoire de la physique montrant les participants à la cinquième conférence de Solvay, en octobre 1927, à Bruxelles. Vingt-neuf physiciens, parmi les principaux théoriciens des quanta de l'époque, s'y réunirent pour discuter du sujet : " électrons et photons ". Dix-sept de ces vingt-neuf participants devinrent des prix Nobel.
(sources : amp2005.blog.lemonde.fr/category/webtech/)
Je me souviens d'un temps ancien où, en classe de cinquième, devant un professeur de mathématiques qui m'encourageait du regard et face à des camarades plus ou moins attentifs, on m'avait confié la lourde tâche de lire – et de commenter – mon livre de chevet de l'époque, «l'astronomie à bâtons rompus» (de l'auteur allemand O.W. Gail, éditions Fernand Nathan, 1954). C'était un petit recueil que j'avais lu et relu jusqu'à en faire pâlir l'encre d'imprimerie et corner les pages. Les explications y étaient simples, certainement même simplistes, mais accessibles à nos cerveaux d'alors. On y décrivait entre autre l'atome comme un espèce de petit système solaire, le noyau représentant le Soleil et les électrons les planètes gravitant autour de lui. J'ai longtemps conservé cette image, fausse évidemment, et il m'aura fallu bien des efforts pour comprendre que, non, la réalité n'était certainement pas celle-là. Il me paraît utile aujourd'hui, à la suite de mon article sur la théorie de la Relativité générale (voir sujet théorie de la relativité générale), de revenir sur ces notions de base qui ne s'expliquent finalement assez bien qu'à l'aide de la mécanique quantique.
pourquoi la mécanique quantique ?
Il faut d'emblée souligner que le terme de « mécanique quantique » est particulièrement mal choisi : le mot « mécanique » traduit en effet les mouvements dont sont animés des corps dans l'espace or la mécanique quantique ne décrit nullement ce type de mouvements mais s'intéresse essentiellement à la description du système dont ces corps relèvent. La deuxième partie du terme est également impropre puisque qu'elle ne fait allusion qu'à des phénomènes corpusculaires (les quanta) alors que la dimension ondulatoire est également présente ici (c'est d'ailleurs pour cela que cette discipline a été un temps appelée « mécanique ondulatoire », terme tout aussi mal adapté). « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément », affirmait Boileau dans son « art poétique ». J'imagine que ce n'est pas par hasard que la confusion des mots règne d'emblée dans la théorie : la mécanique quantique (il faut bien continuer à l'appeler ainsi) est difficile à appréhender car ses concepts échappent facilement à la logique courante...
Précisons tout d'abord les circonstances qui ont conduit à l'édification de la théorie. Nous sommes alors au début du XXème siècle et la science est triomphante et notamment, depuis Newton, la physique. Pourtant il existe des coins d'ombre et cela concerne la lumière :
* selon la théorie de Maxwell, la lumière a une énergie infinie dans le spectre ultra-violet. Comment se fait-il alors que nous ne soyons pas immédiatement grillés par la proximité d'une flamme ou du Soleil ?
* l'émission de la lumière par un gaz (par exemple un tube au néon) montre que, à des fréquences bien précises, il existe des raies, un phénomène qui n'a jamais pu être expliqué.
* sur la surface d'un objet métallique, la lumière, on le sait, éjecte des électrons quelle que soit son intensité ce qui ne cadre pas avec la physique traditionnelle.
Ces trois phénomènes inexpliqués vont conduire les scientifiques de l'époque à reconsidérer ce que l'on croyait acquis. La première anomalie (l'énergie infinie de la fréquence ultraviolette) aboutira à la remise en cause de ce principe par Max Planck en 1900 : pour lui, la lumière ne peut être que discontinue et émise par paquets, les quanta. Quelques années plus tard, l'électromagnétisme de la lumière sur le métal amène également Einstein à penser que cette dernière est composée de particules. Enfin, en 1913, partant du phénomène des raies (lumière d'un gaz), Niels Bohr publie un nouveau modèle de structure atomique. C'est à partir de ces remises en cause que surgira, une dizaine d'années, plus tard la mécanique quantique.
