« Joroan observait avec attention le soleil bleu qui s'apprêtait à disparaître derrière la colline escarpée. Depuis presque trois heures, son compagnon, le soleil rouge, s'était avant lui éclipsé. Du coup, la lumière ambiante, de bistre moyen, s'était parée d'un bleu étrange qui gommait les couleurs des terres et des montagnes. Il n'était pas facile pour un humain de se régler sur ces changements pourtant prévisibles mais toujours surprenants et Joroan n'avait dû qu'aux simulations d'entraînement de ne pas être totalement dépaysé. On disait même qu'à certaines périodes de l'année, probablement en fonction de l'éloignement respectif des deux binaires et d'éclipses plus ou moins complètes, la planète se paraît de teintes encore plus sauvages. Dans quelques minutes, l'obscurité allait se faire mais une obscurité elle-aussi inhabituelle, variable selon les heures et les endroits et donc d'autant plus traîtresse. »
(extrait du livre « Alcyon B »)
Quel ciel étrange que celui d'une planète gravitant autour d'une étoile possédant un ou plusieurs compagnons stellaires ! Mais cela est-il possible dans un Univers qui ne serait pas seulement celui d'un auteur de science-fiction ? Je m'étais souvent posé la question puis, un jour, à la télévision, j'ai lu le point de vue d'un astronome très médiatisé (dont je tairai le nom) qui affirmait de façon péremptoire à peu près ceci (je le cite de mémoire) : « Il est tout à fait impossible qu'un système à plusieurs étoiles puisse posséder des planètes tournant autour de l'une d'entre elles et, a fortiori, de l'ensemble. En effet, ces planètes potentielles ne pourraient jamais maintenir une orbite stable et elles seraient soit rejetées vers l'un des soleils et donc détruites, soit évacuées du système vers le vide interstellaire. De plus, je peux affirmer que les forces d'attraction du système ne permettraient pas la création de tels astres ». Bon. Dommage pour les amateurs de science-fiction, me suis-je dit. De toute façon, il faudra encore bien du temps pour aller voir sur place si par hasard...
C'était sans compter avec le génie de la Nature... et la curiosité des hommes. Depuis plusieurs années déjà, de nombreuses exoplanètes (voir glossaire et le sujet : planètes extrasolaires) ont été découvertes : plus de 1700 recensées en avril 2015. L'excellente revue Science & Vie a fait, en 2007, le point sur la question et, à cette occasion, a même cherché à décrire certaines d'entre elles, du moins à partir du peu que nous en savons. Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques lignes de cette revue (Science & Vie, Hors-série 239, juin 2007) qui, je l'espère, me pardonnera la courte citation : « Trois soleils dans le ciel, voilà ce que découvrirait le visiteur de la planète HD 188753 A b, située à 140 années-lumière d'ici, dans la constellation du Cygne. Il s'agit d'une planète gazeuse à peine plus grosse que Jupiter qui tourne en un peu plus de 3 jours à seulement 6,6 millions de km de son soleil. Vue depuis cette planète, son étoile apparaît vingt fois plus grande dans son ciel que le Soleil depuis la Terre. Plus étonnant, un couple d'étoiles orangées tourne aussi autour de HD 188753 A (voir glossaire). Illuminée par ce système d'étoiles triples, l'exoplanète HD 188753 A b a été surnommée Tatooine par les astronomes, en référence à la planète où Luke Skywalker a grandi dans la Guerre des étoiles. »
Il s'agit ici, bien sûr, d'une planète gazeuse et, qui plus est, très proche de son soleil mais elle a le mérite d'exister dans un système multiple. Nos outils d'observation ne sont pas encore suffisamment performants pour dénicher les petites planètes telluriques (comme la Terre) autour de ces soleils lointains mais je reste persuadé que ce n'est qu'une question de temps. Quoi qu'il en soit, l'astronome « expert » avait tort et l'auteur de science-fiction, sans le savoir, raison. Cela m'a donné l'idée de m'intéresser aujourd'hui à ces systèmes d'étoiles multiples qui doivent éclairer bizarrement les planètes qui s'y trouvent.
systèmes d'étoiles multiples
D'emblée, il convient de préciser que je vais parler des étoiles doubles « vraies » (étoiles physiques) par opposition aux « fausses » (étoiles doubles optiques) qui ne paraissent proches que par un effet d'optique dû à la perspective (ces étoiles peuvent être en réalité très éloignées les unes des autres et ne sont, de toute façon, pas liées entre elles).