La théorie quantique s'appuie sur des calculs mathématiques bien précis (je serais, bien sûr, incapable de les résumer ici) et elle conduit à considérer de manière tout à fait nouvelle (et différente) la structure du monde microscopique, celui de l'atome. Elle décrit de manière parfaite la dynamique d'une particule massive ce qui permet d'induire un grand nombre d'applications pratiques (nous y reviendrons). Il existe toutefois un point d'achoppement majeur : la théorie n'est pas relativiste, c'est à dire qu'elle ne prend pas en compte les données de la Relativité restreinte que nous avons précédemment évoquée. Il existe en conséquence un problème certain d'unification avec la physique du monde visible ce qui fait désordre...
que nous apprend la mécanique quantique ?
Elle nous a permis de mieux saisir la configuration de l'atome. Un peu plus haut, j'expliquais que la vision d'un atome avec ses électrons tournant autour de lui comme un système solaire en miniature était fausse : comment peut-on alors se la représenter ? Eh bien sous la forme d'une sorte d'un petit nuage déformable particulièrement léger. Les électrons se trouvent généralement dans l'atome (« le nuage électronique ») et batifolent autour du noyau qui ressemble à une petite bille. Les électrons peuvent s'interpénétrer mais jamais se superposer : c'est ce que l'on appelle le principe d'exclusion. Imaginons à présent que ce petit nuage se coupe en deux : chacune des parties va dans un sens et s'éloigne de l'autre mais c'est pourtant toujours la même particule. En effet, si l'on agit sur l'une des parties, l'autre réagit immédiatement. Cette particularité est appelée la non-localité. Habituellement, les électrons restent confinés autour du noyau atomique, en adoptant des formes plus ou moins variables. Toutefois, dans le cas où ils s'en éloignent suffisamment, on s'aperçoit alors qu'ils se comportent comme des ondes en générant des interférences...
Revenons sur le cas plus particulier de la lumière. Celle-ci est composée de particules, les photons, qui se comportent exactement de la même manière : les groupes de photons peuvent produire des interférences, comme des ondes, tout en étant des particules... Ces étonnantes propriétés permettent de comprendre pourquoi une même particule peut être à deux endroits à la fois, sans que l'on sache où, ou bien nulle part ! Difficile à comprendre ? Prenons un exemple : un jeune garçon joue au ballon contre un mur. Il a deux possibilités : soit il frappe normalement et son ballon rebondit sur le mur pour revenir vers lui, soit il tape trop fort et la balle s'élève au dessus du mur et s'échappe. Dans le monde quantique, le « ballon », c'est à dire l'atome, est en fait un petit nuage déformable. De ce fait, s'il « rebondit » sur un obstacle – le haut du mur – une partie de lui peut sauter l'obstacle tandis que l'autre partie va rester du côté du jeune garçon. Mais il ne s'agit pas d'une scission en deux nouveaux objets distincts : c'est toujours la même particule et si on « touche » la partie au delà de l'obstacle, celle restée en arrière réagit instantanément.
On peut donc résumer ces notions de la manière suivante : à l'échelon atomique, les particules qui composent la matière sont déformables et sont donc capables de réagir comme des ondes tout en restant unifiées ce qui explique pourquoi une action sur une partie entraîne une réaction instantanée sur l'autre partie. Les électrons ne sont donc pas de petits points « tournant » autour du noyau de l'atome et l'émission de la lumière n'est pas la conséquence de leur changement d'orbites comme on l'a longtemps cru : le phénomène est dû à un changement de forme de l'électron lui-même. Bien. Et ensuite ? Imaginons à présent que l'on veuille observer un électron. On va évidemment se servir d'un instrument mais, aussi miniaturisé qu'il puisse être, l'instrument en question sera composé de milliards de particules qui vont interagir avec l'électron observé. C'est la raison pour laquelle les physiciens quantiques expliquent que le simple fait « d'observer » perturbe le résultat (c'est ce que l'on appelle du mot savant de « décohérence »)... De ce fait, il est impossible de savoir exactement quelle est la forme adoptée par l'électron et on ne pourra que la deviner... et donc deviner où il sera exactement, d'autant que, comme on l'a déjà dit, il peut être « scindé » en deux (ou plusieurs parties) qui interagissent entre elles : il est ici... et là-bas et on parle alors d'état superposé (voir note en fin de sujet sur le chat de Schrödinger). Les moyens (et les calculs) pour savoir où se trouve tel ou tel électron seront donc forcément probabilistes.
Comme on l'aura compris, cette physique très particulière a longtemps défié notre propre logique : comment peut-on admettre qu'un objet, si petit soit-il comme un électron, puisse être à deux endroits à la fois ? Bien des réticences ont été formulées et pas seulement par des gens peu informés. Pourtant, en partant des équations, on est arrivé à des résultats pratiques qui n'auraient pas pu être obtenus autrement. On peut dire que la mécanique quantique a bouleversé notre connaissance de la matière et qu'elle a permis de mettre au point des applications que nous utilisons quotidiennement.
utilité de la mécanique quantique
Le monde dans lequel nous vivons ne serait pas du tout le même si de puissants esprits n'avaient pas théorisé la mécanique quantique. De nombreuses applications ont vu le jour grâce à elle et, à n'en pas douter, d'autres suivront. Citons-en quelques unes :
* la prédiction du comportement de la matière à l'échelon atomique a autorisé le contrôle de l'électron ce qui a conduit à la réalisation des transistors et, d'une manière générale, à la miniaturisation de bien des composants de nos appareils électroniques, comme le PC qui vous permet de lire ce blog...
* le contrôle de la lumière a été réalisé de la même manière : c'est ainsi que les ingénieurs ont pu concevoir le faisceau laser de nos lecteurs de DVD ;
* citons aussi la supraconduction qui, entre autre, a permis la réalisation de l'imagerie médicale par résonnance magnétique nucléaire ou IRM
* et l'énergie nucléaire dont les centrales fournissent une électricité qui permet de limiter l'émission de CO2 et donc l'effet de serre ;
* la compréhension de la structure des cristaux et de leurs vibrations ;
* la conduction thermique et la conductivité électrique des métaux ;
* l'explication de l'effet tunnel (voir glossaire), inexplicable par la physique classique, etc.
De nombreuses applications pratiques sont encore à venir parmi lesquelles je ne citerai que l'ordinateur quantique (encore au stade des balbutiements) dont la puissance devrait pulvériser les possibilités de nos ordinateurs actuels. Comme on le voit, la théorie quantique est bien loin de n'être qu'une simple théorie : tout aussi extravagants que ses principes soient apparus au début, ceux-ci n'ont jamais pu être démentis jusqu'à aujourd'hui. Au contraire, ils se sont révélés d'une précision redoutable qui a conduit à bien des découvertes.
Est-ce à dire que tout est parfait ? Non car il reste cet énorme problème que je rappelais dans le préambule. La théorie de la Relativité générale qui décrit l'univers du visible et la mécanique quantique qui raconte les phénomènes liés à l'atome sont strictement incompatibles. Or, on le sait bien, si les deux théories sont si parfaitement justes qu'elles ne peuvent être prises en défaut, comment se fait-il qu'elles ne puissent pas cohabiter ? C'est tout l'enjeu de la physique fondamentale des années à venir. Des milliers de scientifiques travaillent d'arrache-pied sur une unification dont on ne sait encore rien mais qui prendra le nom très explicite de « théorie du tout ».
Note : le chat de Schrödinger
Il s'agit, bien entendu, d'une expérience toute théorique. Erwin Schrödinger (1887-1961), est un scientifique autrichien qui imagina cette expérience en 1935. L'idée est la suivante : un chat est enfermé dans une boîte avec un système qui se déclenche dès qu'il détecte la désintégration d'un atome radioactif (par exemple un compteur Geiger). Cette détection active un interrupteur entrainant la chute d'un marteau qui ira casser une fiole contenant un gaz mortel. Si cette désintégration a, disons, une chance sur deux de survenir au bout de 10 minutes, la mécanique quantique affirme que, tant que l'observation du phénomène n'a pas été réalisée, l'atome est en même temps dans les deux états (intact et désintégré). Comme le sort du chat dépend de cet état, le chat est en même temps mort ET vivant (et non pas mort ou vivant). C'est seulement l'ouverture de la boîte qui permettra le choix entre les deux états. L'expérience a pour seul souci de montrer combien ce qui peut être accepté pour une particule (un état « superposé ») peut être difficile à accepter dans le monde réel, le nôtre et celui du chat.