Il existe des systèmes d'étoiles doubles, c'est à dire regroupant deux étoiles - qu'on appelle aussi étoiles binaires - et des systèmes d'étoiles multiples comportant trois, quatre voire plus d'étoiles liées les unes aux autres. Notons que ces dernières (plus de deux) sont quand même nettement plus rares que les binaires proprement dites. Quel que soit leur nombre, ces astres, liés par la gravitation, ont la particularité de tourner autour d'un point commun virtuel qui est la résultante des différentes forces d'attraction. Plus ces étoiles liées sont nombreuses et plus le calcul de leurs orbites respectives sera, on le comprend bien, compliqué.
nombre et formation des étoiles multiples
Jusqu'à il y a peu, on pensait que la grande majorité des étoiles étaient doubles ou multiples. On a avancé le chiffre de 70% ce qui ne laisse que 1/3 des étoiles comme notre Soleil, c'est à dire solitaires. En fait, on est quelque peu revenu sur cette affirmation car s'il est vrai que la majorité des étoiles massives et brillantes sont doubles, cela est moins le cas des naines rouges qui forment le gros bataillon de l'armée stellaire. Reste que les étoiles doubles sont très nombreuses (environ 50% de l'ensemble des étoiles) et on peut se demander pourquoi. Pour cela, il faut comprendre leur mode de formation.
Avant qu'une étoile n'apparaisse, il existe un immense nuage de gaz d'hydrogène dont une partie va se contracter sur elle-même, attirant de plus en plus de gaz et de poussières (voir le sujet : la formation des planètes). Les forces gravitationnelles augmentant avec la densité, il y a échauffement et condensation du nuage : la protoétoile rayonne d'abord dans l'infrarouge puis initie une réaction nucléaire si chaleur et masse sont suffisants. Une nouvelle étoile va alors « s'allumer ». Le nuage primordial, toutefois, n'est pas homogène et ses mouvements plus ou moins violents peuvent conduire à sa fragmentation : plusieurs parties du nuage peuvent aboutir à des étoiles dont la proximité les lient inéluctablement. En schématisant quelque peu, on pourrait presque dire que l'importance du nuage originel explique pourquoi les naines rouges qui sont de petites étoiles, plus petites que le Soleil, sont isolées tandis que les étoiles massives et supermassives ont des compagnons proches...
observation et classification des étoiles multiples
En dépit du perfectionnement de nos outils d'observation, il reste difficile d'identifier les systèmes d'étoiles multiples dès lors qu'ils sont suffisamment éloignés de nous (C'est d'ailleurs totalement impossible en dehors de notre galaxie). On va donc chercher, comme toujours en astronomie lorsque l'observation directe est insuffisante, à s'en remettre à des preuves indirectes.
Certaines étoiles présentent des variations de magnitude (éclat apparent) mais selon un processus totalement différent des céphéides ou étoiles variables que nous avons évoquées dans un sujet précédent (voir sujet céphéides). Ici, il ne s'agit pas d'une réelle variation de la luminosité de l'étoile mais de l'éclipse mutuelle de deux étoiles dont les orbites se superposent à un moment donné : l'éclat le plus faible se produit lorsque l'étoile la moins brillante vient se superposer à la plus brillante (dans le cas contraire, on voit également une variation de magnitude mais plus difficile à discerner). On parle alors de binaires à éclipses. La plus célèbre de ces étoiles est Algol (de la constellation de Persée), un couple d'étoiles où la plus brillante, une géante bleue, est en partie occultée par son compagnon, un astre orangé. Il en existe d'autres comme la supergéante rouge en fin de vie, Antarès, que j'ai déjà évoquée dans un autre sujet, ou Sirius, géante rouge occultée par son compagnon, une naine blanche.
Une autre façon d'identifier des binaires est de visualiser la soudaine apparition d'une "nouvelle étoile", une " nova ". Il s'agit de la brusque augmentation de luminosité d'une étoile intervenant lors de sa fin de vie : est alors presque certainement concerné un système binaire associant une naine blanche (étoile compacte au cœur éteint) qui « capte » de la matière provenant de sa compagne. Le gaz arraché ne s'incorpore pas directement à la naine blanche mais forme un anneau brûlant autour d'elle (on parle alors de disque d'accrétion) qui explique les variations de luminosité observées.