Glossaire
* effet tunnel : l'effet tunnel désigne la propriété que possède un objet quantique de franchir une barrière de potentiel, franchissement impossible selon la mécanique classique. Généralement, la fonction d'onde d'une particule, dont le carré du module représente l'amplitude de sa probabilité de présence, ne s'annule pas au niveau de la barrière, mais s'atténue à l'intérieur de la barrière, pratiquement exponentiellement pour une barrière assez large. Si, à la sortie de la barrière de potentiel, la particule possède une probabilité de présence non nulle, elle peut traverser cette barrière. Cette probabilité dépend des états accessibles de part et d'autre de la barrière ainsi que de son extension spatiale. L'effet tunnel est à l'œuvre dans :
. les molécules : NH3, par exemple,
. les modélisations des désintégrations (fission, radioactivité alpha),
. les transistors,
. certaines diodes,
. différent types de microscopes,
. l'effet Josephson. (in Wikipedia France)
Images :
b. La lumière, à la fois corpusculaire et ondulatoire (Caustiques de lumière après deux surfaces d'eau © Eric J. Heller. in strangepaths.com)
c. La théorie des supercordes, qui vise à unifier la mécanique quantique et la relativité générale, suppose l'existence de dimensions supplémentaires dans l'espace-temps. Celles-ci pourraient être "compactes" et "enroulées" sur elles-mêmes sous la forme de variétés de Calabi-Yau, dont une possible est présentée sur cette image en 3 dimensions. Image © Jean-Francois Colonna (in www.journaldunet.com)
Addendum du 7 janvier 2008 : la théorie de Garrett Lisi
Garrett Lisi, un scientifique américain hors-norme (1) a publié fin 2007 un article retentissant dont le titre semble à lui seul une provocation : « Une théorie du tout exceptionnellement simple ». Il nous dit « s'être rendu compte, au bout de 10 ans de travail acharné, que sa recherche d'unification entre physique quantique et gravitation a pour solution une structure géométrique, le groupe de Lie E8, permettant de décrire toutes les propriétés des particules de matière et de force. » Son explication étant incompatible avec la théorie des cordes à laquelle se réfèrent la plupart des physiciens fondamentalistes, ceux-ci n'ont pas tardé à réagir avec véhémence. En revanche, d'autres crient à la découverte géniale. Bref, soudainement beaucoup de remue-ménage dans le Landerneau scientifique ! Qui a raison ? Est-on devant une extraordinaire intuition pouvant conduire au Nobel ou face à un pétard mouillé façon « mémoire de l'eau » ? Il est certainement trop tôt pour le dire. Je me suis rendu sur le site du chercheur (http://arxiv.org/pdf/0711.0770) mais je suis bien sûr incapable de comprendre les équations qui y figurent... Il est donc urgent d'attendre. Quand même ! S'il y avait quelque chose là-dessous ce serait une découverte majeure, fondamentale, comme il n'en existe qu'une seule par siècle (et encore !)...
Rejetée par de nombreux auteurs, la théorie de Lisi devrait faire l'objet d'une vérification expérimentale dans les années à venir, notamment au CERN (par son accélérateur de particules). On saura alors ce qu'il en est puisque, selon Lisi lui-même, sa théorie doit être prise globalement, un seul résultat négatif l'invalidant totalement.
Février 2023 : ignorée par une majorité de scientifiques, la théorie de Lisi a été réfutée par plusieurs publications sans, toutefois, que son rejet soit semble-t-il total. Dix ans après le texte fondateur de Lisi, on est toujours dans l'inconnu en ce qui concerne sa pertinence. Il semble toutefois plutôt rejeté par la communauté scientifique.
(1) hors norme car ce chercheur indépendant divise sa vie entre la recherche fondamentale... et le surf ou autre snowboard. Tous reconnaissent qu'il sait vraiment de quoi il parle mais est-ce suffisant ?
Mots-clés : Max Planck - Albert Einstein - Niels Bohr - théorie non relativiste - nuage électronique - principe d'exclusion - non localité - photon - décohérence - Erwin Schrödinger - supraconduction - effet tunnel - ordinateur quantique - théorie du tout - théorie des cordes - Garett Lisi
(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)
Sujets apparentés sur le blog :
1. théorie de la relativité générale
2. la théorie des cordes ou l'Univers repensé
4. les constituants de la matière
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Mise à jour de l'article : 19 février 2023