Signalons enfin les binaires X : en pareil cas, il ne s'agit pas de variation de lumière visible mais d'un sursaut d'émission de rayonnement X correspondant lui-aussi à un transfert de matière entre une étoile encore en activité vers son compagnon qui est soit une étoile à neutrons, soit plus rarement un trou noir (voir sujet mort d'une étoile).
devenir des systèmes d'étoiles multiples
Je faisais précédemment allusion à la complexité des orbites de ces étoiles liées. On peut comprendre que de tels systèmes deviennent instables à plus ou moins long terme. Au bout d'un certain temps d'évolution commune, ces systèmes ont tendance à se simplifier, c'est à dire à se séparer. Je fais ici allusion au fait que certaines étoiles dont les orbites se déséquilibrent peu à peu finissent par être expulsées du système dont elles font partie.
Les américains utilisent un terme précis pour ces astres : ils parlent de « runaway stars », ce qui veut à peu près dire étoiles qui s'échappent ou qui s'évadent (en français, ces objets sont appelés : 'étoiles errantes ou erratiques"). En raison des puissantes forces à l'œuvre en la matière, ces étoiles sont expulsées à grande vitesse et c'est précisément cette caractéristique qui permet de les repérer. Il peut s'agir de la perturbation de l'orbite de l'intéressée par un troisième corps excitateur ou d'un choc entre une étoile à neutrons et sa compagne qui les projette à grande vitesse loin l'une de l'autre. Quoi qu'il en soit, la mise en évidence de la vitesse excessive d'une étoile (plus de 50 km par seconde) signe ce qui est probablement la conséquence d'un de ces cataclysmes.
beauté des étoiles doubles
Le fait que coexistent dans le ciel d'une planète plusieurs étoiles de couleurs différentes doit être à la fois superbe et considérablement dérangeant pour des êtres comme nous que la théorie de l'évolution a sélectionné pour une lumière bien précise, celle du Soleil. Je me demande quand même ce que peut être la résultante lumineuse de l'exposition à un soleil rouge agrémenté dans le lointain d'une géante bleue ou bien d'une étoile orangée dont les compagnons seraient vert pour l'un et blanc pour l'autre...
Simple rêveries évidemment puisque, outre le fait que nous ne savons pas quitter notre propre système solaire, il est peu probable que de tels mondes nous permettent jamais d'y survivre dans des conditions acceptables. A moins que des machines bardées d'équipements spéciaux ?
Glossaire
* exoplanète : planète extérieure au système solaire et tournant en conséquence autour d'une autre étoile que le Soleil. Soupçonnées depuis longtemps (Giordano Bruno est mort sur le bûcher pour l'avoir affirmé trop tôt), elles n'ont été mises en évidence avec certitude que vers la toute fin du 20ème siècle. En novembre 2014, plus de 1700 d'entre elles ont été observées et répertoriées.
* HD 188753 A désigne évidemment l'étoile puisque, le nombre de celles-ci étant infini, il paraît illusoire de vouloir les baptiser toutes d'un nom propre, théoriquement réservé aux plus importantes et/ou anciennement découvertes d'entre elles. Les planètes gravitant autour d'une étoile sont donc affublées de la même appellation chiffrée, agrémenté d'une lettre (ici « b ») selon leur place dans le système stellaire concerné. Il est à noter que les catalogues répertoriant les corps célestes sont très nombreux (plus de 5000 si on incorpore les catalogues dits « historiques »). En réalité, seuls quelques uns comme ceux de Messier, du télescope Hubble, etc. sont utilisés pour les objets généraux tandis que d'autres, plus spécialisés, regroupent par exemple les pulsars ou les étoiles binaires. L'appellation du corps céleste commence donc par un groupe de lettres qui donne le nom du catalogue retenu (M pour Messier, GSC pour Hubble, etc.). Ici, HD débutant l'appellation de l'exoplanète citée signifie Henri Draper Catalogue, une classification très en vogue, notamment aux États-Unis.
Images
1. étoiles doubles (vue d'artiste) (sources : www.futura-sciences.com)
2. étoile binaire (sources : fr.images.search.yahoo.com)
3. vue d'artiste d'un pulsar dans un système binaire (www.cenbg.in2p3.fr)
4. coucher de soleils sur une planète appartenant à un système d'étoiles doubles (vue d'artiste) (sources : www.techno-science.net)
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)
Mots-clés : revue Science & Vie - planète tellurique - étoiles binaires - naine rouge - magnitude - céphéides - binaires à éclipse - Algol - Antarès - Sirius - nova - naine blanche - binaire X - étoiles à neutrons - trou noir - runaway stars
(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)
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Mise à jour : 19 février 2023